Bernie Sanders aux Démocrates : Voilà à quoi ressemble une politique étrangère progressiste

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Mehdi Hasan
publié le 22 septembre 2017
mis à jour le : 26 Juillet, 2022

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Bernie Sanders, qui est actuellement l’homme politique le plus populaire, et de loin, des états-Unis, est obsédé depuis longtemps par des thèmes comme le démantèlement des grandes banques et la nécessité de faire bénéficier tous les Américains de Medicare (la Sécurité sociale). Il est capable de parler pendant des heures des maux engendrés par l’inégalité des revenus et du caractère grotesque de la « classe des milliardaires ».

Mais de politique étrangère ? Pas tant que ça.

Pourtant, cette semaine, le sénateur indépendant du Vermont a finalement prononcé un discours important sur la politique étrangère au Westmister College, à Fulton, dans le Missouri, dans le cadre d’une série de conférences de la Green Foundation. Dans ce même cadre, en 1946, Winston Churchill avait fait son discours « Sinews of Peace » (le nerf de la paix) au Westminster College, discours dans lequel il avait introduit le concept de « Rideau de fer ». C’est dans ce cadre aussi que Mikhael Gorbatchev avait raconté, de façon mémorable, comment se terminait la Guerre froide. Ainsi, en se fondant sur la présence de Sanders à Fulton, on pourrait en déduire qu’il joue maintenant dans la cour des grands, des très grands même, pour ce qui est de la politique étrangère.

Auparavant, il m’avait reçu pour une discussion qui portait sur ses vues sur les affaires du monde.

« Selon moi, nous devons examiner attentivement où nous en sommes aujourd’hui en ce qui concerne la politique étrangère et ce qui se passe depuis de nombreuses années » me dit Sanders quand je le rencontre dans son bureau du Sénat à Washington, la veille de son grand discours du Missouri. « Et selon moi, le point capital, c’est qu’aucun pays, que ce soit les états-Unis ou un autre, ne peut agir seul. Si nous devons nous attaquer aux problèmes internationaux très importants et très compliqués qui nous attendent, nous devons coopérer les uns avec les autres. »

Le sénateur est vêtu d’un complet bleu marine fripé, d’une chemise bleu-ciel et il ne porte pas de cravate. Sa tignasse blanche est, comme toujours, ébouriffée. Il a l’air soucieux et épuisé, peut-être parce qu’il a passé la semaine précédente à faire la promotion devant le Congrès et le pays de son projet de loi pour un service de santé pour tous avec payeur unique.

« Beaucoup de mes collègues, de mes collègues républicains, ici au Sénat, par exemple, dénigrent les Nations Unies », dit-il, assis en face de moi, devant un mur couvert d’affiches touristiques du Vermont. « Certes les Nations Unies pourraient se montrer plus efficaces, mais il faut absolument que nous renforcions les institutions internationales, parce qu’en fin de compte, même si ça ne paraît pas très sexy ni très glamour, même si ça ne conduit pas à beaucoup de déclarations mémorables, juste l’idée… que des gens se rencontrent, parlent, discutent, ça vaut beaucoup mieux que des pays qui entrent en guerre. »

Je lui demande en quoi ces paroles diffèrent des déclarations déjà entendues en faveur des Nations Unies et de la coopération internationale proposées par des Démocrates de premier plan, comme Barack Obama, Hillary Clinton et John Kerry.

« Excusez-moi ». Sanders n’aime pas être interrompu. « Laissez-moi vous expliquer un peu où je veux aller. » Le sénateur indique que « l’unilatéralisme, l’idée que nous pouvons nous permettre de renverser des gouvernements dont nous ne voulons pas, voilà qui doit être revu ». Après avoir évoqué la guerre d’Irak, « l’une des pires erreurs de politique étrangère de l’histoire de notre pays », le sénateur aborde une autre erreur historique dont, pour être juste, peu d’autres sénateurs aimeraient parler, encore moins pour la critiquer. « En 1953, les états-Unis, en compagnie des Britanniques, ont renversé Mohammed Mossadegh, le Premier ministre iranien, et cela pour défendre les intérêts des magnats du pétrole britanniques » me rappelle-t-il. « Le résultat, c’est que le Shah, qui était un homme très cruel, est revenu au pouvoir et le résultat, c’est que nous avons eu la révolution iranienne, ce qui nous amène là où nous en sommes maintenant. »

Regrette-t-il de n’avoir pas parlé avec cette fougue, cette franchise et cette perspicacité à propos des enjeux internationaux lors de sa campagne des primaires contre Clinton qu’il a perdues ? « Non, je pense que j’ai mené le genre de campagne que nous voulions mener ». Un silence. « Mais je pense que la politique étrangère est manifestement un sujet très, très important. »

Pendant les primaires du Parti démocrate à la présidentielle, tant les hommes politiques que les experts ont jugé que Sanders n’était pas vraiment prêt pour ce qui était de la politique étrangère. « La politique étrangère », écrit David Ignatius, le chef du département des affaires étrangères du Washington Post « est ce qui manque au programme politique de Sanders ». Patrick Leahy, l’autre sénateur du Vermont, s’est juste montré un tout petit plus diplomate dans une interview donnée au New York Times. « Ce n’est pas le sujet auquel il accorde le plus d’importance, c’est exact », a-t-il reconnu.

Pendant la campagne, un discours longtemps promis sur la politique étrangère n’a jamais été prononcé et il n’y avait pas de page de politique étrangère sur le site web les premiers mois. Certaines des personnes que le sénateur avait présentées comme des conseillers sur les problèmes de sécurité nationale ont ensuite affirmé le connaître à peine.

Il n’est pas très à l’aise sur ce sujet, ça se voit à l’œil nu, mais, à 76 ans, il est loin d’être un néophyte en matière de politique étrangère. Dans les années 1980, quand il était maire de Burlington, il critiquait ouvertement les interventions des états-Unis en Amérique latine, devenant ainsi l’élu des états-Unis le plus éminent à visiter le Nicaragua et à rencontrer le président Daniel Ortega, ce qui lui avait valu le surnom de « Sanderniste ». Il est allé aussi en Union soviétique en 1988 en voyage de noces, pour élaborer un programme de jumelage entre Burlington et Yaroslavl.

Depuis 1991, Sanders siège au Congrès, d’abord en tant que représentant puis sénateur. Il a donc suivi des débats et pris part à des votes à propos des interventions militaires, des traités avec les pays étrangers, des accords commerciaux, des ventes d’armes, de l’aide internationale et du changement climatique. Quelques critiques ont mentionné que Sanders élu président serait arrivé à la Maison-Blanche en janvier 2017 avec bien plus d’expérience en politique étrangère qu’Obama, George W. Bush, Bill Clinton et oh, bien sûr, l’ancienne star de télé-réalité, Donald J. Trump.

Néanmoins on a toujours l’impression que Sanders n’est pas à la hauteur quand il s’agit de politique étrangère. Peut-être dans la perspective d’une nouvelle candidature dans trois ans, le sénateur du Vermont s’efforce actuellement de corriger cette impression. Cette année, il s’est offert, comme conseiller en politique étrangère, les services de Matt Duss, un analyste de politique étrangère reconnu et l’ancien président de la Foundation for Middle East Peace (Fondation pour la paix au Moyen-Orient), la FMEP. Il a fait aussi des discours devant le Liberal Jewish lobbying group (le groupe de lobbyistes juifs progressistes), J. Street, et il y a condamné « l’acharnement d’Israël à occuper les territoires palestiniens » qu’il a qualifié de « contraire aux valeurs fondamentales américaines ». Il a parlé également devant le Carnegie Endowment of International Peace, de tendance centriste, où il a tancé le président Vladimir Poutine l’accusant « d’essayer d’affaiblir l’alliance transatlantique ».

La semaine dernière, mon collègue Glenn Greenwald a publié, dans The Intercept, un article intitulé : « Clinton en tournée de promotion pour son livre ’’ça s’est passé comme ça’’. Le rôle crucial des guerres sans fin dans le résultat de l’élection de 2016 a été largement passé sous silence ». Il y soutient que « la promotion de multiples guerres et d’autres actions militaires » par Hillary Clinton a poussé certains électeurs des états indécis dans les bras de Donald Trump et des candidats des petits partis comme Jill Stein. Je demande à Sanders s’il est d’accord avec cette analyse.

« Ah,ça, c’est une toute autre question. Et je ne connais pas la réponse. »

J’insiste. Il doit certainement admettre que la politique étrangère a joué un rôle dans la défaite de Clinton ? Il tient bon. « J’ai envie de parler de mon discours, pas de Hillary Clinton. »

Alors la politique étrangère ne joue aucun rôle dans les élections ?
« La réponse, c’est je ne sais pas », répond-il d’un air las. « Quelqu’un pourrait dire aussi : ’’Bernie Sanders a manqué d’agressivité sur les questions de défense, alors je ne vais pas voter pour lui parce qu’il n’est pas prêt à bombarder tous les pays du monde’’. Savez-vous combien d’électeurs j’ai perdus à cause de ça ? Nous ne savons pas, c’est de la spéculation ». (Pas tout à fait, Greenwald a cité une étude universitaire publiée cette année dans laquelle on affirme que « si les états-Unis avaient mené moins de guerres ou, au moins, s’il y avait eu moins de victimes, Clinton aurait… remporté l’élection. »)

Je lui demande s’il y a une politique étrangère qui serait l’équivalent du Medicare, c’est-à-dire une approche politique vraiment progressiste dont il pourrait faire un thème de campagne et qu’il pourrait populariser.
« Je ne verrais pas les choses de cette façon là », me dit-il. « Tous ceux qui pensent qu’il y a une solution simple qui nous permettrait de traiter tous ces horribles conflits qui durent depuis si longtemps feraient fausse route. Là où nous devons nous montrer progressistes, c’est en comprenant qu’on ne peut pas continuer à utiliser l’intervention militaire comme moyen de résoudre les problèmes de politique étrangère. »

Bien qu’il ait eu naguère une photo du légendaire militant pacifiste Eugène Debs dans son bureau du Congrès, Sanders n’est pas un pacifiste. Il a soutenu la campagne aérienne de l’OTAN au Kosovo en 1999 ainsi que l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan en 2001. Cependant il s’est opposé à la guerre d’Irak et il a voté contre l’armement et l’entraînement de rebelles syriens. Alors, on peut se poser la question, a-t-il des critères particuliers pour déterminer quand les états-Unis doivent utiliser la force ?
Le sénateur me précise qu’à son avis, une intervention militaire doit constituer le dernier recours, sauf quand on est en face d’un génocide. « Selon moi, on doit être certain que les états-Unis sont menacés. évidemment, si un pays menace de faire la guerre aux états-Unis, s’il attaque les états-Unis, on a de très bonnes raisons de réagir. Quand on réfléchit aux situations de génocide, où des gens sont massacrés de tous les côtés… nous devons avoir une force internationale de maintien de la paix qui prenne en main cette tragédie. » Cette semaine, le président des états-Unis a fait ce qu’on pourrait appeler une menace génocidaire devant les Nations Unies à New York : « Si [les états-Unis ] sont forcés de se défendre ou de défendre leurs alliés, nous n’aurons pas d’autre choix que de détruire totalement la Corée du Nord. »

Je rappelle au sénateur qu’Obama et Trump sont, tous deux, entrés en fonctions en promettant de rencontrer leur homologue nord coréen et pourtant Obama ne l’a jamais fait tandis que Trump passe son temps à se moquer de Kim Jong un, le « Rocket Man » (l’homme fusée). Selon Sanders, une rencontre entre les deux chefs d’état servirait-elle à quelque chose ?

Le sénateur me dit qu’il ne serait pas opposé à « des rencontres en tête à tête, des rencontres sincères », qui seraient autre chose qu’une occasion cynique de faire des photos et pour lui, on doit encourager « en général, les discussions et les rencontres en tête à tête. »

Alors, pour être clair, est-ce qu’il encouragerait un président des états-Unis à s’asseoir et à discuter avec le dirigeant de Corée du Nord pour essayer de résoudre la crise ? Il hausse les épaules. « Est-ce que j’arrive à imaginer ça ? Eh bien oui, tout à fait. »

Un thème de politique étrangère cependant à propos duquel Sanders a été critiqué par nombre de sympathisants de sa propre base de gauche, c’est le conflit israélo-palestinien. Des progressistes pro-Palestiniens l’ont accusé de se montrer d’une indulgence coupable envers Israël. Dans une interview d’avril, par exemple, Sanders a rejeté avec mépris le mouvement du Boycott Divestment and Sanctions et il a également signé une lettre controversée qui attaquait les Nations Unies pour « ses priorités anti-Israël ». Cependant, il est indéniable que ces dernières années, le sénateur du Vermont, même s’il est juif et qu’il a vécu brièvement dans un kibboutz en Israël dans les années 1960, a pris une position plus pro-palestinienne sur le conflit et surtout il s’est opposé au gouvernement de droite de Benjamin Netanyahou. « Il arrive un moment où… nous allons devoir dire que Netanyahou n’a pas toujours raison », a-t-il dit à Clinton lors d’un débat des primaires du Parti démocrate en avril 2016.

Ces temps-ci, contrairement à d’autres membres du Congrès, Sanders n’hésite pas à identifier comme telle l’occupation par Israël de la Cisjordanie et de Gaza et à la vilipender. Cependant reconnaît-il que les états-Unis, par leur aide militaire et leurs ventes d’armes, sont complices de cette occupation israélienne ? Et reconnaît-il aussi donc que l’occupation des territoires palestiniens ne cessera que le jour où les états-Unis arrêteront d’armer et de financer l’état juif ?

« C’est certain, les états-Unis sont complices, mais cela ne signifie pas… qu’Israël est seul coupable ». Cependant, « en termes de relations israélo-palestiniennes, les états-Unis doivent se comporter de façon beaucoup plus équitable. Clairement, ce n’est pas le cas maintenant. »

Est-ce qu’il envisagerait donc de voter en faveur de la réduction de l’aide des états-Unis à Israël qui s’élève au minimum à 3 milliards de dollars par an ou de la réduction des ventes d’armes des états-Unis à l’armée israélienne ?

« Le financement des états-Unis joue un rôle très important et j’aimerais voir des responsables du Moyen-Orient s’asseoir avec des membres du gouvernement des états-Unis et trouver la façon dont l’aide des états-Unis peut rapprocher les peuples et non être utilisée pour acheter des armes qui mènent à la guerre dans cette partie du monde. Alors selon moi, il y a là la possibilité extraordinaire pour les états-Unis d’aider à rebâtir Gaza et d’autres zones. Au même moment, il faut exiger qu’Israël, dans son propre intérêt d’une certaine façon, travaille avec d’autres pays sur les problèmes environnementaux ». Et alors, il répond finalement à ma question : « La réponse est oui ».

Cette réponse de Sanders, si l’on s’en tient au niveau abominablement bas de la politique contemporaine aux états-Unis, est remarquable et, vais-je oser le dire, progressiste. Comme l’a noté la Jewish Telegraphic Agency, « l’aide du Congrès à Israël et à la communauté pro-israélienne est sacro-sainte et aucun président n’a sérieusement proposé de la réduire depuis Gerald Ford, au milieu des années 1970. »

Jeremy Corbyn, le dirigeant du Parti travailliste du Royaume Uni, issu de l’aile gauche, que l’on compare constamment à Sanders, a fait la Une en mai après avoir, dans un discours, incité les Britanniques à « avoir le courage de reconnaître que la guerre contre le terrorisme ne marche pas » et à déduire « les liens entre les guerres que notre gouvernement a soutenues ou menées dans d’autres pays et le terrorisme ici, chez nous ».

Dans le passé, le dirigeant travailliste a qualifié l’OTAN de « danger pour la paix du monde » et il s’est prononcé en faveur d’un engagement avec des groupes comme l’IRA, l’Armée républicaine irlandaise, le Hezbollah et le Hamas. Corbyn semble bien avoir effectivement des vues d’extrême gauche en politique étrangère. Est-ce que Sanders, plus prudent, a envie de s’exprimer comme le dirigeant travailliste sur le terrorisme et la réaction occidentale au terrorisme ? Est-ce que, par exemple, pour lui, les états-Unis ont perdu ce qu’il est convenu d’appeler la guerre contre le terrorisme ?

« Non, c’est une question trop générale », répond-il, dédaigneux. « Selon moi, la façon la plus intelligente d’aborder les problèmes du terrorisme, c’est d’essayer d’en comprendre les causes fondamentales : la pauvreté écrasante qui est un fait, le manque d’éducation qui est un fait. Mais en revanche, quand, par exemple, on lance un drone qui tue des hommes, des femmes et des enfants, cela ne fait qu’intensifier l’antagonisme vis-à-vis des états-Unis. »

Je lui pose la question du rôle de l’Arabie saoudite dans le supposé soutien et financement du terrorisme. Quinze des 19 pirates de l’air, il ne faut pas l’oublier, étaient des citoyens saoudiens. Alors ce pays est-il l’allié ou l’ennemi des états-Unis ? « Ce n’est pas seulement que beaucoup des pirates du 11 septembre venaient d’Arabie saoudite », dit-il « ce qui est plus important, c’est que les Saoudiens n’arrêtent pas de financer des madrasas et de propager la doctrine wahhabite dans de nombreux pays dans le monde entier. Et ils financent ces mosquées, ils financent les madrasas, et ils génèrent beaucoup de haine. » Sanders veut que les états-Unis reviennent de leur soutien aveugle et sans condition au royaume du Golfe. Il semble même laisser entendre que les états-Unis devraient se tourner vers l’ennemi mortel des Saoudiens, les Iraniens.

Cette approche pourrait-elle être l’équivalent en politique étrangère du Medicare pour tous ? Essayer de mettre fin à près de quarante ans d”hostilité et de méfiance entre les états-Unis et la République islamique d’Iran ? Sans tirer un coup de feu ? Ce serait là un changement historique et spectaculaire. Pendant les primaires présidentielles, Sanders a été attaqué pour avoir suggéré que les états-Unis devraient « agir le plus énergiquement possible pour normaliser leurs relations avec l’Iran. » Pourtant, près de deux ans plus tard, il n’a pas peur d’exposer de nouveau cette position. « à mon avis, l’un des éléments que nous devons repenser en termes de politique étrangère, c’est notre position vis-à-vis de l’Iran et de l’Arabie saoudite », me dit-il, en se penchant en avant. « Pour une raison quelconque, et à mon avis, nous connaissons certaines de ces raisons qui ont à voir avec un mot de sept lettres, le pétrole, les états-Unis ont plus ou moins refusé de voir que l’Arabie saoudite est un pays incroyablement antidémocratique, qui a joué un rôle abominable au niveau international, mais nous nous sommes alliés à eux encore et encore. Et de l’autre côté, les Iraniens, qui viennent juste d’organiser des élections, dont les jeunes veulent sincèrement nouer des relations avec l’Occident, nous… continuons à les rejeter. »

Même si Sanders « se préoccupe légitimement… de la politique étrangère de l’Iran », il veut « une approche plus équilibrée de la part des états-Unis au sujet du conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite. » Alors j’essaie de l’obliger à donner clairement son avis à propos de la nature des liens entre les Saoudiens et les états-Unis et lui pose de nouveau la question. Est-ce qu’il considère ou non l’Arabie saoudite comme l’alliée des états-Unis dans ce qu’il est convenu d’appeler la guerre contre le terrorisme ? Un silence. « Est-ce que je considère les Saoudiens comme des alliés ? Je considère que c’est un pays non démocratique qui soutient le terrorisme partout dans le monde, qu’il finance le terrorisme, alors je ne peux pas… Non, ce ne sont pas des alliés des états-Unis. »

Oh mais c’est peut-être l’équivalent en politique étrangère du Medicare pour tous : diminuer les liens avec l’un des pires régimes du monde. Mettre de la distance entre Washington et Riyad. Mais Sanders pourrait-il réussir ? Persuader ses collègues sénateurs des deux partis d’abandonner un consensus bipartite vieux de plusieurs décennies sur la position de l’Arabie saoudite comme allié fondamental des états-Unis ?

En juin, il a, en compagnie de 4 Républicains et 42 Démocrates, essayé de bloquer une vente à l’Arabie saoudite de 510 millions de dollars de munitions à guidage de précision. Ils ont perdu, mais de 6 voix seulement. Jeudi, accueilli avec enthousiasme par une foule d’étudiants, il a reçu un doctorat honoris causa de l’université avant son discours. La mine sévère, il a dénoncé la guerre mondiale contre le terrorisme, pour lui « un désastre pour le peuple américain » parce qu’elle « répond aux terroristes en leur donnant exactement ce qu’ils veulent. » il a aussi prononcé un éloge vibrant de l’héritage essentiel d’Obama en politique étrangère, le traité nucléaire avec l’Iran. « Nous devons protéger ce traité », a-t-il dit, citant l’accord nucléaire comme un exemple de « véritable leadership » de la part des états-Unis.

Pendant une heure, le sénateur indépendant a proposé une vision de la politique étrangère américaine du 21ème siècle au progressisme avoué, privilégiant la diplomatie, sans ‘interventions militaires. « Les états Unis ne doivent pas avoir comme but de dominer le monde… Nous devons viser à nous engager au niveau mondial sur la base du partenariat, pas en tant que maître dominant. » Au moment où le président des états-Unis bat les tambours de guerre, menace de « détruire complètement » la Corée du Nord et de déchirer l’accord nucléaire avec l’Iran, il est à la fois rafraîchissant et admirable d’entendre un homme politique états-unien de premier plan parler d’une manière aussi directe. Sanders me dit qu’il veut « une discussion sérieuse sur la politique étrangère », ce qui, scandaleusement, est quelque chose que ses collègues démocrates du Sénat n’ont pas encore accepté.

Par exemple, il évoque un vote lundi au Sénat qui a autorisé une fabuleuse augmentation annuelle du budget du Pentagone de 80 milliards de dollars. « Est-ce que c’est vraiment un investissement raisonnable ? », demande-t-il. « Probablement », ajoute-t-il, sarcastique, « la majorité de ceux qui ont voté pour cette énorme augmentation des dépenses militaires ne sauraient pas vraiment vous dire pourquoi cette augmentation était nécessaire. » Seuls quatre Démocrates du Sénat ont voté avec Sanders contre le projet de loi. Pourquoi, selon lui, les autres ont-ils voté pour ? « Demandez leur donc ! », répond-il sèchement.

Certains de ses critiques de gauche, cependant, pensent que Sanders ne va pas assez loin. En juillet, Branko Marcelic du Jacobin a vilipendé Sanders à propos de « son relatif silence sur la politique étrangère d’Obama » et « ses vues assez conventionnelles sur la politique étrangère tout au long de sa carrière à Washington ». Ce genre de critiques a tendance à attendre de la part de Sanders une dénonciation très forte, à la Chomsky et ils auraient voulu l’entendre déjà hier. Il est intéressant de noter qu’en 1985, Sanders a invité Chomsky à parler à la mairie de Burlington. Il l’a présenté à la foule comme « une voix importante qui sait se faire entendre dans le désert de la vie intellectuelle américaine » et il a dit qu’il était « ravi d’accueillir une personne dont nous sommes tous très fiers ».

En 2016, quand j’ai interviewé Chomsky pour mon émission sur al Djazeera « Upfront », le philosophe et critique de politique étrangère n’a cessé de louer Sanders, le qualifiant d’homme politique « honnête, intègre » avec « les meilleurs projets politiques ». Je demande à Sanders si trente ans plus tard, il est toujours d’accord avec la critique cinglante de la politique étrangère des états-Unis qu’avait faite Chomsky, y compris sa façon provocante de qualifier les états-Unis, « d’état voyou ». Sanders m’interrompt avant que je puisse terminer ma question. « OK. Je vois. Noam Chomsky a joué un rôle extraordinairement important. Je suis sénateur des états-Unis. Nous vivons dans des mondes différents ». Il change vite de sujet pour revenir dans sa zone de confort.

« Point essentiel : nous devons repenser notre politique étrangère… ce qui signifie s’occuper de problèmes comme l’inégalité des revenus et de la répartition des richesses, qui n’est pas seulement un problème américain, c’est un abominable problème partout dans le monde ». Sanders est maintenant dans son élément, tout à fait à l’aise. « Nous avons six des personnes les plus riches qui possèdent plus de richesses que la moitié la plus mal lotie de la population mondiale. Nous devons nous occuper du changement climatique, parce que si nous n’agissons pas ensemble et à un niveau international, il ne restera peut-être plus grand chose en guise de planète pour nos enfants et nos petits-enfants. »

Soyons clairs. En ce qui concerne la politique étrangère, Sanders n’est pas aussi à gauche que son vieil ami Noam Chomsky ou même son homologue britannique Jeremy Corbyn. Cependant son intérêt pour la politique étrangère et sa volonté de rompre avec le consensus pourrait constituer l’un de ses actes les plus profondément progressistes. « Nous devons et c’est là qu’il faut nous agir de façon radicale, comprendre », me dit Sanders « que nous ne pouvons pas continuer à utiliser simplement l’armée comme un moyen de résoudre les problèmes de politique étrangère. Nous devons, et c’est là que nous devons agir de façon radicale et déterminée, imposer débats et discussions à propos des causes des conflits internationaux et il est évident que nous n’agissons pas ainsi pour le moment et nous avons besoin de plus de leadership américain pour faire cela. »

Source :Les Crises

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