« L’anti-impérialisme pousse certains États
à se rapprocher »
Près de cinquante ans après la conférence
de Bandung, quels sont les objectifs politiques et économiques poursuivis
par les non-alignés ?
Samir Amin. Ils sont confrontés
à des défis nouveaux, très différents de ceux auxquels
les peuples et les nations d’Asie et d’Afrique étaient confrontés
il y a soixante ans. À l’époque, nous étions dans
une période marquée par la victoire des mouvements de libération
nationaux sur l’impérialisme ancien, sur le colonialisme. Des victoires
parfois associées à des révolutions sociales radicales
comme en Chine, au Vietnam et plus tard à Cuba. Les gouvernements du
tiers-monde en général, issus de ces mouvements de libération
nationaux, bénéficiaient donc d’une très grande légitimité
auprès de leur peuple. Bandung a été un Bandung des États
et des peuples en dépit de certaines nuances.
Et aujourd’hui ?
Samir Amin. Ce n’est
plus le cas. après l’offensive néolibérale, l’effondrement
de l’Union soviétique, les orientations de la « recompradorisation
», la recolonisation à travers le Fonds monétaire et la
Banque mondiale de beaucoup de pays africains, le glissement vers le capitalisme
de pays socialistes, je pense à la Chine et au Vietnam, ont créé
une situation nouvelle. Mais il y a une donnée permanente dans l’histoire
: l’impérialisme. Ses formes sont renouvelées mais il est
toujours présent, d’une façon encore plus violente à
travers les guerres préventives conduites par les États-Unis avec
ses alliés européens et les autres. Le Bandung nécessaire
: c’est d’abord un Bandung des peuples.
Ces dernières années, on a vu de très
grandes victoires en Amérique latine, comme au Venezuela et en Bolivie.
On assiste à une montée en puissance d’un mouvement populaire
renouvelé. Des conditions se dessinent pour la construction d’un
nouveau front commun.
N’est-ce pas contradictoire de voir se rassembler des
présidents aux idéologies aussi opposées que Fidel Castro
et Mahmoud Ahmadinejad ?
Samir Amin. Le terrain de
rassemblement est la résistance à l’impérialisme.
Les États-Unis déploient leur projet de contrôle militaire
de la planète. Ils ont choisi le Moyen-Orient comme région de
première frappe, prenant prétexte du 11 septembre, pour envahir
l’Afghanistan, exercer une influence sur l’Asie centrale ex-soviétique.
Puis ils ont envahi l’Irak, ils ont essayé de faire envahir le
Liban par personnes interposées, avec leurs amis israéliens. Face
à ce déploiement, il est tout à fait normal et souhaitable
qu' un front commun se mette en place pour soutenir les pays menacés
ou même les gouvernements, que l’on ait pour eux de la sympathie
ou non - je n’ai personnellement aucune sympathie pour la politique intérieure
économique, sociale, et culturelle du régime iranien.
Selon vous, les non-alignés peuvent-ils de nouveau
peser dans les relations internationales ?
Samir Amin. Oui. L’orientation
dans cette direction se dessine très nettement. Regardez ce qui s’est
passé en Chine avec la réunion du groupe de Shanghai, qui a rassemblé
la chine, la Russie les pays de l’Asie centrale ex-soviétique,
et le rapprochement avec l’Inde en dépit des manoeuvres américaines
pour accuser une contradiction entre l’Inde et la Chine.
Que peut-il sortir de ce sommet ?
Samir Amin. Une déclaration générale qui
mette les points sur les « i » concernant les agressions des États-Unis
et de leurs alliés. Cela peut amorcer également aux Nations unies
la prise de position plus nette des pays du tiers-monde à l’égard
des agressions impérialistes.
(1) Auteur de Pour une Ve
Internationale, suivi de l’Appel de Bamako, éd. Le Temps des cerises.
(cf. l’Humanité du 5 septembre 2006).
source http://www.humanite.fr
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