L’ORGANISATION DE COOPERATION DE SHANGHAI : UN ADVERSAIRE
DE L’OTAN OU BIEN PLUS QUE CA ?
Assez tardivement, MIKHAIL GORBATCHEV découvre que les
dirigeants des Etats-Unis n’ont pas de parole. Il a en effet déclaré
à plusieurs reprises ces derniers mois que lorsqu' il avait annoncé
en 1989 que l’URSS allait retirer toutes ses troupes de l’Europe
de l’Est en commençant par l’Allemagne et Berlin, il l’avait
fait après que les Etats-Unis lui aient promis de ne pas étendre
l’OTAN vers l’Est au delà des limites que l’Organisation
avait atteintes cette année-là.
Encore était-il trop souple dans une négociation
de très grande portée historique. La logique de la détente
et des accords d’Helsinki aurait voulu que l’OTAN se dissolve au
moment où se dissolvait sa réplique et son adversaire officiel
: le Pacte de Varsovie. Il n’en fut rien et l’OTAN a poursuivi depuis
1989 un mouvement pour l’instant inexorable visant à englober tous
les pays du pacte de Varsovie.
C’est aujourd’hui chose faite. La poussée
de l’OTAN vers l’Est et jusqu' aux frontières occidentales
de la Russie a ensuite concerné des républiques issues elles-mêmes
de l’URSS. Les trois républiques baltes ont changé de camp
comme un seul homme. Le Belarus fait au contraire tous ses efforts pour demeurer
le meilleur allié de la Russie au point de faire pression, jusqu' à
présent sans résultat, pour reconstruire un Etat fédéral
commun. Restent deux pays encore incertains de leur destin : la Géorgie
et l’Ukraine et qui font de la rive Nord de la Mer Noire une zone dangereuse
où l’OTAN veut s’implanter par tous les moyens.
On peut s’étonner de la naïveté de
M GORBATCHEV. Le régime soviétique était-il si faible qu' il
ne pouvait même pas demander de contreparties aux énormes concessions
qu' il faisait lui-même, était il miné par la déroute
afghane, n’a-t-il pas compris que ce que voulaient les Etats-Unis n’était
pas la disparition d’un régime politique antagonique qui manifestement
n’était plus porteur d’espoirs populaires , ni en URSS ni
ailleurs, mais l’élimination d’un adversaire, du seul adversaire
d’alors qui contrariait les ambitions toujours vivaces, la suite l’a
prouvé, de domination mondiale sans partage.
Toujours est-il que les Etats-Unis ont alors très bien
compris que l’adversaire était à terre et que la seule chose
à faire était de l’abattre. De ses tournages dans de mauvais
westerns REAGAN avait au moins retenu cette leçon élémentaire
et que, pour y parvenir, on pouvait bien lui faire toutes les promesses du monde
puisque de toute manière il les emporterait avec lui dans sa tombe. Appuyé
par l’Union Européenne ses fonctionnaires et ses crédits
et par une Allemagne qui retrouvait ainsi pacifiquement une partie de son «
Lebensraum », le basculement de la RDA, de la Pologne, de la Hongrie et
de la Tchécoslovaque dans l’économie libérale et
le pluripartisme se fit sans grandes difficultés. La Bulgarie et la Roumanie
allaient suivre avec un peu de retard mais il est significatif que, dans tous
les cas, l’entrée dans l’OTAN ait précédé
l’entrée dans l’UE. La Croatie suit aujourd’hui le
même chemin. Restait et reste encore le problème des anciennes
républiques soviétiques au Sud et à l’Ouest de la
Fédération de Russie. Au Sud, un début de réponse
est venu avec la constitution du GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan,
Moldavie) et avec les « révolutions » de couleur préparées
et orchestrées depuis l’extérieur mais n’ont produit
que des changements d’équipe dirigeante sans véritable bouleversement
politique et la question n’est pas tranchée.
D’autre part, la tentation des Etats-Unis de faire exploser
le Fédération de Russie de l’intérieur en instrumentalisant
le terrorisme islamique en Tchétchénie a été stoppée.
A l’Est dans des républiques devenues indépendantes sans
l’avoir voulu, dont les frontières correspondaient plus à
des découpages administratifs internes à l’URSS et où
les réseaux d’influence occidentaux étaient faibles, les
Etats-Unis et l’Union Européenne, chacun à leur façon
passèrent à l’action. (Programmes Silk Road et Tacis). Il
fallait prendre le contrôle des ressources pétrolières,
gazières et minières de ce vaste ensemble, s’assurer le
soutien de chefs d’Etat arrivés à ces postes par les hasards
de l’histoire et qui n’attendaient plus rien de la Russie D’Eltsine
épuisée qui les avait proprement congédiés. L’activisme
diplomatique et financier des Etats-Unis dans cette zone tout comme les dangers
d’un terrorisme islamique dont le berceau restait l’Afghanistan
où les Etats-Unis l’avaient fait naître et prospérer
finit par alerter les autorités russes et chinoises.
La réunion fondatrice
C’est alors que commença un début de résistance
à l’invasion de l’Asie centrale par les Etats-Unis. Le 26
Avril 1996 cinq chefs d’Etat se réunissent à Shanghai :
ceux du Kazakhstan, de la Kirghizie, du Tadjikistan de la Chine et de la Russie.
Ils signent un accord pour la sécurisation de leurs frontières
communes, accord à caractère militaire destiné à
faire face à tous les trafics : armes, drogues et à leurs effets
déstabilisateurs. Ils prennent en compte l’évolution de
la situation à la périphérie de leur espace commun où
le terrorisme islamiste se développe (Afghanistan, Bosnie, Tchétchénie
et circulation des terroristes entre ces trois pôles Ils n’ignorent
rien de l’influence des services secrets US dans tout ou partie de la
mouvance islamiste et de leur capacité à instrumentaliser tel
ou tel courant. Ils savent que l’arrivée au pouvoir des talibans
à Kaboul va favoriser le développement de ce terrorisme dans leur
environnement immédiat voire sur leur propre sol.
Un an plus tard, à Moscou, l’accord est confirmé
et prend la forme d’une réduction des forces militaires aux frontières
communes, c’est-à-dire qu' il y a création d’un
espace sécurisé commun et que chacun des 5 ne craint plus d’actions
hostiles d’aucun des 4 autres. En 1999, au sommet de Bichkek, les 5 élargissent
le champ de leurs relations à la coopération régionale
et débattent de la situation internationale. Ce débat intervient
en Août après l’intervention militaire de l’OTAN en
Yougoslavie qui a démontré que la volonté de puissance
des Etats-Unis pouvait être exercée militairement par l’OTAN
sans l’accord des Nations Unies c’est-à-dire en marginalisant
deux des cinq membres du Conseil de Sécurité : la Russie et la
Chine (dont l’ambassade à Belgrade a été bombardée
« par erreur ») et alors qu' aucun des pays membres de l’OTAN
n’est menacé.
Les 5 de Shanghai sont donc conduits à mener une réflexion
sur la situation stratégique du continent eurasiatique qui ne peut que
les conduire à la conclusion que leur indépendance est menacée
par l’administration Clinton et ses complices européens, droite
et gauche mélangées, menace que l’administration Bush ne
fera que monter à un niveau supérieur L’avertissement yougoslave
a porté et les rencontres se multiplient en 2000 : en Mars réunion
des ministres de la défense, en Juillet des ministres des Affaires étrangères
précédant celle des chefs d’Etat à laquelle pour
la première fois participe en observateur le Président ouzbek
KARIMOV. Celui-ci en effet après avoir été beaucoup courtisé
par CLINTON redoute de devenir un nouvel Afghanistan avec lequel il a une longue
frontière commune difficile à surveiller et il a décidé
des se rapprocher du groupe de Shanghai.
L’OCS voit le jour
Les conditions sont donc remplies pour que le groupe de Shanghai
passe à un niveau supérieur d’organisation en réplique
à la prise de pouvoir des néo-conservateurs à Washington.
En effet, déjà sérieusement mis en alerte par la politique
militaire de Clinton (Irak, Soudan, Serbie) les 5 n’ignorent rien des
projets de domination mondiale que les stratèges néo-conservateurs
ont mis sur le papier (Project for a New American Century)
La création officielle de l’OCS annoncée
le 15 Juin à l’issue du sommet des 6 Chefs d’Etat –
les 5 du début plus l’Ouzbékistan – se tient précisément
à Shanghai Les ministres de la Défense et des Affaires étrangères
se réunissent à la même occasion et il est créé
un outil permanent des coordinateurs nationaux c’est-à-dire qu' existe
dans chacun des pays membres un responsable qui coordonne les ministères
et services dont le champ d’activité est concerné par l’OCS.
Les 6 chefs d’Etat vont se réunir à nouveau les 12 et 14
Septembre 2001. A l’ordre du jour figure l’ouverture d’un
nouveau champ de coopération entre les membres : celui de l’économie
et au premier chef la coordination des investissements d’intérêt
commun ce qui constitue le pendant des programmes « occidentaux »
New silk road et TACIS. 48 heures après les attentats du 11 Septembre
dont il a évidemment été question au cours du sommet et
probablement avec beaucoup plus de pertinence que dans les grands médias
internationaux (les services secrets russes avaient annoncé les préparatifs
d’attentats à leurs homologues étasuniens) l’OCS met
en place un espace géostratégique sino-russe soudé par
les 4 républiques d’Asie Centrale.
L’OCS publie d’ailleurs une déclaration
commune de condamnation du terrorisme qu' il faut lire non pas comme un
soutien aux Etats-Unis mais comme la confirmation des préoccupations
préexistantes de ses membres face à un phénomène
auxquels ils sont confrontés depuis sa naissance en Afghanistan et sur
lequel ils doivent disposer d’outils d’analyse et de renseignements
précis pour faire la part des mouvements spontanés et des activités
des groupes liés aux services secrets étasuniens. L’OCS
se réunit à nouveau à Bichkek le 11 Octobre pour une réunion
extraordinaire consacrée à l’attaque de l’Afghanistan
par les Etats-Unis. L’enchaînement extrêmement rapide de tous
ces évènements donne force à l’hypothèse suivante
:
L’attaque de l’Afghanistan, qui était déjà
programmée avant le 11 Septembre comme cela a été reconnu
depuis par divers gouvernements occidentaux, était une riposte à
la création de l’OCS permettant à l’armée US
et à sa suite à celles de l’OTAN de prendre directement
pied au milieu de l’espace stratégique sino-russe en cours de structuration
et le renversement des Talibans, dont les représentants étaient
encore reçus officiellement au Texas en Août 2001, n’était
qu' un prétexte.
Cette hypothèse est confortée par le fait qu' à
partir du 11 Septembre, l’OCS va connaître un rythme d’activité
de plus en plus soutenu. Les réunions ministérielles, qu' elles
concernent les Affaires étrangères, la défense, la Sécurité,
les Transports ou la Culture se tiennent au rythme d’au moins une réunion
par mois. L’année 2003 voit de grandes avancées dans l’organisation
matérielle et le sommet des chefs d’Etat qui se tient à
Moscou les 28 et 29 Mai entérine la mise en place d’un secrétariat
général permanent dont le premier titulaire est l’ambassadeur
chinois ZHANG DEGUANG. L’OCS est désormais une institution internationale
de plein exercice dotée d’un secrétariat permanent, d’un
siège et d’un ensemble de règles de fonctionnement décidées
collectivement. L’ouverture officielle du secrétariat a lieu le
15 janvier 2004 en présence des représentants de l’ONU,
de l’OSCE de la CEI et d’autres institutions internationales. Parallèlement
est mise en place une structure spécifique de lutte contre le terrorisme
qui organise en Août des manoeuvres communes des 5 membres (l’Ouzbékistan
ne participa pas)
Les outils en place les chefs d’Etat réunis à
Tachkent le 17 Juin adoptent une série de directives de travail visant
à intensifier la coopération en matière de sécurité,
de commerce et d’économie. Soucieux également de soigner
les relations avec leurs voisins ils créent un statut d’observateur
qui, pour commencer, va être accordé à la Mongolie, le seul
Etat enclavé dans l’OCS et que cajole l’administration BUSH.
HAMID KARZAI le président du gouvernement provisoire afghan est invité
au sommet mais son pays ne reçoit pas le statut d’observateur En
Septembre 2005 deux nouveaux observateurs sont acceptés simultanément
: l’Inde et le Pakistan, l’OCS montrant ainsi qu' elle traite
sur pied d’égalité deux pays dont les relations sont médiocres
et qui entretiennent avec chacun des membres de l’OCS des liens de qualité
très diverse.
En Septembre, le secrétaire général présente
l’Organisation à l’Assemblée générale
de l’ONU et souligne qu' elle regroupe : 1,5 milliard d’habitants
et qu' elle couvre 3/5 du continent eurasiatique, façon diplomatique
d’en comparer l’ampleur avec d’autres institutions du même
continent, telle l’Union Européenne, plus riche mais beaucoup plus
petite et beaucoup moins peuplée. En 2006 la coopération se renforce
en matière d’énergie, de protection de l’environnement
et de nouvelles technologies. En même temps se mettent en place des structures
permettant de ne pas limiter les contacts au niveau des seuls exécutifs
: rencontres de chefs d’entreprises, de parlementaires de magistrats...
Au oint de vue des relations extérieures un accent nouveau est mis sur
les relations avec l’ASEAN-1-
et l’EURASEC.-2-
L’année 2007 a été marquée
par la signature d’u traité qui constitue une formalisation des
relations nouées entre les Etats membres et s’intitule : «
TRAITE DES RELATIONS DE BON VOISINAGE, D’AMITIE ET DE COOPERATION. »
Ce bref historique montre un développement rapide de
cette nouvelle organisation. Considérant que l’alliance Chine-Russie
en constitue le moteur et gardant en mémoire les rapports difficiles
les rapports difficiles entre l’espace russe à partir du moment
où il a affirmé son pouvoir sur la Sibérie Orientale jusqu' au
Pacifique et l’espace chinois , tout comme l’affrontement sur la
scène politique mondiale entre les deux plus grands pays socialistes
, les progrès de l’OCS constituent un événement géopolitique
de première importance, le plus gros pion, de très loin, et le
plus inattendu, sur le GRAND ECHIQUIER dessiné par ZBIGNW BRZEZINSKI
La période de construction de l’OCS montre assez
qu' il ne s’agit pas d’une alliance impérialiste secondaire
mais de la réponse aux ambitions planétaires des Etats-Unis et
à leur intervention politique, économique et bientôt militaire
(Afghanistan – Octobre 2001) dans l’espace centre asiatique que
l’éclatement de l’URSS avait laissé profondément
désorganisé. Pour autant le face à face OCS/OTAN n’est
pas comparable au face à face PACTE DE VARSOVIE/OTAN. Pour plusieurs
raisons :
- L’OTAN est une alliance qui veut enrôler le monde entier sous
la bannière du capitalisme occidental y compris son système institutionnel
de domination des oligarchies financières sous couvert d’une démocratie
parlementaire affaiblie. Elle n’a pas arrêté de recruter
depuis 1989 alors qu' aucun de ses membres, anciens ou nouveaux, ne subissait
de menace militaire et elle a elle-même agressé des pays sans défense
(Serbie en 1999, Afghanistan en 2001)
L’OCS défend son pré carré, qui
est, il est vrai, immense, et l’organise. Elle n’a pas de troupes
à l’extérieur des Etats membres et si certains Etats membres
ont individuellement de maigres contingents hors de leurs frontières
ce n’est que dans le cadre d’opérations de maintien de la
paix décidées par l’ONU.
- L’OTAN fonctionne sur le mode manichéen caractéristique
de la diplomatie des néoconservateurs : on ne peut être que pour
ou contre et ceux qui n’y entrent pas formellement comme le Japon, l’Australie,
la Nouvelle-Zélande doivent manifester de la bienveillance politique
et un soutien militaire à chaque occasion. Les autres, en Europe et sur
le pourtour méditerranéen, doivent coopérer dans le cadre
des divers partenariats qu' elle promeut et dont l’objectif implicite
est l’uniformisation de l’analyse stratégique et la standardisation
ou, au minimum, l’interopérabilité des matériels.
Les membres de l’OCS de leur côté ont une
grande liberté d’action dans les zones extérieures aux 6
pays, la Russie au premier chef. Celle-ci n’a pas dissous le CSTO (COLLECTIVE
SECURITY TREATY ORGANISATION) organe de coopération militaire entre plusieurs
anciennes république soviétiques incluant outre les républiques
d’Asien Centrale déjà membres de l’OCS, l’Arménie
et le Belarus et qui constitue le noyau des fidèles à Moscou qui
n’ont pas cédé aux sirènes de l’OTAN comme
les républiques baltes ou leur prêtent une oreille complaisante
: Ukraine, Géorgie et Azerbaïdjan. Le poids stratégique de
l’OCS est aujourd’hui suffisamment important pour que l’Iran
ait demandé officiellement à passer du statut d’observateur
à celui de membre. L’OCS n’a pas répondu à
cette demande, la Russie, comme la Chine, mais pour des raisons différentes,
évaluant avec précaution le risque d’une alliance trop étroite
avec un pays directement menacé par les Etats-Unis et Israel et donc
le risque d’un face à face armé, tendu et immédiat
avec les Etats-Unis et l’OTAN. Il s’agit pourtant d’une question
stratégique de première grandeur et la réponse qui lui
sera donnée par l’OCS sera un coup probablement décisif
sur le GRAND ECHIQUIER.
L’autre sera l’issue très incertaine de
la guerre afghane qui pourrait être le tombeau de l’OTAN comme elle
a été celui de l’URSS. L’OCS qui contrôle toute
la frontière Nord de l’Afghanistan qui rappelle à l’occasion
que l’utilisation par l’OTAN de bases aériennes en Ouzbékistan
et en Kirghizie ne devrait pas trop se prolonger, surveille de très prés
l’évolution d’une situation dont certainement aucun des développements
ne lui échappe.
En Occident, l’OCS trouble et inquiète
Face à ce nouveau sujet politique les réactions
internationales sont diverses. Du côté de la soi-disant «
communauté internationale » en pratique des Etats-Unis, de l’Union
Européenne et de leurs médias dominants la tendance générale
est d’en parler le moins possible. D’abord pour ne pas lui donner
de l’importance ensuite parce que cette nouvelle organisation en croissance
rapide est difficile à cerner : ce n’est pas – ou pas encore
– un pacte de défense collective, ce n’est pas – ou
pas encore – une zone de libre-échange, ce n’est pas une
union politique avec des aspects supranationaux puisque chacun de ses membres
maintient et poursuite ses engagements individuels dans d’autres structures
ou avec d’autres partenaires dans des relations bilatérales. Il
s’agit d’une organisation de COOPERATION qui ne peut être
comparée à aucune autre. La seule organisation internationale
qui s’affirme comme telle est l’OCDE (Organisation de COOPERATION
et de développement économique) laquelle n’est rien d’autre
que le gardien du temple théorique du capitalisme libéral avancé.
Ainsi la Russie et les République d’Asie Centrale
peuvent-elles, outre le renforcement de leurs liens économiques et militaires
(via l’Eurasec et le CSTO), poursuivre des relations de partenariat avec
l’OTAN sans que la Chine s’en offusque. La Chine peut soigner ses
relations directes avec ses voisins asiatiques : Japon, Inde, Pakistan, Corées,
pays de l’ASEAN sans contrarier l’OCS. La création de l’OCS
est donc une innovation qui trouble les occidentaux et du point de vue des stratèges
chinois, qui préfèrent en priorité dérouter l’adversaire,
militairement plus puissant, plutôt que de le combattre, ce seul trouble
est déjà un gain politique.
Il est certain que la nouvelle alliance sino-russe a de quoi
surprendre. Depuis la rupture des années 60 qui a conduit à l’éclatement
du camp socialiste-3-,
au point d’amener la RPC à déménager ses industries
lourdes du Nord-Est trop proches de la frontière de crainte d’une
attaque de l’URSS et à construire des abris anti atomiques dans
l’attente d’une attaque de son voisin, cet éclatement, voulu
par la Chine, mais dont elle est ressortie 40 ans plus tard plus puissante alors
que l’URSS s’effondrait, les retrouvailles sino-russes étaient
improbables. La stratégie des Etats-Unis reposait toute entière
et continue de reposer de nos jours encore sur la division, l’éclatement
et le séparatisme chez l’adversaire.
A ce titre la déclaration commune du 5° anniversaire
de l’OCS (Shanghai – 15 Juin 2006) constitue une réponse
explicite à la politique impériale des Etats-Unis puisqu' elle
souligne que l’OCS renforce son action contre les menaces non-traditionnelles
: « terrorisme, séparatisme, extrémisme et trafic de drogue
» toutes activités dans lesquelles s’exerce évidemment
la « politique de l’ombre » des Etats-Unis dont la face publique
est la politique militaire.
Mais si la Russie, au plus bas en 1990, a pu défaire
l’URSS, elle n’a pas accepté de se laisser détruire
elle-même et l’arrivée de Poutine et son activité
au pouvoir a manifesté la volonté russe de faire front et de fixer
les limites du démantèlement à ne pas franchir : en clair
cela voulait dire aux Etats-Unis : « ce que vous avez pu faire en YOUGOSLAVIE
vous ne le ferez pas en Russie » Du côté de la Chine, l’alerte
avait été donnée dés 1989 à Tien An Men et
au niveau symbolique par l’attribution du Prix Nobel de la Paix au Dalaï
Lama. Pékin, tout en maintenant son ouverture économique, allait
donc redoubler de vigilance politique et surveiller étroitement les activités
des diplomates, banquiers consultants et ONG divers venus des Etats-Unis et
qui se répandaient à sa frontière occidentale dans les
pays d’Asie Centrale. En effet, les Etats-Unis ont, dés 1991, déployé
une intense activité en Asie Centrale avec un objectif économique
: prendre le contrôle des ressources pétrolières et gazières
du bassin de la Caspienne, un objectif géopolitique : éviter la
reconstitution d’un bloc de la taille de l’URSS fût-il sous
un régime d’économie non planifiée et un objectif
militaire facilement atteint : la dénucléarisation à coup
millions de dollars du Kazakhstan (simultanément à celle de l’Ukraine).
Cette tâche s’est avérée très aisée,
l’éclatement de l’URSS ayant permis l’arrivée
au pouvoir dans ces nouveaux pays d’hommes qui ne s’y attendaient
pas et qui découvraient avec délice la satisfaction de devenir
des interlocuteurs des « Grands » et les joies de l’enrichissement
rapide sans commune mesure avec les petits privilèges de la nomenklatura
soviétique.
La naissance de l’OCS est donc pour les stratèges
occidentaux l’évènement qu' ils auraient voulu éviter.
Et depuis, sans beaucoup en parler, ils observent ce nouvel acteur avec une
extrême attention et un brin d’inquiétude. Mais celle-ci
n’est pas avouée et le discours des Think Tanks comme celui des
diplomates consiste à minimiser les avancées de l’Organisation
et à donner de l’importance au moindre désaccord entre la
Chine et la Russie, à souligner leurs oppositions d’intérêts
(exemple : la Russie grand vendeur d’énergie face à la Chine
grand acheteur) ou à espérer que des réactions non identiques
de Moscou et de Pékin sur tel ou tel évènement sont le
signe d’une brouille profonde.
Ainsi ont-ils imaginé que la réaction différente
des deux capitales aux attentats du 11 Septembre montrait la fragilité
de l’OCS naissante. En effet la manifestation extrêmement rapide
de sympathie de Poutine à Bush a contrasté avec la prudence chinoise.
Plutôt qu' une divergence d’analyse entre la Chine et la Russie
on se trouve en face de deux styles de gouvernement bien différents et
par ailleurs il s’est probablement agi d’un niveau d’information
différent sur les préparatifs d’attentats. Ceux-ci étaient
connus des services secrets russes qui l’ont fait savoir et le coup de
téléphone de Poutine à Bush, le premier qui ait émané
d’un chef d’Etat étranger, a très probablement été
le fruit d’une réflexion préalable plutôt que de l’émotion
spontanée.
L’OCS a 7 ans
Le 19 Juin 2008 s’est tenue à Pékin une
cérémonie pour célébrer le septième anniversaire
de l’Organisation. Elle progresse et il n’est pas indifférent
qu' avant ce sommet la première visite à l’étranger
du nouveau Président russe l’ait conduit en Chine. Il avait, quelques
jours auparavant, ratifié le « traité de relations de bon
voisinage d’amitié et de coopération » signé
un an plus tôt. Les domaines de coopération se multiplient. Ainsi
et à titre d’exemple, les projets d’infrastructures de transport
intégrées se précisent avec plusieurs objectifs : favoriser
l’intégration économique des 6 et mettre en service une
route de la soie à l’envers permettant par la voie terrestre de
faire accéder les marchandises asiatiques aux marchés européens
en réduisant de plus de 50 % les temps de transport par la voie maritime
et permettant aux industries et aux populations des zones très éloignées
des littoraux maritimes (provinces de l’Ouest chinois, républiques
asiatiques enclavées, Sibérie centrale ) de ne pas trop souffrir
de leur enclavement. D’ores et déjà l’intensification
des échanges commerciaux entre les membres est notable.
En matière de politique internationale les 6 ont réaffirmé
leur volonté de respecter l’ONU et la légalité internationale,
de parvenir à une stabilité stratégique et de renforcer
le régime de non-prolifération des armes de destruction massive.
Ils ont, sans cesse, confirmé leur attachement collectif au respect de
la souveraineté, de la sécurité et de l’intégrité
territoriale de chacun d’entre eux.
A y bien regarder nous ne sommes pas en présence d’un
face à face de bloc à bloc, figure dans laquelle le rationalisme
technicien et comptable froid des utilitaristes anglosaxéons se déploie
à son aise (et au détriment d’autrui en général)
mais face à un opposant dialectique, porteur de millénaires d’histoire
et de civilisation humaines, qui tient sur toutes questions un discours qu' il
met en oeuvre dans sa propre organisation interne, d’égalité
entre les nations (dans l’OCS par exemple, la Chine et le Tadjikistan
sont égaux en droit ), de respect de la législation internationale,
de non-agression, de respect des civilisations diverses qui est en tout point
l’expression d’une vision politique différente, la mise en
pratique d’un monde multipolaire refusant l’usage de la force dans
les relations internationales et visant au développement simultané
de tous.
Il s’en suit que le totalitarisme est en réalité
l’apanage de celui-ci qui ose dire qu' il va ramener tel ou tel pays
au Moyen-âge (par exemple, Schwarzkopf parlant de l’Irak avant la
guerre du Golfe) et qui ose le faire.
Notes
1 • L’EURASEC,
communauté économique eurasienne qui regroupe cinq républiques
issues de l’ex URSS : Belarus, Russie, Kazakhstan, Kirghizie et Tadjikistan
peut être considérée comme la partie active de la CEI et
développe un projet d’Union douanière entre ses membres
qui devrait voir le jour en 2011.Fondée en 2000 elle devient vraiment
active en 2005 au moment où vont s’intensifier les relations avec
l’OCS.
2 • L’ASEAN association des
nations de l’Asie du Sud-est d’abord fondée en 1967 dans
le cadre de la guerre froide et de la guerre du Vietnam comme regroupement des
pays amis des USA s’est progressivement transformée en accueillant
de nouveaux membres Cambodge, Laos et Vietnam et Myanmar et a mis en oeuvre
un traité de libre –échange et des liens réguliers
entre gouvernements qui la situent aujourd’hui au nombre des organisations
régionales influentes.
3 • Bien que la RPC se garde bien
de prendre la tête d’un quelconque mouvement communiste international,
il est notable que le schisme sino-soviétique s’est poursuivi sous
d’autres cieux comme le démontre la dispersion actuelle des partis
communistes indiens ou la situation Népalaise où le parti maoïste
s’est imposé par une guérilla prolongée alors que
le parti communiste « traditionnel » s’en tenait à
une opposition de type parlementaire à la monarchie.
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