COMPRENDRE LE RôLE RéEL DE LA FRANCE ET EN QUOI ELLE POURRAIT JOUER UNE STRATéGIE INDéPENDANTE DES éTATS-UNIS ET DE L’UNION EUROPéENNE

La France a tout intérêt comme elle a su parfois le faire, marquer son indépendance par rapport aux Etats-Unis et même à se distinguer de l’Union européenne totalement vassalisée. D’abord parce que comme en a témoigné le récent sommet des ministres des finances du G 7 à Tokyo, face à la crise financière et économique c’est le chacun pour soi. La débandade est partie des Etats-Unis et c’est un double constat de faillite pour les économies impérialistes de la planète. (1) Il ne s’agit donc pas quand nous parlons d’indépendance française de défendre une position vertueuse, mais le simple bon sens de nos intérêts devrait y conduire. Malheureusement, la France oscille toujours entre une stratégie d’entente avec les pays qui tentent de défendre leur souveraineté et dans le même temps l’acceptation de jouer les supplétifs militaires des Etats-Unis. L’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, son adhésion aux pires aventures étasunienne et sa politique erratique ne font qu' aggraver la tendance. Dernière remarque, la connaissance du contexte réel devrait nous éclairer sur une autre particularité bien française : la manière dont certains stipendiés des Etats-Unis dans le politico-intellectualo-médiatique lancent des campagnes au nom des « droits de l’homme » et du devoir d’ingérence qui ne sont que l’accompagnement de ce rôle de supplétif. Alors soyons réalistes à défaut d’avoir une parcelle d’humanité et de respect de l’autre…

LA CHINE SUR LE PRE CARRE FRANÇAIS EN AFRIQUE : confrontation ou collaboration ?

La semaine dernière, réunis par Ubifrance dans un colloque, les entrepreneurs français ont manifesté une grande inquiétude sur la manière dont la Chine les délogeait de l’Afrique. En ce moment le thème favori du monde des affaires est la dénonciation de « l’opacité »(2), ainsi en serait-il selon cet aréopage des activités chinoises en Afrique : les chiffres qui circulent sur les montants de l’aide chinoise au développement vont de 15 à 20 milliards de dollars » a expliqué Christophe Richard, responsable du pôle Chine à l’Agence française de développement de l’AFD. L’Afrique non seulement absorberait 5 à 10% de ce total mais la hausse est constante au point de désormais dépasser le Japon sur ce continent qui lui-même dépasse l’Europe.

Au moins 26 pays du continent africain ont signé des accords-cadres avec le gouvernement chinois ouvrant la voie au développement « lié » c’est-à-dire garantissant une ouverture aux groupes chinois. Donc les échanges bilatéraux entre la Chine et ces pays devraient encore doubler entre 2006 et 2010 pour atteindre 100 milliards de dollars. Ce sont les ressources minières et les hydrocarbures qui intéressent la Chine et cette dernière insiste sur le fait que ces échanges bénéficient à l’Afrique puisque le continent noir a un excédent commercial avec la Chine et que de fait on assiste durant le même moment à une résurrection de ce continent que l’on disait abandonné au marasme(3). Mais l’excédent concerne des pays comme l’Angola et le Soudan, les pays producteurs de pétrole et de matière première.

Le colloque qui réunissait les entrepreneurs français a tenté de chercher les moyens pour la France de faire face à son déclin en Afrique. Disons que dans cette première semaine de février, il a été exploré plusieurs pistes. La première est celle qui a fait jour lors de ce colloque, il s’agit de tabler sur la qualification française. Selon Jérémie NI, directeur de cabinet Sinautec : « En matière de gestion de projets, de personnel qualifié ou de prestations juridiques, les groupes chinois ont besoin d’aide ». Il a plaidé comme d’autres dirigeants d’entreprises pour une stratégie d’alliance en amont avec les sociétés chinoises qui s’installent. C’est le cas de Nexans qui a créé un groupe de salariés chargés de marquer à la culotte les Chinois, ils ont pour seule tâche de suivre de très près les grands groupes s’implantant en Afrique et de leur proposer leurs services, pour être sur d’être mieux entendu Nexans a même recruté une équipe de Chinois. C’est pareil pour Alcatel qui remonte encore plus haut en amont et a créé une co-entreprise avec le gouvernement chinois comme actionnaire. Donc à chaque initiative de l’Etat chinois, Alcatel est là.

UNE AUTRE POLITIQUE EST POSSIBLE

Il y a donc dans l’alliance une issue. C’est une stratégie qui nous paraît tout à fait intéressante et que l’on retrouve avec les meilleurs effets dans d’autres cas. Nous n’insisterons pas là-dessus, mais nous voudrions en citer deux qui illustrent la capacité qu' aurait la France de choisir d’autres voies que celle de l’atlantisme ou ce qui revient au même la voie de l’Union européenne. Les deux exemples sont d’autant plus intéressants qu' ils concernent la manière dont des pays ont tenté de se réapproprier leurs ressources et pour cela ont été confrontés aux Etats-Unis et à leurs alliés.

Le premier exemple est la récente alliance avec Gazprom autour du tracé du gazoduc dont nous avons fait état ici.
Le second exemple est celui du Venezuela où Total a joué une tout autre stratégie que Exxon, acceptant une compensation et maintenant sa présence.

Il est clair que la France dont les grandes transnationales sont restées longtemps des entreprises nationales seraient plus à même d’entrer dans un mouvement irréversible, celui d’Etat renégociant les contrats qui les lient aux grandes compagnies. La France devrait même pour son propre compte rentrer dans le même mouvement de nationalisation. Il est clair qu' une partie du patronat traditionnellement lié à la souveraineté nationale penche de ce côté, mais il est totalement minoritaire au niveau de ses instances représentatives comme au niveau du gouvernement où se multiplient néanmoins les tensions.

Il faut pour mener cette autre politique partir du mouvement irresistible qui est en train de gagner la planète et qui consiste pour les pays à se réaproprier leurs ressources(4). En ce sens, le gel des avoir du Venezuela sur demande d’Exxon dépasse le strict cadre de l’affrontement entre le Venezuela de Chavez et la major étasunienne, il porte sur une question essentielle pour le droit international : qui est propriétaire de ses ressources ? Une nation ou les investisseurs ?

La France pour qui les questions de souveraineté nationale ont toujours été essentielles doit se positionner sur cet enjeu. Total a accepté de jouer le jeu, c’est un pas en avant. Il est clair que durant le même temps la signature du traité à Versailles, notre dilution dans une politique européenne proches des Etats-Unis va dans un autre sens.

Il y a également une autre tradition française qui ne date pas seulement de la Libération et de sa vague de nationalisation mais remonte quasiment à la royauté française, en passant par napoléon est celle qui combine qualité, formation et contrôle de l’Etat, lâchons le mot de planification. C’est nous l’avons vu cet ensemble qui permet à nos entreprises de pouvoir collaborer avec la Chine en Afrique. Dans une période où le développement nécessite un nouveau rôle des Etats (5), la vague européenne dans laquelle on tente de noyer la possibilité d’intervention de la france, la défense de ses services publics, mais aussi le contrôle sur le crédit paraît plus que jamais indispensable.

Nous restons vous le remarquerez seulement dans ce qui peut fonder le rassemblement entre la classe ouvrière française, les peuples du Tiers monde et des pays “émergents” jusqu' à un patronat “éclairé” s’il existe encore. C’est dire à quel point la gauche, les communistes en particulier pourraient donner un contenu progressiste à un tel essor.

Mais cela suppose de dénoncer les démons français, le néo-colonialisme et la collaboration atlantiste, sans parler des crétins qui se balladent le coeur en écharpe pour justifier le néo-colonialisme, pour brouiller les enjeux.

LES DEMONS FRANÇAIS

Durant ce même début février 2008, la France a choisi une stratégie celle du soutien aux potentats et dictateurs locaux en collaboration avec les Etats-Unis, c’est la stratégie du Darfour, et celle du Tchad. Dans ce pays Idriss Déby qui s’est imposé à la tête du pays par les armes en 1990 a fait face à la rébellion. C’est un régime à bout de souffle qui ne tient plus que par ses deux parrains Kadhafi et la France. Les élections de 2006 ont été une véritable mascarade sous la protection de l’armée française qui vient une fois de plus de sauver la mise à ce pays, un des plus pauvres de la planète et qui jusqu' ici ne vivait que de subsides de la France qui avait là une base militaire pour surveiller ses intérêts. Mais en 2003, dans le sud du pays à Doba, ont été mis en production des champs pétroliers par un consortium composé des nord-américains ExxonMobil et Chevron, du malaisien Petronas.

La Banque Mondiale avait estimé toujours en 2003, que le pays pourrait en retirer environ 2,5 milliards de dollars sur la base de 1 milliard de barils sur trente ans à 15 dollars, depuis il y a eu un véritable envol des prix et le pays aurait engrangé pour la seule année 2007, entre 1 et 1,5 milliards de dollars de recette. La Banque Mondiale, toujours elle, avait fait du Tchad le banc d’essai pour une gestion exemplaire des dépenses au profit de l’éducation, de la santé, des infrastructures de base. Mais dans le même temps le président Idriss Deby et le clan au pouvoir a redistribué la manne pétrolière pour augmenter leurs richesses personnelles et l’achat d’arme. A qui ? à la France, bien sûr. Avec ces armes, le Tchad soutient la rébellion soudanaise et se protège contre son peuple en rébellion avec l’aide de l’armée française.

Et ce pendant que Bernard henry Levy et Kouchner en appellent à la lutte contre le « génocide » au Darfour, pour la plus grande gloire de Exxon Mobil, Chevron et les trusts de l’armement français, quitte à y envoyer les zozos de l’arche de Zoe.

L’affaire est bien sûr complexe parce que l’Afrique s’est réveillée et que les alliés ne sont pas sûrs. Si l’on considère ceux que l’occident a rallié à sa cause, par exemple Kadhafi et Bouteflika, le moins que l’on puisse dire est qu' ils sont instables. Kadhafi peut toujours se retourner contre ses alliés d’aujourd’hui et prendre au sérieux le rôle de protecteur du continent africain qu' il revendique. Bouteflika qui a opéré un véritable retournement en refusant l’alliance, comme la Libye, proposée par les Russes sur le contrôle commun du marché du gaz et en offrant de plus en plus son pays aux Etats-Unis, sous couvert de lutter contre un terrorisme dont on ne sait plus très bien si ne sont pas les Etats-Unis et leur allié saoudien qui le provoquent. Bouteflika est flanqué d’une armée qui apprécie diversement ces nouveaux alliés. Mais ces questions mériteraient un article en soi. Il est évident que cette zone d’Afrique du Nord a du mal à se dégager de la violence endémique, entretenue comme le seul moyen de maintenir sa présence par les Etats-Unis dans le Moyen et proche orient. Mais déjà l’Afrique est en train de développer sa propre union sous l’influence de pays comme l’Afrique du Sud, le Sénégal et le Nigeria. Une Afrique nouvelle est en train de naître. La Chine y a joué et continue d’y jouer un rôle pacificateur de relations sud-sud. La France non seulement souffre du handicap d’être une ancienne puissance coloniale, mais de son rôle actuel, celui de prétendre par la force y maintenir les dirigeants qui permettent l’exploitation des ressources.

Danielle Bleitrach

(1) Les ministres des finances des sept pays les plus industrialisés- Etats-Unis, Canada, Allemagne, Grande Bretagne, France, Italie, Japon- se sont réunis à Tokyo le samedi 7 févier 2008, non seulement ils ont peint un tableau pessimiste de l’économie mondiale mais ils se sont montrés incapables d’envisager la moindre action coordonnée d’envergure. Un double constat de faillite. « Le monde ont-il dit dans le communiqué final, est confronté à un environnement plus difficile et incertain » depuis leur dernière rencontre en octobre 2007.
(2) ainsi au sommet de Tokyo des grands argentiers, la montagne a accouché d’une souris, incapable de s’entendre sur des mesures coordonnées face au crédit et à sa gestion, la position minimale a été de réclamer plus de transparence des banques, ce qui est une plaisanterie vu que le propre des “montages” est justement l’opacité qui permet de faire retomber les risques sur le lampiste.
(3) Nous ne parlons ici que du Tchad et pas du Kenya qui appartient à la zone anglophone. Mais il faudrait lire ce conflit kenyan selon Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris (Institut des Relations internationales et stratégiques) à la lumière d’enjeux fonciers datant de l’époque coloniale et à la mauvaise répartition d’une croissance de 6%. Ce qui apparaît est une Afrique jeune et dynamique qui supporte de plus en plus mal la génération mise en place par les ex-puissances coloniale pour assurer un néo-colonialisme. Dans le même temps l’insistance sur les « problèmes dits tribaux » ne doit pas occulter le fait que le cadre national n’est pas remis en cause et que le nombre de conflits vraiment sanglants a tendance à diminuer. L’Afrique sur le fond paraît décidé à reprendre en main son destin.
(4) le dernier pays en date est le Kazakhtan qui a menacé de reprendre la main et d’exiger des renégociations. Il est évident que ce réveil doit être analysé dans le cadre de l’organisation de Coopération de Shangai, avec là encore la demande chinoise.
(5)Dans les échos du lundi 11 février voir l’article de felix Rohatyn, l’ancien ambassadeur des Etats-Unis en france intitulé “L’Amérique a besoin d’un nouveau New deal”. Article que nous allons tenter de reproduire ici parce qu' il témoigne bien de la nouvelle période face à la crise.

http://socio13.wordpress.com/2008/02/12/en-afrique-comme-sur-toute-la-planete-soyons-realistes-par-danielle-bleitrach/

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