Le Plan B

Rue89, Mediapart, Nonfiction : les sites d’information en ligne fascinent les journalistes. Ils nous préparent une avalanche de faux scoops et de vraies connivences.

Fondateur du site Mediapart, qu' il destine à la « création d’une information contributive, d’excellence, de qualité, comme un club » (BFM, 4.12.07), Edwy Plenel eut l’occasion de mettre en œuvre sa conception du journalisme au cours d’un règne de dix ans à la tête de la rédaction du Monde: ce fut une procession de couvertures racoleuses et de faux scoops. Directeur adjoint de la rédaction de Libération en 2006, Pierre Haski usa de sa liberté pour propager de fausses rumeurs sur l’antisémitisme (imaginaire) du président vénézuélien Hugo Chávez (Libération, 9 et 20.1.06) avant de créer avec son collègue Pascal Riché le site Rue89. Par quel miracle l’un et l’autre réussiraient-ils à produire sur Internet ce qu' ils ne parvenaient pas à coucher sur papier journal : une information fiable et indépendante

Caresses publicitaires

Réponse : par la magie du copinage. Disposer d’une carte de presse et d’une longue liste de services rendus suffit à garantir au créateur d’un blog anorexique une promotion médiatique digne de BHL. « Nous nous sommes lancés le 1er octobre et notre dossier de presse a déjà fière allure », brame Frédéric Martel (Stratégies, 24.1.08). Signataire de la pétition en faveur du plan Juppé en 1995, ce godelureau mondain dirige Nonfiction, un site qui encense les livres balladuriens et réfléchit au meilleur moyen de faire parler de lui-même. Même Bakchich.info, héritier d’une presse alternative à la tonalité plus critique, vogue sur le flot d’articles louangeurs consacrés aux « mutants du Net » au motif qu' un ancien journaliste du Canard enchaîné, Nicolas Beau, anime une équipe renforcée d’anciens du Point (Vincent Nouzille et Laurent Léger) et du Monde (Philippe Labarde). Parce qu' ils sont issus de journaux installés, « leur information est respectée par les autres médias, elle est donc abondamment reprise », note Le Nouvel Économiste (10.1.08.) Le paradoxe est savoureux: ces sites d’informations doivent leur notoriété à une presse qu' ils entendent « révolutionner » tant elle serait nulle…

Tous le savent : la « révolution » passe par la case euros. Pour les accumuler, Rue89 cherche l’investisseur qui le rachètera et amadoue les publicitaires : « La Rue est à vendre », implore une vignette sur la page d’accueil du site. Pierre-Louis Rozynès, ex-rédacteur en chef ultra-connivent du magazine professionnel Livres hebdo, a fondé Desourcesure : « Le site espère monétiser son audience (400 000 visiteurs uniques en décembre) auprès des annonceurs à partir de 2008 » (Les Échos, 4-5.1.08). Bakchich a débusqué un mécène belge. Plenel a investi une fraction (550 000 euros) de ses plantureuses indemnités de licenciement et convaincu trois industriels de lui donner de l’or (Presse News, 3.1.08). Il compte boucler un budget de 4 millions d’euros grâce aux dispositions du paquet fiscal de Sarkozy, qui pourraient galvaniser les donateurs assujettis à l’ISF (lire Le Plan B n° 11, décembre 2007 ).

La valeur de l’indépendance

« On est des chercheurs de scoops », explique Riché. Et quels scoops ! Pour Noël, Rue89 offre l’analyse baroque de « l’érotique du pouvoir selon Sarkozy » par Philippe Corcuff. Lequel disserte sur la « belle phénoménologie de la caresse » du philosophe Lévinas, « plus proche de Cécilia que de Nicolas », tandis que l’écrivaine Yasmina Reza serait à coup sûr une « midinette heideggérienne » (Rue89.com, 23.12.07). L’information tomba à plat. Pour qu' ils retentissent, les scoops doivent exciter la curiosité des confrères. En révélant que Cécilia Sarkozy n’avait pas voté au second tour de l’élection présidentielle en 2007, Rue89 ne visait pas le prix Albert-Londres mais une quantité maxéimale de « reprises ». Telle était aussi l’ambition d’Edwy Plenel lorsque son site Mediapart annonça que le gouvernement s’apprêtait à vendre les antennes locales de France 3 à la presse régionale (mediapart.fr, 25 et 27.1.08). Comme nombre d’enquêtes moustachues diligentées par Plenel, celle-ci fit l’objet d’un démenti « catégorique » de l’Élysée. Depuis, Edwy se dit persécuté par le monde entier.

L’équipe de Mediapart se compose de plénelophiles chassés du Monde (François Bonnet, Laurent Mauduit, Erich Inciyan), d’exilés de Libération (Gérard Desportes, Sophie Dufau, David Dufresne), de débris de L’Équipe, de France soir, de 20 Minutes. Sans compter deux personnages de bande dessinée exfiltrés de l’hebdomadaire bobo Les Inrockuptibles, Jade Lindgaard et Sylvain Bourmeau (Laisse d’or de PLPL), chargés de mettre en musique les « logiques de niche, des logiques d’exigence, des logiques d’excellence, de services ajoutés, des logiques de club » exigées par leur nouveau patron (BFM, 4.12.07).

L’étonnant, avec Plenel, est qu' aucun de ses amis ne l’ait supplié, même à genoux, de renoncer au journalisme. Depuis son éviction du Monde, journal qu' il livra aux crocs de Lagardère et de Maurice Lévy, Edwy gémit sur les maux dont il a vénéré les causes. Il a édifié un groupe de presse avec les amis de Sarkozy Il dénonce « l’anormale situation de dépendance, économique et politique, de nos médias envers une oligarchie financière imbriquée à l’actuel pouvoir présidentiel » (message à Rue89, 14.12.07). « L’indépendance a de la valeur » (BFM, 4.12.07), pétarade le journaliste qui a relayé nombre de faxé policiers. Mais, à peine la création du site Internet annoncée, Ségolène Royal demande par écrit à tous les adhérents de son club, Désirs d’avenir, de soutenir Mediapart « en [s’]abonnant. Merci de ce geste militant qui s’inscrit dans la logique de la démocratie participative. Ségolène .»

En matière d’indépendance, on pouvait imaginer meilleur départ. Comme l’un des fondateurs de Mediapart fut responsable de la campagne Internet de Royal, Edwy n’a qu' une idée : gratter le soutien de personnalités d’horizons divers. Bayrou, Goulard, mais aussi Besancenot et Bové ont obtempéré à la sommation, chacun expliquant dans une séquence vidéo « Pourquoi je soutiens ». Le témoignage de la psychanalyste Lydia Flem, fervente de Mediapart, a ému Le Plan B : « Alors voilà, moi je pense que c’est important d’être contemporain de son époque. La presse papier pose beaucoup de problèmes aujourd’hui, aussi parce qu' elle n’est pas sur un écran. »

transmis par www.michelcollon.info

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