Les « restitutions extraordinaires » et les prisons
secrètes de la CIA maintenues par Obama
Tom Eley
En analysant les ordres signés le 22 janvier par le
président américain Barack Obama, on peut voir que les Etats-Unis
vont continuer à être fortement impliqués dans des pratiques
illégales telles le kidnapping, la détention secrète et
la torture. Ces ordres mettaient apparemment fin à la torture et à
un réseau de camps de prisonniers de la Central Intelligence Agency (CIA).
Le Los Angeles Times a cependant publié un article sur
ces ordres qui montre qu' ils vont encore permettre le recours à
la « restitution extraordinaire » par la CIA. Par cette pratique,
les Etats-Unis kidnappent des individus qui sont prétendument des terroristes
et les envoient dans des pays qui pratiquent la torture.
Obama n’envisage pas seulement de conserver ce type de
restitution, mais il prévoit de l’utiliser encore plus que l’administration
Bush. Le Los Angeles Times a cité anonymement des officiels du renseignement
américain qui affirment que, « Le programme de restitution pourrait
être sur le point de jouer un rôle plus important dans l’avenir
car c’est le principal mécanisme qui existe encore, à part
les frappes de missiles Predator, permettant de retirer de présumés
terroristes de la circulation. »
Le journal cite aussi anonymement un officiel de l’administration
Obama défendant la restitution extraordinaire. « Certains outils
doivent évidemment être maintenus : on doit pouvoir encore s’en
prendre aux terroristes », a-t-il déclaré. « Les conseillers
juridiques qui travaillent là-dessus ont considéré la restitution
extraordinaire. C’est un sujet controversé dans certains milieux
et ça a provoqué toute une réaction en Europe, mais si
certaines conditions sont respectées, c’est une pratique acceptable.
»
Ces révélations soulignent le véritable
contenu des ordres signés par Obama lors de ses premiers jours à
la présidence, qui ont été présentés en grandes
pompes par les médias comme la répudiation de la politique étrangère
de l’administration Bush. En fait, ces ordres laissent intacts le cadre
légal et les pratiques criminelles justifiés par « la guerre
contre le terrorisme ».
La restitution extraordinaire est l’une des pratiques
les plus infâmes de l’impérialisme américain. Parce
que les Etats-Unis persistent à dire qu' ils n’ont pas à
dévoiler les noms de ceux qui ont été enlevés, il
est difficile de connaître le nombre de cas de restitution. Ce nombre
est probablement dde l'ordre de milliers. Une enquête menée par
le Parlement européen a déterminé que la CIA avait procédé
à 1245 vols dans l’espace aérien européen ou fait
des escales à des aéroports européens entre 2001 et 2005.
La restitution est clairement illégale pour la loi internationale
et américaine ainsi que selon les lois des pays où les enlèvements
ont eu lieu. Les victimes de restitutions extraordinaires n’ont aucun
moyen de protester ou même de connaître les accusations ou les preuves
contre eux. Il y a eu plusieurs cas documentés où l’identité
de la personne s’est avérée ne pas être la bonne.
De plus, on sait que ceux qui sont enlevés ont été envoyés
dans des pays où ils ont été torturés, tels l’Afghanistan,
la Syrie, la Jordanie, l’Égypte et le Maroc.
Dans un des cas, un citoyen allemand, Khaled Masri, fut capturé
en Macédoine en 2003 et remis à la CIA. Masri a décrit
son supplice en 2007 : « J’ai été remis à la
CIA et j’ai ensuite été déshabillé, battu
sauvagement, enchaîné, on m’a mis une couche, on m’a
drogué, enchaîné au plancher d’un avion et envoyé
en Afghanistan où j’ai été emprisonné dans
une cellule épouvantable pendant plus de quatre mois. » Le compte
rendu de Masri de son enlèvement concorde avec les autres témoignages
de ceux qui ont réussi à sortir des goulags de la CIA.
En 2002, un citoyen canadien, Maher Arar, a été
arrêté à l’aéroport JFK de New York. Selon
le site web d’Arar (www.maherarar.ca), « Douze jours plus tard,
il fut enchaîné et envoyé par avion jusqu' en Syrie,
où il fut détenu dans une étroite cellule qui ressemblait
à une « tombe » pendant dix mois et dix jours avant d’être
déplacé vers une meilleure cellule dans une prison différente.
En Syrie, il fut battu, torturé et on le força à faire
de fausses confessions. » Une commission d’enquête canadienne
a ultimement déterminé qu' Arar avait été arrêté
à tort.
Dans un autre cas tristement célèbre, un ecclésiastique
égyptien résidant en Italie, Abou Omar, fut enlevé et envoyé
dans son pays natal où il fut torturé. Les agents de la CIA qui
ont réalisé l’opération sont poursuivis au criminel
en Italie, mais ils ont fui le pays pour éviter les poursuites judiciaires.
Pendant ce temps, l’ordre d’Obama, qui ferme prétendument
le réseau de prisons secrètes de la CIA, permet une exception
pour « les établissements qui servent uniquement à détenir
les individus à court terme, sur une base transitoire ». L’expression
« court terme » n’est pas définie.
Cette clause permettra au système de prison secrète
de la CIA de fonctionner plus ou moins comme elle le faisait sous l’administration
Bush. Alors que sous cette administration, les prisonniers pouvaient être
détenus indéfiniment dans les trous noirs de la CIA, dans de nombreux
cas les prisons de la CIA (plusieurs d’entre elles étaient situées
en Europe de l’Est) servaient de stations transitoires pour les prisonniers
qui devaient être envoyés à des régimes où
les détenus étaient soumis à la torture.
Obama n’a pas remis en question la prétention
de l’administration Bush, justifiée de façon pseudo-légale,
selon laquelle le président peut déclarer tout individu (citoyen
américain ou non) comme étant un « combattant ennemi »,
le faire arrêter secrètement et l’emprisonner indéfiniment,
tout cela sans même qu' un juge puisse réviser les décisions.
Obama n’a pas non plus abrogé le système de tribunaux militaires
irréguliers pour juger ceux que les Etats-Unis attrapent dans leurs filets.
Pour ce qui a trait à l’usage de la torture par
l’armée américaine et la CIA, Obama s’est gardé
une bonne marge de manœuvre. Alors qu' un ordre affirme mettre fin
au genre d’interrogatoire qui ne sont pas autorisés par le manuel
des règles de l’armée, Obama a proposé que soit créé
un comité qui étudiera les façons de changer le manuel
pour permettre de nouvelles façons de mener les interrogatoires.
Même l’ordre largement acclamé de fermer
la prison de Guantanamo n’a rien changé dans les faits. Les prisonniers
actuels de Guantanamo, tout comme les futurs « prisonniers », pourront
être le sujet d’une restitution extraordinaire sur un simple ordre
du bureau exécutif.
De plus, Obama a donné l’assurance que son administration
ne va pas enquêter ou poursuivre les hauts responsables, y compris des
membres de l’administration Bush comme Dick Cheney, Donald Rumsfeld et
Alberto Gonzales, qui portent la responsabilité des politiques de torture
et de détention illégale.
L’administration Obama demande à un juge d’une
cour fédérale de San Francisco de mettre fin aux procédures
contre l’ancien responsable du ministère de la Justice, John Yoo,
qui a écrit les célèbres mémos justifiant la torture
pour l’administration Bush. La procédure a été amenée
par José Padilla, ce citoyen américain qui a été
détenu sur un navire de la marine américaine et torturé
pendant des années. Le département de la Justice cherche aussi
à mettre un terme à une autre procédure liée à
Padilla dans laquelle sont impliqués l’ancien secrétaire
à la Défense Donald Rumsfeld, l’ancien adjoint au secrétaire
à la Défense, Paul Wolfowitz et l’ancien procureur général,
John Ashcroft.
Tant que la « guerre contre le terrorisme » continuera
(et Obama a promis que ce sera le cas), tous les gestes illégaux qui
y sont liés vont eux aussi continuer. La guerre contre le terrorisme
est en fait un euphémisme pour jusitifier l’intensification par
Washington de la violence à l’étranger et les attaques contre
les droits démocratiques aux Etats-Unis mêmes, mesures prises pour
défendre les intérêts du capitalisme américain.
Le fait qu' Obama défende et préserve les
éléments criminels de la guerre contre le terrorisme, bien que
présentés sous une forme différente, ne doit surprendre
personne. La torture, la restitution extraordinaire, les tribunaux militaires,
les prisons secrètes, tout cela fait en réalité l’objet
d’un consensus au sein de l’élite dirigeante américaine,
défendue par le Parti démocrate tout autant que le Parti républicain.
L’information sur ces mesures a été donnée aux dirigeants
démocrates au Congrès, qui les ont approuvées, sous l’administration
Bush. Les démocrates n’ont rien fait pour changer ces politiques
après leur victoire écrasante lors des élections au Congrès
en 2006 et ils ne feront rien cette fois encore.
© Droits d'auteurs Tom Eley, WSWS, 2009
Source :
www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=ELE20090209&articleId=12233
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