Assaut contre Wikileaks (cinquième partie) : L’ennemi intérieur

 accueil    media 

Jimmys LLAMA
publié le 9 février 2018
Publié par Polex le : 3 Août, 2019

envoyer à un ami  recommander à un ami

quelque chose qui ne cesse de m’étonner, c’est le manque de sérieux des médias grand public face aux attaques auxquelles Julian Assange et WikiLeaks ont été confrontés au fil des ans, mais comme je l’ai mentionné précédemment, le gouvernement des Etats-Unis a joué un rôle important dans le contrôle de la diffusion de l’information et je peux vous assurer que la dernière chose qu’ils veulent c’est que les gens soient informés sur les crimes qu’ils ont commis et tous ceux qu’ils ont retournés pour faire tomber Julian Assange. Prenons par exemple l’opération secrète du FBI en Islande. Si vous n’en avez jamais entendu parler ou si vous ne savez pas exactement de quoi il s’agit, prenez une tasse de café et attachez votre ceinture. Vous vous demandez comment le collectif de pirates Anonymous a pu jouer un rôle quelconque dans WikiLeaks ? Prenez un verre car, quelque part dans le monde, c’est l’heure de l’apéro. Et enfin, si vous n’avez jamais vu le film de Laura Poitras, Risk, laissez tomber l’apéro car vous allez apprendre que ce n’est pas ce qu’elle a mis dans le film qui le rend biaisé, mais ce qu’elle a omis qui constitue une trahison. Tandis que je poursuis mes recherches sur les attaques contre Julian Assange, vous verrez, si vous ne l’avez pas déjà fait, que les histoires sont aussi incroyablement horribles que fantastiques.

LE PIRATAGE DE HB GARY ET LES AGENTS FéDéRAUX DE L’INTERNET

Pour bien raconter toute l’histoire, il faut revenir à la fin de l’automne 2010, après que WikiLeaks ait publié les journaux de guerre irakiens. Moins d’un mois plus tard, le 20 novembre 2010, la Suède a émis une alerte rouge contre Assange, qui n’est pas du genre à se laisser intimider, et qui a publié des documents Cablegate huit jours plus tard. Moins d’une semaine après cette publication, un blocus financier fut décrété et Amazon a retiré l’hébergement de WikiLeaks, PayPal a gelé leur compte, et Visa et MasterCard cessèrent de traiter les dons pour WikiLeaks. Et pour ne pas être en reste, le Royaume-Uni reconnut, le 6 décembre 2010, le mandat d’arrêt européen de la Suède, ce qui a conduit Assange à se rendre à la police le lendemain. Il passa neuf jours en isolement, après quoi il fut libéré sous caution et assigné à résidence sans inculpation. Ce que vous ne savez peut-être pas au sujet de cette période, c’est que le 11 novembre 2010, Assange révéla dans une interview qu’il était en possession d’un « tas de documents secrets » et qu’il avait l’intention de « démanteler » une grande banque américaine. La révélation est venue un an après avoir annoncé qu’il avait en sa possession le « disque dur d’un cadre de la Bank of America contenant cinq gigaoctets de données ».

Il n’y a rien de plus divertissant que de voir une banque partir en vrille après avoir appris que WikiLeaks pouvait ou non détenir des informations, et c’est exactement ce qui s’est passé avec la Bank of America (BofA). La banque engagea des sociétés de sécurité et des cabinets d’avocats pour scruter des milliers de documents au cas où ils seraient rendus publics, et fit vérifier si leurs systèmes informatiques avaient été compromis ou non, et trois sociétés de sécurité Internet, HB Gary Federal, Palantir Technologies et Berico Technologies, ont présenté un plan « How to Take Down WikiLeaks 101 » (Comment faire tomber Wikileaks) aux avocats de la banque. Parmi les recommandations, on trouve ceci :

.... une attaque sur plusieurs fronts contre WikiLeaks, dont la soumission délibérée de faux documents sur leur site Web pour miner leur crédibilité, des cyberattaques pour révéler l’identité des sources de WikiLeaks et une campagne contre les journalistes sympathiques à leur cause.

Si vous pensez que c’est mal, l’ancien directeur général de HB Gary Federal, Aaron Barr, a écrit dans un courriel que les compagnies de sécurité « devraient traquer et intimider les gens qui font des dons à WikiLeaks » et « doivent faire comprendre aux gens que s’ils soutiennent l’organisation, nous les poursuivrons. » Tout cela me rappelle les implications de l’article 623, mais ne nous égarons pas car Barr n’a pas dit que ça. Selon Wikileaks, au début du mois de février 2011, il s’est vanté au Financial Times du Royaume-Uni d’avoir identifié des membres du collectif Anonymous et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils n’étaient pas contents. Entre le 5 et le 6 février 2011, un groupe de pirates appelé « Internet Feds » a attaqué les serveurs de HB Gary, saisi leurs courriels, y compris celui d’Aaron Barr, endommagé le site Web, détruit des données et ensuite transmis les documents à WikiLeaks. Et rappelez-vous ce plan pour abattre WikiLeaks ? On ne le connaît que grâce au piratage de HB Gary.

éTé 2011 : L’ENNEMI INTéRIEUR

Selon des documents présentés à la cour, Hector Xavir Monsegur, un pirate informatique devenu mouchard et connu sous le pseudo « Sabu », a rejoint les Internet Feds un certain temps en Décembre 2010. En mai 2011, il créa son propre groupe de pirates appelé « LulzSec », emmenant avec lui quelques (prétendus) membres d’Internet Feds comme ’Kayla’, un hacker qui communiquait avec le collaborateur de WikiLeaks Siggi Thordarson depuis janvier ou février de la même année, ainsi que ’Topiary’,’Tflow’ et ’Pwnsauce’. Après avoir créé le nouveau groupe, les membres de LulzSec se lancèrent durant cinquante jours dans une série de piratages, à la fin du printemps et au début de l’été, mais la chance de Sabu tourna le 7 juin 2011 quand il fut arrêté à son domicile par le FBI. Après son arrestation, il devint immédiatement un mouchard pour le gouvernement et quand je dis immédiatement, je veux dire immédiatement.

Huit jours après que Sabu Sabu soit devenu informateur, LulzSec fit tomber le site Web de la CIA et Thordarson, apparemment amusé par leurs actions, a tendu la main au groupe. Il entra d’abord en contact, par le biais d’une conversation en ligne, avec Topiary qui croyait au début que Thordarson se moquait de lui. Pour le convaincre qu’il était bien celui qu’il prétendait être, Thordarson téléchargea une vidéo d’Assange que je ne crois pas qu’Assange connaissait - ou du moins ne savait pas que Thordarson l’avait téléchargée pou LulzSec. Sans surprise, selon le livre, « Hacker, Hoaxer, Whistleblower, Spy : The Many Faces of Anonymous, » Sabu Sabu s’est immédiatement joint à la conversation et pendant que ses mentors du FBI salivaient sûrement sur leurs claviers, Thordarson dit à LulzSec qu’Assange voulait qu’ils piratent les sites du gouvernement islandais et de différentes sociétés. Ce qui était totalement faux et avait probablement été affirmer soit pour tenter de prouver son identité soit pour rassurer le FBI qu’il travaillait bien pour eux. (Et personnellement, je ne serais pas surpris d’apprendre que Siggi avait déjà été retourné par le FBI à l’époque). Thordarson téléchargea une deuxième vidéo dans laquelle il a non seulement filmé leur discussion en ligne mais également Julian Assange en conversation avec Sarah Harrison dans une autre partie de la salle. La vidéo est effrayante lorsqu’on connaît les circonstances qui l’entourent et Assange et Harrison n’ont à l’évidence pas conscience qu’ils sont filmés. @AnonScan téléchargea la vidéo sur Twitter en décembre dernier, que vous pouvez regarder ICI.

Au fait, est-ce que j’ai dit que l’agent en charge de Sabu était probablement Shawn Henry, de la compagnie de sécurité Crowdstrike, la même compagnie qui a travaillé avec le DNC (organe dirigeante du Parti Démocrate – NdT) après son « piratage » et qui a plus tard « confirmé » que le piratage était l’oeuvre des Russes ? Non ? Bon, ben, voilà, c’est fait.

Deux choses intéressantes se produisirent après que Thordarson ait téléchargé cette deuxième vidéo. Tout d’abord, au lieu de pirater des sites islandais comme Thordarson l’avait demandé, LulzSec cessa sans explications l’ensemble de ses activités et prit sa retraite à la fin de juin 2011. Deuxièmement, quelques jours plus tard, le FBI informa l’Islande que dans le cadre de son enquête sur LulzSec, il avait reçu des informations indiquant une possible cyberattaque contre son « infrastructure électronique ».
Bien qu’aucun des avertissements du FBI ne se sont concrétisés, en août 2011, Thordarson (sans blague) envoya un courriel à 3h du matin à l’ambassade des états-Unis en Islande, offrant ses services pour devenir un informateur. Moins de 24h plus tard, le FBI débarqua en Islande - sans aucune autorisation pour mener des enquêtes - et interrogea Thordarson dans différentes chambres d’hôtel à Reykjavik pendant quatre jours consécutifs.
Cependant, il n’a pas fallu longtemps à l’Islande pour expulser le FBI du pays après avoir réalisé qu’ils avaient menti en juin et qu’ils étaient en ville pour piéger Julian Assange. Comme le ministre de l’Intérieur Ögmundur Jonasson l’a dit, « .. le FBI avait l’intention d’utiliser le jeune homme qu’ils interrogeaient, connu sous le nom de Siggi’ le hacker’, comme appât dans leur enquête sur WikiLeaks. » Il ajouta dans une autre interview : « Je pense qu’il s’agissait de piéger Julian Assange. Et ils voulaient l’aide des autorités islandaises. »

Lorsque les choses ont commencé à chauffer pour eux dans leur paradis islandais, les agents fédéraux payèrent un billet d’avion à Thordarson et relocalisèrent la fête à Copenhague, au Danemark, où les interrogatoires se sont poursuivis. Le 3 octobre 2011, le FBI a de nouveau renvoyé Thordarson à Copenhague, qui récupéra ses factures d’hôtel des deux voyages. Thordarson fut finalement expulsé de WikiLeaks en novembre 2011, pour avoir détourné cinquante mille dollars appartenant à WikiLeaks, mais il continua à collaborer avec le gouvernement américain. Par exemple, après avoir reçu l’instruction de « nouer des relations avec des personnes proches de WikiLeaks afin de recueillir des informations pour le FBI », il fut envoyé à Washington, DC vers février 2012, et interrogé dans une chambre d’hôtel d’Arlington sur les collaborateurs de WikiLeaks comme Jacob Appelbaum. Selon Thordarson, il y eut aussi une réunion prévue avec Neil MacBride, finalement annulée, qui était l’ancien procureur général US responsable du grand jury de WikiLeaks, mais d’autres membres du Ministère de la Justice US se présentèrent à la réunion à Arlington. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi le FBI s’intéressait à Appelbaum, Thordarson a répondu qu’ils cherchaient des preuves incriminantes uniquement en raison de sa « relation avec Julian Assange », et en janvier 2011, le gouvernement US livra et remporta une bataille juridique pour obtenir les courriels privés d’Appelbaum – tout en interdisant au passage à Google d’ « informer Appelbaum que ses courriels avaient été transmis au gouvernement ».

En plus de transmettre des informations sur les collaborateurs de WikiLeaks au Ministre de la Justice US, Thordarson accepta également d’aider le FBI sur la « sécurité technique et physique de WikiLeaks », l’endroit où se trouvaient leurs serveurs, et sur d’autres collaborateurs de WikiLeaks qui pourraient être retournés. Comme si cela ne suffisait pas, le FBI lui demanda également de porter un micro caché (qu’il prétend avoir refusé) et de copier les données des ordinateurs portables du personnel de WikiLeaks. Copier les données des ordinateurs portables du personnel de WikiLeaks ? Je n’arrive absolument pas à comprendre comment les rédacteurs en chef et les journalistes aux états-Unis ne sont pas horrifiés (et terrifiés) par les efforts que les services de renseignement US sont prêts à déployer pour faire taire une publication. Mais je m’égare....

Selon Wired.com, le 18 mars 2012, Thordarson rencontra une dernière fois le FBI à Aarhus, au Danemark, où il leur remit huit disques durs contenant « des informations qu’il avait compilées alors qu’il était chez WikiLeaks, dont les retranscriptions de ses conversations en ligne, des photos et vidéos qu’il avait tournées à Ellington Hall ». Bien que certains articles disent que Thordarson n’a plus jamais eu de nouvelles du FBI après cette réunion, d’autres articles comme celui-ci rapportent que Thordarson a continué à communiquer avec son gestionnaire, ’Roger Bossard’, à intervalles irrégulières, mais ne s’est jamais à nouveau entretenu avec des agents fédéraux. L’une des choses importantes à noter ici est de savoir si le Danemark avait la moindre idée que le FBI menait une enquête dans leur pays. Si ce n’est pas le cas, les actions du gouvernement US étaient illégales et dans ce cas, pourquoi le Danemark s’est-il rendu complice du sale boulot du gouvernement US ?

J’aimerais conclure cet article en mentionnant un autre traître, bien que je ne sache pas (encore) si elle a joué un rôle direct ou indirect dans les événements qui se sont produits avec Thordarson, LulzSec ou l’Islande. Il s’agit de Laura Poitras. Que je vous explique. Bien qu’on ne sache pas quand elle a commencé à filmer Assange ni pendant combien de temps (cet article dit qu’elle a filmé de 2010-2011, celui-ci dit qu’elle a commencé à filmer en 2011, et celui-ci dit qu’elle a approché Assange en 2010 mais qu’elle a commencé à filmer en 2011 – vous comprenez mon problème ?), le fait est qu’elle n’a inclus aucun de ces événements dans son documentaire sur Assange de 2016, pardon, dans son documentaire remonté en 2017 et intitulé Risk. A part le fait qu’elle n’a pas non plus inclus dans le film des choses comme « le contenu réel des nombreuses révélations de WikiLeaks » ou qu’elle n’a pratiquement rien à dire sur « la responsabilité du gouvernement et de l’armée US dans la mort de plus d’un million de personnes rien qu’en Irak », elle a complètement ignoré la trahison de Thordarson et les opérations secrètes du FBI en Islande et peut-être au Danemark. Comment est-ce possible lorsqu’on tourne un documentaire sur Julian Assange ?

De plus, au lieu de se concentrer sur d’autres collaborateurs de WikiLeaks comme Daniel Domscheit-Berg qui a manifestement un objectif personnel, qui a peut-être été très tôt en contact avec le FBI, et qui travaille peut-être actuellement pour eux, Poitras a concentré son attention sur sa relation avec le collaborateur de WikiLeaks, Jacob Applebaum. Sa décision consciente d’omettre l’opération du FBI en Islande et les histoires derrière Thordarson et Domscheit-Berg rendent son comportement au minimum discutable. Pour plus d’informations sur le personnage pas très clair de Poitras, voir mon article ’Freedom of the Press Foundation Cuts Wikileaks Donations’ (lien vers traduction française - NdT). J’aimerais pouvoir dire que ceci est mon dernier article de cette série parce que les attaques contre Julian Assange ont cessé en 2012, mais ce n’est pas le cas. Alors restez à l’écoute.

(à suivre)

Assaut contre Wikileaks (première partie) : Freedom of the Press Foundation coupe les donations à Wikileaks
Assaut contre Wikileaks (deuxième partie) : Dans la ligne de mire.
Assaut contre Wikileaks (troisième partie) : trahis pour l’argent et le pouvoir ?
Assaut contre Wikileaks (quatrième partie) : Poupées russes
Assaut contre Wikileaks (sixième partie) : les fichiers Stratfor et Syrie I
Assaut contre Wikileaks (septième partie) : le réseau du renseignement US

Source article original :jimmysllama   traduction par VD pour le Grand Soir

 accueil    media