« L’anti-impérialisme pousse certains États à se rapprocher »

Non-alignés . Alors que démarre le sommet de Cuba, l’économiste Samir Amin (1) estime que le fait le plus marquant est la montée de la résistance des peuples. Tandis que le 14e Sommet des non-alignés s’est ouvert hier à La Havane (Cuba), le directeur du Forum du tiers-monde revient sur l’histoire et la trajectoire de ce mouvement. Et les enjeux auxquels les non-alignés sont actuellement confrontés.

Près de cinquante ans après la conférence de Bandung, quels sont les objectifs politiques et économiques poursuivis par les non-alignés ?

Samir Amin. Ils sont confrontés à des défis nouveaux, très différents de ceux auxquels les peuples et les nations d’Asie et d’Afrique étaient confrontés il y a soixante ans. À l’époque, nous étions dans une période marquée par la victoire des mouvements de libération nationaux sur l’impérialisme ancien, sur le colonialisme. Des victoires parfois associées à des révolutions sociales radicales comme en Chine, au Vietnam et plus tard à Cuba. Les gouvernements du tiers-monde en général, issus de ces mouvements de libération nationaux, bénéficiaient donc d’une très grande légitimité auprès de leur peuple. Bandung a été un Bandung des États et des peuples en dépit de certaines nuances.

Et aujourd’hui ?

Samir Amin. Ce n’est plus le cas. après l’offensive néolibérale, l’effondrement de l’Union soviétique, les orientations de la « recompradorisation », la recolonisation à travers le Fonds monétaire et la Banque mondiale de beaucoup de pays africains, le glissement vers le capitalisme de pays socialistes, je pense à la Chine et au Vietnam, ont créé une situation nouvelle. Mais il y a une donnée permanente dans l’histoire : l’impérialisme. Ses formes sont renouvelées mais il est toujours présent, d’une façon encore plus violente à travers les guerres préventives conduites par les États-Unis avec ses alliés européens et les autres. Le Bandung nécessaire : c’est d’abord un Bandung des peuples.

Ces dernières années, on a vu de très grandes victoires en Amérique latine, comme au Venezuela et en Bolivie. On assiste à une montée en puissance d’un mouvement populaire renouvelé. Des conditions se dessinent pour la construction d’un nouveau front commun.

N’est-ce pas contradictoire de voir se rassembler des présidents aux idéologies aussi opposées que Fidel Castro et Mahmoud Ahmadinejad ?

Samir Amin. Le terrain de rassemblement est la résistance à l’impérialisme. Les États-Unis déploient leur projet de contrôle militaire de la planète. Ils ont choisi le Moyen-Orient comme région de première frappe, prenant prétexte du 11 septembre, pour envahir l’Afghanistan, exercer une influence sur l’Asie centrale ex-soviétique. Puis ils ont envahi l’Irak, ils ont essayé de faire envahir le Liban par personnes interposées, avec leurs amis israéliens. Face à ce déploiement, il est tout à fait normal et souhaitable qu' un front commun se mette en place pour soutenir les pays menacés ou même les gouvernements, que l’on ait pour eux de la sympathie ou non - je n’ai personnellement aucune sympathie pour la politique intérieure économique, sociale, et culturelle du régime iranien.

Selon vous, les non-alignés peuvent-ils de nouveau peser dans les relations internationales ?

Samir Amin. Oui. L’orientation dans cette direction se dessine très nettement. Regardez ce qui s’est passé en Chine avec la réunion du groupe de Shanghai, qui a rassemblé la chine, la Russie les pays de l’Asie centrale ex-soviétique, et le rapprochement avec l’Inde en dépit des manoeuvres américaines pour accuser une contradiction entre l’Inde et la Chine.

Que peut-il sortir de ce sommet ?

Samir Amin. Une déclaration générale qui mette les points sur les « i » concernant les agressions des États-Unis et de leurs alliés. Cela peut amorcer également aux Nations unies la prise de position plus nette des pays du tiers-monde à l’égard des agressions impérialistes.

(1) Auteur de Pour une Ve Internationale, suivi de l’Appel de Bamako, éd. Le Temps des cerises. (cf. l’Humanité du 5 septembre 2006).

Entretien réalisé par C. C.

source http://www.humanite.fr édition du 12 septembre

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