USA : Blackwater peut être légalement ce soir dans
votre ville
Naomi Wolf
NOUS NE FERMERONS PAS NOS GUEULES…
La bonne nouvelle est que les Américains
se sont réveillés et sont conscients des dangers qui les guettent.
Quand je me suis mis en route je pensais que j’allais affronter de l’opposition,
de la résistance ou au moins de l’incrédulité quand
je parlerais de l’obscurité qui s’étend lentement
sur notre pays et l’héritage de liberté que nous ont légué
nos ancètres. Mais je me retrouve à parler devant des assemblées
qui n’ont pas besoin de moi pour être inquiètes. Des gens
qui ont peur, qui ont perçu depuis longtemps le danger qui grandit et
la société qui se prépare.
A mon grand soulagement, j’ai redécouvert une
société américaine qui est intelligente et alerte, courageuse
et indomptable, des gens qui n’ont pas peur d’entendre des mauvaises
nouvelles et d’agir en conséquence. Et ce sont des patriotes, des
vrais, qui aiment leur pays à cause des valeurs sur lesquelles il a été
construit. Mais je suis écorchée vive par les histoires que l’on
vient me raconter lors de ces réunions. Et je n’arrive plus à
lire mes mails ces derniers temps, tellement ils sont pleins de témoignages
effarants.
Et partout où je vais, il y a toujours, au moins une fois par jour, une
personne dans l’assemblée qui se lève pour parler. Elle
a toujours l’air solide et forte, courageuse… et soudain elle va
se mettre à pleurer, submergée par la peur, au beau milieu de
son témoignage.
L’autre jour, à Boulder, une jeune mère
de deux deux enfants, la trentaine, l’image même de la jeune américaine
dynamique, s’est effondrée alors qu' elle me parlait : “Je
suis outrée par tout ce que j’entends et vois, je voudrais tellement
faire quelque chose ! Mais j’ai tellement peur. Je regarde mes enfants
et j’ai peur. Comment lutter contre cette peur qu' ils ont plantée
en nous ? qu' est ce qui est mieux pour l’avenir et la sécurité
de mes enfants ? Est-ce que je dois agir et tenter de changer les choses ou
bien me taire et ne pas me faire remarquer ? J’ai tellement peur de me
retrouver fichée quelque part.“
A Washington DC, la semaine dernière, un directeur de service dans une
administration, ancien joueur de foot, beau gosse, probablement membre du Parti
Républicain, m’a confié, loin des micros, qu' il avait
peur de signer le papier autorisant le FBI d’accéder à toutes
les informations le concernant, comme l’y encourage l’agence anti-terroriste.
“Mais en même temps, j’ai peur de ne pas le signer, si je
ne le fais pas, je risque de perdre mon boulot, ma maison… c’est
comme en Allemagne lors du fichage des fonctionnaires” me dit-il d’une
voix résignée.
Ce matin, à Denver, j’ai parlé pendant
plus d’une heure avec un très haut et très courageux gradé
de l’armée, hautement décoré qui s’est retrouvé
sur la liste des personnes surveillées (et interdites de prendre l’avion)
parce qu' il a critiqué la politique de l’Administration Bush.
Il m’a montré des documents qui prouvent que non seulement il est
surveillé par les services secrets mais que toute sa famille est également
espionnée et harcelée. Tout au long de sa carrière militaire,
cet officier a mené de nombreuses missions très dangereuses au
service de son pays, mais aujourd’hui, quand il me parle de sa crainte
que ses enfants soient harcelés par le gouvernement à cause de
ses opinions, sa voix se brise.
Ailleurs je suis abordé par une avocat qui travaillait pour le Ministère
de la Justice. Un jour elle s’est opposée à “l’interrogatoire
musclé” d’un détenu qui subissait une technique reconnue
comme étant de la torture. Non seulement elle s’est retrouvée
devant une commission de discipline mais en plus elle a été sujette
à une enquête criminelle, a perdu de l’avancement, a vu son
ordinateur fouillé et ses mails effacés… et maintenant elle
est sur la liste noire et ne peut plus prendre l’avion.
Lors d’une conversation dans une soirée un technicien informatique
travaillant pour une grande compagnie aérienne - et qui ne fait pas mystère
de sa sympathie pour le Parti Républicain - m’explique qu' une
fois que vous êtes sur la liste, il est impossible d’en sortir.
“Même si on te dit que ton nom est effacé, ce n’est
pas vrai, nous avons un système double qui n’efface jamais rien.”
Elisabeth Grant, de la coalition contre la guerre, a montré
lors d’une conférence de presse la note manuscrite et le petit
drapeau américain retrouvé dans sa valise après un voyage
en avion. La note disait que l’agence anti-terroriste n’appréciait
pas ses lectures. Comme à l’époque du Mur de Berlin, quand
je fais le queue pour me faire fouiller dans les aéroports, je me surprends
à passer une nouvelle fois en revue le contenu de mon sac.
L’autre jour, à New-York, je me suis fait violence en jetant à
la poubelle un exemplaire du dernier livre de Tara McKelvey “Monstering”
que j’étais entrain de lire. Cet excellent ouvrage dénonce
les pratiques d’interrogation utilisées par la CIA. Malgré
le fait que j’avais acheté le livre dans une librairie grand public
en ville… on ne sait jamais, il contient des informations “classifiées”
et on pourrait m’accuser de faire le jeu des terroristes en les lisant.(…)
Dans mon Amérique à moi, celle qu' on m’a apprise à
l’école, on ne se comporte pas comme ça. (…) Et tout
le monde me pose la même question : que pouvons nous faire ?
Cette avalanche de témoignages d’abus et d’atteintes
aux libertés des citoyens américains montre clairement qu' un
réseau criminel et de surveillance est entrain de prendre de plus en
plus de citoyens innocents dans ses filets. Il est évident que ceci n’a
rien à voir avec la démocratie — ni même avec l’habituelle
corruption de la démocratie. Et il est clair que nous aurons besoin d’une
action plus énergique que de simplement envoyer des lettres à
notre député.
Les gens qui viennent témoigner ne sont pas des illuminés anarchistes,
Ils sont de toutes les obédiences politiques, conservateurs, apolitiques,
progressistes. La première régle d’une société
en cours de fermeture ou bien déjà fermée est que ton alignement
avec le parti politique au pouvoir ne te protège en rien; dans un véritable
état policier, personne n’est à l’abri.
Je lis mon journal le matin et je n’en reviens pas :
Sept soldats ont publié une lettre dans le New York Times pour critiquer
la guerre : peu de temps après, deux sont morts dont un d’une balle
dans la tête tirée à bout portant. Une femme comptable de
l’armée qui voulait dénoncer les abus et détournements
financiers est morte dans son baraquement, abattue d’une balle dans la
tête, ici aussi à bout portant.
Pat Tillman, qui avait écrit un mail à un ami où il envisageait
de dénoncer des crimes de guerre dont il avait été témoin
: une balle dans la tête.
Donald Vance, un employé de l’armée qui avait dénoncé
des trafics d’armes au sein de l’armée en Irak — kidnappé
par des soldats US à l’intérieur même de l’Ambassade
US de Bagdad et enfermé et torturé pendants des semaines sur une
base militaire US, sans accès à un avocat — et officiellement
menacé des pires représailles s’il parlait à quiconque
à son retour au pays.
Et dans le dernier numéro de Vanity Fair un sous-traitant de l’armée
qui avait dénoncé des malversations raconte qu' il a été
kidnappé par des soldats US masqués et armés, passé
à tabac toute une nuit dans un préfabriqué avant d’être
expulsé d’Irak le lendemain. L’administration militaire a
refusé d’entendre sa plainte et l’a fait éjecter du
bureau.
Ce matin le New York Times écrit que le Département d’Etat
(employeur des mercenaires de Blackwater USA) refuse officiellement de coopérer
avec le Ministère de la Justice ou le FBI dans le cadre de l’enquête
sur l’assassinat de 17 civils irakiens innocents. La Maison Blanche soutien
l’attitude méprisante du Département d’Etat vis à
vis de la justice de ce pays.
Ce n’est pas une information anodine. Mes lecteurs qui
ont retenu quelque choses de l’histoire du XXè Siècle seront
horrifiés mais pas surpris. La “Deuxième Etape” de
la fermeture d’une société ouverte est la démonstration
par l’Etat aux citoyens que la force paramilitaire est au dessus des lois
du pays et que la loi ne peut donc plus servir de refuge à la dissidence.
En permettant au FBI et à la CIA d’arrêter n’importe
quel citoyen américain et de le priver de ses droits légaux, le
Ministre de la Justice a fait comprendre aux citoyens américains une
leçon très simple : Nul d’entre vous n’est à
l’abri de l’arbitraire d’Etat. Nous pouvons venir comme cela
nous chante, enfoncer votre porte et vous faire disparaître pour toujours…
en toute légalité.
(…)Si l’administration de ce pays annonce publiquement
qu' elle ne sanctionnera pas les agissements criminels de ses propres employés
en Irak et fera obstacle à la justice — alors est ce que les députés
du Congrès auront le courage d’affronter les agissements similaires
de Blackwater quand cette société remportera le contrat qu' elle
convoite, celui de la sécurité intérieure aux Etats-unis
? Ou bien cette force paramilitaire et protégée par l’Etat
sera t’elle assez puissante pour intimider nos représentants —
et nous mêmes ?
Est-ce que nous oserons encore manifester dans la rue si nous
savons que nous risquons de recevoir le même traitement que les civils
de Bagdad, mitraillés depuis des hélicoptères de Blackwater
? Est-ce qu' un député osera proposer une loi contre Blackwater
s’il sait qu' il peut se faire tuer d’une balle dans la tête,
en toute impunité ? (…) N’oubliez pas que, dans la situation
actuelle, le Department of Homeland Security a le droit légal de déployer
les mercenaires de la société Blackwater dans votre ville dès
ce soir. (…)
http://libertesinternets.wordpress.com/2007/10/13/naomi-wolf-les-americains-ont-peur-et-ils-nont-pas-honte-de-le-dire/
sommaire