Les mensonges du Monde à propos du Venezuela
Les pieds de Greta Garbo
C'est sous ce titre que l'écrivain
Julio Cortazar écrivait au Monde dans les années 80 pour lui reprocher
son refus de voir les avancées de la révolution sandiniste au
Nicaragua. Dès que la liberté y avait abandonné le champ
philosophique et s'était transformée en réalité
pour des milliers de paysans sans terre, de coupeurs de bananes, d'enfants
promis à la tuberculose, la machine médiatique s'était
mise à fabriquer le “totalitarisme sandiniste”. Jouant du
piano à quatre mains avec ceux qui finançaient les attaques meurtrières
de la “contra”, le Figaro Magazine puis le Monde (sous la plume
d'un certain de la Grange) ne s'étaient rien refusé,
inventant de soi-disants “charniers sandinistes”, démentis
par la suite par Amnesty.
La guerre médiatique ne cessa que le jour oú, vaincus électoralement,
les sandinistes remirent le pouvoir à l'opposition. Les éditoriaux
applaudirent alors les “grands démocrates” dont ils juraient
la veille qu'ils s'éterniseraient au pouvoir en bons “marxistes
totalitaires”. Les correspondants firent leur valise. Le Nicaragua disparut
du champ médiatique tandis qu'on reprivatisait la santé,
reprenait les terres aux paysans et que revenait au galop le cortège
de mortalité infantile, de prostitution, d'analphabétisme.
Le tiers de la population émigra du pays redevenu “libre”.
Comment ne pas se souvenir des protestations sans réponse de Cortázar
au Monde, en voyant ce soir de janvier 2007, le peuple sacrifié revenir
sur cette place de Managua oú Daniel Ortega assume la présidence
? A ses côtés, Hugo Chávez interroge la foule : “Imaginez
un instant ce que serait ce pays aujourd'hui, sa santé, son éducation,
si on n'avait détruit sa révolution ?”. Les 32 centrales
électriques que le Vénézuéla envoie immédiatement
au Nicaragua produiront 60 megawatts, mettant fin au cauchemar quotidien des
coupures de courant. Des tracteurs suivent déjà, comme ceux envoyés
en Bolivie. Le correspondant du Monde, un certain Nicolas Bourcier, est soulagé
: “Un feu d'artifices conclut la cérémonie. Ortega
s'en va. Pas une fois, il n'a prononcé le mot “révolution”
(12.01.2007). Ortega a bien prononcé le mot, évoquant le boom
de l'analphabétisme sous l'ère néo-libérale.
Depuis huit ans, Garbo est vénézuélienne mais le Monde
refuse toujours de lever les yeux. La technique est immuable. Minimiser les
réformes sociales, les politiques Sud-Sud et la démocratie participative
pourtant sans précédent. Occulter les idées et l'engagement
des millions de citoyen(ne)s qui en bénéficient. Marteler que
Chávez surfe sur le pétrole, qu'il n'a donc aucun
mérite. Et que si ce “national-populiste” n'est pas
encore dictateur, c'est qu'il le deviendra.
Décembre 2006. En pleine liesse populaire, Hugo Chávez repart
pour un nouveau mandat, réélu avec 62,8 % des votes et un taux
record de participation. Avec une dizaine d'élections en huit ans
validées par les observateurs, Chávez “injecte une forte
dose de vitamines démocratiques á l'Amérique Latine”
dit l'écrivain Eduardo Galeano. Au moment oú le gouvernement
français veut privatiser le gaz et l'électricité,
exposant sa population à payer plus, Hugo Chávez, plus démocrate
et visionnaire, respecte ses promesses. Il ordonne la nationalisation de la
compagnie d'électricité et de celle du téléphone,
la récupération de toutes les industries-clefs privatisées
par les gouvernements précédents, le renforcement du contrôle
de l'État sur l'industrie pétrolière et sur
la Banque Centrale en vue d'accélérer le développement
du pays, la démocratisation accélérée de l'État
par l'octroi de nouveaux pouvoirs aux Conseils communaux et la convocation
d'une assemblée constituante.
“Vous avez aimé Castro ? vous aimerez Chávez” répond
le Monde (19.12.2006), qui traite le président vénézuélien
de “n'importe-quoi-iste” et de “caricature du populisme”.
Aux envoyés spéciaux de donner un semblant de “couleur locale”
à cette ligne. La liste de leurs mensonges est longue. La palme revient
à un certain Paulo A. Paranagua, ex-membre d'un groupe armé
qui admirait Cuba dans les années 70, et qui a retourné sa veste
depuis. En l'embauchant, Edwy Plenel s'est sans doute rappelé
qu'un nouveau converti est toujours plus fanatique qu'un original
de droite. Mais sa rage ne s'explique pas seulement par l'expiation
d'un passé gauchiste. L'image des avant-gardes armées
prend un coup de vieux à l'heure oú les peuples construisent
eux-mêmes, à travers des assemblées constituantes, le socialisme
du XXIème siècle. Paranagua punit ces peuples trop intelligents
à coup d'épithètes. Evo Morales et ses indiens ?
“Incultes et illettrés”. Les vénézuéliens
? “Des buveurs de whisky, fascinés par les États-Unis”.
En janvier 2005 il annonce l 'annulation d'un sommet entre Evo Morales
et Hugo Chávez, à la suite de “tensions” entre les
deux gouvernements. C'est faux. Le sommet se tient quelques jours plus
tard à Caracas, jetant les bases d'une coopération qui n'a
cessé de croître dans tous les secteurs.
Le 09.01.2007, dans “les raisons de la popularité de Chávez”
le Monde attaque la victoire “apparemment” démocratique du
président. Un peuple qui vote contre le néolibéralisme,
ça n'existe pas, ni en France ni au Vénézuéla.
Chávez se maintient au pouvoir par une force magique, au-delà
des urnes. En 2004 déjà Sylvie Kauffman découvrait que
“Hugo Chávez est doué d'un instinct de survie exceptionnel”
et qu'il “est passé maître dans l'art de manoeuvrer”.
Cette fois, le Monde reprend les thèses de Alfredo Ramos Jimenez et de
Carlos Romero, cautions universitaires et ultra-conservatrices de la droite
vénézuélienne :
l“Le nombre de spots télévisés et de pages de publicité”
en faveur de Chávez. Le Monde ne dit pas qu'au Vénézuéla,
95 % des chaînes de télé, radio et presse écrite,
sont aux mains de l'opposition et des transnationales. Beaucoup de ces
médias ont été impliqués dans le coup d'État
sanglant de 2002. Cette “dictature médiatique” rend d'autant
plus remarquable la victoire de Chávez.
l“Revêtir la chemise rouge et participer aux mobilisations”chavistes”
est une obligation à laquelle on ne saurait se soustraire, sous peine
de perdre l'emploi ou l'aide publique” ; De plus, il y a “1,3
millions de votants dont l'adresse ne figurerait pas sur les listes”.
Le Monde ne dit pas qu'au Vénézuéla le vote est secret,
ni que cette campagne quotidienne des chaines commerciales de l'opposition
sur le thème de la “cubanisation” ou de la “fraude”
a fait sourire les observateurs et experts électoraux du monde entier.
L'Organisation des États Américains, l'Union Européenne,
l'Asociación de Juristas Latinoamericanos et le Centre Carter,
ont qualifié le processus électoral de décembre 2006 de
“transparent, équitable et démocratique”.
l“2 millions d'électeurs naturalisés – essentiellement
des colombiens”. La république bolivariennne a, ces dernières
années, réglé une vieille dette democratique en régularisant
les étrangers qui prouvent légalement qu'ils vivent et travaillent
depuis dix ans au Vénézuéla. Passer de la clandestinité
à la citoyenneté, c'est pouvoir ouvrir un compte bancaire,
signer un contrat, louer une maison, inscrire ses enfants a l'école,
et voter. Le Monde suggère-t-il de rétablir le suffrage censitaire
pour sauver la démocratie ?
Le Monde attaque ensuite la politique du gouvernement bolivarien :
l“les missions éducatives sont des palliatifs qui ne modifient
pas une éducation nationale défaillante”. C'est faux.
Grâce à la Misión Robinson, le Vénézuéla
a été déclaré par l'UNESCO territoire libre
de l'analphabétisme en novembre 2005. Le gouvernement a supprimé
le paiement de droits d'inscription dans les écoles publiques,
construit 650 nouvelles écoles et pris en charge 10.000 de plus. Il a
créé l'Université Bolivarienne qui accueille les
secteurs populaires exclus jusqu'ici des études supérieures,
oú 400.000 jeunes étudient grâce à la Misión
Sucre. Record historique, 12 millions de vénézuéliens,
près de la moitié de la population totale, étudient.
l“Quant au logement décent auquel aspirent des millions de vénézuéliens,
le gouvernement a échoué à lancer un programme de construction
digne de ce nom”. C'est faux. En 2006 le gouvernement a investi
6,6 milliards de bolivars, construit 13.068 logements nouveaux et veut en construire
deux cent mille en 2007. La baisse du taux d'intérêt hypothécaire,
passé de 35 % avant 1998 à 5 % actuellement, a permis l'accès
au logement à plus de 73.000 familles.
l“l'absence de plan de développement susceptible de créer
des emplois en nombre suffisant pour faire baisser le chômage, déguisé
par le truquage des statistiques et par l'économie informelle”.
C'est faux. La première année, Chávez trouve un chômage
à 15,3 %. En 2002-2003, le coup d'État et le sabotage économique
font exploser ce taux à 19,2 %. En quatre ans, grâce aux mesures
gouvernementales, le chômage a perdu 10 points, tombant à 9, 6
%.
l“Le gouvernement “arrose” tous azimuts, que ce soit par les
programmes sociaux, la corruption, le crédit bon marché ou les
cadeaux faits aux banques.” C'est faux. Loin d'acheter la
“paix sociale” comme le faisaient les gouvernements antérieurs,
le gouvernement Chávez assortit les crédits, les missions (Vuelvan
Caras, Madres del Barrio, etc..) de formations et de mécanismes de soutien
par lesquels les bénéficiaires peuvent créer des activités
socio-productives.
lLe 11.12.2006 le Monde affirme que “Chávez n'a pas réussi
à faire baisser la pauvreté”. C'est faux. En sept
ans de révolution, le nombre de foyers pauvres a baissé de 49.000
à 33.900 . A quoi il faut ajouter l'accès gratuit aux soins,
à l'éducation, au logement. Le salaire minimum est passé
de 36 dollars en 1996 à 238 dollars en 2006, soit une augmentation de
560 %. Sous les gouvernements antérieurs l'augmentation ne dépassait
jamais l'inflation, ce qui la rendait fictive.
Dans “Au Vénézuéla, viva la corrupción !”
(01.01.2007) le Monde va plus loin et affirme sans preuve que le président
Chávez “a l'habitude de voyager à l'étranger
avec des valises de pétrodollars”. Puis il part du fait que l'orientation
du FONDEN, Fonds de Développement National se trouve constitutionnellement
sous l'autorité du chef de l'État pour en faire “une
grosse tirelire dont l'usage dépend exclusivement du président
de la République et du ministre des finances”, “sans règles
connues ni obligation de publier ses entrées et ses dépenses.”.
C'est faux. Les réserves internationales, en augmentation constante
grâce aux cours du pétrole, n'appartiennent pas à
la Banque Centrale mais à la République, laquelle consacre enfin
les excédents (au-delà d'un plafond de 29,9 milliards de
dollars) à de multiples programmes sociaux en faveur de millions de vénézuéliens.
Ce samedi 13 janvier, comme chaque année, le président Chávez
a présenté à l'Assemblée Nationale le bilan
de la gestion 2006, rendant compte de la dépense publique. Cet épais
document, accessible par tous, détaille les projets financés par
le FONDEN.
Evidemment, dans un libre marché en pleine croissance et compte tenu
de la culture héritée des régimes antérieurs, la
corruption a fait des progrès. Tout le monde, à commencer par
le président Chávez, le souligne. Mais le Monde veut convaincre
le lecteur que “la corruption découle de la facon de gouverner
de Chávez”. En oubliant de dire que contrairement à l'époque
de Carlos Andres Perez (social-démocrate populiste), le gouvernement
n'est plus nommé par l'entreprise privée. Le 9 janvier
2007 (quelques jours avant que Rafael Correa, nouveau président de l'Equateur,
prenne une mesure semblable) le président Chávez annonce la réduction
des salaires excessifs des fonctionnaires. Il dénonce devant les députés
ceux qui gagnent entre 7 et 30 millons par mois, en plus des frais généraux
et autres pensions multimillonnaires, et l'époque oú “les
ministres, les gouverneurs qui achevaient leur mandat sans s'être
offert une villa, étaient vus comme des idiots alors que les corrompus
étaient reconnus comme des êtres intelligents”. Tirant les
enseignements de nombreux témoignages reccueillis au cours de la campagne
électorale, il ordonne aux ministres de passer trois jours par semaine
à labourer le pays, pour dresser avec la population des rapports circonstanciés
sur tout ce qui ne va pas dans les politiques publiques. A la différence
de la France ou du Brésil, le Vénézuéla s'attaque
à la corruption à travers une arme redoutable : la démocratie
participative. Conscient qu'il ne peut mettre “un policier derrière
chaque fonctionnaire”, le gouvernement a fait adopter en 2005 la loi des
Conseils Communaux qui dote les communautés du pouvoir de contrôler
l'usage des fonds publics. 18.238 de ces conseils se sont déjà
formés, soit des centaines de milliers de citoyens exerçant le
“contrôle social” sur l'éxécution des
politiques publiques (éducation, infrastructures, logement, santé,
agriculture, transport). En 2007 cinq milliards de dollars seront transférés
et administrés par les conseils communaux dont le pouvoir sera renforcé
par de nouvelles lois.
Si le Monde avait enquêté sur le terrain, il aurait remarqué
de nombreux commerces fermés pendant un ou deux jours, et lu sur leur
vitrine, les avis du SENIAT (fisc national) informant les badauds des fraudes
commises et du manque à gagner pour les politiques d'éducation,
de santé, et pour la sécurite sociale. Alors que sous les gouvernements
antérieurs, la corruption annulait une grande part de la rentrée
d' impôts, l'opération “evasión cero”
(fraude zéro) a permis de récupérer pour le budget de l'État
la somme de 52,2 milliards de bolivars.
En recyclant le cliché colonialiste du “viva la corrupción
!”, le Monde conduit ses lecteurs à une grave inintelligence de
ce qui se passe aujourd'hui au Vénézuéla, en Bolivie
ou en Equateur. Simon Bolivar et Simon Rodriguez, dont se réclament aujourd'hui
Evo Morales, Rafael Correa et Hugo Chávez, disaient leur refus de copier
les “républiquettes” européennes. Sans pelotons d'éxécution
mais par la force pacifique du nombre, les assemblées constituantes refondent
des républiques plus aptes à résoudre les problèmes
de corruption qu'une Europe dominée par les forces du marché.
Le 08.01.2007, le Monde laisse entendre que le Vénézuéla
s'achemine vers la création d'un “parti unique”
et que “Chávez impose a ses partisans et au gouvernement une centralisation
accrue”. C'est faux. Le débat, qui commence à peine,
sur le parti “unido” - c'est-à-dire uni et non pas
“unique” - répond au besoin de créer un grand parti
de gauche (sur le modèle du PT brésilien original). C'est
le même défi qu'affronte Rafael Correa, qui vient d'assumer
la présidence de l'Equateur après sa victoire surprise contre
les partis traditionnels, celui d'unifier un mouvement politique cohérent,
solide, autour de sa révolution citoyenne et de réunifier le mouvement
indigène face à des partis qu'il considère comme
de “véritables mafias liées à des intérêts
privés ou familiaux”. Au Vénézuéla, il s'agit
de dépasser l'électoralisme qui marquait le MVR, structure
hétéroclite créée lors de la première campagne
de Chávez face aux machines à frauder du bipartisme rivé
au pouvoir – Acción Democràtica (social-démocrate)
et Copei (démocrate-chrétien). Chávez propose que ce nouveau
parti de gauche, qui s'insèrera parmi une quarantaine de partis
de droite et de gauche, élise ses dirigeants démocratiquement,
par le vote de la base, et non par cooptation au sommet.
Paranagua cite le sociologue Edgardo Lander de l'Université Centrale
du Vénézuéla, pour qui “l'identité entre
l'État et un parti ne conduit pas à la démocratie”.
Contacté par nous, Edgardo Lander s'amuse de cette manipulation
: “jamais Paranagua ne m'a contacté. Mon opinion se résume
à : il faut poursuivre le débat.”
Le 02.01.2007, le Monde affirme que “Hugo Chávez veut mettre au
pas une télévision “putchiste”. C'est faux.
Le spectre des ondes hertziennes, qui n'est pas illimité, est un
patrimoine public comme l'air, l'eau, la terre. Il n'appartient
à nul entrepreneur privé mais à tous les vénézuéliens.
La concession octroyée il y a vingt ans par l'État à
l'entreprise commerciale RCTV, arrive à son terme en mai 2007.
Or RCTV n'a cessé d'attenter contre les institutions démocratiques
en incitant à la haine, à la violence, en participant activement
à la préparation et à la réalisation du coup d'État
sanglant d'extreme-droite du 12 avril 2002 contre le président
Chávez (voir le documentaire de Kim Bartley, la Révolution ne
sera pas télévisée). Tandis que le dictateur Carmona dissout
toutes les institutions démocratiques et fait réprimer les partisans
de Chávez, le directeur de RCTV, Marcel Granier, accourt au palais pour
le féliciter et, de là, impose le black-out de la chaîne
sur la résistance populaire. Certains journalistes démissionnent,
comme Andrés Izarra, directeur de l'information. Lorsque la population
chasse finalement les putschistes, le 13 avril, elle encercle le siège
de RCTV, protestant contre la censure. En 1989 déjà, occultant
les 3000 morts que l'armée vient de massacrer sur ordre de Carlos
Andrés Pérez, la chaîne appelle les vénézuéliens
à rentrer chez eux puisque “la paix est revenue”. En décembre
2002, RCTV appelle de nouveau à renverser le président Chávez,
et se fait porte-parole quotidienne des militaires putschistes de la Plaza Francia
puis des organisateurs du putsch pétrolier (remake de la grève
des camionneurs contre Salvador Allende). De nombreuses voix avaient alors réclamé
la fermeture d'un média contre lequel n'importe quel autre
gouvernement aurait pris immédiatement des mesures. Celui du Vénézuéla
a préféré attendre l'expiration légale de
la concession.
Il ne s'agit donc ni de fermer RCTV, ni de l'exproprier : l'entreprise
pourra continuer à émettre par cable et par satellite. Il s'agit
de démocratiser la fréquence qu'elle a occupée durant
le laps de la concession, en l'octroyant à une coopérative
mixte de travailleurs dont les droits ont toujours été bafoués
par le patron de RCTV, d'enseignants qui ont analysé les effets
pervers de la violence transmise par RCTV, de journalistes que la chaîne
a forcés à se transformer en vendeurs de portables ou de crêmes
faciales, de producteurs indépendants exploités dans sa maquila
des telenovelas, et d'organisations citoyennes ou de médias associatifs
jusqu'ici exclus par racisme ou par mépris social. Des ambassadeurs
africains avait protesté par écrit auprès de RCTV en mars
2004, lorsque la chaîne avait traité plusieurs chefs d'État
noirs, reçus par Chávez, de “singes”.
“Atteinte au pluralisme éditorial !” proteste RSF, cité
par Marie Delcas. Quel pluralisme ? Celui du quasi monopole privé de
la communication ? Dans le cas de RCTV, quoi de plus démocratique que
de permettre à un collectif pluraliste de créateurs d'en
faire autre chose qu'une machine à organiser des coups d'État
? S'il s'agit vraiment de défendre le “pluralisme éditorial”
ou la “liberté d'expression”, pourquoi le Monde ou
RSF n'ont-ils pas protesté lors de la répression des médias
communautaires ou de la fermeture, réelle celle-là, de l'unique
chaîne publique par les putschistes de 2002 ? Pourquoi restent-ils muets
sur la complicité de médias privés dans les violations
des Droits de l'Homme, lorsqu'ils traitent d'”envahisseurs”
ou de “guérilleros” les paysans assassinés lorsqu'ils
réclament une terre pour la travailler ? Pourquoi n'enquêtent-ils
pas sur le mouvement profond de démocratisation de l'information,
dont le Vénézuéla est pour l'heure le seul exemple
au monde ? Une loi pensée, mûrie avec les médias associatifs
permet en effet aux organisations citoyennes d'accéder au spectre
radio-électrique, le seul frein à cette démocratisation
restant le quasi monopole privé des fréquences. Déjà
près de deux cents radios et télés associatives (réprimées
sous les gouvernements antérieurs) ont été légalisées,
deux cents autres sont en voie de l'être. Sans que leur parole ne
soit contrôlée par le gouvernement. Cette explosion de liberté
s'accompagne de la reconstruction du service public de la télévision
avec TeleSur ou Vive TV. Celle-ci transmet de nombreux programmes participatifs
réalisés par les organisations populaires ainsi que des productions
indépendantes, des documentaires sociaux d'Amerique Latine et du
monde entier. Ce nouveau mode de production d'une information “socialement
utile”, qui transforme les codes de la communication marchande, amorce
la praxéis de quarante ans de théorie critique de la communication.
En ce qui concerne RSF, le Monde ne dit pas que la première correspondante
de RSF au Vénézuéla, Maria Sol Pérez Schael, membre
de l'opposition, confiait au journal El Universal que son coeur vibrait
à la vue des militaires putschistes. Ni que dans sa revue “Médias”,
le directeur de RSF Robert Ménard, écrivait : “Les alters
ont toutes les indulgences pour l'ex-putchiste Hugo Chávez, ce
caudillo d'opérette qui ruine son pays mais se contente –
pour l'instant ? - de discours à la Castro sans trop de conséquences
réelles pour les libertés de ses concitoyens”... Ni que
la journaliste Naomi Klein a reproché à RSF de confondre liberté
d'expression et liberté d'entreprise alors que la plus grande
menace sur la liberté d'expression ne vient plus des États
mais du monopole privé de la communication.
C'est une vielle ruse de l'Histoire que de voir des entreprises
privées de communication s'autoproclamer “médias d'information”.
Cela leur permet d'en appeler à la “liberté d'expression”
quand leurs intérêtss sont menacés. RSF n'existait
pas encore quand Armand Mattelard analysant l'alliance de la SIP (société
de propriétaires de médias) et des grands médias chiliens
dans le coup d'État contre Allende, écrivait : “L'enquête
judiciaire sur l'administration du journal El Mercurio, accusé
d'irrégularités fiscales, a servi de prétexte pour
dénoncer de soi-disant mesures coercitives contre “la presse libre”.
Le message émis par la presse de la bourgeoisie chilienne revient à
sa source, renforcé par l'autorité que lui confère
le fait d'avoir été reproduit à l'étranger.
Nous sommes en présence d'une SIP tautologique. Sa campagne n'est
qu'un immense serpent qui se mord la queue.”
Conclusion à l'heure des chacals
Une des sources écartées par le Monde, et qui caractérise
pourtant le processus vénézuélien, est la critique populaire
à tous les échelons. Dans les conseils communaux, dans les médias
associatifs, dans les manifestations et les assemblées citoyennes, cette
critique sans baillon fait bouger les choses. Lorsqu'on demande aux vénézuéliens
ce qu'ils pensent de la révolution, surgit un flot de reproches
amers sur la corruption, la bureaucratie, les promesses non tenues. Mais lorsqu'on
leur demande pour qui ou pour quoi ils votent, la réponse majoritaire
est : pour que continue le processus. C'est que contrairement au système
antérieur, l'actuel permet de transformer la critique en changements
concrets. Ce qui explique le score croissant d'un président, après
huit ans de gouvernement, là oú on attendrait l'usure. Si
les peuples font eux-mêmes la critique, s'ils connaissent mieux
que quiconque leurs problèmes et les possibles solutions, pourquoi ne
pas les écouter ?
La critique du Monde est d'une tout autre nature. C'est du point
de vue d'une minorité infime que le Monde attaque le fait que les
réserves d'une banque centrale puissent servir le développement
national, ou occulte les progrès de la souveraineté alimentaire
à travers la réforme agraire, ou les nombreux bienfaits sociaux
de l'intégration du Sud, à travers l'OPEP –
que rejoindra sous peu l'Equateur, ou la création d`une Banque
du Sud. Mais à mesure que cette politique se propage en Bolivie et en
Equateur, le Monde se retrouve dans une position difficile. Sans doute, à
force de mépriser le peuple et de se coupler aux mouvements de la Bourse,
est-il tombé dans le même piège que les médias privés
vénézuéliens : croire que le peuple n'existe pas
et que l'Histoire est finie.
En France la critique des médias sème dans un terrain encore inégal,
les idées qui permettront un jour de démocratiser l'information.
Ce n'est pas une “éthique” retrouvée par miracle
qui rendrait le Monde, Libération ou TF1 plus “objectifs”.
Mais comme le proposait le Conseil National de la Résistance en 1944,
l'appropriation citoyenne de l'information.
Thierry Deronne
Vicepresidencia de Producción
BLOG : http://www.vive-fr.org/blog/
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Licencié en Communications Sociales, IHECS, Bruxelles. Cofondateur des
télévisions associatives Teletambores et Camunare Rojo TV. Actuel
vice-président de la télévision publique Vive, Venezuela.