OTAN - Le grand jeu des bases militaires en terre européenne,
par Manlio Dinucci
C’est avec un « dîner transatlantique
» offert par le ministre des affaires étrangères bulgare,
que s’est conclue vendredi (28 avril), à Sofia, la rencontre «
informelle » de l’Otan, à laquelle ont participé les
ministres des affaires étrangères des 26 pays membres. Plat de
résistance, le thème du « prochain round de l’élargissement
», qui sera mieux défini en novembre au sommet officiel de Riga
(Lettonie). L’extension de l’Otan à l’est continue
donc.
après avoir englobé, en 1999, les trois premiers
pays de l’ex-Pacte de Varsovie (Pologne, République Tchèque
et Hongrie), l’Otan, en 2004, s’est étendue à sept
autres : Estonie, Lettonie, Lituanie (ex-pays de l’Union soviétique)
; la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie (ex-pays du Pacte de Varsovie) ; la
Slovénie (ex-partie de la Yougoslavie). A l’heure actuelle, informe
l’Otan, l’Albanie, la Croatie et la Macédoine participent
à un programme qui les prépare à entrer dans l’Alliance,
alors que l’Ukraine et la Géorgie ont exprimé « l’ambition
» d’en faire autant.
La conquête de l’Est
C’est Washington qui fait pression pour l’élargissement
de l’Otan à l’est. La raison en est claire : cela lui permet
de faire avancer ses propres forces et bases vers l’est. Confirmé
par le fait que la secrétaire d’état Condoleeza Rice, après
sa rencontre « informelle » de Sofia, a signé un important
accord officiel (Defense Cooperation Agreement) avec le gouvernement bulgare.
Cet accord autorise le Pentagone à utiliser quatre bases militaires bulgares
: les bases aériennes de Bezmer, Graf Ignatievo et Sarafovo, et la base
terrestre de Novo Selo. Ainsi que le port de Burgas, et un dépôt
limitrophe. Formellement ce seront des bases bulgares mises à disposition
des forces étasuniennes pour des « objectifs d’entraînement
». Au moins 2500 militaires étasuniens seront présents sur
les lieux. L’accord consent en outre aux Etats-Unis d’utiliser les
bases pour des « missions en pays tiers sans l’autorisation spécifique
des autorités bulgares ». Celles-ci renoncent aussi à exercer
le droit de juridiction sur des délits commis en Bulgarie par des militaires
étasuniens.
Condoleeza Rice revient ainsi à Washington avec un autre accord important
dans les mains, après celui conclu en décembre avec le gouvernement
roumain : ce contrat autorisait les Etats-Unis à se servir en permanence
de la base aérienne de Mihail Kogalniceanu et d’une base terrestre
voisine, déjà utilisées par le Pentagone pour les guerres
en Afghanistan et Irak. De tels accords concèdent ces bases non pas à
l’Otan (et donc aux autres alliés européens) mais uniquement
aux Etats-Unis qui peuvent, si nécessaire, les utiliser indépendamment
de ce que décide l’Alliance.
Pour comprendre l’importance géostratégique de telles bases,
il suffit de porter son regard sur une carte géographique : elles se
trouvent à 1500 Kms à peine de l’Irak, l’Iran et la
Syrie, une distance qu' un chasseur bombardier peut couvrir en une demi
heure environ. Par ailleurs, leur position les rend aptes à des opérations
dans l’aire stratégique de la Caspienne et de l’Asie centrale,
et permet d’avoir à portée de tirs des objectifs à
l’intérieur même de la Russie. C’est pour cela qu' à
l’occasion de la signature de l’accord avec la Bulgarie, l’ambassade
étasunienne à Sofia a précisé que cet accord «
ne prévoit pas le déploiement de systèmes balistiques de
missiles Usa en Bulgarie », ni qu' il y n’ait « aucune
intention, plan, ou raison d’installer des armes nucléaires sur
le territoire des nouveaux pays membres de l’Otan ». Un message
tranquillisant à l’intention de Moscou. Contredit cependant par
le fait que, neuf jours avant l’accord sur les bases, on a vu accoster,
dans le port bulgare de Varna, le destroyer lance missiles Porter Ddg 78 de
la marine Us, armé de missiles Tomahawk à double capacité,
conventionnelle et nucléaire. C’est la deuxième fois cette
année que le Porter opère en Mer Noire : en février avec
les marines ukrainienne et roumaine, en avril avec les géorgienne et
roumaine.
La main de Washington
La mise en activité des nouvelles bases Us en Bulgarie et Roumanie répond
à une double stratégie militaire et politique. D’un côté,
celle de délocaliser les forces étasuniennes en Europe vers l’est
et vers le sud, de façon à utiliser plus efficacement le territoire
européen comme tremplin de la « projection de puissance »
vers les aires stratégiques d’Asie et du Moyen-Orient. De l’autre,
celle de renforcer l’influence étasunienne dans les pays de l’ex-Pacte
de Varsovie et de l’ex-Urss. Entre aussi dans ce cadre l’intense
activité à travers la quelle les Etats-Unis entendent promouvoir
et financer (par des prêts aliénants) la « modernisation
» des forces armées des pays de l’est, actuels ou futurs
membres de l’Otan, en les dotant de systèmes d’armes étasuniens
et en les intégrant dans le réseau de commandement, contrôle
et communications du Pentagone.
A travers eux et d’autres systèmes, les Etats-Unis s’allient
les pays de l’est, afin de renforcer leur influence dans la région
européenne dans la phase critique où , après la dissolution
du Pacte de Varsovie et la désagrégation de l’Urss, ils
sont en train d’en redessiner les assises politiques, économiques
et militaires. Ce n’est pas un hasard si, dans la conférence qui
s’est tenue à Sofia après l’accord, Condoleeza Rice
a dit que les Etats-Unis « soutiennent fortement les efforts accomplis
par la Bulgarie pour entrer dans l’Union Européenne ».
La raison en est évidente : Bulgarie et Roumanie, candidates à
l’entrée dans l’UE en 2007, font partie - avec la Pologne,
la République Tchèque, la Hongrie, l’Estonie, la Lettonie,
la Lituanie, la Slovaquie et la Slovénie, déjà entrées
en 2004 - de l’Alliance atlantique, sous la direction étasunienne
indiscutable et, à travers des accord directs, en viennent à être
plus liées à Washington qu' à Bruxelles. Washington
s’assure ainsi d’instruments solides pour orienter ses choix politiques
et stratégiques.
C’est dans la même stratégie qu' opère la présence
militaire des Usa en Italie, qui est en train de s’accroître dans
la même importance que sa relocalisation vers le sud. Fait confirmé
par le transfert de Londres à Naples du quartier général
des Forces navales Usa en Europe. C’est là qu' opère
aussi le Joint Force Command de l’Otan, sous les ordres d’un amiral
étasunien, qui est en même temps commandant des Forces navales
USA en Europe et de la Force de riposte de l’Otan. Les forces et structures
militaires étasuniennes en Italie, comme celles de la Bulgarie et de
la Roumanie, dépendent de l’Eucom (Commandement européen
des Etats-Unis), dont l’aire opérationnelle comprend toute l’Europe,
une grande partie de l’Afrique et certaines parties du Moyen-Orient, pour
un total de 91 pays. Ces forces sont insérées dans la chaîne
de commandement du Pentagone et donc hors de tout mécanisme décisionnel
des pays dans lesquels elles se trouvent. Ce qu' est leur rôle non
seulement militaire mais aussi politique est clairement annoncé par Washington
: « Dans la mesure où demeurent en Europe des forces étasuniennes
significatives - explique un rapport officiel- le leadership peut être
maintenu » (Commission on Review of Overseas Military Structure of United
States, 9 mai 2005).
De l’est à la Méditerranée
Voici le nœud politique auquel est confronté le gouvernement Prodi.
Le « respect de l’article 11 de la Constitution italienne »,
affirmé dans le programme de l’Unione, requiert non seulement le
retrait des troupes hors d’Irak, mais une politique globale qui décroche
l’Italie du char de guerre étasunien. Mais pour ce faire il faut
affronter la triple question de la présence militaire Us en Italie, du
nouveau rôle de l’Otan et du nouveau modèle de défense.
L’Italie, même si elle retire ses troupes d’Irak, devra augmenter
celles qui sont en Afghanistan dans le cadre du doublement annoncé du
contingent Otan, et risque d’être entraînée d’un
moment à l’autre dans une autre aventure militaire désastreuse,
comme pourrait l’être l’attaque contre l’Iran que le
Pentagone est en train de planifier. Cette question est complètement
éludée dans le programme de gouvernement de l’Unione, dans
lequel on affirme au contraire que notre pays doit être « un allié
loyal des Etas-Unis ». Cela signifie-t-il que nous devons donner à
Washington une autre preuve de « loyauté », comme celle qui
a déjà été donnée par le gouvernement D’Alema
?
Manlio Dinucci
- Source : il manifesto www.ilmanifesto.it
- Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio