Démocratisation de l' Etat, hausse
des budgets sociaux : Nicolas Maduro met les bouchées doubles.
Manifestation pour
célébrer les quinze ans de la Constitution Bolivariene,
Caracas, 15 décembre 2014
On connaît la musique : chaque fois que le Venezuela
approfondit la démocratie, les grands médias en
remettent une couche pour créer l' image d' un
régime répressif (1). Qu' une
population passe de l' état de paysage colonial muet a
celui de sujet politique actif explique la réaction
locale de la minorité blanche, riche et raciste. Celle-ci sait
comment fabriquer les violences dont les médias
internationaux ont besoin pour mettre en images leur “révolte
populaire contre le gouvernement vénézuélien“.
Cette alliance entre les grands groupes médiatiques et une
droite locale du seizième siècle – médiatiquement
majoritaire au Venezuela – rappelle que l' Occident reste,
lui aussi, profondément colonial face à l' émergence
du Sud comme sujet politique.
Depuis l' approbation par les électeurs de la
Constitution Bolivarienne il y a quinze ans, les gouvernement Chavez
puis Maduro ont travaillé à la concrétisation de
la “participación protagónica”, à
savoir la participation effective et efficace des citoyens au pouvoir
d' État. En 2014, dans cette deuxième année
de révolution sans Chavez, tout en surmontant toutes sortes de
déstabilisations violentes, économiques, médiatiques
et politiques, Nicolas Maduro a franchi une étape fondamentale
sur cette voie : la création des Conseils Présidentiels.
Ces conseils formés de porte-paroles désignés
par les mouvements sociaux, sont baptisés “présidentiels”
parce qu' ils disposent du même rang que le Conseil des
Ministres – des décisions gouvernementales pouvant être
prises directement au cours de ces réunions. “Ces
Conseils ont été créés pour construire
les institutions, précise Maduro, et pour réorienter
les investissements. Ce sont des conseils de gouvernement, au plus
haut niveau présidentiel, au plus haut niveau constitutionnel
et des pouvoirs publics”.
Cerveau collectif, flux constant de critiques, de propositions, de
solutions émanant des mouvements sociaux, ils sont une manière
de démultiplier la fonction présidentielle, d' en
faire un inspecteur collectif sur le terrain, qui rend compte en
connaissance de cause au Président de la république des
retards, problèmes, réalisations des décisions
prises et des nouveaux besoins en matière de politiques
publiques.
Le premier Conseil installé le 19 septembre 2014 fut celui
des Communes. A quoi bon parler de “révolution
citoyenne” ou de “socialisme bolivarien” sans
transformer les relations sociales de production et la division
sociale du travail liées à la globalisation
néo-libérale ? Basée sur le concept de
“toparquía” (“gouvernement local”)
créé au 19ème siècle par le philosophe
Simón Rodriguez, la commune vénézuélienne
– qui regroupe des conseils communaux liés par une même
problématique sociale – commence à incarner ce
nouveau mode de production centré sur les besoins directs
d' une population et administré par celle-ci (2).
En décembre 2014 on note une forte progression du nombre de
communes (930 enregistrées dans tout le pays) et de conseils
communaux (47 mille 332). “Aucune de ces communes, aucun de
ces conseils communaux ne restera sans financement de leurs projets
en 2015 » explique le Vice-Président pour le
Socialisme Territorial, le sociologue Elías Jaua. Ce nouveau
pouvoir citoyen commence à bousculer les vieilles formes de
pouvoir local alors que pour de nombreux maires, gouverneurs, y
compris certains chavistes, la politique restait un négoce
clientéliste et autoritaire.
Autre Conseil créé ces derniers mois, celui des Travailleurs articule les politiques impulsant l' économie
productive, les avancées du droit du travail et le plan de
travail pour les entreprises nationalisées : un nouveau modéle
de direction des entreprises publiques sera mis en place en 2015.
Conseil des Femmes réuni avec le président Maduro
Le Conseil des Femmes a déjà
renforcé les programmes visant à éliminer la
violence contre la femme, dénoncé l' image
dénigrante que diffusent de la femme les médias privés,
majoritaires au Venezuela. Sont mises en place de nouvelles
politiques sociales pour les femmes de milieu populaire –
historiquement, le secteur le plus vulnérable à
l' extrême pauvreté. L' accent sera mis en
2015 sur la création de “Bases de missions sociales”
(qui regroupent tous les services publics et sociaux essentiels) dans
les communautés les plus pauvres, avec priorité pour
les femmes.
Le président Maduro réuni avec le Conseil des
Paysans et des Pêcheurs
Du Conseil Présidentiel des Paysans et des Pêcheurs ont émergé un plan général de
développement agricole et la décision saluée par
les mouvements sociaux de restructurer le Ministère des
Terres et de l' Agriculture, avec de nouvelles mesures
contre les mafias privées qui interceptent et gonflent les
prix des produits agricoles avant qu' ils n' arrivent aux
mains des habitants.
Les pénuries passagères de certains aliments ont mis
en évidence la faillite du capitalisme au Venezuela,
où l' alimentation est encore à 70 % aux mains du
secteur privé. Le géant privé Polar, quasi
monopolistique sur des produits d' usage quotidien comme la
farine de maïs, produit moins qu' il n' importe…
grâce aux dollars préférentiels que lui octroye
l' Etat.
Le président Maduro a également défendu la
réactivation de l' agriculture familiale en petite
surface (le traditionnel “conuco”), suivant
ainsi les recommendations de la Via Campesina et de la FAO
(ONU) qui insistent sur l' importance de ce mode de production
pour la souveraineté alimentaire, le développement
rural soutenable, une nourriture saine produite de manière
agro-écologique.
Il fut aussi question de la lutte accrue contre les exactions de
grands propriétaires qui ont assassiné à
ce jour près de deux cents paysans – un thème
dont ne parlent jamais les médias internationaux car cela les
obligerait à évoquer la réforme agraire. Cette
volonté de mettre fin à l' impunité se
heurte encore à une justice liée aux grands lobbies
terriens – pour preuve la récente tentative – qui
a heureusement échoué – du Tribunal Suprême
de Justice d' abroger la charte agraire de la commune “El
maizal” – modèle de participation populaire dans
l' État de Lara. Maduro a aussitôt pris la défense
des communards de El Maizal, jugeant cette décision
“anticonstitutionnelle et attentant aux droits fondamentaux
des paysans”.
“Qui aurait cru que 522 ans plus tard, les 44 peuples
indigènes qui ont résisté au colonisateurs,
allaient être assis au centre du pouvoir politique, au Palais
Présidentiel ? Le Conseil Présidentiel des Peuples
Indigènes doit être une nouvelle structure d' État
et de gouvernement pour décider et diriger. C' est une
rénovation de la révolution, et c' est une
révolution dans la révolution”. C' est
en ces termes que le président Maduro a salué
l' installation du Conseil des Peuples Indigènes avec lequel il a décidé d' augmenter les
investissements de projets socio-productifs formulés par les
peuples originaires, d' assurer la couverture sociale intégrale
de toutes les communautés et de “fonder
immédiatement l' institut des langues indigènes,
avec une équipe qui travaille de manière permanente,
scientifique, à enregistrer, retrouver et rendre vie à
toutes les langues indigènes qui existent sur le territoire
vénézuélien”.
Le Conseil des Peuples originaires réuni au Palais
présidentiel
Autres conseils en pleine installation : le Conseil des
Jeunes et des Étudiants, celui des travailleurs
de la Culture qui vise a développer les systèmes
de sécurité sociale pour tous les créateurs sans
exception. S' y ajouteront en janvier 2015 le Conseil de
la classe moyenne et des associations de voisins, celui des organisations de persones âgées et des associations de personnes handicapées.
Pour renforcer cette participation populaire au plus haut niveau
de l' État, Maduro a signé dans les derniers mois
plusieurs lois importantes : telle la Loi organique des
Missions Sociales qui protège légalement tous
les travailleurs de ces services publics, assortie de la création
du fonds économique unique des grandes missions; La loi de financement des projets du pouvoir citoyen pour
accélérer les conditions d' octroi de crédits
aux entrepreneurs individuels ou associés, aux conseils
communaux, aux communes, aux coopératives, aux personnes de
faibles revenus et à toute autre instance de pouvoir
populaire; La Loi organique de la gestion
communautaire des Services, compétences et autres
attributions; La Loi de l' Emploi productif pour les
Jeunes qui garantit à ceux-ci la protection légale
lors de leur premier emploi, avec salaires et horaires décents,
contre l' habituelle exploitation dont ils sont victimes; La Loi
d' Alimentation des Travailleurs augmente le niveau du
ticket alimentation (en complément du salaire); La Loi
organique de Planification Publique et Populaire oblige
l' État à consulter en permanence les citoyens et
à planifier de manière participative l' octroi
des ressources pour leurs projets.
“Vice-présidents, faites du pouvoir citoyen une
priorité. Obligez les ministres qui sont sous votre
responsabilité à le faire aussi. Et vous, ministres,
exigez à ceux qui travaillent dans vos équipes à
en faire la priorité : le nouvel État doit être
l' État du pouvoir populaire, tel qu' il est prévu
dans la Constitution de la République Bolivarienne. C' est
ce nouvel État qui doit substituer l' ancien –
l' État bourgeois qui possède encore des
tentacules de corruption et de bureaucratie, seul le pouvoir
populaire en action pourra y mettre fin”a déclaré
Maduro pour résumer l' esprit de ces lois signées
en noviembre 2014.
2015, année de la
relance économique
Alors que des journalistes européens euphoriques
annonçaient dès la chute des cours du pétrole
que le “Venezuela allait devoir faire des coupes dans son
budget”, le président Maduro a maintenu la hausse
du budget social pour 2015, aux antipodes des politiques d' austérité
pratiquées en Europe. La majorité des députés
socialistes – contre la minorité des députés
de droite – a voté un budget de 741 mille 708 millions
de bolivars – soit 21,6% du PIB – financé
en grande partie par les recettes fiscales non-pétrolières (517 mille 455 millions de Bolivars), les recettes
pétrolières (124 mille 74 millions) et un complément
d' emprunts publics. Tout cela garantit le financement
d' activités et de projets de secteurs aussi divers (à
titre d' exemples) que les producteurs agricoles, les
organisations communales, les infrastructures publiques –
centrales électriques hydro- et géothermiques, le
renforcement de 240 centres hospitaliers, l' alimentation
destinée aux 4 millions 351 mille étudiants de
l' enseignement primaire ou celle que le gouvernement distribue
à bas prix à la population en général à
travers les réseaux Mercal, PDVAL et les
“Maisons d' alimentation” destinés
aux secteurs les plus pauvres.
Courbe du salaire minimum jusque fin 2014
Le chômage poursuit sa baisse (5,9 % en novembre 2014, un
des meilleurs chiffres en quinze ans de révolution) tandis que
sur l' ensemble de l' année le salaire minimum
intégral a augmenté de 68,28% pour éviter qu' il
soit rogné par l' inflation encore très haute (64%
en 2014). Selon le rapport de la Banque Centrale de décembre
2014, celle-ci a été renforcée en 2014 par les
“guarimbas” violentes de l' opposition, la guerre
économique via le dollar parallèle et la contrebande
massive de produits subventionnés par le gouvernement,
revendus plus cher à l' étranger.
En 2015, Maduro l' a annoncé, les efforts du
gouvernement se centreront sur l' élimination de ces
mafias économiques par la lutte accrue contre la contrebande,
la fixation des prix justes au consommateur, et surtout le passage
définitif de l' économie rentière-pétrolière,
avec sa culture médiatique d' ultra-consommation, à
une économie productive et rationnelle.
Pour que la structure économique ne corsette pas le
déploiement des nouvelles formes de participation et de
production citoyennes, Maduro a également signé en
noviembre 2014 une série de 28 lois en
matière économique.
Lois révolutionnaires qui règlent les conditions
d' assainissement d' une économie depuis longtemps
empêtrée dans la corruption et la bureaucratie
anti-productives. Nulle mesure d' austérité, nulle
augmentation de l' essence (écartée à court
terme). Ces lois transforment les conditions d' accumulation du
capital pour les réorienter en faveur de l' investissement
productif – règlementant les investissements étrangers,
empêchant les monopoles, simplifiant l' administration
pour les mouvements communaux et les secteurs productifs nationaux,
fixant une contribution sérieuse du secteur capitaliste –
bancaire notamment, qui a engrangé 13% de bénéfices
en 2014 – au budget de l' État.
Ces lois fortifient la courbe de croissance des revenus fiscaux
non-pétroliers (qui atteignent actuellement 72% du budget de
l' État) et seront multipliées par deux. Exemple :
une des 28 lois modifie les “concessions molles”
accordées aux transnationales exploitant le sous-sol
vénézuélien et met fin à leur hégémonie,
la restituant à l' État. En récupérant
l' extraction de cette quantité plus importante que
prévue, l' État pourrait en dix ans porter ses
réserves internationales à 50 milliards de dollars et
renforcer la valeur de la monnaie nationale et la stabilité
économique en général.
Sans doute la Sainte Alliance qui va des médias de la
droite locale à la majorité des journalistes
occidentaux commet-elle la même erreur que celle qu' ils
ont commise contre Chavez : celle de sous-estimer Maduro et le
“peuple-président”.
Notes
(1) Exemple : le mensonge, relayé par le
très controversé Paulo Paranagua du “Monde”,
d' une “dessinatrice licenciée pour un dessin
anti-Chavez”. En réalité le départ de
la dessinatrice Rayma (ouvertement raciste et d' extrême-droite)
provenait de son conflit personnel avec la direction de son journal
”EL Universal” (droite). Il n' y a eu aucune
censure du gouvernement et ses livres sont disponibles dans toutes
les bonnes librairies. Rappelons qu' au Venezuela les trois
quart des médias, écrits, radio et télévision
(inter-) nationaux, régionaux ou locaux, appartiennent au
secteur privé, que leur nombre a augmenté en quinze ans
de révolution, et qu' ils propagent en majorité
des idées de droite. Pour une liste non-exhaustive des
mesonges sur les “atteintes-à-la-liberté-d' expression-au-Venezuela”,
voir le site ACRIMED http://www.acrimed.org/spip.php?page=recherche&recherche=venezuela
(2) Voir “La commune, co-présidente
du Venezuela” http://venezuelainfos.wordpress.com/2014/09/17/la-commune-copresidente-du-venezuela/
sommaire
Accueil
|