Qui se trouve derrière la campagne et quelles actions ces personnes réclament-elles ?
Même un regard superficiel sur les personnes qui soutiennent
la campagne montre le rôle proéminent des chrétiens évangélistes
de droite et des principaux groupes sionistes dans cet appel pour « sauver
le Darfour ».
Un article du Jerusalem Post du 27 avril, intitulé « Les juifs
américains dirigent la planification du rassemblement en faveur du Darfour
», a décrit le rôle des principales organisations sionistes
dans la mise sur pied du rassemblement du 30 avril. Dans le New York Times,
une publicité d’une page entière en faveur du rassemblement
était signée par bon nombre d’organisations juives, y compris
UJA Affairs.
Mais il n’y avait pas que des groupes sionistes, dans cet appel. Le rassemblement
était sponsorisé par une coalition de 164 organisations comprenant
l’Association nationale des évangélistes, l’Alliance
évangéliste mondiale et d’autres groupes religieux qui ont
été les plus fervents supporters de l’invasion de l’Irak
décidée par l’administration Bush. Le groupe évangéliste
Sudan Sunrise, du Kansas, a contribué à affréter des cars
et à fournir des orateurs, a effectué de très larges collectes
de fonds et a mis sur pied un dîner rassemblant 600 personnes.
Ce fut à peine un rassemblement contre la guerre ou en faveur de la justice
sociale. Les organisateurs ont bénéficié d’une entrevue
personnelle avec le président George W. Bush juste avant le rassemblement.
Il leur a dit : « J’accueille favorablement votre participation.
Et je tiens à remercier les organisateurs d’être présents
ici aujourd’hui. »
À l’origine, la manifestation projetait d’attirer plus de
100.000 personnes. La couverture médiatique fit état de «
plusieurs milliers de participants », allant de 5.000 à 7.000.
La manifestation rassemblait une écrasante majorité de Blancs.
En dépit de son assistance clairsemée, elle reçut une large
couverture médiatique qui se concentra sur des orateurs vedettes comme
le lauréat de l’Academy Award, l’acteur George Clooney. Des
démocrates et des républicains de premier plan lui ont donné
leur bénédiction. Parmi ces politiciens, le sénateur démocrate
de l’Illinois Barack Obama, le secrétaire d’État adjoint
aux Affaires africaines Jendayi Frazer et le gouverneur du New Jersey Jon Corzine.
Ce dernier, soit dit en passant, a dépensé 62 millions de ses
« propres » dollars pour être élu.
Les médias traditionnels ont fait beaucoup plus de battage autour de
ce rassemblement qu' autour de la manifestation de 300.000 personnes contre
la guerre à New York, la veille, ou des manifestations de plusieurs millions
de personnes, à travers tout le pays et en faveur des droits des immigrés,
le lendemain.
L’ambassadeur des États-Unis aux Nations unies, John Bolton, l’ancien
secrétaire d’État le général Colin Powell,
la secrétaire d’État Condoleezza Rice, le général
Wesley Clarke et le Premier ministre britannique Tony Blair ont tous avancé
des arguments en faveur d’une intervention au Soudan.
Ces éminents architectes de la politique impérialiste font souvent
allusion à un autre modèle lorsqu' ils parlent en faveur
de cette intervention : la guerre « humanitaire » menée à
bien en Yougoslavie et qui, après une campagne de bombardements massifs,
a installé au Kosovo une administration gérée directement
par l’ONU et l’Otan.
Le musée de l’Holocauste à Washington a lancé une
« alerte au génocide ». Des dirigeants chrétiens ont
signé une lettre réclamant avec insistance du président
Bush qu' il envoie des troupes américaines pour mettre un terme
au génocide du Darfour. Un cours national spécial à l’attention
des étudiants a été instauré afin de générer
un soutien de masse à une intervention américaine.
De nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) financées par
le National Endowment for Democracy (NED – Fondation nationale en faveur
de la démocratie) ont pleinement soutenu la campagne. Des voix libérales,
comme Amy Goodman, de Democracy Now, le rabbin Michael Lerner, de TIKKUN, ainsi
que Human Rights Watch ont également fait la promotion de la campagne
pour « Sauver le Darfour ».
Une diversion à la débâcle en Irak
L’invasion criminelle et les bombardements massifs de
l’Irak, la destruction de ses infrastructures qui a laissé le peuple
sans eau potable et sans électricité courante, ainsi que les horribles
photos du recours à la torture par les militaires américains à
Abou Ghraïb ont suscité l’indignation à l’échelle
mondiale. Au point qu' en septembre 2004, le secrétaire d’État
le général Colin Powell s’est rendu au Soudan et a annoncé
au monde entier que la solution à ce « génocide »,
qualifié de crime du siècle, était d’exiger des Nations
unies qu' elles imposent des sanctions contre l’un des pays les plus
pauvres du monde et que des troupes américaines soient envoyées
sur place en tant que « garantes de la paix ».
Mais le reste du Conseil de sécurité des Nations unies n’a
pas voulu accepter ce point de vue, ni les preuves américaines ni les
actions proposées.
La campagne contre le Soudan a gagné en ampleur même quand les
preuves ont été fournies de ce que l’invasion américaine
de l’Irak reposait sur un mensonge absolu. Les mêmes médias
qui avaient apporté de la crédibilité à l’allégation
du gouvernement américain prétendant qu' il était
justifié d’envahir l’Irak parce que ce pays détenait
des « armes de destruction massive », embraie désormais sur
des rapports faisant état de « crimes de guerre » perpétrés
par les forces arabes au Soudan.
Cette campagne du Darfour réalisé certains objectifs de la politique
impérialiste américaine. Elle surenchérit dans la diabolisation
des peuples arabes et musulmans. Elle détourne l’attention de la
catastrophe sur le plan des droits de l’homme causée par la guerre
brutale des États-Unis et l’occupation de l’Irak, qui ont
tué et mutilé des centaines de milliers d’Irakiens.
C’est également une tentative de détourner l’attention
du financement et du soutien par les États-Unis de la guerre israélienne
contre le peuple palestinien.
Et, plus important encore, elle ouvre un nouveau front dans la détermination
du pouvoir des compagnies américaines à vouloir contrôler
la région tout entière.
Les intérêts américains au Soudan
Le Soudan est le plus vaste pays d’Afrique en superficie.
Il est situé stratégiquement sur la mer Rouge, immédiatement
au sud de l’Égypte et il a des frontières communes avec
sept autres pays africains. Il a grosso modo les dimensions de l’Europe
occidentale mais sa population n’est que de 35 millions d’habitants.
Le Darfour est la région occidentale du Soudan. Il a la taille de la
France, avec une population de 6 millions d’habitants.
Des ressources récemment découvertes ont suscité parmi
les compagnies américaines un intérêt très grand
pour le Soudan. On croit qu' il possède des réserves en pétrole
rivalisant avec celles de l’Arabie saoudite. Il possède également
de vastes poches de gaz naturel et son sous-sol abrite en outre l’un des
trois gisements les plus importants au monde d’uranium de haute pureté,
sans oublier qu' on y trouve aussi le quatrième gisement le plus
important en cuivre.
Au contraire de l’Arabie saoudite, toutefois, le gouvernement soudanais
a conservé son indépendance vis-à-vis de Washington. Incapable
de contrôler la politique pétrolière du Soudan, le gouvernement
impérialiste des États-Unis a multiplié les efforts pour
entraver le développement par le Soudan de ses précieuses ressources
naturelles. Par ailleurs, la Chine a travaillé avec le Soudan en lui
fournissant la technologie nécessaire pour la prospection, les forages,
le pompage et la construction d’un pipeline. Elle achète en outre
une grande quantité du pétrole soudanais.
La politique américaine vise à bloquer les exportations de pétrole
via des sanctions et l’attisement des antagonismes nationaux et régionaux.
Durant plus de deux décennies, l’impérialisme américain
a soutenu un mouvement séparatiste dans le sud du Soudan, où l’on
avait trouvé du pétrole pour la première fois. Cette longue
guerre civile a épuisé les ressources du gouvernement central.
Lorsqu' un accord de paix a enfin été négocié,
l’attention américaine a tout de suite glissé vers le Darfour,
dans le Soudan occidental.
Récemment, un accord similaire entre le gouvernement soudanais et des
groupes rebelles au Darfour a été rejeté par l’un
des groupes, de sorte que les combats se poursuivent. Les États-Unis
jouent aux médiateurs neutres et continuent à exercer des pressions
sur Khartoum en vue des concessions supplémentaires mais, « par
le biais de leurs alliés africains les plus proches, ils ont contribué
à entraîner les rebelles darfouriens de la SLA et de la JEM, ce
qui a engendré de violentes réactions de la part de Khartoum ».
(www.afrol.com)
Sur le plan ethnique, le Soudan présente l’une des populations
les plus diversifiées de la planète. Plus de 400 groupes ethniques
ont leurs propres langues et dialectes. L’arabe est la seule langue commune.
Le grand Khartoum, la plus grande ville du pays, compte une population de quelque
6 millions d’habitants. Environ 85 pour 100 de la population soudanaise
se consacre à l’agriculture de subsistance ou dans l’élevage
de bétail.
Les médias traditionnels américains sont unanimes pour décrire
de façon simpliste la crise du Darfour comme étant une série
d’atrocités commises par les milices jawid du Jan, soutenues par
le gouvernement central de Khartoum. Et on parle dans ce cas d’une agression
« arabe » contre le peuple « africain ».
C’est une distorsion totale de la réalité. Comme le faisait
remarquer le Commentateur noir, le 27 octobre 2004 : « Toutes les parties
impliquées dans le conflit du Darfour, soit comme arabes, soit comme
africaines, sont en fait composées d’indigènes et de noirs,
absolument au même titre. Tous sont des musulmans, tous sont des locaux.
Toute la population du Darfour parle arabe ainsi que de nombreux dialectes locaux.
Toutes ces personnes sont des musulmans sunnites. »
Sécheresse, famine et sanctions
La crise du Darfour tire ses origines dans les luttes entre
tribus. Une lutte désespérée s’est développée
autour d’une eau de plus en plus rare et des droits de pâturage
dans une vaste région de l’Afrique du Nord qui a été
durement touchée par des années de sécheresse et de famine
croissante.
Le Darfour compte plus de 35 tribus et groupes ethniques. Plus ou moins la moitié
de la population consiste en petits fermiers pratiquant une agriculture de subsistance,
l’autre moitié était constituée de bergers à
demi nomades. Depuis des centaines d’années, la population nomade
fait paître ses troupeaux de bétail et de camélidés
dans des grands espaces de plaines herbeuses. Fermiers et bergers se partagent
les puits. Durant plus de 5.000 ans, ce pays fertile a entretenu les populations,
tant du Darfour, dans l’ouest, que de l’est du pays, le long du
Nil.
Aujourd’hui, en raison de la sécheresse et de l’immense désert
saharien qui ne cesse de gagner du terrain, il n’y a plus assez de pâturages
ni de terres cultivables dans ce qui est pourtant censé être le
grenier de l’Afrique. L’irrigation et le développement des
riches ressources du Soudan pourrait résoudre bon nombre de ces problèmes.
Les sanctions et l’intervention militaire des États-Unis n’en
résoudront aucun.
Bien des gens, et particulièrement des enfants, sont morts au Soudan
de maladies absolument faciles à prévenir et à guérir
et ce, en raison d’une attaque par missiles de croisière américains
commandée par le président Bill Clinton le 20 août 1998
contre l’usine pharmaceutique d’El Shifa, à Khartoum. Cette
usine, qui produisait des médicaments bon marché pour traiter
la malaria et la tuberculose, fournissait 60 % des médicaments disponibles
au Soudan.
Les États-Unis avaient prétendu que le Soudan gérait là
une usine de fabrication du gaz toxique VX. Aucune preuve n’étayait
cette accusation. Cette simple usine de médicaments, totalement détruite
par 19 missiles, ne fut pas reconstruite et le Soudan ne reçut pas un
centime de dommages.
Le rôle de l’ONU et de l’Otan au Soudan
Actuellement, 7.000 militaires de l’Union africaine sont
au Darfour. La soutien logistique et technique est assuré par les forces
des États-Unis et de l’Otan. En outre, des milliers de membres
du personnel de l’ONU supervisent les camps de réfugiés
accueillant des centaines de milliers de personnes déplacées en
raison de la sécheresse, de la famine et de la guerre. Toutes ces forces
extérieures font bien plus que de distribuer la nourriture nécessaire.
Elles constituent également une source d’instabilité. Comme
les conquérants capitalistes en devenir le font depuis des centaines
d’années, elles dressent consciemment les divers groupes les uns
contre les autres.
L’impérialisme américain est lourdement impliqué
dans la région tout entière. Le Tchad, situé directement
à l’ouest du Darfour, a participé l’an dernier à
un exercice militaire international organisé par les États-Unis
et qui, selon le département américain de la Défense, était
le plus important jamais mis sur pied en Afrique depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le Tchad est une ancienne colonie française et tant les troupes françaises
que les troupes américaines sont profondément impliquées
dans le financement, l’entraînement et l’équipement
de l’armée du chef militaire du Tchad, Idriss Deby, qui a soutenu
des groupes de rebelles au Darfour.
Durant plus d’un demi-siècle, la Grande-Bretagne a dirigé
le Soudan, y rencontrant une résistance largement répandue. La
politique coloniale britannique était profondément enracinée
dans la tactique consistant à « diviser pour régner »
et à maintenir ses colonies dans un état de sous-développement
et d’isolement censé faciliter le pillage de leurs ressources.
Ces dernières années, l’impérialisme américain,
qui a remplacé les puissances coloniales européennes dans de nombreuses
parties du monde, a saboté l’indépendance économique
des pays qui essayaient de sortir du sous-développement colonial. Ses
principales armes économiques ont consisté en des sanctions combinées
aux exigences d’« ajustement structurel » exprimées
par le Fonds monétaire international, qu' il contrôle. En
échange de prêts, les gouvernements visés doivent tailler
dans les budgets qu' ils ont prévus pour le développement
de leurs infrastructures.
Comment des exigences de sanctions émanant d’organisations occidentales
et se traduisant par le maintien du sous-développement et de l’isolement,
pourraient-elles résoudre le moindre de ces problèmes ?
Washington a souvent utilisé son pouvoir terrible au sein du Conseil
de sécurité des Nations unies pour faire passer des résolutions
censées appliquer ses plans, c’est-à-dire envoyer des troupes
américaines dans d’autres pays. Il n’y eut jamais de missions
humanitaires !
Des troupes américaines arborant le drapeau des Nations unies envahirent
la Corée en 1950 et la guerre se traduisit par plus de 4 millions de
morts. Arborant toujours ce même drapeau, les troupes américaines
ont d’ailleurs occupé et divisé la péninsule coréenne
durant plus de 50 ans.
En 1961, sur l’insistance des États-Unis, des troupes de l’ONU
ont été déployées au Congo, où elles aller
jouer un rôle dans l’assassinat de Patrice Lumumba, le tout premier
Premier ministre du pays.
En 1991, les États-Unis ont été à même d’obtenir
un mandat de l’ONU pour bombarder massivement toutes les infrastructures
de la population civile irakienne, y compris des sites d’épuration
des eaux, des sites d’irrigation et de traitement de la nourriture et
appliquer des sanctions destinées à affamer la population. Le
tout se traduisit par la mort de plus de 1,5 million d’Irakiens.
Les troupes des Nations unies en Yougoslavie et en Haïti ont été
une couverture pour l’intervention américaine et européenne
et la réconciliation via l’occupation.
Les puissances impérialistes américaine et européennes
sont responsables de la traite génocidaire des esclaves qui a décimé
l’Afrique, du génocide des populations indigènes des Amériques,
des guerres et occupations coloniales qui ont pillé les trois quarts
de la planète. C’est l’impérialisme allemand qui fut
responsable du génocide du peuple juif. Lancer un appel en faveur d’une
intervention militaire par ces mêmes puissances afin de répondre
aux conflits qui opposent certains peuples du Darfour équivaut à
ignorer tout simplement cinq siècles d’histoire.
Juste après le bombardement de l’usine
pharmaceutique d’El Shifa, en 1998, Sara Flounders s’est rendue
au Soudan en compagnie de John Parker. Tous deux faisaient partie d’une
délégation d’investigation de l’International Action
Center, dirigée par Ramsey Clark.
Source www.michelcollon.info