Guantanamo bis et "high tech" au milieu de l'Océan
Indien
Damian Spruce
Christmas Island, une Guantanamo pour les immigrés.
SIDNEY
Comme Lampedusa (au sud de la Sicile, où arrivent
de nombreux migrants africains, NdT), c’est une île touristique,
et les agences de voyage offrent des vols réguliers, mais très
coûteux, à ceux qui veulent aller y passer des vacances de plage
et plongée sous marine. Mais il deviendra bientôt le site du centre
de détention le plus grand et « high tech » d’Australie,
où les détenus seront coupés du monde non seulement par
des barbelés et systèmes de surveillance électronique,
mais par des centaines de kilomètres d’océan.
Le «Christmas Island immigration detention centre » a été
pensé à l’origine en 2001, et devait être terminé
en 2002, immédiatement après la « crise » migratoire
du navire Tampa et la « Pacific solution » qui s’en suivit.
Une histoire qui avait commencé en août 2001, quand la marine australienne
fut envoyée entre Timor-Est et l’Océan Indien pour surveiller
et intercepter des barques chargées de demandeurs d’asile se dirigeant
vers l’Australie, dans le cadre de l’opération militaire
« Relex » (précurseur de l’ « Opération
Frontex » en Méditerranée).
La première déportation
après l’interception du navire norvégien
Tampa, qui avait secouru des centaines d’afghans dans une barque en difficulté,
partie d’Indonésie, l’unité australienne (en fait
une unité d’élite des troupes aériennes spéciales
australiennes) prit le contrôle du navire et transféra de force
les demandeurs d’asile sur un vaisseau qui les amena jusqu' à
l’île de Nauru. Là, on examina leurs demandes d’asile,
et ceux qui arrivèrent à obtenir une protection furent réorientés
dans différents pays d’accueil. Cette stratégie a pris le
nom de « Pacific solution ». Un navire australien patrouille aujourd’hui
encore dans les eaux au nord de Christmas Island pour arrêter toute embarcation
d’émigrés se dirigeant sur ses côtes et vers le territoire
australien. Christmas Island fait partie de la suite de la « Pacific solution
», avec Nauru et quelques autres camps pour les migrants, sur l’île
de Manus et en Papouasie Nouvelle Guinée. Au départ, le centre
devait coûter 230 millions de dollars et avait été planifié
pour héberger 1.200 immigrés. Mais en 2006 le centre n’était
toujours pas terminé. Le budget avait explosé jusqu' à
500 millions et les places réduites à 800. Certains témoignages
des travailleurs sur l’île disent que les coûts atteindront
le million de dollars avant même que le centre ne soit terminé.
Pour le moment la date de fin des travaux est fixée à décembre
2007. L’entretien des implantations actuelles coûte 6,8 millions
d’euros annuels et le Département pour l’immigration a reconnu
que quand le nouveau centre sera terminé les coûts seront nettement
supérieurs.
Les plans du nouveau centre et les détails de la structure
sont arrivés récemment jusqu' aux médias, dévoilant
une prison pour migrants horriblement « high tech ». Le centre sera
équipé de très modernes instruments de contrôle et
surveillance, excessifs par rapport à leur emploi effectif. En effet
la majeure partie du plan de sécurité du centre semble être
d’un niveau à la hauteur d’une utilisation de lieux où
seraient détenus des terroristes ou des prisonniers militaires, comme
à Guantanamo Bay. Et du fait de ces mesures, de nombreux aspects suscitent
une certaine perplexité.
Microsondes et cellules
S’y trouvent, par exemple, des centaines de microsondes
pour contrôler les mouvements, et des télés caméras
en circuit fermé sous les chéneaux, aux plafonds et dans toutes
les chambres. Pour donner un aperçu de ce régime de surveillance,
les détenus seront obligés de porter des cartes électroniques
qui enregistreront tous leurs mouvements. Les caméras sont reliées
à un système de surveillance central, situé à Canberra,
la capitale de l’Australie, au sud-est du continent, soit à des
centaines de kilomètres de distance. C’est de là que sont
activées les portes électroniques et les grilles métalliques
qui ferment les cellules individuelles, les groupes de cellules, ou même
les blocs entiers. Par le système de contrôle central, on peut
aussi savoir ce qu' on regarde sur les télés du centre (peut-être
les bureaucrates de l’immigration obligeront-ils les immigrés à
regarder « Big Brother » 24h sur 24).
Le projet montre aussi comment le centre se trouve dans un milieu autosuffisant,
renfermé à l’intérieur de barbelés, avec tous
les services à disposition, si bien qu' un immigré n’aura
jamais d’excuse pour demander à pouvoir sortir.
On y trouve une école, un centre de soins pour les mineurs, une nursery
et un endroit pour les jeux d’enfants. Un hôpital équipé,
avec un bloc opératoire, de façon à ce qu' un immigré
puisse rester incarcéré même en cas d’urgence sanitaire.
Il y a en outre de nombreuses cellules pour l’isolement qui ont déjà
été utilisées par le Département pour l’immigration
pour des détenus porteurs de problèmes psychologiques, exacerbant
ainsi leurs troubles mentaux. Et puis des pièces spéciales, pour
les entretiens, avec vitres renforcées pour séparer les détenus
de l’équipe. D’autres caractéristiques du centre ont
été prévues pour empêcher les manifestations des
immigrés qui, ces dernières années, ont éclaté
dans d’autres centres de détention australiens.
En attendant les « terroristes »
Pour empêcher les immigrés de manifester leurs
revendications depuis les toits, d’où ils sont visibles de l’extérieur,
les édifices du centre ont des toits construits de telle sorte qu' il
est impossible de les escalader. Enfin, les barrières qui entourent le
centre sont très loin des structures de résidence des détenus.
Ce qui signifie que si quelque militant pour les droits des immigrés
(ou de la communauté locale) réussissait à arriver à
Christmas Island, et à aller au centre, il n’aurait que peu de
chances d’établir un contact avec les détenus. Les barrières
ont été électrifiées et munies de télé
caméras, de lumières et de détecteurs capables d’intercepter
tout déplacement.
Des technologies de contrôle aussi avancées ont
suscité des interrogations ; de nombreuses personnes pensent qu' un
complexe aussi nouveau ne peut avoir été pensé seulement
pour emprisonner des immigrés clandestins. Pour la bonne raison aussi
que le nombre d’immigrés illégaux en Australie a chuté
significativement depuis 2001, et il est difficile qu' ils soient désormais
nombreux au point de remplir ce centre. Une hypothèse est que ce sera
une structure à « usage mixte » où , en même
temps que les détenus immigrés, on expédiera des présumés
terroristes et combattants ennemis de la « guerre à la terreur
» étasunienne, qui y seront emprisonnés, surtout si les
pressions politiques imposent au gouvernement des Etats-Unis de fermer Guantanamo
Bay.
Ce genre de suppositions s’est trouvé renforcé par l’arrivée
sur l’île de quelques fonctionnaires du Département de la
Sécurité étasuniens, entre le 4 et le 9 novembre de l’an
dernier. Ils sont arrivés sur des vols charters de Singapour, et se sont
arrêtés pendant une période assez longue sur l’île.
Le gouvernement australien n’a jamais révélé le motif
de cette visite, mais il n’y a pas beaucoup de doutes sur le fait que
cela ait servi à inspecter le centre et ses nouvelles technologies. La
visite des fonctionnaires étasuniens s’est déroulée
dans un contexte de collaboration de plus en plus forte entre les Usa et l’Australie,
que ce soit sur le front des prisonniers militaires détenus à
Guantanamo Bay (le dernier Australien qui y a été détenu,
David Hicks, a été relâché par le gouvernement des
Etats-Unis au début de cette année), ou sur le front des migrants
clandestins détenus à Guantanamo. En avril dernier, Usa et Australie
ont signé un accord pour échanger jusqu' à 200 réfugiés
qui seront déportés dans de nouveaux territoires (appelé
« resettlement »). Les réfugiés étasuniens
sont sans doute ces immigrés haïtiens ou cubains interceptés
par les Etats-Unis tandis qu' ils essayent de rejoindre les Usa, et détenus
temporairement dans la base navale de Guantanamo Bay. Au lieu de les garder
aux Etats-Unis, ils seront expédiés en Australie. Les réfugiés
australiens pourraient constituer une partie du nouveau centre de Christmas
Island.
La protestation locale
Les plans du gouvernement australien, cependant, ne sont pas
sans problème et, même à Christmas Island, qui a une population
de 1.200 personnes seulement, les mouvements d’opposition vont en augmentant.
Anna Samson, avocat australienne pour les droits des réfugiés,
a reçu des fonds des associations Oxfam Australia et Oxfam Hollande pour
aller à Christmas Island et inspecter le centre. Elle a fait part dans
son rapport de l’accroissement de la section de Christmas Island de l’organisation
australienne de soutien « Rural australians for refugees » qui conteste
le traitement du gouvernement à l’égard des demandeurs d’asile
ainsi que la construction du nouveau centre.
Peu d’habitants de l’île ont été employés
à la construction, la main d’œuvre a été amenée
du continent (parmi laquelle de nombreux ressortissants provenant d’Indonésie,
façon de calmer le puissant voisin de l’Australie). Et nombre d’habitants
s’opposent à l’idée que leur île ne devienne
une prison pour les réfugiés ; ils s’opposent en particulier
à cette détention indéfinie de demandeurs d’asile
qui est désormais devenue une norme en Australie, avec des gens qui sont
détenus pendant des années sans que leur cas ne trouve de solution.
Etant donné l’isolement de l’île du reste de l’Australie,
ce sont les mouvements politiques locaux qui joueront un rôle important
pour s’opposer à l’incarcération des migrants dans
cette nouvelle prison.
Edition de dimanche 2 septembre 2007 de il manifesto http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/02-Settembre-2007/art10html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
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