Sur la « famine » en Ukraine en 1933 : une campagne allemande, polonaise et vaticane

La conjoncture ukrainienne rappelle furieusement celle des années trente, où le Reich menait le bal (ayant fait de l’Ukraine une de ses bases militaires et économiques pendant la Première Guerre mondiale), en compagnie de l’imbécile équipe dirigeante de la Pologne, qui faisait semblant de croire que le Reich allait partager l’Ukraine avec elle, du Vatican qui préparait en compagnie de Berlin son occupation prochaine (une des deux clauses secrètes du concordat de juillet 1933). La campagne germano-italienne de 1933 sur la « famine ukrainienne » (à laquelle nombre de mes collègues ont ces dernières années cédé, sur la base d’une affirmation du sociologue Alain Blum relative à « six millions de morts » qui constitue un scandale méthodologique) s’inscrivit dans ce contexte.
Nous sommes assez bien (au moins par Internet) informés sur le rôle des états-Unis en Ukraine, depuis plusieurs années et actuellement, comme dans l’ensemble de la zone européenne anciennement socialiste. Nous ne le sommes pas, nous le sommes peu, ou mal, sur celui de l’Allemagne, de la Pologne (qui pointe plus que le bout du nez ces jours-ci) et du Vatican. Le dossier que je te joins, ainsi qu’à une série de correspondants, fait le point sur les années trente, à propos du thème de la famine ukrainienne. Il est long, certes, mais vaut la lecture (la question ne se pose pas, j’espère, pour les étudiants, qui y trouveront des indications « au programme des concours » ou utiles pour leurs recherches; et qui sont des citoyens forcément intéressés par la conjoncture européenne et mondiale actuelle). Il serait naturellement fort utile que ceux qui, tel Bruno Drweski, travaillent sur l’Est européen nous tienne au courant de ce qu’il trouvent dans la documentation d’aujourd'hui.
Je n’ai pas encore publié de travaux incluant ces textes originaux, mais je trouve l’affaire ukrainienne assez grave pour requérir information historique. Je compte sur l’honnêteté de chacun pour leur éventuelle utilisation ou diffusion, qui impliquerait mention de l’« inventrice ».

Annie Lacroix-Riz

Je vous livre les documents par volume d’archives et ordre chronologique. En note infrapaginale figurent des explications. Je suis à votre disposition pour toute demande supplémentaire. Les étudiants qui ont reçu l’an dernier une version initiale de ce texte y trouveront nombre d’éléments nouveaux.

Tout ce qui est entre guillemets est de la citation de document original. J’ai corrigé les fautes de frappe des textes originaux (pour renoncer à des (sic) trop nombreux).

La gigantesque campagne de presse (et autre propagande) de 1933 sur « la grande famine » d’Ukraine est, si l’on se fie aux fonds du Quai d'Orsay, un bobard lancé 1° pour préparer l’« alliance » polono-allemande de janvier 1934 (Varsovie et Berlin se font des politesses à propos de l’Ukraine que le Reich promet aux Polonais, « en échange du corridor de Dantzig », supercherie dont Berlin a déjà usé dans les années vingt) et 2°, objectif allemand essentiel, pour empêcher la réalisation l’alliance franco-soviétique qui se dessine depuis le retour d’Herriot au poste conjoint de Président du Conseil et de Ministre des Affaires étrangères (juin-décembre 1932). Les fonds publiés du Foreign Office « sur l’Ukraine et la grande famine de 1932-1933 » autorisent une interprétation similaire sur le sens de politique extérieure de l’opération de propagande de 1933 [1]  : le « mémorandum de Ponsonby Moore Crosthwaite sur l’histoire de l’Ukraine et ses relations avec la Pologne et la Russie, 11 décembre 1933 » [2] est aussi clair que la correspondance du Quai d'Orsay citée ci-dessous.

Le Vatican, qui hait la Pologne, catholique certes, mais pillarde de territoires allemands, signe en juillet 1933 le Concordat du Reich qui prévoit, entre autres clauses secrètes, l’occupation commune de l’Ukraine. On comprend ainsi mieux le rôle, particulièrement actif, de la Curie romaine et l’utilisation dans l’opération ukrainienne de son instrument favori de l’expansion allemande à l’Est (notamment pour l’Anschluss et la liquidation de la Tchécoslovaquie), l’Allemand des Sudètes, par ailleurs cardinal (1933) archevêque de Vienne (1932), Innitzer [3] .

L’URSS a connu en 1932-1933 une sérieuse disette conduisant à un strict renforcement du rationnement, pas une famine et en tout cas pas une famine à « six millions de morts », chiffre (scandaleux sur le plan méthodologique en particulier) lancé ces dernières années par le démographe Alain Blum, question examinée plus loin (sur le traitement universitaire récent de la question en France, mise au point dans la 3e partie du présent dossier).

Les développements ci-dessous relatifs aux ambitions affichées par le Reich en 1933 à propos de l’Ukraine (programme de conquête antérieur à 1914, et donc non spécifique du programme impérialiste nazi [4] ) infirment, comme ceux du recueil que j’ai constitué sur l’armée rouge en 1937-1938, la thèse des dangers extérieurs instrumentalisés par Staline contre ses ennemis « imaginés » ou purement et simplement inventés, familière à l’historiographie française actuelle.

Campagne germano-vaticane et ukrainienne sur la famine en Ukraine, 1932-1933

URSS 1918-40, vol. 1036, situation économique, 3 août 1932-18 janvier 1940, archives du Ministère des Affaires étrangères (MAE)

339 folios [classement par volume, paginé] et voir infra la correspondance de 1933 du colonel Mendras, attaché militaire, fonds SHAT)

Copie des du « correspondant particulier » à Berlin articles de Renaissance [5]

Copie de l’article de Renaissance 17 août 1932, « Famine et chaos (Rapports de Consuls allemands) », 4-7, 4 p. [la France a une ambassade à Moscou, comme la Grande-Bretagne, qui a également un consulat à Leningrad [6] , mais pas de multiples consulats en URSS, à l’inverse des Italiens et des Allemands : les sources sur la famine sont donc germano-italiennes et, on le verra, proviennent d’associations ukrainiennes émigrées séparatistes financées par le Reich, d’Ukrainiens émigrés, parfois depuis l’avant-guerre, etc., comme l’attestent les courriers du Quai d'Orsay cités plus loin]

Descriptif apocalyptique de la « situation dans le midi de la Russie

Région de Kharkov

[…] menacée de famine […] la situation du Donetz […] est catastrophique […] pas de savon […] L’instabilité de la main-d'œuvre arrête tout travail productif. » 1. « La situation des ouvriers et ingénieurs allemands est alarmante et ils supplient de les rapatrier. » Idem à Odessa. « La plupart des habitants n’ont pas de chaussures; […] Les denrées manquent partout. […] la moisson se fait mal », tout même eau, 3, et sq. « Les consuls [allemands] affirment que le Gouvernement soviétique va, dans très peu de temps, être insolvable. » 4

Copie de l’article de Renaissance du 16 août 1932, « Réclamation de M. Gosser à l’Intourist deux semaines dans les prisons du Guépéou) », 4-7, 4 p.

Lettre 171 de Dejean, ambassadeur de France à Moscou [7] , au président du Conseil-ministre des Affaires étrangères édouard Herriot, Moscou, 13 septembre 1932, 10, 2 p.

Sur « la gravité de la crise alimentaire », 1, et statut privilégié des diplomates, travailleurs et journalistes étrangers, 1-2

tous rapports sur situation catastrophique

Télégramme 971-2 de Beaumarchais, ambassadeur à Rome, 11 octobre 1932, ronéoté, 14-15

Cf. ma « conversation » d’aujourd'hui avec « M. Mussolini m’a dit aujourd'hui […] que la situation économique de l’URSS était inquiétante : le plan quinquennal avait notoirement échoué », etc. 1, sq.

copie sans numéro de la lettre de Dejean au président du Conseil-ministre des Affaires étrangères, édouard Herriot, Moscou, 5 décembre 1932, 18-21, 4 p.

« a.s. de la soif de devises du Gouvernement soviétique »

Lettre 1165 d’André François-Poncet, ambassadeur en Allemagne [8] , au ministre des Affaires étrangères Paul-Boncour, Berlin, 22 décembre 1932, 22-28, 7 p.

Dans la presse allemande sur la Russie (en italique, noms de journaux) « Il n’est question que de crises; crise de la production industrielle et surtout agricole, crise du ravitaillement, crise de l’approvisionnement en devises, indispensables au paiement des commandes passées à l'étranger, crise enfin (2) de l’armée rouge elle-même. » cf. Vossischezeitung, 3, Berliner Tageblatt, 3-4, sur « des révoltes chroniques […] au Kouban », car « la résistance des populations cosaques au système collectif d’exploitation agraire […] c’est cette indolence et non pas les quelques groupes de koulaks du Kouban ou d'ailleurs qui est la véritable ennemie du bolchevisme, comme elle avait été d'ailleurs celle de tout progrès au temps du régime bourgeois. » 4, et litanie continue, 4 sq. cf. la Vossischezeitung [9] , 5, Deutsche Allgemeine Zeitung, 5-6, notamment sur crise armée rouge où « les courants dits “d’opposition de droite” y ont fait des progrès sensibles », mais « à la frontière mandchoue […] cette partie de l’armée soviétique, grâce à son éloignement de Moscou, aura pu échapper à toute contagion.” »

Confirmé par l’attaché militaire auprès de l’ambassade Japon à Berlin « qui, ayant eu l’occasion de traverser la Sibérie, il y a quelques mois, a constaté parmi les troupes rouges mobilisées […] un état d'esprit excellent et même, selon son expression, enthousiaste. » 7, et même confirmation sur mauvais état d'esprit armée rouge en Europe (6) par un Français « qui vient de faire un séjour en Allemagne et dans l’Est européen […].

D' après lui, l’armée prendrait en Russie une importance sans cesse croissante » et « manifesterait des tendance de plus en plus marquées à prendre les allures et surtout l’état d'esprit d’une garde prétorienne. L’influence de certains de ses chefs tels que Vorochilov, Blücher, Toukhatchevski y serait considérable et causerait de l’inquiétude au gouvernement de Staline. Le mécontentement des troupes dû à l’insuffisance du ravitaillement augmenterait le fossé qui s’est creusé entre militaires et civils. […]

La même personne m’a assuré d'autre part que les tendances subversives observées dans l’Armée rouge étaient encouragées par la Reichswehr. Celle-ci inquiète de la croissance du mouvement communiste en Allemagne, ne verrait pas d’un mauvais œil que l’état-major fît un coup d’état, qui débarrasserait la Russie du gouvernement actuel et de l’influence toute puissante de l’Internationale communiste. » [10] Il convient de faire « les réserves » nécessaires sur « pareilles informations ». 7

Lettre 2 de Dejean à Paul-Boncour, Moscou, 3 janvier 1933, 1932-1934, 5 p.

« La crise du ravitaillement en URSS […] de plus en plus aiguë », 1, baisse des livraisons de céréales à l’état au 1er novembre 1932, fixées à 20,5 millions, seulement 11,4, 1; énormes exportations en 30-31, en valeur 19,9 et 19,4% total des exportations, d’où « de sévères restrictions pour le marché intérieur. » en 1932, à la fois « une aggravation du rationnement de la population soviétique » et « une considérable diminution des exportations », 1,3 million tonnes pour 10 premiers mois de 1932, contre 4,2 millions pour 10 premiers mois de 31, 2, cf. chiffres détaillés, 2-3, bref il s'agit d’« un véritable effondrement, notamment pour le blé et pour l’avoine » sauf maïs, et en 1932, importation de céréales de 137 145 tonnes accélérée en septembre-octobre où d'ordinaire l’exportation constitue « un appoint considérable pour la balance commerciale soviétique. », 3, et aggravation du rationnement de la population cf. ordonnances des 4 et 16 décembre 1932, et population livrée au marché libre où prix « exorbitants », 4, et ordonnance 27 décembre augmentant « la pression d’un système de contrôle administratif et policier dont le but avoué est d’évacuer des villes une partie de la population » : rétablissement du système des « passeports individuels qui avait été aboli au début de la révolution en tant que “méthode policière destinée à opprimer les masses laborieuses”. » sans doute l’évacuation a-t-elle lieu « dans les camps de concentration du Nord de la Russie ou les vastes étendues de la Sibérie. » 5 [Dejean ne fournit sur ce point aucune information].

Lettre 17 de Dejean à Paul-Boncour, Moscou, 17 janvier 1933, 47-51, 9 p.

Dejean dénonce (selon son habitude) « les conséquences funestes d’une politique effrénée de collectivisation agricole »

Lettre 17 du ministre de France en Finlande, Helsingfors, 11 février 1933, 60-61, 4 p.

Témoignage de l’ingénieur américain Henning Rowsing, « d'origine suédoise » de retour aux états-Unis via Scandinavie «  après deux années de séjour en Russie », au journal Hufvudstadsbladet, 1, sur « le manque de vivres et, en général, des objets nécessaires à l’existence. […] il n'y a vraiment bon marché que le pain qui, avec des concombres, et arrosé de kvass, forme presque l’unique nourriture du peuple. » Manque de tissus et chaussures; « mauvais état des lignes, manque de locomotives et de wagons » et problème du logement « dans les (2) grandes villes dont la population a beaucoup augmenté » 3,5 millions habitants à Leningrad, plus à Moscou.

« […] on ne peut nier que le régime n’ait fait faire au pays d’appréciables progrès, notamment au point de vue de l’instruction publique. Les écoles se sont multipliées, il y a peu d’illettrés complets dans la jeune génération : les théâtres et autres locaux de plaisir ou d’art sont toujours remplis, et surprennent par leur éclat. De nombreux bains publics ont été ouverts. La propreté des villes s’est aussi fort améliorée, mais les transports publics urbains, tout comme les chemins de fer, laissent encore beaucoup à désirer.

[…] l’ingénieur américain a paru vouloir se garder de toute appréciation sortant de la pure objectivité, et de nature à lui interdire un retour éventuel au paradis soviétique. Il n’a pas un mot de commisération pour les innombrables habitants des villes dont le refus de passeport fait, ipso facto, des hors la loi. Il ne dit (3) rien des transports vers les régions nordiques de populations entières du Sud de la Russie, de ce brassage systématique de races auquel paraît procéder en ce moment le Gouvernement soviétique, ni de cette reprise de déportations des paysans d’Ingrie qui inquiète et indigne depuis quelque temps leurs frères de Finlande. » et « aucune réflexion […] non plus » du journal. 4

Lettre 75 de Dejean à Paul-Boncour, Moscou, 15 mars 1933, 46, 2 p.

Multiplication des queues dans les grandes villes depuis l’ouverture début mars 1933 de « boutiques » pour la vente de pain et viande sans carte alimentation, à des prix « voisins de ceux du marché libre », 1, « cortèges longs de 150 à 200 mètres […] dès 5 heures du matin. »

Mais la situation est bien pire encore en Ukraine où « sévit actuellement la plus effroyable disette. On peut parler de véritable famine pour les districts ruraux. » et de « pénurie des denrées les plus essentielles » dans grandes villes comme Kharkov et Kiev. « Depuis l’automne dernier, les prix du marché libre ont monté de 100 à 150%. […] Des cas de cannibalisme ont même été signalés par les Consulats d’Allemagne et d’Italie. » 2

Lettre 93 de Dejean à Paul-Boncour, Moscou, 12 avril 1933, 62-3, 3 p.

« Des rapports alarmants » sont envoyés par les consulats allemands « sur la crise alimentaire qui sévit particulièrement en Ukraine, dans le bassin de la Volga et dans le Nord-Caucase. De nombreux districts seraient réduits à une véritable famine. » « ravitaillement […] de plus en plus difficile » à Kiev, Kharkov, Odessa et pénurie « même les magasins du Torgsin » [d’état] où achats contre or, argent et devises. « Harassée par les privations et décimée par la maladie, la population ne donnerait aucun signe de réaction. » On constate une situation d’« abondance » par comparaison à « Moscou et Leningrad » où pour « les ouvriers et employés », 1, sont maintenus « des prix abordables dans les coopératives ». Mais les prix sont exorbitants pour « toute quantité supplémentaire » au rationnement. Et « réapparition du chômage […] depuis quelques mois » avec perte consécutive de la « carte d’alimentation . » La presse soviétique est optimiste, « Mais, d' après les rapports circonstanciés reçus par l’Ambassade d'Allemagne, l’état des travaux agricoles serait déplorable, non seulement à cause de la (2) désorganisation des exploitations agricoles, mais encore du fait qu’il n'y a pas de semences, que le nombre des chevaux de labour a diminué d'une façon considérable et qu’enfin environ 75% des tracteurs sont hors d’usage » d’où prévision d’une récolte « pire encore que celle de 1932. »

Krestinski, commissaire adjoint aux Affaires étrangères, m’a dit qu’on allait « envoyer dans les stations de tracteurs, 60% des jeunes gens qui suivaient des cours préparatoires aux examens diplomatiques et consulaires. “C’est que nous vivons en temps de guerre”, a ajouté ce haut fonctionnaire. Il y a cependant lieu de douter que la science marxiste puisse remplacer le labeur des paysans arrachés à leurs exploitations par l’offensive effrénée de la collectivisation. » [11] (3)

Lettre 117 de Dejean à Paul-Boncour, Moscou, 3 mai 1933, 64-5, 3 p.

Extension du système des passeports en URSS, cf. détails sur la nouvelle ordonnance du 28 avril l’étendant à une série de villes ( après Moscou, Leningrad et Kharkov), « ainsi qu’à une zone de 100 km, considérée comme zone de sécurité, le long de la frontière occidentale de l’URSS. » 2

Lettre 459 d’André Corbin, ambassadeur à Londres, à Paul-Boncour, Londres, 25 juin 1933, 66, 2 p.

Publication par le Times du 12 juin de la lettre de Sabline, président du comité d’assistance aux réfugiés russes, ancien chargé d'affaires de la Russie (tsariste) à Londres, sur « la famine […] en Ukraine, en Arménie et dans d’autres provinces […] menace d’être plus grave encore qu’en 1921 »; mais pas d’appel du gouvernement soviétique « à l’aide des Puissances étrangères » car ce serait un aveu public « échec de sa politique agraire. » et confirmé par lettre de Kerensky de ce matin, 1, « en ajoutant certains détails », joint, lettre de Kerensky, « The State of Russia ».

« Bureau de presse ukrainien à Bruxelles », août 1933, ronéoté, 68 (parties en italique soulignées dans le texte)

[les « sources » ukrainiennes séparatistes sur la « famine » citées ici et ci-dessous ont constitué l’essentiel de la matière des courriers publiés du Foreign Office [12] ]

« L’Ukraine sous le joug de Moscou »

« Les horreurs de la famine de Ukraine », atroce « La misère est si grande que les hommes mangent les hommes. C'est ainsi que nous a arrangés le plan quinquennal.

La famine est due aux agissements des Moscovites », etc. « Toutes les mesures sont prises par les Soviets pour enlever, manu militari, aux paysans de l’Ukraine, les céréales, et les expédier en Moscovie ou à l'étranger. » d’où énorme solidarité des « Ukrainiens se trouvant hors de l’URSS […] Des comités de secours se sont constitués à Lwow [13] , à Prague et dans d’autres endroits de l’Europe. L’épiscopat gréco-catholique ukrainien [14] adresse une lettre “à tous les gens de bonne volonté” pour protester contre l’extermination par les bolchevistes “des petits et des miséreux, des faibles et des innocents”, et pour implorer l’aide pour l’Ukraine. Une Croix-Rouge ukrainienne est en voie d’organisation, une aide internationale à l’Ukraine est envisagée. »

Brochure de l’Association financière industrielle et commerciale russe [15] , 3 rue Nicolo, Paris, « Collectivisation du village en URSS », 69-83, 29 p.

Vision d’horreur, ainsi conclue : « Si le plan des communistes est réalisable, Staline obtiendra sous forme de blé l’arme la plus puissante pour l’attaque contre le monde capitaliste. » 29

Télégramme 1472 de François-Poncet, ambassadeur à Berlin, à Paul-Boncour, Berlin, 18 août 1933, 2 p., 84-85

Le Völkische Beobachter [16] du 18 août publie « sur la première page […] des photographies représentant des sujets russes réduits à l’état de squelettes » dans un article intitulé « Véritable visage de la Russie des Soviets – de quoi Hitler a sauvé l’Allemagne. »

+ « un article » p. 1 « consacré à l’enfer de la famine dans la Russie des Soviets » glose sur famine pire qu’en 1921-22, et sur l’insupportable plan quinquennal et son échec dans cet ancien « grenier de l’Europe », 1, etc.

Télégramme de Charles-Roux, ambassadeur auprès du Saint-Siège, très confidentiel, copie ronéotée sans numéro, Rome, 25 août 1933, 86, 1 p.

Charles-Roux a demandé des explications à Mgr d'Herbigny [17] sur « l’appel » du cardinal archevêque de Vienne Innitzer « à la charité publique pour secourir les victimes de la famine en Ukraine et au Caucase […].

Les Allemands auraient suggéré au Pape de lancer lui-même cet appel en l’adressant à toute la catholicité. Le Souverain Pontife aurait refusé, pour ne pas s’exposer au reproche de faire cause commune avec les Hitlériens contre le communisme. Mais il aurait laissé les évêques libres, en chaque pays, d’agir à leur guise [18] . En Allemagne se serait alors organisée une entreprise de secours matériels pour les Allemands de Russie; en Galicie orientale, les Polonais en auraient fait autant pour les Ukrainiens d’Ukraine. Enfin le Cardinal Innitzer aurait pris, à Vienne, l’initiative moins limitée qui vient d’être annoncée.

J’ai demandé à Mgr d'Herbigny si le Cardinal Innitzer s’y était décidé d'accord avec le Saint-Siège. Il m’a répondu que non.

Cela me paraît difficilement admissible. Il me semble peu probable qu’un membre du Sacré Collège ait pris sur lui de lancer un appel à la charité en suggérant une organisation internationale de secours par les soins de la Croix-Rouge et faisant allusion à des conditions à poser au Gouvernement russe. »

Lettre 335 de Charles-Roux au ministre des Affaires étrangères, Rome, 28 août 1933, 87-8, 3 p.

Article d’Innitzer publié dans l’Osservatore Romano [19] du 24 août, et l’Osservatore Romano du 23 août « avait donné déjà des informations alarmantes sur la famine en Russie » avec des détails sur la cannibalisme, etc. « Toujours d' après ces mêmes renseignements » d'abord publiés par l’écho de la Bourse de Bruxelles, « empreints d’une certaine exagération, à en juger par les intéressants rapports de notre Ambassadeur à Moscou, plus du tiers de la population de l’Ukraine aurait succombé à la faim, et, pour que les survivants puissent subsister, 15 à 20 pour cent de la population devait encore disparaître. »

Cf. glose d’Innitzer dans son appel sur cannibalisme, et appel à la Croix-Rouge internationale « mais […] aussi adressé à tous ceux qui négocient aujourd'hui en vue de nouer des relations économiques avec l’Union Soviétique […] afin que soit maintenu le principe de faire dépendre ces négociations d’un éclaircissement (chiarificazione) général sur la nécessité de venir en aide aux diverses régions de la Russie et de l’acceptation par l’Union Soviétique de ladite clause humanitaire.” »

Le Vatican soutient la thèse de sa non initiative auprès d’Innitzer, mais Charles-Roux la juge « peu plausible » : Innitzer s’est « au moins concerté avec le Saint-Siège avant d’émettre des propositions telles que la demande d’un “éclaircissement général” sur les causes et l’étendue de la famine. Cela signifie sans doute une “enquête générale” sur la situation économique de la Russie. » 2

Bref, « il est vraisemblable que les nouvelles précisions qu’il a données sur la famine en Russie, comme celles d'ailleurs figurant dans l’écho de la Bourse, dans l’Osservatore ou dans La Croix [20] , ont été puisées au service des Affaires russes du Vatican. »

PS. « La Croix du 22 août en publiant un court résumé » de l’appel d’Innitzer, « avait donné cette information supplémentaire, qui ne figure pas dans le journal pontifical : “ le Cardinal Innitzer annonce la création à Vienne d’un comité de secours interprofessionnel sous son patronage”. » 3

Août 1933, « Note sur les caractères généraux et la situation présente de l’économie soviétique », ronéoté, 89-150, 52 p. + tableaux

Télégramme de Rome Vatican, 1er septembre 1933, 1 p. 151

Sur d'Herbigny, etc. « M. Charles-Roux pense que le Cardinal de Vienne a agi d'accord avec le Saint-Siège. »

Lettre 267 de Charles Alphand, ambassadeur à Moscou, à Paul-Boncour, Moscou, 13 septembre 1933, 152-5, 7 p.

« Invité officiellement par le Gouvernement soviétique à participer au voyage » d’Herriot au Sud URSS, « six jours en Ukraine et dans le Caucase du Nord […].

Ce voyage fut […] l’occasion de manifestations les plus flatteuses à l'égard de la France. » qui a reçu les applaudissements unanimes de la foule soviétique partout, « sans […] jamais remarquer une note discordante. » 1 « Le fait seul qu’on les ait permises ou même provoquées montre le souci des Gouvernants de marquer leur désir de rapprochement avec la France.

Nous avons visité, outre les musées et les anciens monuments, le plus grand nombre possible d’usines et d’exploitations agricoles. » Alphand émerveillé par « le Dnieprostroï » où se trouve désormais « l’usine hydroélectrique la plus importante d’Europe. Sur une steppe russe il y a quatre ans, s’élève aujourd'hui une ville de 150 000 habitants, dont 40 000 ouvriers. » L’ambassadeur fournit ensuite des détails sur ses activités; sauf pour l’aluminium (1/6 « du plan prévu »), les usines sont encore en phase d’équipement et la production n’atteindra son « plein rendement que dans trois ou quatre ans, d' après les techniciens que j’ai pu approcher. » Visite des usines de panification à Kiev, de turbines et tracteurs à Kharkov, machines agricoles, cf. faucheuses-batteuses à Rostov, roulements à billes et moteurs à Moscou. « En rapprochant ces constatations des renseignements déjà fournis au Département sur les industries formidables de l’Oural (Magnitogorsk et Kouznietsk), sur les projets hydroélectriques de la Volga et de la Sibérie, sur les usines de Gorki et de Leningrad, on voit l’effort industriel énorme du Gouvernement des Soviets. étant donnée la situation particulière de l’URSS, seul pays du monde qui soit en progression, ce développement ne peut nuire aux industries (2) européennes qu’en leur fermant le marché russe, car les facultés d’absorption de ce marché sont si grandes qu’il se passera 50 ou même 100 ans avant que les Soviets atteignent le point de prospérité les obligeant à déverser à l'étranger un surplus de production qu’ils n’absorberaient pas eux-mêmes. » Mais maintien d’« un grave problème […], celui des transports » : insuffisance du « réseau ferroviaire et routier […]. C’est dans cette voie […] que nous pourrions envisager une collaboration franco-soviétique.

En dehors de la question industrielle, une impression se dégage d’un voyage en URSS, celle d’un effort dans la construction de logements pour une population qui en dix ans s’augmente de la population de la France. à Moscou comme à Leningrad de grandes maisons ouvrières s’élèvent à vue d’œil presque dans chaque rue, mais la réussite la plus grande au point de vue de l’urbanisme se fait jour à Kharkov où en quatre ans une ville entière d’aspect nettement américain s’est édifiée à côté de la ville ancienne.

Enfin une des parties les plus importantes de notre tournée a été la visite des organisations soviétiques en Ukraine et dans le Caucase du Nord, le centre même des territoires où , d' après les récentes campagnes de presse, régnait une famine comparable à celle de 1922.

Vous verrez, m’avait-on dit, qu’au dernier (3) moment cette partie du voyage sera supprimée; on ne vous conduira pas dans cet enfer de la misère. Pour nous faire rencontrer à Moscou M. Molotov, qui partait en congé, on a supprimé du programme l’excursion de Crimée qui présentait un caractère plus particulièrement touristique; le voyage en Ukraine s’est déroulé normalement. Nous avons traversé de part en part, dans les deux sens, en chemin de fer, cet immense champ de céréales aux cultures interrompues à perte de vue, à l’humus noir épais où l’engrais est inutile. Nous avons, à 60 et 70 km des villes, visité des kolkhoz et un sovkhoz, et nous en revenons avec l’impression très nette de la fausseté des nouvelles répandues dans la presse et la conviction que j’esquissais dans ma correspondance d’une campagne inspirée par l’Allemagne et les Russes blancs désireux de s’opposer au rapprochement franco-soviétique.

Avant de parcourir ce pays, j’ai pu moi-même me faire l’écho de ces racontars colportés par les ennemis du régime, j’ai aujourd'hui la certitude de leur exagération.

Sans doute, nous dira-t-on, les Slaves, depuis Potemkine [21] , ont un sens merveilleux de la mise en scène, on ne vous a montré que ce qu’on voulait que vous vissiez, comment voulez-vous, dans une excursion d’une semaine, ne parlant pas le russe, vous rendre compte de l’état d’une contrée d’une aussi vaste étendue? Nous avons néanmoins regardé par les fenêtres durant ce trajet de plus de 3 000 km, on n’a pas pu entièrement truquer la population qui nous a paru en meilleur état physique et d’habillement que celle des villes du Nord d’où nous venions. Notre auto a manqué d’écraser des poules de plus de quatre mois; nous avons aperçu l’étendue de ces champs qui viennent de donner une récolte que tous s’accordent à trouver exceptionnelle. Si vraiment des millions d’hommes étaient (4) morts de faim dans ces contrées, les malheureux eussent mangé leurs poules avant de songer à se nourrir de cadavres. Il eût fallu des millions de soldats pour les empêcher de manger les semences.

Que disent à ce sujet les autorités que nous avons interrogées? L’an dernier a eu lieu en effet un épisode des plus graves de la Révolution pour l’application du régime collectiviste à l’agriculture. Dans ces régions particulièrement riches, nous avons eu à lutter contre les paysans riches qui ne cultivent pas eux-mêmes leurs terres mais utilisent des salariés; contre ces koulaks plus ou moins ouvertement soutenus par l’Allemagne qui mène en Ukraine sa campagne séparatiste. Dans l'espoir de troubles graves, ces éléments contre-révolutionnaires sont tentés de susciter la grève des bras croisés.

Il en est résulté une diminution de la production des céréales qui à un moment a menacé sérieusement Moscou et a entraîné non seulement de graves difficultés dans les régions où le sabotage de la récolte avait été organisé, mais encore l'obligation de restrictions importantes dans les distributions de vivres. On a eu faim, c’est hors de doute. Mais par une action énergique du pouvoir central, action combinée de la police et des éléments politiques communistes, grâce à certaines concessions données à l’intérêt personnel (propriété d’une vache et des produits des jardins), la situation a pu être rétablie durant ces derniers mois et Staline, selon un mot de Radek [22] , […] a gagné sa bataille de la Marne agraire.

Deux exemples typiques de cette campagne (5) et des difficultés […] nous ont été données par M. Kalinine [23] que nous interrogions sur cette grave question de la famine. » Il nous a donné l’exemple de la commune de Tver « qui porte aujourd'hui mon nom, il y a trois kolhozes. Le premier a fort bien travaillé, a fait une bonne récolte et ses membres ont touché de bons bénéfices; le second a joint les deux bouts; mais le troisième, sous l'impulsion de nos adversaires, a saboté la récolte et ses adhérents ont risqué de mourir de faim. Sur ma demande, le Gouvernement leur a fait parvenir du secours. Je me suis, de ce fait, attiré l’animosité des deux autres kolhozes qui pensaient que ce n’était guère la peine de se donner du mal si, en ne faisant rien, on obtenait néanmoins sa subsistance.

[…] le second exemple de M. Kalinine est le suivant : l’an dernier on a manqué de lait à Moscou en en restreignant néanmoins la distribution aux enfants et aux ouvriers employés à des travaux nocifs. Or la personne chargée de la distribution du lait était précisément le gros négociant d’avant-guerre qui assurait le même service sous le régime tsariste. Le Président Kalinine fit appeler ce fonctionnaire pour lui demander comment avec une quantité double de lait il n’arrivait pas à fournir les catégories restreintes ci-dessus indiquées. L’intéressé n’eut pas de peine à lui montrer que la quantité était aujourd'hui insuffisante parce qu’auparavant le lait était le privilège de la classe noble et riche de Moscou.

Augmentation considérable des besoins, résistance politique d’éléments réactionnaires, telles sont les causes du (6) déséquilibre qui révolte nos esprits occidentaux mais qui paraissent naturels à l’esprit slave fataliste qui, peu soucieux des intérêts immédiats individualistes, reste tendu sur l’accomplissement du large programme qu’il s’est assigné. » 7

Documents de propagande de la Fédération européenne des Ukrainiens de l’étranger, transmis par lettre du secrétaire général et du secrétaire au ministre des Affaires étrangères français, Bruxelles, 27 septembre 1933, 1 p., 156

« Mémorandum sur la famine en Ukraine », 157-9, 3 p.

sur l’extermination de la population ukrainienne, et les conditions à imposer à URSS pour l’octroi de tout secours, la liberté totale d’intervention pour les missions de secours [24] , 3

Bulletin du bureau de presse ukrainien, 42 rue Denfert-Rochereau, 28 septembre 1933, 160-6, 7 p., ronéoté.

cite notamment « deux articles » de Mlle Suzanne Bertillon [25] dans Le Matin sur « la tragédie de l’Ukraine […] a pu interviewer de simples paysans ukrainiens notamment Martha Stebalo et son mari » couple expatrié depuis 1913 et établi aux états-Unis mais dont la famille serait en Ukraine [26] , etc., 1, développement sur leur voyage en Ukraine en 1932, 1-2, où ils ont vu s’accumuler les « morts de faim », etc. La famine est organisée par les « autorités […] les plus acharnées à nous détruire. On veut nous faire périr, c’est une famine organisée. La moisson n’a jamais été aussi belle, mais il nous est interdit d’y toucher. Si nous sommes surpris coupant quelques épis c’est la geôle ou la fusillade, et dans la geôle, au bout de trois semaines, on meurt d’inanition […] des scènes épouvantables, elle parle de l’acharnement avec lequel les affamés se jettent sur la nourriture, des cris des enfant que la faim empêche de dormir. Elle cite également des cas de la folie et d’anthropophagie… » 2

cite article du Journal de Genève “L’Ukraine point névralgique” sur le « calvaire » des paysans ukrainiens, 3, « […] le régime soviétique ne s’appuie plus en Ukraine que sur le Guépéou et les baïonnettes. Les communistes eux-mêmes se sont tournés contre lui. » etc.

cite articles sur Ukraine « de nombreux journaux suisses, allemands, anglais, belges et autres » et même « certains journaux français » Journal des Débats, Dépêche Toulouse, Matin, Ordre, et cite Pierre Veber dans le Candide du 14 septembre qui veut faire intervenir la SDN, et tonne contre « les journaux qui rapportent ces horreurs nous montrent, en première page, la signature des traités franco-et italo-soviétiques! » et glose sur « notre monde “qui se prétend civilisé” » et son “pharisaisme (sic)”, 4

cite les articles du docteur Ewald Ammende, secrétaire du congrès des minorités nationales, de Vienne, dans la Reichspost et dans journal ukrainien Dilo de Lwow, et même glose.

Cite l’appel d’Innitzer sur « des centaines de milliers, des millions même, d’êtres humains sont morts de faim » en « ces quelques derniers mois, en Russie des Soviets », témoignages « dont la véracité ne peut être mise en doute », etc. et il « cite l’appel du Métropolite Szepticky, le mémorandum du docteur Ewald Ammende, 5, etc., et les interventions d’Innitzer sur le silence impossible « au moment même où les populations de l’URSS sont en proie à la famine et de ses conséquences : infanticide et cannibalisme » et « lance un appel ardent au monde civilisé pour organiser un secours aux affamés et avant tout au comité international e la Croix-Rouge.

Cette démarche du cardinal Innitzer a produit une grande impression parmi tous les Ukrainiens profondément touchés […] »

Cite appel église gréco-catholique ukrainienne, signé de Szepticky « et tous les évêques » de ce clergé.

Cite appel Haut conseil réfugiés ukrainiens et création comité international secours à Ukraine, etc., 6

Et glose sur initiative des « Ukrainiens de Galicie », « manifestation ukrainienne à Cernauti en Roumanie » prévue 28 août, mais empêchée par autorités « craignant une protestation du côté de l’URSS »

Comité secours Prague et Bruxelles

« congrès européen des minorités et la famine en Ukraine », 7

Télégramme 814-6 de Massigli, représentant de la France à la SDN, Genève, 29 septembre 1933, ronéoté, 167-9, 3 p.

Le délégué norvégien à SDN Mowinckel (président du Conseil de la SDN) évoque les pétitions reçues « d’organisations ukrainiennes de Pologne, des états-Unis et du Canada » et « d’organisations charitables […] sur la famine en Ukraine »; mais il ne veut pas « inscrire la question à l’ordre du jour sans y être préalablement autorisé par une décision du Conseil »; le conseil a été réuni « en séance secrète »; il « n’a pas dissimulé les difficultés (1) de l’entreprise […] et il a confessé que Mme Kollontay [27] qu’il avait rencontrée à Oslo niait formellement l’existence de la famine », donc il « suggérait que le Secrétaire général s’enquière discrètement et amicalement auprès du Gouvernement soviétique de l’existence de cette famine. »

Les délégués et le secrétaire général « lui-même » arguent « qu’une démarche » même « officieuse […] aurait un caractère politique du fait qu’elle émanerait de la SDN, risquerait de se heurter à une dénégation formelle (2) des Soviets et d’irriter ceux-ci sans résultat contre l’institution de Genève. » Paul-Boncour a proposé d’« orienter la question sur une organisation purement philanthropique telle que la Croix-Rouge […] » formule d’une lettre du président Conseil SDN « à la Croix-Rouge internationale » acceptée par le Conseil, etc. 3

Télégramme confidentiel 822 de Massigli, Genève, 30 septembre 1933, ronéoté, 170, 1 p.

En fait, l’intérêt de la Norvège pour les « questions ukrainiennes » s’explique « par le fait que des ressortissants norvégiens se seraient fait accorder en Ukraine soviétique du vivant du Docteur Nansen [28] des concessions notamment de terrains miniers au sujet desquels ils seraient en ce moment en difficultés avec le Gouvernement de l’URSS. »

Demande « faire vérifier discrètement cette information par notre Ambassadeur à Moscou. » en marge, au crayon rouge, « fait »

Cf. lettre 467 du ministre des Affaires étrangères à Alphand, 12 octobre 1933, 174, 1 p.

Demande de renseignement sur ce dossier

Lettre 161 du Chayla, chargé d'affaires en Norvège, à Paul-Boncour, Oslo, 5 octobre 1933, 171, 1 p.

Transmet interview Mme Kollontay, « actuellement Ministre de l’URSS en Suède, […] au journal travailliste norvégien l’Arbeiderblad » après son « séjour à Oslo où elle a conservé beaucoup d’amis »

Traduction texte interview Arbeiderblad du 30 septembre 1933, 172-3, 4 p.

Mme Kollontay nie la famine mais évoque « le problème des transports », route et chemins de fer, 1, et invoque « la valeur » d’information venues « soit de Riga, soit de Berlin. », le sabotage de certains paysans en 1932, 2, mais le loyalisme l’emporte cette année, où « il n'est plus question de famine. » Elle insiste sur les énormes besoins de consommation soviétique (cf. 2, paysans naguère les pieds dans des chiffons, d’où problème aujourd'hui approvisionnement en chaussures), d’où besoin soviétique importations massives, et non « pas » aspiration « à nous isoler de l’étranger. » Elle mentionne les « relations […] excellentes avec les pays scandinaves, avec la France et avec tous les pays avec lesquels nous avons conclu des pactes de non-agression » et « des conventions spéciales avec l’Italie et avec la France. » 3; les rapports avec Allemagne sont « tendus en ce moment, mais nous faisons tout notre possible pour éviter tout ce qui pourrait les envenimer. » 4

Note manuscrite sans référence, 20 octobre 1933, 175, 1 p., in extenso

« M. de Fontenay [29] , sur avis de M. de Robien, est venu demander des informations sur le Comité d'organisation de secours aux affamés de l’Ukraine dont il avait été sollicité d’accepter la présidence d’honneur. Il a indiqué que cette demande lui avait été faite par le prince Tokary.

En raison des conditions actuelles, des susceptibilités polonaises et soviétiques en matière ukrainienne, et de la personnalité même du prince Tokary (connu pour ses opinions d’extrême droite et qui fut associé à l’action de Petlioura et de Skoropadski [30] ) il a été indiqué à M. de Fontenay qu’une grande prudence paraissait opportune.

M. de Fontenay a décidé de refuser la proposition qui lui était faite. »

Lettre 299 Charles Alphand à Paul-Boncour, Moscou, 24 octobre 1933, 176, 2 p.

J’ai interrogé Molotov sur le problème des « concessions norvégiennes » éventuelles « en Ukraine » et il a nié tout rapport avec relations générales URSS-Norvège. « Il estime que l’intervention de M. Mowinkel – dont d'ailleurs il se montre peu satisfait – est uniquement motivée par les fonctions du Président M. Mowinkel au Conseil de la Société des Nations » et « pense […] que les récentes élections en Norvège peuvent l’écarter prochainement de Genève. »

« J’ai posé les mêmes questions au ministre de Norvège qui m’a répondu que le Docteur Nansen avait utilisé une partie provenant des fonds du Prix Nobel qui lui avait été attribué (1-2) à la création de fermes modèles en Ukraine »; mais ces « concessions […] sont arrivées à expiration et conformément au contrat ces fermes ont fait retour à l’état. Il n'y a donc eu aucune difficulté à ce sujet. » La seule autre concession, « normalement » appliquée, est celle « de pêcherie de phoques dans la Mer Blanche. » 2

Lettre du président intérimaire du Comité d'organisation de secours aux affamés de l’Ukraine à l’ambassadeur Peretti de la Rocca, Paris, 20 octobre 1933, 178, 1 p.

« Monsieur l’Ambassadeur de Panafieu qui est membre du comité central de la Croix-Rouge française et par conséquent ne peut occuper de poste dirigeant dans notre Comité, nous engage vivement à prier Votre Excellence de bien vouloir prendre notre œuvre sous sa protection et d’accepter la présidence de notre Comité » qui « s’est assuré déjà le patronage des cardinaux et d’autres personnalités et l’énergique appui de l’archiduc Guillaume d’Autriche, cousin germain du Roi Alphonse XIII, qui se joint à nous pour prier Votre Excellence de bien vouloir accepter la présidence de notre Comité », et cf. notre « réunion plénière » sans date « dans une dizaine de jours », etc.

transmis avec lettre manuscrite de Peretti de la Rocca à « mon cher ami » en marge au crayon « urgent. M. Rochat », 25 octobre 1933, 177, 1 p.

Je n’accepterais « que si le Département y voyait un avantage évident. »

notice biographique du prince Tokary, manuscrite, de la même main que supra, « cl. (sic) [31] 7 novembre 1933 », 179

né 24 juin 1885 en Ukraine, « arrive en France le 9 novembre 1924.

Ancien propriétaire foncier en Ukraine, connu pour ses opinions d’extrême droite. A pris part au mouvement national ukrainien sous la dictature de l’hetman et qui fut associé à l’action de Petlioura et de Skoropadski, a été envoyé à ce titre comme Conseiller de la légation ukrainienne à Vienne.

après le retour des bolcheviki (sic) en Ukraine, s’est réfugié à Varsovie où il a participé à la conclusion du traité conclu en 1920 entre la Pologne et Petlioura. Attaché à la personne de ce dernier, fut alors Ministre des Affaires étrangères du “front ukrainien”, puis ministre adjoint.

était (? illisible) (1930) président de l’association des Anciens combattants ukrainiens. “Renseignements favorables en privé”. Secrétaire général du Cercle d’études ukrainiennes (61, bd Saint-Germain). »

Note dactylographiée, sans référence, 7 novembre 1933, 180

Reprend les mêmes thèmes que ceux des deux manuscrits sur le prince Tokary.

« Il semblerait donc que les organisateurs ukrainiens de ce Comité paraissent poursuivre en l'espèce un but plus politique qu’humanitaire. […] Il y a lieu de noter, en outre, que si, en dépit des dénégations soviétiques, une forte disette paraît s’être effectivement manifestée en certaines régions de l’Ukraine, notamment au moment de la “soudure”, la gravité semble en avoir été vivement exagérée et exploitée par une campagne (de source allemande, semble-t-il) hostile au régime soviétique. Enfin la situation sous ce rapport paraît s’être sensiblement améliorée depuis les récoltes.

Enfin, en présence des susceptibilités tant soviétiques que polonaises à l'égard de toute activité ukrainienne, une certaine réserve paraît dans les conditions actuelles particulièrement opportune en ce domaine. »

Réunion du 21 novembre 1933 de la Commission des affaires étrangères, ronéoté, 184, 1 p.

« La France et la Russie »

rapport du Sénateur de l’Isère Serlin « très circonstancié et très vivant des impressions […] de ce voyage en Russie […] en compagnie de M. édouard Herriot et de divers autres membres du Parlement français ».

Il « a montré les transformations sociales accomplies par le régime actuel dans le sens de la double formation d’une élite fondée sur le mérite personnel et d’une classe moyenne recrutée dans les masses ouvrières;

Les usines, nombreuses et géantes, fonctionnent à plein rendement : il n'y a pas de chômage en Russie.

L’électrification, l’aviation et les voies fluviales sont poussées avec une activité fiévreuse.

Moscou et Kharkov sont d’immenses chantiers de constructions.

L’enseignement et le service sont obligatoires. Le service militaire actuel est de deux ans pour les armes ordinaires, de trois ans pour l’aviation et de quatre ans pour la marine.

L’enseignement supérieur scientifique et artistique est très développé.

Les moyens de transports laissent à désirer. Il en est de même de la voirie. […] “la Russie est une ferme et une usine travaillant à feu continu. La collectivité, dirigée dictatorialement, n’épargne aucun effort, aucun sacrifice, pour réaliser à la fois une industrie et une agriculture adaptées à une nation de 165 millions d’habitants”.

Le dynamisme de la jeunesse est dominé par une mystique de la science et de l’industrialisation appliquée à la masse. »

Remerciements du président de la Commission des affaires étrangères Henry Bérenger, et « nombreuses questions […] posées par » Général Bréguet, Yves Le Trocquer, Eccard, Dalbiez, Fernand Merlin, François Labrousse et Albert Fouilloux. »

Décision d’impression de la communication Serlin à « porter à la connaissance du Gouvernement. »

Lettre 221 de Jean Payart, chargé d'affaires [32] , à Louis Barthou, 3 juin 1934, 243-251, 9 p. (non paginé)

« perspectives […] médiocres » de la prochaine récolte céréales, mais sans doute « les Soviets » pourront-ils « prévenir » la « famine », « la situation économique générale » s’améliore : cf. excédent balance commerciale, et « la production de l'or serait en accroissement constant » et l’URSS en importera si nécessaire, comme déjà fait « d' après la presse anglaise, […] en Australie et en Nouvelle-Zélande. » 3, Forte hausse des prix du pain, de « près de 100% […] à Moscou », donc hausse des salaires, 4, cf. tableau 4-5, et détails, 5-7, risque d’« inflation dangereuse », mais l’état est maître de tout, prix, etc., 8

Lettre 9236 du Ministère de l'Intérieur au ministre des Affaires étrangères, confidentiel, Paris, 16 août 1934, 1 p., 252

Transmet « une note n° 9263 […] de mes services »

Jointe, P. 9263, Paris, 11 août 1934, 2 p., 253-4

D' après « un correspondant qui occupe une haute situation à Shangaï » allé en URSS, des « progrès de tous ordres » ont été accomplis en « trois ans ». D' après lui « on a maintenant […] une impression d'ordre que l’on était loin d’éprouver il y a quelques années. La prospérité visible a aussi augmenté considérablement. Les gens sont mieux vêtus et l’on n’aperçoit plus les queues interminables » de « jadis. Dans la banlieue des grandes agglomérations se construisent des villas qui contrastent heureusement avec les grandes maisons communes que le nouveau régime édifiait naguère exclusivement […] on a tout lieu de croire […] que les progrès industriels sont en rapports (sic) avec les progrès sociaux remarqués. Ils auraient permis de donner une assise sérieuse à la puissance militaire de l’URSS maintenant redoutable. » 1

Situation dont les Japonais sont conscients et qui « est de nature à les faire hésiter à entamer une lutte dont l’issue serait certaine. C’est pourquoi leur expansion paraît s’orienter de plus en plus vers la Chine. » 2

7 N 3121, URSS, rapports des attachés militaires, 1933-1934

Lettre Colonel Mendras 23, au Ministre de la Guerre, Moscou, 13 juillet 33, 2 p. (parties en italique soulignées dans le texte)

« compte rendu d’entretien avec le Docteur [Otto] Schiller », (glose allemande, du ton habituel de la campagne de Berlin et rien de plus… source, également, dans l’op. cit., des Anglais, qui se trouvent dans la même situation que les Français)

éloge sur les qualités remarquables de l’« attaché agricole à l’ambassade d'Allemagne à Moscou, le Docteur Schiller », etc., etc., cf. « un copieux rapport » sur son « voyage de trois semaines en Ukraine » communiqué au colonel Mendras, et sa glose sur les « plusieurs millions d’hommes qui seront morts de faim cette année. […] nouvelle famine » d’« un caractère tout particulier, du fait de l’habileté férocement asiatique, avec laquelle les Bolcheviks l’ont exploitée. Lorsqu’en décembre dernier, ils ont pu se convaincre que la famine devenait inévitable, ils ont décidé de la “diriger” (1) grâce aux prélèvements massifs opérés par l’état sur les récoltes et de l’utiliser », pour

« 1° se débarrasser de tous les éléments de la population hostiles au régime ou simplement gênants, en répartissant la famine dans les régions où dominaient ces éléments : Ukraine, Caucase du Nord, Sibérie occidentale […] parmi les plus fertiles de l’Union […] J’ai pu me rendre compte de visu que l’irréductible sentiment d’indépendance des Cosaques du Nord-Caucase était aujourd'hui définitivement aboli – par voie d’anéantissement, des villages entiers étant maintenant déserts. Les velléités de séparatisme manifestées par l’Ukraine ont subi le même sort.

2° obliger le paysan à travailler […]. Cette méthode radicale a d'ailleurs produit des résultats indéniables. Mon dernier voyage m’a permis de consacrer que la révolte en Ukraine s’annonçait nettement meilleure que celle de l’an dernier. » 2

Jointe, traduction rapport Schiller, février 1933, 124 p.

une étude économique et géographique générale, tirée des statistiques et de la presse soviétiques, qui ne contient rien sur ce qui nous intéresse, et dont ressort un véritable déchaînement contre la collectivisation, et sur la « situation critique » agriculture soviétique (j’ai renoncé à l’annoter, mais vous disposez de la « source »).

Lettre du Colonel Mendras au Ministre de la Guerre, Moscou, 20 octobre 33, 14 p. « Compte rendu de voyage en Ukraine » (dont il est aisé de relever les multiples antagonismes, internes et compte tenu de ce qui précède)

« Sur la famine, que l’exagération et la source même de certains renseignements m’avaient induit pendant longtemps à mettre en doute, j’ai recueilli sur place des précisions indiscutables. à Bogatchka (Ouest de Poltava), l’un des coins des (sic) plus riches – comme son nom même l’indique – d’une des région les plus fertiles du monde, on m’a affirmé qu’au printemps nombre d’habitants avaient été réduits à manger de l’herbe et des feuilles d’arbres. On m’a cité tel village, où une centaine de personnes étaient mortes de faim et un paysan m’a dit estimer (6) à deux mille le nombre des décès causés par la famine dans son rayon » équivalent « d’un arrondissement français », mais a refusé honnêtement gloser « sur les rayons voisins, qu’il connaissait mal » et « a ajouté que son artel (communauté agricole) avait dû assurer la récolte dans un village voisin, Kravtchenko, presque entièrement dépeuplé. » et « sur la route de Moscou à Kiev, j’ai rencontré plusieurs familles qui émigraient en Ukraine où elles avaient entendu dire qu’il y avait une belle récolte et personne pour la rentrer. » (et c’est tout… j’ai cité tous les cas)

paysans ne donnent « que des réponses évasives […] sur le principe même de la collectivisation », mais intarissables « pour vitupérer l’état, auquel il faut tout donner et qui ne vous laisse rien, ni pour manger, ni pour nourrir le bétail. » 7

à Kiev et Kharkov, « un effort d’urbanisme évident » dont « des résultats grandioses […] déjà […] à Kharkov […], mais une population d’aspect extérieur uniformément misérable et dans les coins écartés, pas mal de loqueteux […] Il faut mettre à part Berditchev, métropole juive, prodige de misère et de saleté, qui offre une spectacle véritablement hallucinant. (8)

La campagne ne m’a pas fait mauvaise impression. » paysans l’air toujours misérables, « portent la plupart de lamentables défroques » et chaumières semblent « sur le point de tomber en ruines. » mais pas neuf… « Par contre, en Ukraine, surtout dans la région de Poltava, on rencontre beaucoup de villages riants, donnant au moins l’illusion de l’aisance avec leurs maisonnettes blanchies à la chaux et leur église fraîchement peinte de couleurs claires. Partout des enfants, beaucoup d’enfants, allant sagement en classe avec leurs livres sous le bras. La famine semble déjà loin, ou du moins pour le passant, il n’en reste plus de signe extérieur apparent dans ces hameaux où vaguent en liberté poules, porcs, oies et canards. » mais le plus frappant est « l’extraordinaire richesse du sol » des « régions des Terres noires […] cette Beauce qui se développe à perte de vue, sur des centaines de km. Et quand on songé que des milliers [souligné par moi] d’hommes ont pu mourir de faim sur cette terre bénie, on comprend à la fois l’aveugle puissance de l’esprit de système déchaîné chez un Staline et l’effarent inertie du paysan russe. »

Sur le séparatisme, information pas possible « Je dois cependant noter l’accueil véritablement triomphal fait par Kiev, le 1er octobre, à Vorochilov venu en inspection avec Boudenny, (9) Egorov et Iakir. » et détail sur « une de ces journées populaires que les Bolcheviks organisent périodiquement avec un sens étonnant de la mise en scène.

[…] Entre la Russie, la Pologne et l’Allemagne, l’indépendance d’un pays aussi riche que l’Ukraine ne peut être qu’une fiction, et les séparatistes sont éternellement voués à cristalliser leurs rêves autour d’une intervention étrangère, polonaise ou germanique. Là gît la condamnation d’un mouvement qui sera toujours réduit à s’appuyer sur les utopies des intellectuels ou les appétits des aventuriers. » 10

France quasi inconnue, 10, Allemagne pas aimée mais admiration, et cf. importance de leurs consulats, « un cadre tout prêt à reprendre les tradition interrompues », qui « a d'ailleurs des auxiliaires et des informateurs bénévole disséminés un peu partout et jusque dans les colonies allemandes, pourtant intégrées depuis plus d’un siècle dans l’Empire russe. J’ai pu moi-même constater que le Consul allemand de Kiev entretenait des relations suivies et intimes avec nombre de colons, particulièrement ceux de Korostychev, gros village sis à 30 km à l’Est de Jitomir et où la méthode et l’application germaniques tranchent sur tout le pays environnant. » 11

Bilan « Les Bolcheviks ont fait un effort colossal (11) dans le domaine de industrie, où ils ont obtenu des résultat substantiels et même, dans certaines branches, étonnants. Tout n'est certes pas parfait. » cf. maintien retard des transports par rapport au « rythme accéléré de l’industrie lourde […] Un gros effort d’équipement et d’organisation s’impose, les dirigeants s’y résoudront forcément un jour peut-être prochain – nous devons en être avertis pour ne pas laisser passer l’occasion d’y coopérer.

Malgré tout, l’œuvre accomplie force l’admiration, d'autant plus qu’elle l’a été au prix des lourdes privations, que les chefs, imbus d’une mentalité de guerre, ont imposées au pays sans sourciller. » et cf. rupture « brutalement l’équilibre de la production nationale » par l’ébranlement des « fondements de l’agriculture […] déclenchant ainsi la crise la plus grave que la Russie ait subie depuis la Révolution. », 12 puis glose très idéologique sur sens combat contre les koulaks, 12-13, et sur crise paysannerie, 13. « Face à la crise, les Bolcheviks (13) ont réagi avec une énergie farouche […] tous les moyens ont été bons pour forcer le paysan à travailler, la famine même a été dirigée pour punir les paysans. » et certitude « récolte cette année […] suffisant sinon pour supprimer les difficultés alimentaires, du moins pour écarter le danger d’une famine générale. » et conclut sur « le sphinx » paysan. « Cette énigme, nul ne peut dire si les Bolcheviks la résoudront ou s’ils seront dévorés petit à petit par le Sphinx. » 14

La question ukrainienne dans la stratégie et la tactique allemandes de 1933

Europe URSS 1918-1940, vol. 985, relations Allemagne-URSS, juin 1932-mai 1933,

Télégramme 440 confidentiel de François-Poncet, Berlin, 16 mars 1933, ronéoté, 148-50, 3 p. [éclairé par la correspondance du SHAT citée infra]

Vinogradov [alors conseiller de l’ambassade soviétique à Berlin] a tenu « certains propos intéressants » à « l’un de mes collaborateurs »; il lui a dit que Chintchuk [ambassadeur de l’URSS à Berlin] s’attend à une convocation « en audience particulière par M. Hitler », jusqu'ici accordée seulement, et deux fois, pour l’ambassadeur italien, Cerruti. « C’est sous la pression des milieux économiques et industriels intéressés aux échanges commerciaux avec la Russie, et surtout sous la pression des chefs de la Reichswehr, que M. Hitler songerait à ce geste public en faveur de l’Ambassadeur de l’URSS, afin de montrer que les persécutions infligées au parti communiste allemand ne sauraient porter ombrage à l’amitié germano-russe. »

cf. intérêt particulier de « la mission soviétique à Berlin » pour le compte rendu du journal Paris « appartenant aux émigrés russes et repris ensuite par la presse polonaise » d’« un entretien que M. Rosenberg, député national-socialiste et (1) rédacteur diplomatique du Völkische Beobachter, aurait eu récemment à Locarno avec des Délégués fascistes italiens », Rosenberg était « accompagné […] d’une personnalité ukrainienne en résidence en France, et de M. Wladimir de Korostowetz, qui est à Berlin l’un des principaux collaborateurs de l’Hetman Skoropadsky. »

cf. incontestables « projets qui hantent les cerveaux nationaux-socialistes dans ce domaine » et leur consensus malgré leurs divergences « en matière de politique étrangère », sur le fait « que le destin assigne à l’Allemagne, en Europe orientale, une mission de civilisation et de colonisation. Une personnalité nationale-socialiste affirmait, hier encore, à l’un de mes collaborateurs, que l’Allemagne et l’Italie avaient eu à ce sujet des conversations précises, où l’on avait envisagé le retour au Reich du Corridor, en échange d’une portion du territoire ukrainien, accordée à la Pologne. Privé de toute issues sur la Mer Baltique, le Gouvernement de Varsovie se verrait ainsi dédommagé par un débouché sur la Mer Noire [33] , conformément aux intérêts économiques de l’Italie, qui considérerait désormais l’Europe (2) centrale et les Balkans contre son hinterland commercial. Le fonctionnaire hitlérien […] a été jusqu'à affirmer que l’Italie et la Turquie avaient déjà négocié un accord en vue d’assurer une libre communication de la Pologne, installée sur la Mer Noire, avec la Méditerranée.

Toutes ces informations ont un côté fantastique. », mais l’URSS est ainsi placée « dans un état d’inquiétude permanente à l'égard des projets de la nouvelle diplomatie allemande. » 3

Europe URSS 1918-1940, vol. 986, relations Allemagne-URSS, juin 1933-mai 1934, MAE

« Note de l’ambassade des Soviets en Allemagne au ministre allemand des Affaires étrangères », manuscrit, 24 juin 1933, 12-13, 2 p.

reproduction dans presse soviétique note remise 22 juin par Chintchuk [ambassadeur d’URSS à Berlin] au secrétaire d’état von Bülow, ministre des Affaires étrangères par intérim, 1, cf. Vie économique, journal de l’industrialisation, 24 juin 1933, 2

Chintchuk proteste au nom de son gouvernement contre le passage suivant du texte de la délégation allemande à la conférence économique mondiale de Londres : “Le second moyen consiste à mettre à la disposition “d’un peuple sans espace” de nouveaux territoires où cette race énergique puisse fonder des colonies et se livrer à de grands travaux pacifiques. Nous ne souffrons pas de surproduction, mais de sous-consommation forcée. La guerre, la révolution et la ruine intérieures ont trouvé leur point de départ en Russie et dans les vastes régions de l’Orient. Ce processus de désagrégation se poursuit. Le moment est arrivé d’y mettre un terme” ». Bref il s'agit d’« un appel à la guerre contre l’URSS » et de « l’exigence que soient fournies des territoires de l’Union Soviétique à la colonisation allemande. » 1.

Ce texte est « en contradiction flagrante avec les obligations » allemandes (1) en vertu du traité germano-soviétique Berlin 24 avril 1928 ((sic) au lieu de 1926), d’où « une protestation décisive » de « mon gouvernement » auprès du « Gouvernement allemand […] contre la violation des relations contractuelles entre nos deux pays qui a été admise par l’Allemagne ».

Lettre 247 très confidentielle de Gentil, chargé d'affaires près le Saint-Siège, Rome, 29 juin 1933, 15-16, 4 p.

« informations qui m’ont été rapportées à titre strictement confidentiel » issues de celles données par Cerruti, ambassadeur d’Italie à Berlin, « à un haut prélat du Vatican. », propos d'autant plus importants qu’il « venait d’être reçu par Mussolini » donc exprimait « certaines opinions du Duce » et a regretté son manque de temps « pour obtenir une audience du Pape, » façon d’exprimer sa volonté « que sa conversation fût communiquée à Pie XI. » 1, et ce d'autant plus qu’il « a parlé presque uniquement de la situation du communisme en Allemagne et en Russie, question à laquelle le Pape s’intéresse tout particulièrement. »

Il « aurait d'abord cité l’opinion de M. Göbbels sur la facilité avec laquelle le parti communiste avait été écrasé en Allemagne » d' après lui « parce que le parti communiste allemand n’était fort qu’au point de vue électoral ; il manquait de chefs : il avait eu de nombreuses occasions d’étouffer le mouvement hitlérien à ses débuts ; mais il resta passif et ne prit aucune initiative.

M. Göbbels affirme que ce parti ne se relèvera pas : lui-même recevait chaque jour des milliers de lettres d’ancien militants communistes qui protestent de leur loyalisme envers le régime hitlérien : 23 000 communistes seraient dans des camps de concentration, mais la plupart ne seraient plus dangereux et on n’en garderait guère que 5 000. »

Cerruti lui-même « aurait déclaré que le Gouvernement allemand ne pouvait pas ne pas envisager l’éventualité de la disparition du régime soviétique dans un avenir plus ou moins proche. L’action des Japonais en Mandchourie et Transbaïkalie pourrait hâter cette fin. » ancien ambassadeur à Moscou, il « serait persuadé que si les Japonais poussaient une pointe vers Vladivostok et la province maritime, le Gouvernement des Soviets se verrait dans l’obligation (2) d’intervenir. » et les forces armées soviétiques « seraient aisément balayées par les forces japonaises », et « la lutte du Gouvernement soviétique » serait telle que « amènerait inévitablement l’effondrement du régime. »

D' après Cerruti, « Göbbels » aurait dit « que le Gouvernement allemand n’avait plus aucune vue sur l’Alsace, pays trop difficile à gouverner et qui n’avait donné à l’Allemagne que des déboires [34] . Par contre, la frontière orientale devrait être révisée tôt ou tard. A ce moment, se poserait la question de l’Ukraine qui se détacherait un jour ou l'autre de la Russie : cet immense territoire pourrait servir de débouchés aux produits allemands ; de plus ne pourrait-on étudier une combinaison pour remplacer le couloir polonais du nord par dédommagement en Ukraine, une espèce de couloir polonais vers la Mer Noire.

Le prélat » informateur « m’a dit » avoir « posé une question sur l’avenir catholique de l’Allemagne. M. Cerruti, qui d'ailleurs a tout le temps manifesté un vif enthousiasme envers M. Hitler, avec la seule réserve que le “Führer” allait trop vite et brûlait les étapes, a affirmé que celui-ci (3) était de formation trop catholique pour jamais devenir un ennemi de l’église. Il ne pouvait en dire autant de M. Göbbels qui serait devenu anti-catholique  le jour où l’église a refusé de bénir son mariage avec une divorcée. » 4

Télégramme François-Poncet 1245-6, 5 juillet 1933, ronéoté, 17-8, 2 p.

Sur l’inquiétude allemande vis à vis des pactes orientaux signés à Londres malgré l’indifférence affectée « tout d'abord » par la presse, 1, mais cette fausse indifférence « n’empêche pas d'ailleurs qu’une vaste collecte et diverses manifestations publiques ne soient organisées en ce moment à travers tout le Reich pour venir en aide aux 100 000 Allemands environ qui meurent de faim en Russie. Il ne vient pas à l’idée des autorités allemandes que cette propagande bruyante puisse être désagréable au Gouvernement russe. » 2

Lettre 727 de François-Poncet à Paul-Boncour, Berlin, 5 juillet 1933, 20-2, 3 p.

Sur la campagne de presse délirante sur la « situation tragique […] des colonies allemandes de Russie […] devant la famine de plus en plus menaçante. » mobilisation de l’église évangélique, Croix-Rouge, Ligue pour Protection du germanisme à l'étranger, et grande campagne de la section de Berlin défense du Deutschtum [35] , cf. discours, 1 et sq.

Manifestation publique prévue vendredi 7 juillet au Lustgarten de Berlin et pour préparation, « des affiches représentant le portrait tragique d’un enfant allemand de Russie souffrant de la famine »; or « les pires misères » ne sont pas une nouveauté pour « les peuples de l’Union Soviétique […] Jusqu'ici, l’Allemagne avait toujours jugé opportun d’observer à ce sujet un silence prudent. Mais cette fois, M. Göbbels n’a pas voulu laisser passer une si belle occasion de manifester avec ostentation la sollicitude du Gouvernement national-socialiste allemand à l'égard des branches du peuple allemand les plus lointaines et les plus anciennement détachées du tronc commun. Il a mis également à profit cette occasion pour flétrir les résultats du régime marxiste. » 2, or cette exploitation va choquer Moscou, à l'époque où l’industrie allemande a sérieusement besoin de la reprise des « relations économiques avec Moscou » et où Berlin redoute les pactes orientaux de Litvinov. « Tant d’insouciance étonne et montre le désarroi qui s’est emparé de la politique extérieure du IIIè Reich. » 3

Télégramme François-Poncet 1263-65, 7 juillet 1933, ronéoté, 23-5, 3 p.

Sur l’inquiétude allemande des pactes orientaux [36] signés à Londres

Télégramme François-Poncet 1268, 7 juillet 1933, ronéoté, 26, 1 p.

La manifestation à Berlin prévue supra est annulée, car l’ambassade russe a menacé Berlin d’organiser des contre-manifestations à Moscou.

Lettre 969 de François-Poncet à Paul-Boncour, Berlin, 31 août 1933, 10 p., 32-41

Campagne de plus en plus déchaînée contre URSS « Les récits les plus alarmants qui circulent en Allemagne sur le développement de la famine en Russie ont notamment servi d’aliment à une campagne contre le régime soviétique, plus énergique et surtout plus généralisée que celles que l’on avait pu enregistrer antérieurement. » depuis signal donné par Völkische Beobachter de 18 août « sur la situation intérieure de la Russie un article d’une violence extrême », cf. mon télégramme 1478, 1 (cf. in URSS 18-40 situation économique, vol. 1036) « accompagné de toute une série de photographies de victimes de la famine les plus propres à frapper les imaginations. » Protestation de l’ambassade soviétique « qui a pris pour parti de nier systématiquement qu’il y ait la moindre famine en Russie » et a parlé de faux; « quoiqu'il en soit, “la famine en Russie”, “la détresse des Allemands de la Volga”, sont devenues les rubriques habituelles de la presse allemande. Des journaux relativement modérés comme la Vossischezeitung ont publié, d'autre part, une série d’articles plus alarmants les uns que les autres sur l’avenir immédiat de la Russie en se complaisant à insister sur les vices du régime et sur l’échec inévitable des grandes tentatives de M. Stalin. (sic) »

à la réunion de la presse évangélique à Berlin, « il a été décidé que les protestants d’Allemagne se joindraient aux efforts du Cardinal Archevêque de Vienne pour organiser une action internationale et interconfessionnelle en faveur des victimes de la faim. » [37]

Certes la hargne de la presse contre URSS n'est pas nouvelle, mais jusqu'ici elle faisait « preuve (2) […] de mesure et de prudence. » et « haine » du « Gouvernement national-socialiste » contre « le régime soviétique », cf. son organisation d’une manifestation au Lustgarten de Berlin, mais « l’avait décommandée au dernier moment ». Pourquoi cette aggravation? « Il semble que la réponse doive être surtout cherchée dans des motifs de politique intérieure [38] , dans la lutte à outrance que le Gouvernement de M Hitler mène contre le communisme et en faveur de laquelle aucune arme, aucun moyen de pression ne saurait être épargné. » 3, or les diplomates soviétiques « sont, au moins autant que des diplomates, des communistes ou des envoyés d’un état communiste.

[…] Quand M. Göbbels dans son discours de Königsberg estime nécessaire d’assurer à ses auditeurs allemands “qu’ils ne mourront ni de faim ni de froid au cours de l’hiver qui vient”, il ne doit pas paraître tellement superflu aux services du Ministère de la Propagande, d’assurer ces mêmes Allemands que des sujets d’un état communiste sont, eux, la proie de la famine. Cette propagande semble, d'ailleurs, être couronnée de succès, et, autant qu’on en peut juger, le petit bourgeois allemand est en effet parfaitement convaincu que la Russie actuelle est le pire des enfers. »

mais aussi « il semble bien […] que la crainte d’offenser Moscou, naguère encore toute puissante, ait beaucoup perdu de sa force convaincante. » 4, et conviction de Berlin qu’on arrive à la fin de l’ère de collaboration cf. « changement survenu dans l’orientation de la politique soviétique. »

« Mais ce que Berlin ressent surtout, c’est une inquiétude profonde, et sans cesse croissante.

Cette inquiétude se manifeste en ce moment d'une façon particulièrement frappante, tandis que l’Allemagne assiste au voyage de M. Herriot, apprend que la signature d’un accord économique entre la France et l’URSS est imminente, et lit les abondants extraits qui paraissent dans sa presse de l’article » de Karl Radek dans Les Izvestia, 5, et dans Gazeta Polska, « et qui ne lui permettent plus de douter de la réalité du rapprochement polono-soviétique.

Cet article a fait sensation. Les journaux allemands lui ont donné une grande publicité, et si l’on songe qu’il y a quelques semaines, ces journaux n’osaient pas révéler au public le voyage du même Radek en Pologne et dans le corridor, on peut mesurer l’étendu (sic) du chemin parcouru dans la connaissance et l’acceptation de la situation nouvelle ». cf. particulière émotion du Courrier de la Bourse (Berliner Börsenzeitung), conteste péril allemand contre URSS, et invoque fait que « les Polonais sont précisément en train de persécuter leur (6) parti communiste pour son activité illégale.

[…] La catholique Germania [39] exprime des craintes analogues », 7, cf. citations, 7-8

« Les bureaux de la Wilhelmstrasse [40] auront sans doute jugé opportun de rassurer l’opinion, et ils ont chargé de ce soin l’officieuse Correspondance diplomatique et politique, cf. son article hier sur France et Russie « est allée chercher des consolations dans ce même éditorial du Temps » du 29 août cité aussi par la Berliner Börsenzeitung. « Passant sous silence la plus grande partie de cet éditorial où le journal parisien rappelle toute la part que le Gouvernement national-socialiste a prise dans le rapprochement franco-soviétique, la “Correspondance” n’en retient que la dernière partie, où le “Temps” [41] met ses lecteurs en garde contre des illusions. » cf. citation Correspondance diplomatique et politique : “En France même, […] on commence à se mettre en garde contre d’excessives illusions à l'égard de la politique soviétique… L’attitude des milieux compétents français montre à quel point ils se trouvent embarrassés et divisés sur cette question… L’importance des voyages de Ministres ne doit pas être exagérée. La visite de M. Herriot, qui s’intéresse personnellement au développement de l’Union Soviétique a un caractère privé. Le but du voyage de M. Pierre Cot est surtout de décider des Autorités soviétiques à acheter des avions en France […] Ce qui intéresse surtout l’Allemagne en cette occasion, c’est de contrecarrer les efforts que fait la France pour nuire aux rapports germano-(8)soviétiques en jetant le soupçon sur les buts de la politique extérieure de l’Allemagne. Celle-ci doit saisir cette occasion pour rappeler qu’elle entretient toujours avec l’Union des Soviets des rapports d’amitié”. »

Bref, « Pour apaiser ses inquiétudes, celle-ci [Allemagne] proclame que la Russie est dans une situation des plus alarmantes, qu’elle se trouve, en fait, réduite à l’impuissance et que tous les accords qu’elle peut conclure ne sauraient avoir qu’une valeur très relative. Sans arriver à se convaincre elle-même, elle blesse le Gouvernement des Soviets aux points les plus sensibles, ce qui ne l’empêche pas de lui offrir ensuite son amitié. La crainte du communisme, d'une part et la crainte de la Pologne de l’autre, les divergences qui existent entre certains grands intérêts allemands et les passions du parti au pouvoir expliquent sans aucun doute beaucoup des contradictions et du trouble de l’Allemagne. Celle-ci, en outre, subit à son tour les effets du mirage russe qu’elle a elle-même si puissamment travaillé à créer [42] . Pendant dix ans, elle a tenu l’Europe dans l’inquiétude par le prestige de ses mystérieux accords avec la Russie. Tenue à l’écart, impuissante, elle voit (9) se développer à Paris, à Varsovie, à Rome, à Moscou des négociations entre les Soviets et d’autres Puissances, et elle éprouve à son tour les tourments de l’incertitude et du soupçon. » 10

Télégramme Alphand 339, Moscou, 9 septembre 33, 42-44, 3 p. (souligné dans le texte)

Commentaire polémique des Izvestia d’un communiqué de l’agence Wolff [43] du 5 septembre postulant l’existence de « relations normales entre l’Allemagne et l’URSS et démentant les insinuations de la presse française, notamment du Matin, concernant les visées de l’Allemagne sur l’Ukraine », 1 : observe que « de telles déclarations ont été faites à plusieurs reprises par le Gouvernement allemand. Cela n’empêche pas le parti national-socialiste d’Allemagne et ses troupes de choc d’organiser des sections de gardes-blancs qui proclament ouvertement leur (mot passé) [volonté? Intention? ou tout synonyme] de participer à une guerre antisoviétique » ni « jusqu'ici des organes édités auprès du Gouvernement allemand de publier des travaux (2) consacrés à la question du partage de l’URSS. » cf. n° 8 de Reich und Volk « édité avec les subsides de l’état. » 3

7 N 2999, rapports des attachés militaires en Pologne, 1933-35, SHAT

Rapport 368 de l’attaché militaire d'Arbonneau, Varsovie, 15 novembre 33, 11 p.

Sur « l’assassinat par un étudiant ukrainien d’une fonctionnaire du Consulat soviétique, des bagarres sanglantes qui ont eu lieu peu de jours après dans une rue de Lwow » et leurs suites, claires « sur l’agitation menée en Galicie orientale par l’organisation ukrainienne nationale (OUN) » dont « l’état-major […] est à Berlin; Konowalec et ses adjoints, en très bonnes relations avec l’état-major allemand, sert les plans de ce dernier dont l’intérêt est d’entretenir sur les arrières de la Pologne une activité anti-polonaise et une effervescence permanente. Dans son ensemble, la population ruthène de Pologne orientale condamne les moyens terroristes de l’OUN. » mais (10) « par les chimères qu’elle entretient d’une Ukraine indépendante ou autonome, elle favorise ces attentats. » 11

Aspects de la collaboration germano-polonaise contre l’Ukraine soviétique, 1933-1935

Cette action allemande anti-polonaise et anti-russe (et pas spécifiquement anti-bolchevique) n’empêche pas la Pologne de Pilsudski (et de son ministre des Affaires étrangères Beck, successeur à sa mort en mai 1935) de se croire l’alliée « ukrainienne » du Reich. Sur l’acharnement russophobe et la servilité pro-allemande des dirigeants polonais, jusqu'à l’assaut du Reich en septembre 1939, une des meilleures sources est fournie par les archives allemandes, (Documents on German Foreign Policy), dont on trouvera écho dans Le choix de la défaite). Mais les archives françaises sont riches [44] .

7 N 3024, rapports des attachés militaires en Pologne, 1928-9, et 1933-9, SHAT

Renseignement 17795, 11 juillet 1933, « Ukraine. Relations entre la Pologne et l’Allemagne », 2 p. « Informateur très sérieux, mais recoupements nécessaires ».

Frantinsek Lickoski, « d'origine tchèque, citoyen polonais de l’ancien territoire contesté par la Tchécoslovaquie, est l’agent secret du Colonel Beck auprès du groupe Skoropatski [ici toujours écrit avec d au lieu de t] à Berlin […] information […] très importante. Car le fait qu’un homme aussi connu et aussi compromis que Lickoski, » qui « était l’ami intime de Cernotski, directeur de la maison de France à Prague, en 1919-20-21 », « puisse faire, sans difficultés, la navette entre Berlin et Varsovie permet de supposer qu’il y a entente entre Berlin et le colonel Beck », qui « serait d'ailleurs en excellents termes personnels avec Hitler. Il se rend compte, d'autre part, que la France abandonne la Pologne et il l’a déclaré en termes formels à un journaliste français il y a quelques jours. Aussi cherche-t-il des assurances du côté allemand. C’est ce qui expliquerait une intensité plus grande des pourparlers au sujet de l’Ukraine. » Varsovie dément et jure que « la Pologne ne renoncera jamais au couloir. » 1, « impression » du « journaliste mentionné plus haut. » mais « l’informateur » est convaincu « que la Pologne se déciderait à un arrangement pour le Couloir si l’on peut aboutir à une solution satisfaisante du côté de l’Ukraine. étant donné sa situation intérieure, la Russie devra céder à la pression germano-polonaise. Quant à la liberté des communications navales polonaises, elle sera tout aussi assurée par Bosphore que par le Skager Rak [Skagerrak, détroit Mer du Nord-Baltique] car les Polonais s’entendront facilement avec les Turcs. Enfin Odessa vaut bien Gdynia [port de Dantzig].

Le plus gros écueil résiderait dans la maladresse des Polonais à l'égard des Ukrainiens d'ailleurs peu disposés à les subir. à tout le moins faudrait-il laisser à l’Ukraine une autonomie administrative.

Nota. Le groupe Skoropatski tend, de plus en plus, à devenir le groupe dirigeant, depuis l’avènement de Hitler.

Berlin ayant pris nettement la direction du mouvement le groupe Petlioura se rallie au groupe Skoropatski. »

EMA 2ème Bureau, renseignement Depas 882 « d’un informateur compétent et généralement bien renseigné », H/25.7/9, 23 juillet 1934, 2 p.

Dimitri Levitzki, à Vienne, « vient d’offrir à un journaliste ukrainien M. Paneyko, le poste de chef de la propagande ukrainienne à Londres et à Paris », mais Paneyko a refusé car il est l’« adversaire du séparatisme ukrainien. »

Déclarations de Levitzki [chef de l’UNDO (parti nationaliste ukrainien)] « au cours de l’entretien » avec Paneyko : il lui a parlé de la « politique commune » désormais de l’UNDO et UVO (organisation militaire ukrainienne) sous la direction de Konovaletz. « Cette politique est menée en plein accord avec Varsovie et Berlin et a pour but de préparer et de seconder la politique polono-allemande qui vise à séparer dans un délai de trois ou quatre ans l’Ukraine de l’URSS. D' après le plan polono-allemand l’Ukraine séparée de l’Union Soviétique formera un état indépendant sous le protectorat de la Pologne et de l’Allemagne. La Galicie orientale restera partie intégrante de la Pologne mais recevra une autonomie provinciale. (1)

D' après M. Levitzki entre l’Allemagne et la Pologne l’accord est parfait en ce qui concerne l’Ukraine.

L’UNDO a cessé toute propagande et activité anti-polonaises en Galicie et marche maintenant avec le bloc gouvernemental polonais. Toute son activité ainsi que celle de l’UVO est dirigée contre les Soviets, ces deux organisations font une propagande séparatiste en Ukraine. » Sur l’assassinat de Pieracki, Ministre de l'Intérieur, « par des Ukrainiens » Levitzki le dit l’œuvre d’« Ukrainiens exaltés à l'insu de Konovaletz, qui croyait sincèrement à un attentat des fascistes polonais. » et glose sur le fait que « Konovaletz […] le considère comme un coup de poignard à la cause ukrainienne. » et Levitzki espère « que ce crime n’aura pas de répercussions fâcheuses sur la politique ukrainienne de la Pologne ». et il « a […] ajouté qu’il a eu des conversations à Berlin avec les hommes de confiance d’Hitler (Rosenberg, Göbbels et Hess) et à Varsovie avec M. Beck et qu’il a la certitude absolue qu’au sujet de l’Ukraine il y a un accord entre la Pologne et l’Allemagne. »

EMA 2ème Bureau, renseignement Depas 1426, « source autorisée de seconde main, 4 novembre 1935 », G/7.11.35/5

« L’Allemagne et la Pologne ont organisé en territoire ukrainien soviétique, plusieurs bandes qui seraient chargées, au début d’une guerre, de détruire certains points importants du réseau ferroviaire de l’URSS.

Les points à détruire seraient :

la gare de Kazatin

la gare de Jmerinka

les voies ferrées Jmerinka-Kopaï et Jmerinka-Porokourov

la gare de Rakhni

la gare de Birzoula

la gare de Znamenka.

Par ailleurs une intense propagande est fait en Ukraine, en faveur de l’indépendance du pays, par les colons allemands. Cette propagande est dirigée d’Allemagne, par le Martin Luther Bund, d’Erlanger, et par l’association évangélique Licht im Osten de Vernigerode am Harz. »

Mise au point bibliographique sur les sources de « six millions de morts » : Alain Blum et les historiens français

Annie Lacroix-Riz :

Je signale deux exemples récents (1994 et 2001) sur la façon dont se diffuse en France la thèse de la famine, présentée sous les atours de la scientificité et de façon catégorique, mais sur des bases précaires :

L’historienne Sabine Dullin impute à la furie exportatrice, céréales comprises, de Staline (en vue d’« acquérir des positions solides sur le marché international et de supplanter les concurrents » [45] ) « la terrible famine de 1933 qui fit environ six millions de morts et prit des proportions dramatiques en Ukraine, dans le Caucase du Nord et au Kazakhstan » [46] .

La source unique citée de cette information est un ouvrage, dont il a été fait grand cas [47] , du démographe Alain Blum, dont je vous livre le développement. Cet auteur cite plusieurs des textes de contemporains puisés aux « Archives diplomatiques » [48] , notamment la dépêche du 13 septembre 1933 de l’ambassadeur de France à Moscou (Charles Alphand) et l’interview de la « Ministre de l’URSS en Suède » (et non pas en Norvège, son poste antérieur [49] ) Mme Kollontay à la presse norvégienne, présentés ci-dessus. Il relève les motivations du scepticisme éprouvé à l'égard de la thèse de la famine ukrainienne « par une partie de l’opinion et des responsables gouvernementaux » français, leur « méfiance » à l'égard d’« informateurs [provenant] surtout de l’Allemagne et des mouvements ukrainiens, suspectés d’être proches de l’extrême droite [50] , et donc prêts à utiliser n'importe quel argument contre les Soviets. En outre, existe la crainte, toute diplomatique, de mettre en péril le processus de rapprochement engagé avec l’Union Soviétique, au profit d’une Allemagne de plus en plus menaçante. » Cette interprétation est certes compatible avec les sources originales françaises, mais ces précautions diplomatiques, indubitables, n’excluent en aucun cas l’existence d’une correspondance spécifique sur la « famine » ou la disette, d'ailleurs présente dans les fonds « économiques ». Suit une présentation des textes consacrés au prince Tokary, à Petlioura et à Skoropadski qu’on a également pu lire ci-dessus. Alain Blum conclut de ces mises en garde en provenance du Quai d'Orsay :

« Quoiqu'il en soit, l’aveuglement de certains Occidentaux reste surprenant tant les faits sont tragiques. Car l’ampleur des pertes est considérable. En 1933, six millions de décès sont imputables à la famine, à ajouter aux quatre millions de décès observés en temps normal. Le taux de mortalité dépasse 70 pour mille : en 1932, il était inférieur de 30 pour mille! » La source de ce propos catégorique est indiquée à la n. 61 : « Des travaux récents donnent une estimation qui paraît solide, bien que certaines hypothèses utilisées par leurs auteurs, en particulier celles qui concernent les migrations vers l’étranger, puissent paraître, il est vrai, conduire à sous-estimation de certains phénomènes. De plus, ces auteurs ont aussi choisi de concentrer l’essentiel du déficit démographique de la décennie 1930 sur cette seule année 1933, ce qui peut paraître un peu extrême » (on remarquera le paradoxe de l’expression « un peu extrême »).

Ces « travaux récents » et « ces auteurs » se bornent donc à un ouvrage statistique russe, qui, d'une part, « sous-estime » les migrations et, d'autre part, procède au regroupement, scientifiquement irrecevable, des morts d’une décennie sur une année. Cette curieuse méthode de resserrement des chiffres, qui permet ensuite d’ironiser sur « l’extraordinaire continuité de la machine administrative qui ne cesse de fonctionner malgré la mortalité parfois multipliée par plus de 10 » ‑ est-il spécifique à l’URSS et à l’abominable Staline que les catastrophes, massacres avec ou sans guerre, n’anéantissent pas « la machine administrative » ?‑, est cependant jugée encore insuffisante pour évaluer le phénomène. « Et encore cette terrible mortalité est-elle ici quelque peu minimisée; car ces chiffres concernent l’ensemble du pays. » [51] .

La carte de « l’extension régionale de la famine de 1933 » et les graphiques sur le « mouvement mensuel des décès dans quelques région de l’URSS » qui font suite à ces propos procèdent d’un regroupement chronologique de même type, l’année statistique 1933 n’étant pas disponible : « Les archives, incomplètes, ne permettent pas de présenter un panorama géographique précis. Mais le recensement de 1939 autorise une reconstitution indirecte des événements en rattachant la génération de 1934 à celle de 1938. » etc. [52] Comment peut-on fournir des chiffres mensuels pour 1933, alors qu’on admet par ailleurs ne pas disposer du simple chiffre annuel? Si les témoignages français (et soviétique, a fortiori) sont récusés comme relevant de « l’aveuglement de certains Occidentaux », en revanche sont retenus ceux des consuls italiens, au titre des « témoignages qui affluent de toutes parts ». Mais alors, pourquoi la formule is fecit, cui prodest, appliquée aux « aveuglements » français présumés, est-elle rejetée comme grille de lecture des rapports des consuls italiens, seule source « littéraire » retenue avec le « grand nombre de récits de vies, qui forment un panorama large de cette histoire tragique », recueillis par « la commission [américaine] pour l’étude de la famine en Ukraine » [53] ?

Pourquoi le lecteur n'est-il pas informé de ce qu’établit la correspondance diplomatique française, pourtant consultée par Alain Blum : seuls les rapports des consuls allemands et italiens [54] firent état d’une « famine » ukrainienne tuant les paysans par millions – les textes les plus pessimistes de Dejean s’appuyant explicitement sur les comptes rendus allemands. Ceux du Foreign Office également, Londres s’appuyant sur les mêmes sources, notamment Or, l’Italie, engagée dans une alliance avec le Reich qui ne datait pas du 30 janvier 1933 [55] , jouait alors les « auxiliaires » de Berlin en général avec sa proposition (essentiellement antisoviétique) de Pacte à Quatre, et en particulier avec sa participation à la campagne politique sur l’Ukraine déchaînée par les hitlériens dès les premières semaines de leur arrivée au pouvoir, en compagnie de l’autre « auxiliaire » du Reich, la Pologne, obsédée par sa russophobie (non réductible à l’antisoviétisme) et objet d’une campagne de séduction du Reich qui aboutit au « traité d’amitié » du 26 janvier 1934, simple morceau de papier qui arracha officiellement Varsovie à sa (fausse) alliance avec Paris.

Il est également permis de douter du sérieux des études conduites à Harvard, université essentielle dans la gestion idéologique de l’« empire » américain, notamment via ses centres d’activités « russes » gravitant autour du « Russian Research Center », et « modèle de coopération avec la CIA et le FBI » [56] . James Mace, « directeur exécutif de la Commission américaine sur la famine en Ukraine » (mentionnée par Alain Blum comme source sérieuse de connaissance) de 1986 à 1990, établi depuis 1993 comme spécialiste de sciences politiques à Kiev, en Ukraine, a animé un dossier dans un hebdomadaire français, Courrier international, intitulé, comme son article : « Comment on étouffe un génocide ». Ce texte dépourvu de toute note de référence est assorti d’un article, identique de ce point de vue, de Raymond Clarinard, intitulé « Une politique délibérément meurtrière » et surtitré « historiographie ».

Il en ressort qu’il n’existe pas d’historiographie sur la famine ukrainienne, au motif, nous est-il expliqué, de « l’indifférence occidentale. Peu d’historiens et de chercheurs occidentaux s’intéressent à la famine de 1933 et plus généralement à l’Ukraine, ce qui accroît encore l’isolement des spécialistes locaux. Ces derniers doivent travailler sans moyens, dans un pays rongé par la corruption et où l’Histoire, précisément parce qu’elle est fertile en polémiques, suscite la méfiance de l’opinion publique. D’où le silence qui continue de planer soixante dix ans après les faits sur la famine “artificielle” et ses millions de victimes. » [57]

On se demande bien 1° pourquoi pareil sujet eût échappé à une historiographie « occidentale » si friande des horreurs soviétiques; 2° en quoi « l’isolement » des historiens vernaculaires – qui auraient donc impérativement besoin des « Occidentaux » pour trouver leurs sujets et effectuer leurs recherches – les eût empêchés d’enquêter sur leur pays martyrisé par les Russes : sujet tabou ou au contraire particulièrement porteur dans l’Ukraine, amatrice de « polémiques » antirusses, de la dernière décennie? En quoi la corruption du pays constitue-t-elle un obstacle à cette mise au travail d’historiens « sans moyens »? En vertu de quel privilège le fait de travailler sur l’URSS dispense-t-il les chercheurs de se plier aux règles méthodologiques valables pour toute recherche historique, notamment en matière de maniement des sources?



[1] Marco Carynnyk, Lubomyr Y. Luciuk et Bohdan S. Kordan, éd., The Foreign Office and the Famine. British documents on Ukraine and the Great Famine of 1932-1933, Ontario, The Limeston Press Kingston, 1988 (les « éditeurs » sont des chercheurs canadiens d'origine ukrainienne, dont la recherche est financée par les associations ukrainiennes du Canada, fort actives dans les années 1980 de la crise de l’URSS, op. cit., p. L et LI – associations toujours fort actives et très mobilisées en l’automne 2004 au bénéfice de la partie occidentale, uniate et anti-russe de l’Ukraine, qualifiée de « démocratique » et libre contre sa partie orientale orthodoxe et pro-russe)

[2] Texte 62, The Foreign Office and the Famine, p. 358-362.

[3] . Le Vatican, chapitres 1-2, et 6-10, et index.

[4] Ibid., et surtout Fritz Fischer, Les buts de guerre de l'Allemagne impériale 1914-1918, Paris, Trévise, 1970.

[5] Journal de Russes blancs financé par Berlin et le pétrolier Deterding, chef de la Royal Dutch Shell, ennemi juré des Soviets qui avaient nationalisé leur pétrole caucasien de propriété naguère britannique; les Polonais se mirent de la partie en 1935, voir sur ce point la série F 7, vol. 12951 à 12961, « notes Jean » sur activités partis et hommes politiques, situation financière et politique extérieure, 1918-36, Archives nationales.

[6] The Foreign Office and the Famine, op. cit.

[7] . Le comte Dejean en rajoute alors sur l’antisoviétisme, sans doute pour faire presque aussi bien que Jean Herbette, qu’il fallut évincer en 1931, son niveau d’antisoviétisme rendant désormais impossible toute relation avec les officiels soviétiques. Sur la famine alléguée, Dejean ne dispose jamais d’informations propres, mais se réfère exclusivement à la prose des « consuls allemands », cf. infra; la collectivisation lui inspire des cauchemars qu’il est difficile de ne pas imputer aux hantises antisoviétiques du privilégié français épouvanté par la transformation du régime agraire.

[8] . Homme-lige du Comité des Forges dont il a dirigé la presse avant d’être envoyé comme ambassadeur à Berlin depuis septembre 1931, homme de la « collaboration économique » (le terme est alors utilisé) par excellence (les archives F7 sont catégoriques, série « notes Jean » notamment), toujours prompt à l’Apaisement (MAE). Cf. « Frankreich und die europäische Integration. Das Gewicht der Beziehungen mit den Vereinigten Staaten und Deutschland, 1920-1955 » (« La France et l’intégration européenne des années vingt aux années cinquante : le poids des relations avec les états-Unis et l’Allemagne »), contribution au vol. 18 de Beiträge zur Geschichte des Nationalsozialismus, Thomas Sandkuehler et al., éd., Göttingen, Wallstein-Verlagen, 2002, p. 145-194 (texte français disponible sur demande à la bibliothèque d’histoire de Paris 7).

[9] En français La Gazette de Voss.

[10] . à relier au recueil de textes sur l’armée rouge en 1937-38.

[11] . Cf. supra ma remarque sur le leitmotiv de Dejean sur les erreurs et horreurs de la collectivisation.

[12] The Foreign Office and the Famine, passim.

[13] . Lvov, en Galicie (anciennement autrichienne), est alors polonaise, d’où cette orthographe, et le grand centre de subversion germanique anti-polonais sous la houlette de son évêque uniate André Szepticky : préposé à la conquête de l’Ukraine depuis 1907 et Pie X, donc avant l’ère allemande dans cette zone, autrichienne avant 1914, et avant la révolution soviétique, voir index du Vatican et Hansjakob Stehle, Eastern Politics of the Vatican 1917-1979, Athens, Ohio, 1981.

[14] Uniate.

[15] . Une des innombrables associations de Russes blancs sises à Paris.

[16] . Quotidien du NSDAP.

[17] . Sur ce jésuite français utilisé à satiété contre la Russie par le Vatican avant l’ère proprement nazie, et rejeté après 1933, le Reich prenant les affaires soviétiques directement en main, voir index du Vatican.

[18] . Ce qui, en langue vaticane, s’appelle ordre de faire quelque chose dont le Vatican ne peut prendre la responsabilité politique (là, il faut lire tout le livre…)

[19] Quotidien officiel du Vatican.

[20] Journal des Assomptionnistes, strictement dépendant par conséquent du Vatican (c’est toujours le cas pour le clergé régulier), grand champion de l’antisémitisme, voir toute la documentation sur l’Affaire Dreyfus.

[21] Favori de Catherine II, Grigori Potemkine (1739-1791) organisa en 1784 un voyage de l’impératrice dans les provinces ukrainiennes récemment annexées dont il était le gouverneur général, et aurait fait construire à cet effet « le long de la route des villages factices pour faire valoir les résultats de son administration », invention d’un témoin « infirmée par tous les participants du voyage, le prince de Ligne en tête. » index de l’Encyclopedia Universalis, 1996, Thesaurus KR, p. 2925.

[22] . Dirigeant de premier plan du PCUS, condamné à dix ans prison, au terme du deuxième procès du « centre antisoviétique trotskiste » tenu les 23-30 janvier 1937 à Moscou (où il mit en cause Toukhatchevski), Rapport de l’attaché militaire au Ministre de la Guerre n° 326/S, compte rendu mensuel n° 37, Moscou, 3 mars 1937, 7 N 3123, URSS, rapports des attachés militaires, 1937-1940, archives du SHAT (et voir recueil de textes sur l’armée rouge 1937-38).

[23] . Chef de l’état, « président du Conseil exécutif central des Soviets et de l’URSS » (de 1919 à sa mort, 1946).

[24] . Sur cette « liberté » et son usage, voir le précédent, américain et allemand, des années 1920, Le Vatican, chapitre 6, I, « Le Vatican et l'URSS: entre idéologie et plans territoriaux ».

[25] . Journaliste et grande conférencière sur les horreurs de l’URSS, accueillie avec chaleur par la grande presse du Comité des Forges et autres groupes industriels ou bancaires, chaud partisan de « la réconciliation franco-allemande », voir notamment son article dans Le Jour, Suzanne Bertillon, 31 décembre 1935, « Hitler écrira-t-il un second Mein Kampf », interview d’un « haut fonctionnaire de la Wilhelmstrasse » extrêmement complaisante sur ce projet «  après la réconciliation franco-allemande », F 7, 13434, 1935, Archives nationales; sur sa conférence du 18 mars 1932 « en faveur des dames de Saint Vincent de Paul […] sur la Russie soviétique », voir compte rendu du commissaire central de Nantes, .« la nièce de Bertillon, l’inventeur du service anthropométrique qui permet de distinguer les crapules des honnêtes gens à une époque où il est bien difficile de distinguer les uns des autres » (citation de sa présentation par le colonel de Larminat). Le développement très antisoviétique de Suzanne Bertillon ne peut d'ailleurs dissimuler une certaine admiration pour cet enfer bolchevique : misère affreuse, « des visages tristes, mornes, déchus, donnant l’impression de gens qui n’ont pas l’air d’avoir mangé suffisamment. » 2, fausse absence de chômage, « on travaille 4 jours et on est censé se reposer 3 jours, mais le 5e jour est un jour que l’on donne au plan quinquennal » sans être « payé. » « On a supprimé la religion, à (3) Moscou les églises sont transformées en musées. […] Sur six interprètes, cinq sont juifs. » 4, tout le reste du texte est de la même eau, mais la conférencière « reconnaît que s’il y a quelqu'un qui a bénéficié du régime soviétique, c’est la femme laquelle à travail égal a salaire égal. […] les femmes transportent les briques, poussent les wagons. On ne fait pas de différence entre l’enfant légitime et l’enfant illégitime. On recherche très loin la paternité […]; la fille-mère est tellement exploitée […] que c’est là une petite revanche.

Pour le divorce, le consentement d’un seul suffit […]

[…] la femme enceinte touche son salaire intégral deux mois avant l’accouchement […] et deux mois après également. Dans toutes les usines nouvelles, sauf dans les usines Poutiloff, il y a des crèches et des gardes d’enfants. […] l’avortement est légal et que l’on apprend aux femmes à ne pas concevoir. » Suzanne Bertillon « parle du Général Weygand qui arrêta l’armée russe qui marchait sur la Pologne », 5 « Il faut prendre l’armée rouge très au sérieux; elle possède des chars d’assaut, des tanks; le plan quinquennal est un plan d’équipement guerrier. […] La Russie peut mobiliser 21 classes de 800 000 hommes, soit 16 millions d’hommes environ. » 6; Staline est un vrai « tsar ». « Conclut en disant aux industriels français que ceux qui ont parmi leur nombreux personnel ouvrier des communistes, ont à la foi (sic) chez eux des ennemis, des espions et des traîtres qui chercheront par tous les moyens leur ruine et qu’à l'heure actuelle où tant de travailleurs français chôment, qu’ils doivent épurer leur personnel des brebis galeuses. » Europe URSS 1918-40, vol. 1035, août 1931-25 juin 1932, MAE.

[26] Souligné par moi.

[27] . Grande dirigeante soviétique, alors ambassadrice de l’URSS à Stockholm.

[28] . Fritdjof Nansen (1861-1930), spécialiste norvégien de zoologie et grand explorateur du Groenland et du pôle Nord, professeur de zoologie, nommé haut-commissaire de la SDN en 1920 et chargé dans ce cadre du rapatriement des prisonniers de guerre, organisa, sous l'égide du Comité international de la Croix-Rouge, l’aide à la Russie confrontée à la famine de 1921, avec une efficacité qui lui valut la reconnaissance des Soviets, cf. l’article des Izvestia, 15 mai 1930 : « La mort d’un grand savant et d’un ami de l’URSS, Fritdjof Nansen », article cité par Sabine Dullin, Des hommes d’influences. Les ambassadeurs de Staline en Europe 1930-1939, Paris, Payot, 2001, n. 4, p. 198.

[29] . Ancien ambassadeur auprès du Saint-Siège, avant Charles-Roux, très remarquable et intelligent avant 1914 (voir ses courriers dans la Nouvelle Série, 1897-1918, MAE), devenu fort clérical à Rome-Saint-Siège, évolution très courante, Charles-Roux compris (voir index du Vatican pour chaque ambassadeur).

[30] . Sur ces chefs ukrainiens, animateurs de la contre-révolution depuis 1918 et éminents pogromistes, voir Arno Mayer, Les Furies, terreur, vengeance et violence, 1789, 1917, Paris, Fayard, 2002, index (et chapitres correspondants).

[31] Abréviation pour « classement »

[32] En poste à Moscou durablement, il a notamment remplacé Jean Herbette quand il a fallu renvoyer ce dernier à Paris. Un des meilleurs analystes et prévisionnistes d’un compromis germano-soviétique inévitable si Paris et Londres refusent à Moscou une alliance en bonne et due forme comparable à celle de 1914, voir fonds Relations avec l’Allemagne, notamment vol. 983-988, relations Allemagne-URSS, 1930-1940, très riche par ailleurs sur la question des ambitions allemandes en Ukraine, affichées avec éclat en 1933. Le volume qui suit en est tiré.

[33] . Voir infra la remarque « Odessa vaut bien Gdynia ».

[34] Mensonge caractérisé, fait pour séduire Paris en lui opposant la revendication des « mains libres à l’Est » à l’adhésion au statu quo territorial à l’ouest. Sur l’action germano-vaticane en Alsace-Lorraine, Le Vatican, chapitres 5 et 8-10 ; un de mes étudiants, Tobias Baumann, prépare pour 2005 une maîtrise sur l’action allemande en Alsace-Lorraine dans l’entre-deux-guerres, qui devrait apporter de nombreux éléments nouveaux ; Le choix de la défaite en traitera (brièvement) aussi.

[35] . La germanité, intraduisible, un des instruments et prétextes de l’expansion allemande, sous couvert de protection nécessaire des « minorités allemandes » (Volksdeutsche ou « Allemands de souche ») partout persécutées en dehors des frontières du Reich, des Allemands des Sudètes à l’Alsace-Lorraine, de la Yougoslavie à la Sarre, etc.; sur la contribution de l’église romaine à cette « protection »-conquête ou reconquête, Le Vatican, passim.

[36] . Signés par Moscou avec ses voisins, notamment les « créatures » de la France (expression de Pie XI à propos de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie) championnes, sous l'égide de leur tuteur français, du « cordon sanitaire » depuis 1918-19.

[37] . Collaboration systématique contre Moscou et, plus généralement, sur le programme de la Revanche. Sur le rôle d’Innitzer, cf. supra.

[38] . Les motifs extérieurs sont au moins aussi puissants…

[39] . Ancien journal du Zentrum (Centre catholique, suicidé en 1933), un des chefs de file de la lutte anti-bolchevique, avant et sous Hitler, cf. Guenther Lewy, The Catholic Church and Nazi Germany, London, Weidenfeld et Nicolson, 1965, traduit, L’église catholique et l’Allemagne nazie, Paris, Stock, 1965, et Annie Lacroix-Riz, Le Vatican.

[40] Surnom du Ministère des Affaires étrangères (Auswärtiges Amt), désigné, comme ailleurs, par son adresse.

[41] . Journal contrôlé par le Comité des Forges, dont l’opposition à tout rapprochement franco-soviétique est catégorique, et partagée par François-Poncet, qui se censure cependant jusqu'à l’arrivée de Laval aux Affaires étrangères, après l’assassinat de Marseille du 9 octobre 1934 (de Barthou et du Roi Alexandre de Yougoslavie) (Le choix de la défaite).

[42] . La France n’a cessé de pester contre les relations créées au lendemain de l’accord de Rapallo d’avril 1922 et renforcées par l’accord de Berlin de septembre 1926 (voir les fonds du Quai d'Orsay et la série F 7 Allemagne ou Russie dans l’entre-deux-guerres des Archives nationales).

[43] . Respectivement quotidien officiel de l’URSS et agence d’information du Reich (équivalent de l’Agence Havas).

[44] . Sur la fallacieuse idylle germano-polonaise, voir Annie Lacroix-Riz, Le Vatican, l'Europe et le Reich de la Première Guerre mondiale à la Guerre froide (1914-1955), Paris, Armand Colin, 1996, notamment chapitres 6 et 8-9. J’ai consulté depuis sa rédaction nombre d’autres documents fort précis sur cette complicité de 1933 à propos de l’Ukraine, très fallacieuse, le Reich voulant naturellement à la fois l’Ukraine et le corridor de Dantzig (et la Pologne en plus), voir notamment Europe URSS 1918-1940, vol. 985-986, relations Allemagne-URSS, juin 1932-mai 1934, fonds cités infra sur les ambitions allemandes en Ukraine (et les vol. suivants jusqu'au vol. 988, dernier de la série relations Allemagne-URSS, 1930-1940) (archives du Ministère des Affaires étrangères, plus loin MAE). Sur la collaboration germano-polonaise contre l’Ukraine soviétique, dans la perspective de l’assaut militaire, les archives du SHAT sont plus précises encore : rapports des attachés militaires en Pologne, 7 N, vol. 2999, 1933-1935, vol. 3000, 1936-1937, vol. 3024, 1928-9 et 1933-1939. Ces fonds seront écho dans Le choix de la défaite.

[45] . Interprétation antagonique avec le (pertinent) développement qui précède : l’obsession d’obtenir assez de devises pour moderniser l’industrie dans les meilleurs délais et combler l’épouvantable « retard » soviétique, Des hommes d’influences, p. 33-38.

[46] Des hommes d’influences, p. 38-39. Bigre! à six millions – l’équivalent de « la destruction des juifs d’Europe » (titre de l’ouvrage de Raul Hilberg) ‑, on imagine que le phénomène ait revêtu « des proportions dramatiques ».

[47] . Nicolas Werth cite et cautionne les chiffres d’Alain Blum, « La grande famine », Stéphane Courtois, Nicolas Werth et alii, Le livre noir du communisme, Paris, Laffont, 1997, p. 178, n. 1 (je remercie ma collègue de Paris 7 Evelyne Cohen de m’avoir fourni la référence précise de l’ouvrage, lu en bibliothèque, mais que je ne détiens pas).

[48] . Avec des cotes différentes de celles qui figurent ci-dessus, Z 627 1 ou Z 622 1 ou 2, Alain Blum, Naître, vivre et mourir en URSS, 1917-1991, Paris, Plon, 1994, p. 96-99.

[49] . Correspondance de septembre-octobre 1933, en provenance d’Oslo (de du Chayla, chargé d'affaires en Norvège), citée ci-dessus.

[50] . Le financement du mouvement ukrainien par Berlin, avant et sous Hitler, ne relève pas du soupçon, mais d’une réalité dont témoignent les archives de tous les pays, celles du Quai d'Orsay comprises (selon lesquelles le mouvement ukrainien est le protégé de Berlin dès avant 1914 : voir notamment la lettre 444 de Guillemin au ministre des Affaires étrangères, Vienne, 23 septembre 1907, Nouvelle série 1897-1918, Autriche-Hongrie, vol. 13, MAE). Voir par exemple Fritz Fischer, Les buts de guerre et Annie Lacroix-Riz, Le Vatican, passim, et les sources utilisées pour Le choix de la défaite.

[51] Alain Blum, Naître, p. 96-99 et n. 61, p. 241 (ouvrage d’Evgenij M. Andreev, Leonid E. Darskij et Tatiana L. Khar’kivan Istorija Naselenija SSSR, 1920-1959, Moscou, Muzej Goskomstata SSSR, 1990).

[52] Ibid., p. 99-107.

[53] Ibid., n. 63, p. 243, «récits de vies » américains et rapports des consuls italiens (Lettere de Kharkov La carestia in Ucraina e nel Caucaso del Nord nei rapporti dei diplomatici italiani, 1932-1933, Turin, Einaudi, 1991), sources curieusement non contestées. à quel titre l’« aveuglement » les épargne-t-elles?

[54] . Voir supra plusieurs courriers cités, URSS 1918-40, vol. 1036, situation économique, 3 août 1932-18 janvier 1940, MAE.

[55] . Annie Lacroix-Riz, Le Vatican, notamment chapitres 3 et 8.

[56] . Bruce Cumings, « Boundary displacement : area studies and international studies during and after the Cold War », in Simpson Christopher éd., Universities and Empire : money and politics in the social sciences during the Cold War, New York, New Press, 1998, p. 163-167 (citation, p. 163-164), et surtout Sigmund Diamond, Compromised Campus : the collaboration or Universities with the Intelligence Community, 1945-55, Oxford University Press, New York, 1992, chapitres 3-4, consacrés au « Russian Research Center ».

[57] . Courrier international, n° 595, 28 mars-3 avril 2002, p. 47-48.

Sommaire