« Au Venezuela, nous allons à contresens du néolibéralisme
»
En 2010 devrait voir le jour la réforme du temps de
travail : six heures par jour ou trente-six heures par semaine. En quoi s’agit-il
d’une « proposition à vocation socialiste », comme
vous l’affirmez ?
José Ramon Rivero. En
ces temps où les gouvernements capitalistes démantèlent
les conquêtes historiques des travailleurs, une réforme du temps
de travail s’inscrit forcément en porte-à-faux. Au Venezuela,
nous allons à contresens du néolibéralisme. Lorsque ses
tenants préconisent la privatisation de la sécurité sociale,
nous, nous garantissons qu' elle sera publique, universelle et solidaire.
Ils prônent l’idée que le rôle de l’État
doit se fragmenter, qu' il doit déléguer ses fonctions. Nous,
nous considérons que pour affronter les innombrables défis qui
nous attendent, l’État doit être solide, conséquent,
unitaire, avec des politiques claires. C’est donc une mesure à
caractère socialiste qui puise ses origines dans les mouvements de travailleurs.
C’était une proposition défendue aussi par les secteurs
bourgeois et libéraux, qui l’ont peu à peu abandonné
après la chute du mur de Berlin. Depuis, ils démantèlent
les acquis sociaux.
Cette proposition ne vise-t-elle pas aussi à endiguer
le chômage et le travail informel ?
José Ramon Rivero. Les
dernières statistiques font état d’un taux de chômage
à 8,8 %. Cette réforme va surtout modifier les habitudes de travail.
Les entreprises vont devoir se réorganiser. Nous souhaitons aussi que
l’utilisation du temps libre soit bénéfique aux travailleurs,
avec la régénération de la culture et de l’art, le
développement universitaire, le sport, la vie familiale.
Vous considérez que la politique salariale est l’une
des politiques les plus conséquentes du gouvernement…
José Ramon Rivero. Le
salaire minimum se situe aux alentours de 286 dollars. Il a augmenté
continuellement ces huit dernières années pour se situer en moyenne
au-dessus de l’inflation. Excepté l’année qui a suivi
le coup d’État et le sabotage pétrolier dirigé par
la Centrale des travailleurs du Venezuela CTV (respectivement en 2002 et 2003
- NDLR). C’est un indicateur essentiel, car le salaire minimum sert de
référent au montant des retraites. À chaque fois que le
salaire minimum augmente, nous alignons les retraites au même niveau.
Lorsque le président Chavez est arrivé au gouvernement en 1998,
il y avait 335 000 retraités (sur une population de 26 millions - NDLR).
Aujourd’hui, ils sont 1,74 million. Par le biais de l’organisme
de sécurité sociale, qui était sur le point d’être
privatisé en 1998, nous avons pu mettre en oeuvre cette politique en
direction des retraités.
Comment s’articule la mixité de l’économie
vénézuélienne, qui repose sur des entreprises privées,
publiques, mais aussi des coopératives ?
José Ramon Rivero. Permettez-moi
de vous dire que cela a été difficile. La principale représentante
de ce secteur, Fedecamaras (confédération patronale), s’est
employée ces dernières années à conspirer pour renverser
le pouvoir en place. Le gouvernement et les entrepreneurs des coopératives,
par un dialogue social effectif, direct, cherchent le chemin d’un établissement
productif pour résoudre leurs problèmes. Certains secteurs, comme
celui de l’assemblage automobile, ont une relation directe avec le gouvernement,
faute d’intermédiaires. Nous avons récupéré
1 114 entreprises qui étaient fermées ou en situation difficile,
avec un projet global de près 520 millions de dollars. À ce jour,
nous avons versé la moitié de cette somme. Il y a eu des nationalisations
d’entreprises transnationales. D’autres ont été récupérées
parce qu' elles étaient hors service. Le PIB a crû de 7 %
ces dernières années. Nous enregistrons quatorze trimestres de
croissance consécutifs. En termes de croissance, j’insiste, le
secteur qui a le plus augmenté est le secteur privé. Il est dommageable
que Fedecamaras supplante la représentativité des entrepreneurs
pour fonctionner comme un parti politique.
Vous avez dénoncé devant l’Organisation
internationale du travail la responsabilité du FMI dans les crises sociales
d’Amérique latine. Est-ce une confirmation du retrait du Venezuela
du FMI et de la création de la banque du Sud ?
José Ramon Rivero. Les
politiques et les « paquets » économiques libéraux
du FMI ont été à l’origine de l’appauvrissement
de nouveaux secteurs de la population, de la privatisation de presque toutes
les entreprises dans certains pays du continent… Le moins que nous puissions
faire est de dénoncer cette politique erronée. Ces institutions
sont dans une situation critique. Cela conforte les États qui avancent
l’idée d’une politique souveraine. La création d’une
banque du Sud repose sur des accords d’intégration, basés
sur la solidarité avant la rentabilité. La complémentarité
et la multipolarité sont essentielles pour affronter l’idée
qu' il n’existerait qu' un seul bloc hégémonique
dirigé par Washington qui fait et défait le monde comme bon lui
semble.
Entretien réalisé par Cathy Ceïbe Article
paru dans l' Humanité du 7 août 2007
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