Le désespoir de l’opposition vénézuélienne
Salim Lamrani
Depuis 1998, l’opposition vénézuelienne
a subi plus de dix défaites électorales successives face au président
Hugo Chávez. Divisée et souffrant d’un manque flagrant de
soutien populaire, l’oligarchie, qui rêve de reprendre le pouvoir
lors des prochaines élections présidentielles du 3 décembre
2006, est désemparée. Elle s’est même aliénée
une grande partie de la bourgeoisie. En effet, son alliance stratégique
avec l’administration Bush, ennemi invétéré du dirigeant
vénézuelien, et l’inexistence de projet politique concret
si ce n’est qu' un retour au statu quo ante, l’a complètement
marginalisée au niveau national.
après son coup d’Etat manqué du 11
avril 2002 et du sabotage pétrolier de décembre de la même
année, l’opposition a tenté par tous les moyens de déstabiliser
le pays, bénéficiant même du soutien public de Washington.
Plusieurs groupes, tel que Súmate, ont violé la législation
du pays en recevant des financements des Etats-Unis, par le biais de la Fondation
nationale pour la Démocratie (National Endowment for Democracy), une
entité dépendante du Congrès. Un procès est d’ailleurs
en cours contre les dirigeants de Súmate accusés de conspiration
contre le système démocratique vénézuelien, et dont
la présidente, María Corina Machado, a personnellement été
reçue par George W. Bush1.
Certains secteurs minoritaires de l’Eglise catholique,
historiquement liés à l’élite économique du
pays, ont pris ouvertement position contre Hugo Chávez. Le cardinal Rosalio
Castillo Lara a accusé le président vénézuelien
d’être une menace pour la démocratie. Le gouvernement «
a perdu son cap démocratique et présente des aspects de dictature
», a-t-il affirmé, appelant les fidèles à ignorer
l’actuelle administration2.
L’archevêque Ubaldo Santana, président de
la Conférence épiscopale vénézuelienne, la plus
haute représentation de l’Eglise, est cependant immédiatement
intervenu pour recadrer la déclaration de Rosalio Castillo Lara. Le cardinal
« est un religieux à la retraite qui n’appartient pas à
la Conférence épiscopale vénézuélienne »,
a-t-il tenu à souligner3.
Convaincue d’une nouvelle défaite, l’opposition
avait prévu de boycotter les élections pour délégitimer
le vote de décembre 2006, mais s’est ravisée. En effet,
le président Hugo Chávez a averti qu' en cas de boycott il
convoquerait un référendum pour modifier la Constitution et permettre
aux candidats de se représenter indéfiniment (le nombre de mandats
étant actuellement limité à deux). « S’il n’y
a pas un candidat de l’opposition, je serais capable de signer un décret
appelant à un referendum populaire. ‘Êtes-vous d’accord
que Chávez soit de nouveau candidat en 2013’ ? Si le peuple dit
oui, on changera la Constitution. Le peuple est le souverain dans une démocratie
», a-t-il déclaré4.
Le dirigeant vénézuelien a stigmatisé
l’opposition dont le véritable chef est, selon lui, le président
des Etats-Unis, George W. Bush. En décembre 2005 déjà,
l’opposition avait boycotté les élections parlementaires,
octroyant une victoire écrasante aux partisans de Hugo Chávez
qui ont remporté l’intégralité des sièges
à l’Assemblée nationale.
Le président a également dénoncé
les campagnes de presse à son encontre. « Si ces campagnes n’existaient
pas, le soutien à la révolution et à mon gouvernement ne
descendrait pas en dessous des 90% », a-t-il fait remarqué. Tous
les médias privés, qui représentent 90% de la presse vénézuelienne,
ont déclaré la guerre aux institutions gouvernementales5.
Face à cet avertissement sans frais et persuadée
d’une victoire de Hugo Chávez en cas de référendum,
l’opposition a fait marche arrière. Julio Borges du parti d’opposition
Primero Justicia a lancé un appel en faveur d’une candidature unique
contre Hugo Chávez afin de préserver une infime chance de succès6.
Une dizaine de partis et d’organisations de l’opposition ont signé
un manifeste intitulé « Ensemble pour le Venezuela », en
faveur d’un candidat unique7.
L’opposition a multiplié les attaques contre le
gouvernement. Elle a lancé une virulente campagne contre le système
de vote électronique en vigueur au Venezuela, et a accusé le Conseil
national électoral (CNE) de partialité en faveur du président
Chávez. Mais cette nouvelle tentative de déstabilisation s’est
soldée par un échec.
En effet, une mission d’observation électorale
de l’Union européenne a rendu un rapport soulignant la fiabilité
du système électoral vénézuelien qui est qualifié
de « système le plus avancé du monde ». Le président
de la mission d’observation, José Silva Penada, a noté que
le système automatisé de vote était « totalement
novateur et absolument fiable. Il a été démontré
qu' il n’y a aucune raison pour que les Vénézueliens
se méfient de ce système8
».
Par la suite, l’opposition s’en est pris au registre
électoral et a accusé le gouvernement de graves irrégularités,
alors de nombreux observateurs internationaux, dont l’ancien président
des Etats-Unis James Carter, ont avalisé les récentes élections
dont le référendum révocatoire de 2004. Roberto Ansuini,
farouche détracteur de l’actuelle majorité, a dénoncé
la présence de 1 921 électeurs portant le même nom, González,
sur les listes électorales de l’Etat de Zulia. Or, après
enquête du CNE, seules 61 erreurs ont été relevées
; González étant un nom extrêmement courant au Venezuela9.
L’audit international réalisé par l’organisme
Capel, dépendant de l’Institut interaméricain des droits
de l’homme, a affirmé que les erreurs présentes sur les
listes étaient non significatives. En effet, 54 900 personnes décédées
se trouvaient toujours sur les listes qui comptent près de 16 millions
d’électeurs. Mais les standards internationaux considèrent
les erreurs, communes à tous les registres, uniquement quand elles dépassent
les 5% du nombre total d’électeurs10.
D’ailleurs, à ce propos, le président du CNE Jorge Rodríguez
a annoncé l’entière transparence du processus : «
S’ils le souhaitent, nous pouvons fournir à tout le monde des copies
du Registre électoral11
». Ledit registre est désormais consultable sur le site Internet
du CNE.
Le vice-président de la République, José
Vicente Rangel, a fustigé l’opposition pour ses incessantes manigances
qui, selon lui, illustrent uniquement son incapacité à proposer
une alternative et à se mettre d’accord autour d’un projet
de gouvernement novateur. D’ après ce dernier, les attaques contre
le CNE ne sont que l’illustration désespérée d’un
manque de leadership au sein de l’opposition12.
Washington et l’opposition ont élaboré
plusieurs plans d’assassinat contre le président Hugo Chávez.
L’entourage du leader vénézuelien a d’ailleurs pris
des mesures de sécurité draconiennes pour le protéger.
Nicolas Maduro, le président de l’Assemblée nationale, a
dénoncé à plusieurs reprises auprès des organismes
internationaux les conspirations de magnicide contre l’homme le plus populaire
du Venezuela13.
Dans l’Etat pétrolier de Zulia, l’un des
rares à être encore gouverné par l’opposition, un
mouvement de sécession et de rébellion, soutenu par l’administration
Bush, a vu le jour. Les instigateurs de ce défi à la légalité
constitutionnelle, Néstor Suárez Bohorquez, Alberto Mansueti,
Natalia Fernández et Gustavo Miguel Pinera Reina, membres du groupe Rumbo
propio para el Zulia, ont tous été mis en examen pour délit
de trahison à la patrie et menace sur l’intégrité
du territoire national14.
Certains secteurs extrémistes ont opté pour la
manière forte. Oscar Pérez, qualifié d’opposant radical
par le gouvernement, a créé le « Commando national de la
résistance » officiellement pour « contrôler le gouvernement
et montrer ses déficiences ». Partisan de la violence, il a mené
plusieurs actions spectaculaires dans les rues de Caracas15.
Le 27 juillet 2006, une bombe de forte puissance a gravement
endommagé le siège du Movimiento Quinta República (MVR),
parti du président Hugo Chávez, à Marcano dans l’Etat
de Nueva Esparta. Attribué aux groupuscules paramilitaires de l’opposition,
cet attentat qui n’a heureusement fait aucune victime marque la radicalisation
d’un secteur de l’oligarchie aux abois, qui a choisi la voie du
terrorisme. La députée de l’Assemblée nationale Rosario
Pacheco n’a guère de doute sur les raisons de cet acte violent
: « Nous sommes certains que cet attentat fait partie d’un plan
destiné à empêcher le début de la campagne électorale
pour les élections du 3 décembre prochain16
».
Vingt-cinq partis d’opposition ont décidé
de se rallier, sans grand espoir, à la candidature de Manuel Rosales,
gouverneur de l’Etat aux velléités sécessionnistes
de Zulia. Ce dernier avait participé au coup d’Etat de 2002 en
signant le décret qui avait dissout toutes institutions de la nation.
Il avait été ensuite acquitté par le Tribunal suprême
lors d’un verdict qui a choqué l’ensemble de la société
vénézuelienne. Au manque de soutien populaire s’ajoutent
les déclarations maladroites plus destinées à la Maison-Blanche
qu' aux électeurs vénézueliens. En effet, Manuel Rosales
a affirmé qu' en cas de victoire électorale, il supprimerait
les accords bilatéraux avec Cuba, notamment en ce qui concerne la politique
pétrolière17.
Cette position, plus idéologique que pragmatique, montre
que le candidat principal de l’opposition est complètement déconnecté
de la réalité de son propre pays. Les relations avec Cuba ont
permis aux Vénézueliens d’avoir désormais un accès
universel à la santé, grâce à la présence
de 15 000 médecins cubains. Il est peu probable que les propos de Manuel
Rosales suscitent un engouement populaire en sa faveur. D’ailleurs ses
récentes visites dans les quartiers pauvres de Catia et de Petare sur
les hauteurs de Caracas ont été l’objet d’un cinglant
rejet de la part de la population18.
Le président Hugo Chávez a condamné l’alliance
de l’opposition avec Washington. « Le gouvernement des Etats-Unis
continue de conspirer contre notre gouvernement, et en alliance avec l’oligarchie
vénézuelienne qui maintenant se masque et déclare qu' elle
participera à la campagne électorale. Nous ne permettrons pas
à l’empire nord-américain et à ses laquais ici, peu
importe la manière dont ils se présentent, qu' ils nous mènent
à un degré de déstabilisation tel qu' en 2002 »,
a-t-il souligné19.
En effet, plusieurs candidats de l’opposition ont été
surpris en compagnie de certains fonctionnaires de l’ambassade des Etats-Unis
à Caracas. Cela n’a fait qu' attiser les soupçons déjà
bien lourds qui pèsent sur l’oligarchie, considérée
par beaucoup comme étant inféodée aux intérêts
de Washington. Ils se sont réunis avec « les émissaires
du diable, avec des fonctionnaires de la CIA et de l’ambassade »,
a protesté le président Chávez. « Ils ont commencé
à se réunir ici en secret. Je sais où ils mangent la reina
pepiada (plat typique vénézuelien) avec les Américains
ici au Venezuela », a-t-il ajouté20.
« Les candidats de Mister Bush », comme les nomme
le dirigeant vénézuelien, sont en contact permanent avec Washington.
Manuel Rosales s’est récemment rendu aux Etats-Unis. Par ailleurs,
la USAID, organisme financé par le Congrès étasunien et
destiné à promouvoir la politique étrangère de la
Maison-Blanche, a reconnu avoir signé au moins 132 contrats d’aide
financière à l’opposition. Mais elle a refusé de
dévoiler le nom de la moitié de ces bénéficiaires
prétextant des raisons de sécurité. Kevin Whitaker de l’ambassade
étasunienne de Caracas a défendu ces programmes, en déclarant
qu' ils étaient destinés à la « société
civile ». Les aveux publics de la USAID n’ont fait que révéler
au grand jour un secret de polichinelle21.
Hugo Chávez s’est donné pour objectif d’atteindre
les 10 millions de voix en sa faveur. « Nous devons gagner par K.O. »,
a-t-il déclaré, et sa victoire semble inévitable. Le président
vénézuelien jouit d’un prestige énorme grâce
aux programmes sociaux qu' il a mis en place depuis 7 ans au niveau de
la santé, de l’alimentation, de l’éducation et du
logement. Ils ont permis aux Vénézueliens les plus pauvres, qui
représentent 80% de la population, d’améliorer sensiblement
leur niveau de vie. De plus, la société vénézuelienne
a atteint un degré de conscientisation politique inégalé
jusqu' à présent. Elle est passée du statut d’observateur
désintéressé de la vie politique du pays à celui
d’acteur fondamental de la « révolution bolivarienne ».
L’opposition a du souci à se faire22.
1 Agencia Bolivariana
de Noticias, « Albornoz: Súmate sí recibió dólares
y los utilizó para fines políticos », 8 août 2006
; Associated Press, « Anulan juicio contra directivos de Súmate
en Venezuela », 10 février 2006.
2 Associated Press, «
Cardenal acusa a Chávez de ser amenaza a democracia », 16 janvier
2006.
3 Ibid.
4 El Nuevo Herald, «
Amenaza Chávez con reelección indefinida », 20 février
2006; Agencia Bolivariana de Noticias, « Chávez propuso referéndum
popular si oposición no presenta candidatos », 19 février
2006.
5 Agencia Bolivariana de
Noticias, « Chávez propuso referéndum popular si oposición
no presenta candidatos », op.cit.
6 El Nuevo Herald, «
Oposición busca candidato único contra Chávez »,
6 février 2006.
7 Rafael Noboa, «
Antichavistas buscan ‘romper con el pasado’ », El Nuevo Herald,
24 février 2006.
8 Agencia Bolivariana de
Noticias, « UE asegura que no hay razones para desconfiar del sistema
automatizado venezolano », 13 mars 2006 ; Agencia Bolivariana de Noticias,
« Unión Europea: Sistema de votación venezolano es el más
avanzado del mundo », 15 mars 2006.
9 Ian James, « Exigen
revisar lista de votantes en Venezuela », Associated Press, 21 mars 2006.
10 Ian James, «
Venezuela: detectan 54.900 muertos en lista de votantes », Associated
Press, 21 mars 2006.
11 Agencia Bolivariana
de Noticias, « Rodríguez reitera que la confiabilidad destaca en
informe de la UE », 15 mars 2006.
12 Agencia Bolivariana de Noticias, «
Rangel: Oposición atribuye al CNE su incapacidad para ponerse de acuerdo
», 10 juin 2006.
13 Granma, « Denuncia Venezuela en órganos
internacionales planes de magnicidio », 21 avril 2006.
14 Associated Press, « Abren juicio a
opositores venezolanos », 10 mai 2006.
15 EFE, « Juran los comandos voluntarios
de resistencia antichavista », 3 avril 2006.
16 Agencia Bolivariana de Noticias, «
Detonación de explosivo causó daños en la sede del MVR
en Nueva Esparta », 27 juillet 2006.
17 Fabiola Sánchez, « Candidato
opositor dispuesto a revisar acuerdos de Venezuela », Associated Press,
30 août 2006.
18 Victor Flores, « Rosales desafía
al chavismo en Caracas », El Nuevo Herald, 9 septembre 2006.
19 Associated Press, «
Acusan a opositores venezolanos de conspirar con EEUU », 20 août
2006.
20 Ian James, «
Chávez acusa a la oposición de recibir dinero de EEUU »,
Associated Press, 7 septembre 2006.
21 Ibid.
22 Agencia Bolivariana
de Noticias, « Chávez denunció líneas de acción
desestabilizadoras », 4 février 2006.
source www.michelcollon.info
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