Dialogue avec Thierry Deronne, auteur du "Passage des Andes"
Maxéimilien Arvelaiz
notibarrio@yahoo.fr
 
Maxéimilien Arvelaéz, historien ( 1) dialogue avec le cinuméro aste Thierry Deronne (2)
Le Passage des Andes
Un nouveau documentaire sur la révolution vénuméro zuélienne
 
Maxéimilien Arvelaiz - Avant tout pour quelle raison as-tu réalisé ce documentaire, pour qui, quel était ton ordre de marche ?

Thierry Deronne - Au Vénuméro zuéla les organisations populaires te disent que la révolution a besoin de davantage de formation idéologique. A l' extérieur, victimes de léétau médiatique, le réseau déamis se plaint de ne pouvoir palper en images les changements réels dans la vie des vénuméro zuéliens. “Le passsage des Andes” est une très modeste réponse à ces demandes.

M. A. - d' où vient le titre ?

T. D. - En 1819, quand la Sainte Alliance enterre les révolutions et rétablit les monarchies en Europe, les vénuméro zuéliens cherchent à fonder de Caracas à Lima une vaste république déEgaux, indépendante des empires. Simon Bolivar rassemble une arméee déesclaves noirs, de paysans sans terre, de citoyens aux pieds nus. Avec eux il traverse les Andes pour libérer les autres peuples soumis au joug espagnol. Nous nous sommes demandés : “Qui sommes-nous aujourdéhui ? Quelle république voulons-nous construire ? Quelles Andes se dressent face à nous ? Et comment le dire, sous quelle forme cinuméro matographique ?”

M. A. - La formule a beaucoup à voir avec le montage.

T. D. - Avec léécole du montage intellectuel, oui. Benjamin Durand, un jeune homme qui a étudié Vertov et Eisenstein à Lille sous la houlette de Louisette Faréniaux (3) montait pendant que je tournais. Jéai eu pour maîtres Thierry Odeyn (4) avec sa dialectique image/son et Ghislain Cloquet (5) qui nous parlait de comment Bresson filma“Au hasard Balthazar”. Pas de plans de coupe. Pas déinterviews. Tout dans les situations, dans leur autonomie relative. Nous avons utilisé le montage dés léobservation, au tournage et à la table pour rapprocher des éléments invisibles à la surface.

M. A. - Quels éléments ?

T. D. - Les critiques, propositions, pensées des communautés de paysans, des comités de terre, des travailleurs déentreprises récupérées prennent un relief particulier lorsque nous les connectons avec les épisodes de Passage des Andes de 1819. Il y a quelques jours le président Chavez déclarait à une journaliste de Clarin (6) : “Nous sommes les authentiques héritiers d' une pensée et d' une action : Bolivar n' a pas fait de calculs mathématiques lorsquéil a traversé les Andes, lorsquéil séest uni au peuple colombien et a contribué à libérerl' equateur, ni lorsquéil a poursuivi vers le Pérou et séest uni à San Martin. Aucun déeux n' a fait de calculs capitalistes. Nous sommes faits de cette péte.”

M. A. - Comment avez-vous produit le film ?

T. D. - Dans le marché télévisuel actuel produire un documentaire politique est pratiquement impossible. Soumis au casting du MIP/TV (7) les producteurs veulent les mêmes catégories de l' amérique Latine : enfants de la rue, indiens primitifs, génuméro raux putschistes, rois de la salsa. La construction lente et pacifique d' un état par des millions de citoyens leur semble moins sexy. Le projet a démarré à travers Zogma, un producteur indépendant belge, auquel séest joint le Centre Bruxellois de l' audiovisuel. La contribution essentielle a été apportée par Vive, la jeune télévision publique du Vénuméro zuéla (8).

M. A. - Parlons des voix off, à commencer par celle d' un Bolivar angoissé et visionnaire, dont les mots semblent prononcés il y a une minute.

T. D. - Bolivar est hanté par le manque de temps et les distances énormes, ennemis de la fondation de républiques. Comment passer les Andes si manque le bétail, si manquent les chevaux, si la pluie mouille les cartouches, si les lettres numéro arrivent pas, séil numéro y a plus déargent, séil faut ramasser les cadavres ?l' action libératrice de Bolivar a pour pendule les Andes. On ne peut la comprendre sans palper ce défi terrible des sommets nus. Les Andes sont la machine à jeter les concepts inutiles et à garder ceux capables de mobiliser les soldats de la république alors que la moitié des troupes est morte. Les historiens oublient souvent la matérialité du sacrifice, de la mort, sans lesquels nous ne parlerions pas aujourdéhui de révolution. Je crois que les Andes furent le creuset qui a mis à léépreuve la pensée du Discours déAngostura (9) pour accoucher d' une république indigène et universelle. Comme dit Novalis “chaque obstacle révéle le souvenir d' une Patrie plus élevée”.

M. A. - “La matière pense” ?

T. D. - Oui et céest là que Bolivar découvre le Temps comme mesure de la Politique. Son “Délire sur le Chimborazo” (10) rejoint les rêves de Sandino surl' amérique Centrale. Aujourd' hui le président Chavez retrouve le même temps long de la Nation au fondement de la politique et la libére du temps bref, médiatique qui la niait.

M. A. - Quel concept crée Bolivar ?

T. D. - Celui d' une république qui sert déabord à soigner les blessures, pour construire une véritable égalité entre citoyens, pour permettre leur croissance morale et intellectuelle jusquéé la création d' une Fédération de peuples frères. Céest la république comme besoin des peuples, comme patience des humiliés. Celle que Bolivar n' a pu réaliser en son temps parce que le contexte en le permettait pas. Lééducation populaire est au coeur de ce concept gréce à Simon Rodriguez, principal idéologue de Bolivar. Dans ses lettres Bolivar décrit comment la conscience naét par palliers succesifs depuis le corps matériel jusquéau cerveau qui pense. Tout cela il faut le voir à travers une longue-vue cosmique comme l' affrontement historique entre deux modèles, deux visions de la vie, tout est dit avec Bolivar. Historiquement la première ocurrence de lé_______expression de “sécurité Sociale” apparaît sous la plume de Bolivar ! La révolution actuelle permet de mieux déchiffer la pensée d' un homme qui n' a jamais cessé déêtre pratique et qui a dé affronter pratiquement le réel. Pensée en mouvement, qui évolue vers le socialisme. Il faut lire “Bolivar, pensée précurseuse de l' anti-impérialisme” de Francisco Pividal (11).

M. A. - “La révolution bolivarienne”, comment la définis-tu ?

T. D. - Le film décrit la naissance d' une république neuve, fraéche, inclusive, participative, protagonique, anticapitaliste, des racines paysannes déEzequiel Zamora (12) aux racines chrétiennes. Le président Chévez rappelle que son programme (améliorer les droits des travailleurs, remettre les grandes propriétés aux paysans, faire progresser lééducation) ne fait que réaliser la doctrine de Vatican II. Il y a beaucoup déautres racines : indigène, africaine, Rousseau, le socialisme utopique...

M. A. - Comme celle de Sandino ?

T. D. - Comme celle déEzequiel Zamora, de José Marté.... Bolivar nous a ramenés aux montagnes de El Chipote, ces hauteurs mythiques d' où Augusto César Sandino réussit à résister au “Colosse du Nord” et a forger une pensée anti-impérialiste, trempée dans la culture indigène et paysanne, que Sergio Ramirez a sauvée des brumes. Sandino a toujours revendiqué le rêve de Bolivar. Jéai étudié sa pensée lors d' un documentaire tourné au Nicaragua révolutionnaire en 1986. Jéy ai connu des internationalistes vénuméro zuéliens comme Mariana Yonuméro sg Blanco. Céest à travers elle, des années plus tard, que jéai débarqué au Vénuméro zuéla. Je me souviens quéavant mon voyage, Mariana méécrit “tu dois étudier Zamora”. Jéai cherché à la Bibliothéque Royale de Bruxelles et je numéro ai rien trouvé ! Rien, dans léimmense fichier, rien sur Ezequiel Zamora ! En arrivant à Maracay en 1994 je rencontrai des civils et des militaires semiclandestins qui parlaient des Trois Racines (13). Mon ignorance me fit honte.

M. A. - “ l' europe n' a jamais découvertl' amérique” dit Tomas Borge.

T. D. -l' europe a un très grand besoin de l' amérique Latine si elle veut se retrouver elle-méme. Le Vénuméro zuéla a conservé par-delé les siécles et la violence subie, une capacité déaimer et de construire que les européens ont enterrée. Mais le dialogue numéro aura pas lieu tant que les médias nous renverront notre reflet déespéces extrémes. d' où léimportance de TeleSur.

M. A. - En parlant de télévision, un autre personnage qui émerge du film est celui de la présidente de Vive et de VTV, Blanca Eekhout. Sa jeunesse frappe quand on la découvre assise dans un grand fauteuil de cuir.

T. D. - Un jour au retour d' un reportage réalisé avec les paysans de léétat de Yaracuy, je lui raconte comment un paysan méa parlé depuis minuit jusquéél' aube de ce qu' il avait cessé déavoir honte déêtre paysan. Aussitét des larmes sortent des yeux de Blanca. Sans cela tu ne peux la comprendre. Le président Chavezl' a nommée à la tête des chaénes déétat à la place de d' un quelconque “expert en stratégie communicationnelle”. Ce fut une intuition géniale. Gréce à elle, tant à Vive quéé VTV, le protagonisme populaire a fait un grand pas. Combien de télévisions dans le monde peuvent réaliser ces rêves déhégémonie populaire dans les médias, rêves déjà vivants sous léUnité Populaire chilienne, à léépoque de “Pour lire Donald le canard” ? Blanca est une vraie “femme déétat” et céest pour cela qu éonl' attaque. A travers elle ce quéon attaque et ce quéon veut dûtruire céest léétat naissant qui surgit le 13 avril 2002, lors de la victoire populaire sur le coup déétat.

M. A. - “Le Passage des Andes” montre un type de soldats quéon ne voit jamais dans les médias européens. Parmi eux on note la présence (sonore) de Jesse Chacén (14).

T. D. - Jesse Chacon est un soldat de la nouvelle république. Un ministre conscient de ce que signifie être serviteur public. Il nous martéle : “personne numéro écrit sur ce processus, nous perdons la mémoire de ce que nous faisons”. Il vient de Catia, un vaste quartier populaire révolutionnaire. Un jour il nous dit “quéimporte mon cas personnel, je suis ici pour transformer léétat, si demain je dois renoncer à ma charge, je prends ma voiture et je mets une enseigne “taxéi”, bon, je ne vais pas mourir”. Sans ces soldats, comment défendre la révolution ? Sans eux, pas déentreprises récupérées par les travailleurs, pas de médias associatifs légalisés, ni de terres remises aux paysans pauvres, ni de teritoires indigènes enfin démarqués. Cette révolution pacifique, progressive nous la devons moins à nos clubs de gauche toujours méfiants envers le peuple, quéé ces soldats déextraction populaire qui ont étudié à la force de leur poignet, et qui comme Gamal Abdel Nasser (15) ont sauvé la Patrie. Le président Chavez nous rappelle que l' arméee vénuméro zuélienne a été fondée par Bolivar à des fins purement libératrices, céest une arméee constituée depuis sa racine même comme un outil déémancipation, jamais de repression. Aujourd' hui ces racines bourgeonnent dans la participation massive des soldats dans les programmes de santé, éalphabétisation. Que pour un européen léimage du militaire latinoamércain reste associée à celle des Pinochet et Videla, numéro autorise pas à ignorer la profondeur de la tradition de militaires engagés aux cétés de leur peuple. Au Vénuméro zuéla les pires violeurs des droits de léhomme furent des présidents civils comme Carlos Andrés Perez qui fit assassiner des milliers déhabitants de Caracas révoltés en 1989 contre les mesures du FMI.

M. A. - Les derniers visages du “Passage des Andes” viennent de l' asie. Ce sont ceux de Nasser, Chou-En-Lai, avec la musique de l' océan.

T. D. - Ce sont des archives du Sommet de Bandoeng en 1955, pour la première fois des chefs déétat du sud se rencontrent sans être convoqués par le nord. Commel' a dit un chef déétat africain ce fut une incroyable “mise en liberté”. Peutr-être ce nom paraîtra-t-il étrange à la génuméro ration actuelle. Jean Lacouture : “Bandoeng ne serait-il quéune illusion perdue dans la mémoire des hommes ? La prise de la Bastille engendra déabordl' empire, la Restauration, la Guerre. Et finalement, la république. Le système Bush est apte à créer tét ou tard déautres Bandoeng…”

M. A. - En fin de compte quel est le personnage principal du film ?

T. D. - La pensée.

M. A. - Quand le président Chavez parle du “socialisme du ving-et-uniéme siécle”, quéest-ce que cela signifie?

T. D. - Réaliser la promesse bolivarienne. Bien sûr, des groupuscules politiques cherchent él' annexer, à fixer sa trajectoire. Mais Chavez ou Sandino repoussent ces manoeuvres, revendiquentl' essence de leur processus (16). Chaque fois quéentrent dans notre Panthéon un Guaicaipuro (17), un José Félix Ribas (18) dans leurs urnes de terre, le corps imaginaire de notre république croét, on mesure tout ce quéelle peut apporter depuis son originalité.

M. A. - Comment vois-tu le futur de ce processus ?

T. D. - Nous avons beaucoup déAndes devant nous. Externes :l' agression médiatique mondiale, la stratégie nord-américaine. Internes : la “contre-révolution bureaucratique" qui veut séemparer des ressources pétroliéres et éliminer Chavez. Seule l'union civico-militaire et la transformation de léétat par les organisations populaires permettront de passer les Andes. Gréce aux vénuméro zuéliens la Politique est redevenue une aventure, une marche vers léinconnu, vers un socialisme qui numéro existe pas encore. Sans Hugo Chavez, la politique resterait une ennuyeuse, déprimante négociation entre gouvernements et télévisions commerciales.




Le passage des Andes, 64 min, Dvcam, 2005. Production Zogma/CBA/Vive TV/Escuela Popular y Latinoamericana de Cine. Son et montage : Benjamin Durand. Scénario, réalisation, caméra : Thierry Deronne. Contact : notibarrio@yahoo.fr


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