Le Plan B
Caresses publicitaires
Réponse : par la magie du copinage. Disposer
d’une carte de presse et d’une longue liste de services rendus suffit
à garantir au créateur d’un blog anorexique une promotion
médiatique digne de BHL. « Nous nous sommes lancés le 1er
octobre et notre dossier de presse a déjà fière allure
», brame Frédéric Martel (Stratégies, 24.1.08). Signataire
de la pétition en faveur du plan Juppé en 1995, ce godelureau
mondain dirige Nonfiction, un site qui encense les livres balladuriens et réfléchit
au meilleur moyen de faire parler de lui-même. Même Bakchich.info,
héritier d’une presse alternative à la tonalité plus
critique, vogue sur le flot d’articles louangeurs consacrés aux
« mutants du Net » au motif qu' un ancien journaliste du Canard
enchaîné, Nicolas Beau, anime une équipe renforcée
d’anciens du Point (Vincent Nouzille et Laurent Léger) et du Monde
(Philippe Labarde). Parce qu' ils sont issus de journaux installés,
« leur information est respectée par les autres médias,
elle est donc abondamment reprise », note Le Nouvel Économiste
(10.1.08.) Le paradoxe est savoureux: ces sites d’informations doivent
leur notoriété à une presse qu' ils entendent «
révolutionner » tant elle serait nulle…
Tous le savent : la « révolution » passe
par la case euros. Pour les accumuler, Rue89 cherche l’investisseur qui
le rachètera et amadoue les publicitaires : « La Rue est à
vendre », implore une vignette sur la page d’accueil du site. Pierre-Louis
Rozynès, ex-rédacteur en chef ultra-connivent du magazine professionnel
Livres hebdo, a fondé Desourcesure : « Le site espère monétiser
son audience (400 000 visiteurs uniques en décembre) auprès des
annonceurs à partir de 2008 » (Les Échos, 4-5.1.08). Bakchich
a débusqué un mécène belge. Plenel a investi une
fraction (550 000 euros) de ses plantureuses indemnités de licenciement
et convaincu trois industriels de lui donner de l’or (Presse News, 3.1.08).
Il compte boucler un budget de 4 millions d’euros grâce aux dispositions
du paquet fiscal de Sarkozy, qui pourraient galvaniser les donateurs assujettis
à l’ISF (lire Le Plan B n° 11, décembre 2007 ).
La valeur de l’indépendance
« On est des chercheurs de scoops », explique
Riché. Et quels scoops ! Pour Noël, Rue89 offre l’analyse
baroque de « l’érotique du pouvoir selon Sarkozy »
par Philippe Corcuff. Lequel disserte sur la « belle phénoménologie
de la caresse » du philosophe Lévinas, « plus proche de Cécilia
que de Nicolas », tandis que l’écrivaine Yasmina Reza serait
à coup sûr une « midinette heideggérienne »
(Rue89.com, 23.12.07). L’information tomba à plat. Pour qu' ils
retentissent, les scoops doivent exciter la curiosité des confrères.
En révélant que Cécilia Sarkozy n’avait pas voté
au second tour de l’élection présidentielle en 2007, Rue89
ne visait pas le prix Albert-Londres mais une quantité maxéimale de «
reprises ». Telle était aussi l’ambition d’Edwy Plenel
lorsque son site Mediapart annonça que le gouvernement s’apprêtait
à vendre les antennes locales de France 3 à la presse régionale
(mediapart.fr, 25 et 27.1.08). Comme nombre d’enquêtes moustachues
diligentées par Plenel, celle-ci fit l’objet d’un démenti
« catégorique » de l’Élysée. Depuis,
Edwy se dit persécuté par le monde entier.
L’équipe de Mediapart se compose de plénelophiles
chassés du Monde (François Bonnet, Laurent Mauduit, Erich Inciyan),
d’exilés de Libération (Gérard Desportes, Sophie
Dufau, David Dufresne), de débris de L’Équipe, de France
soir, de 20 Minutes. Sans compter deux personnages de bande dessinée
exfiltrés de l’hebdomadaire bobo Les Inrockuptibles, Jade Lindgaard
et Sylvain Bourmeau (Laisse d’or de PLPL), chargés de mettre en
musique les « logiques de niche, des logiques d’exigence, des logiques
d’excellence, de services ajoutés, des logiques de club »
exigées par leur nouveau patron (BFM, 4.12.07).
L’étonnant, avec Plenel, est qu' aucun de
ses amis ne l’ait supplié, même à genoux, de renoncer
au journalisme. Depuis son éviction du Monde, journal qu' il livra
aux crocs de Lagardère et de Maurice Lévy, Edwy gémit sur
les maux dont il a vénéré les causes. Il a édifié
un groupe de presse avec les amis de Sarkozy Il dénonce « l’anormale
situation de dépendance, économique et politique, de nos médias
envers une oligarchie financière imbriquée à l’actuel
pouvoir présidentiel » (message à Rue89, 14.12.07). «
L’indépendance a de la valeur » (BFM, 4.12.07), pétarade
le journaliste qui a relayé nombre de faxé policiers. Mais, à peine
la création du site Internet annoncée, Ségolène
Royal demande par écrit à tous les adhérents de son club,
Désirs d’avenir, de soutenir Mediapart « en [s’]abonnant.
Merci de ce geste militant qui s’inscrit dans la logique de la démocratie
participative. Ségolène .»
En matière d’indépendance, on pouvait
imaginer meilleur départ. Comme l’un des fondateurs de Mediapart
fut responsable de la campagne Internet de Royal, Edwy n’a qu' une
idée : gratter le soutien de personnalités d’horizons divers.
Bayrou, Goulard, mais aussi Besancenot et Bové ont obtempéré
à la sommation, chacun expliquant dans une séquence vidéo
« Pourquoi je soutiens ». Le témoignage de la psychanalyste
Lydia Flem, fervente de Mediapart, a ému Le Plan B : « Alors voilà,
moi je pense que c’est important d’être contemporain de son
époque. La presse papier pose beaucoup de problèmes aujourd’hui,
aussi parce qu' elle n’est pas sur un écran. »
transmis par www.michelcollon.info
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