Pourquoi y a-t-il tant de gens en prison aux Etats-Unis ?
Glenn C. Loury
- Boston Review - Juillet/Août 2007 - Trad. Grégoire Seither
Nos différentes administrations pénitentiaires
emploient plus de personnes que la masse salariale combinée de General
Motors, Ford, et Wal-Mart, les trois plus gros employeurs du pays. Nous dépensons
chaque année plus de 200 milliards de dollars US pour la police et les
prisons, à tous les niveaux de gouvernement. Ce budget a quadruplé
au cours de ces 25 dernières années.
Jamais auparavant un pays prétendument libre n'a privé
autant de ses citoyens de leur liberté fondamentale. Comment en est-on
arrivé là ? L'une des explications est que cette augmentation
massive des taux d'incarcération reflète le succès d'une
politique rationnelle menée par le gouvernement : confronté à
un problème social aigu, nous l'affrontons en jetant de plus en plus
de gens en prison afin de faire baisser les taux de criminalité. Cet
argument n'est pas entièrement faux. Mettre plus de gens en prison permet
en effet de faire reculer la criminalité. Mais reculer de combien ? Les
différentes études montrent que la part de la répression
accrue dans le recul de la criminalité violente constatée dans
les années 1990 ne dépasse pas les 25%.
Une explication plus rationnelle du fait que les taux d'incarcération
ont continué à grimper alors que les taux de criminalité
baissaient est celle qui explique que notre comportement social est devenu plus
répressif : les prisons sont pleines non pas parce qu y a plus de criminels
(ce n'est pas le cas), non pas parce que notre politique anti-criminalité
est bonne (elle ne l'est pas) mais tout simplement parce que nous avons pris
une décision collective d'être plus sévères dans
nos punitions et d'augmenter la répression...
Fagan, West, et Holland illustrent cet argument avec l'exemple
de la lutte anti-drogue dans les centres urbains. Si les clients des petits
dealers viennent de tous les quartiers de la ville et de toutes les couches
sociales, les dealers, eux - du moins ceux que l'on voit proposer leur marchandise
au coin des rues et dans les parcs, proviennent généralement des
quartiers les plus pauvres et des minorités. La police, qui doit "faire
du chiffre", sait exactement où aller les chercher. . .
Dans sa remarquable étude "Punishment and Inequality
in America", publiée en 2006, Bruce Western, sociologue à
la Princeton University décrit l'étendue, la nature et les conséquences
de cette tendance répressive contemporaine. Il démontre que l'ampleur
de la disparité raciale dans les taux d'incarcération est supérieure
à celle de tous les autres principaux aspects de la vie sociale aux Etats-unis.
A huit contre un, le rapport noirs/blancs dans les taux d'incarcération
domine largement le rapport deux contre un du chômage, le rapport trois
contre un des mères célibataires, le rapport deux contre un de
la mortalité infantile ou encore le rapport un contre cinq en termes
de revenus et de valeur nette. Alors que, en 2000, trois adolescents blancs
sur deux cent étaient en prison, ce taux grimpe à un sur neuf
pour les adolescents noirs. Un résidant masculin noir de l'Etat de Californie
a aujourd'hui plus de chances d'aller en prison que d'aller à l'université.
Le scandale de cette situation est que, de nos jours, en Amérique, le
principal contact entre les citoyens masculins noirs et l'Etat se fait par le
biais de la police et du système pénitentiaire. De leur pays,
ces citoyens ne connaissent que la face répressive.
http://www.bostonreview.net/BR32.4/loury.html
sommaire