D'une crise à l'autre : 1929-2008

Interview de Annie Lacroix-Riz mardi 25 novembre 2008

Nous faisons face à la plus grave crise depuis celle de 1929, disent tous les analystes. Mais que fut cette crise de 1929 ? Quelles en sont les origines ? Quelles en ont été les conséquences ? Retour sur une histoire riche en enseignement avec cette interview de l'historienne Annie-Lacroix-Riz interrogée par Julien Versteegh.

Quelles sont les causes de la crise de 1929 ?

Annie Lacroix-Riz.

La crise de 1929 est avant tout une crise de surproduction (d�signe une production trop importante par rapport à la demande,ndlr) qui se produit au terme des dix ans qui ont succ�d� la première guerre mondiale qui elle-m�me avait mis fin à la première grande crise du capitalisme de 1873. La surproduction a entra�numéro une baisse des taux de profit insupportable pour le capital. Il y avait eu la première guerre mondiale (1914-1918) qui avait dûtruit la surproduction, mais pas assez. En 1920-1921, une crise s�v�re �clate mais dont le capitalisme international et surtout américain se sort en liquidant beaucoup de capital, en augmentant le chômage etc? Suit une période de très intense accumulation du capital qui se traduit par des concentrations �normes. C'est dans le courant des années 1920 que se constituent les plus grands groupes industriels monopolistes qui existent encore aujourd'hui comme l'IG Farben et les Aci�ries r�unies (Vereinigte Stahlwerke) en Allemagne, etc. Avec comme corollaire un développement du chômage..

Alors pourquoi cela explose en 1929 ?

A L.R

Il s'est produit exactement les mêmes ph�nom�nes qu'aujourd'hui. Cette énorme concentration du capital a d�velopp� des moyens gigantesques de production (des usines gigantesques, ndlr) et pes� numéro gativement sur le taux de profit. Ce ph�nom�ne a été accompagnuméro par des ph�nom�nes sp�culatifs. Rappelons qu'une des caract�ristiques du capital, c'est la dissociation du capital argent de la production, revenons au Capital de Marx. Il y a donc eu une énorme spéculation entre 1924 et 1929, entraînant une diff�rence entre le niveau de la production mat�rielle et le niveau de la spéculation.
Par exemple aux états-Unis, quelques secteurs avaient connu une croissance remarquable, les industries neuves, l'automobile, l'industrie �lectrique. Mais d'autres secteurs étaient morts. Il y avait une surproduction structurelle dans l'agriculture, le charbon était en crise, il y avait du chômage massif dans toutes les vieilles industries, l'industrie textile était malade.
Donc *comme aujourd'hui, le facteur financier a été non pas la cause de la crise, mais le facteur d�clenchant de la crise*. Quand on dit aujourd'hui aux gens que c'est une crise diff�rente parce qu'il s'agit d'une crise boursi�re, c'est compl�tement faux. Il s'est produit les mêmes m�canismes de surproduction. .

Quelles sont les conséquences de la crise de 1929 ?

A L.R

� un moment donnuméro se pose la question suivante : comment faire pour que les fractions dominantes du capital conservent un taux de profit jugé suffisant ? Cela suppose que les salaires soient réduits de mani�re drastique et qu'une partie du capital soit dûtruite. Les petites entreprises ferment et on licencie massivement des travailleurs. La tendance du capitalisme a toujours été d'abaisser le salaire. Mais en période de crise, il s'agit de tendre pratiquement à ce que le salaire soit réduit au maximum. Il y a donc eu une pression formidable sur les salaires qui entra�ne une baisse du niveau de vie de 30, 40 % voir plus. C'est ce qui est arrivé dans une s�rie de pays. Marx l'analyse en permanence : une crise se traduit par l'�viction massive de salariés et donc un chômage de masse, ce que Marx appelle l'arméee de r�serve, qui est un �l�ment majeur de la réduction du salaire.
Il y avait donc des capacités productives gigantesques mais plus de marché. La spéculation s'�croule et la valeur boursi�re des firmes ressemble à ce qui se passe aujourd'hui. Le capital est alors oblig� d'adapter la production à la situation. La production s'arrête, les marchés se restreignent et c'est la boule de neige.
L'Allemagne est alors la plus touch�e. Pourquoi ? Parce que l'Allemagne était alors dans la situation des états-Unis aujourd'hui mais dans une moindre mesure. L'Allemagne était un pays qui vivait compl�tement à crédit, qui avait largement emprunt� depuis 1924. Mais au moment de la crise, les prêteurs rapatrient massivement leurs billes et le pays s'effondre par pans.
Autre facteur, l'Allemagne était un gros producteur de biens de productions, ce qui s'effondre le plus vite en cas de crise. C'est ce qui explique aujourd'hui la situation de l'industrie automobile, ou des machines-outils. Tout ce qui ne rel�ve pas de la consommation contrainte, alimentaire, etc? peut s'effondrer dans l'année..

On peut chiffrer les conséquences de la crise de 1929 ?

A L.R

L'Allemagne se retrouve avec un chômage total de 50 % et tout le reste en chômage partiel. En 1932, le pays compte 7 millions de ch�meurs totaux.
Aux états-Unis, c'est du même ordre. Les états-Unis font partie de ces pays où le capitalisme est le plus concentr�, producteurs de biens de production : c'est là que la chute de la production a été la plus extraordinaire. En deux ans, la production industrielle américaine a baiss� du tiers. Même chose en Allemagne.
Le capital a tendance à liquider son marché puisqu'il liquide ses salaires. Plus il liquide ses salaires, plus il compte sur le marché ext�rieur. Mais comme tout le monde fait la même chose, il n'y a plus de marché. L'Allemagne se retrouve en 1932 avec pour l'essentiel un seul client, l'URSS qui était en pleine sant� et qui avait des taux de croissance de 15 à 20 % par an.
Pour le capitalisme, la solution à la crise suppose que les salaires soient réduits de mani�re drastique. Et c'est là qu'on comprend la sortie de crise. Le capital qui contr�le l'état exige pour reconstituer les conditions de fonctionnement du capital que les salaires soient compl�tement écrasés, ce qui est fait par le chômage et par l'action directe sur le niveau des salaires. Il exige que des pans entiers de l'�conomie soient sacrifi�s. Et comme il n'y a plus de marché, qu'il ne lui est plus possible d'ouvrir de marchés pacifiquement, il tente de le faire par la guerre..

La Seconde Guerre mondiale, est elle la "solution" à la crise ?

A L.R.

En période de crise, chaque capitaliste essaye de liquider la concurrence des autres en se taillant de nouvelles zones d'exploitation. Comment se taille-t-on de nouvelles zones d'exploitation ? Par la conqu�te. L'Allemagne a essay� de conqu�rir le monde, les états-Unis ont essay� de conqu�rir le monde, l'une et l'autre y sont assez bien arrivés. Et les petits impérialistes essayent de se tailler un petit morceau dans tout �a.
Le capitalisme ne peut g�rer la crise que par la guerre générale. La question des peuples est de savoir s'ils vont laisser le capital réduire la crise par la guerre générale. Toute absence de réaction populaire en vue de transformations profondes est une chance de plus donnuméro e à la solution de guerre générale pour réduire la crise.

Quelle a été la réaction des gouvernements de l'époque ?

A L.R.

On dit aux gens *un grand mensonge*. On leur dit qu'� l'époque, les états ne sont pas intervenus comme aujourd'hui. Mais ils sont intervenus tout de suite, ils ont nationalis� le secteur bancaire. En Allemagne, Heinrich Br�ning (catholique), qui est au pouvoir de 1930 à 1932, nationalise de fait le secteur bancaire (qu'Hitler rendra aux banquiers, sans frais, en 1933-1934). Et l'état prend en charge toute une s�rie de secteurs.
Les gouvernements à l'époque ont r�agi exactement comme aujourd'hui, en prot�geant le grand capital et en accablant les masses populaires.
Le New Deal (plan de relance économique du président américain Roosevelt entre 1933 et 1938) aux états-Unis a été caract�ris� d'une part par un financement d'état consid�rable qui a pes� sur le contribuable seul et d'autre part par la pr�paration de la guerre. Je signale d'ailleurs que ce qui a fait sortir les états-Unis de la crise, ce n'est pas le New Deal, c'est la guerre.

Que peut on dire du r�le des socialistes dans la crise de 1929 ?

A L.R.

La social-démocratie a essay� de trouver une solution où elle pouvait. Elle avait très peur des changements profonds. Elle a donc accompagnuméro le capital dans ses tentatives pour r�soudre la crise et a accept� la politique du moindre mal. Elle a accept� les baisses de salaires. C'était une stratégie d'accompagnement qui a contribué en Allemagne aux succ�s d'Hitler.
Dans les pays où le mouvement révolutionnaire était plus important, où il a été capable de susciter une forte résistance de la population, la social-démocratie a d� consentir à la stratégie des Fronts Populaires qui lui a été imposée. Les archives de la SFIO (ancêtre du Parti socialiste français) sont très claires. Il y a des pays où le mécontentement des masses orient� par les forces révolutionnaires a été de nature à faire pression sur la social-démocratie. Toute une fraction d'entre elle restant subjectivement alliée au grand capital et accompagnant ses r�organisation drastique. De Man en Belgique et un certain nombre de secteurs de la social-démocratie se sont ralliés à l'extr�me droite fasciste.
La crise actuelle donne la parole au peuple pour trouver la solution la plus rapide compte tenu de ce qui risque de se passer. Il y a donc eu, en fonction des rapports de force, des stratégies diff�rentes. Mais la stratégie défensive des ouvriers n'a jamais été la r�ponse spontanuméro e des sociaux-démocrates. La r�ponse spontanuméro e des sociaux-démocrates, c'est la r�ponse des pays où ils étaient dominants, c'est-�-dire la r�ponse allemande. On laisse faire et on essaie de limiter le mécontentement populaire.

Quelles sont les diff�rences et les points communs entre la crise de 1929 et la crise actuelle ?

A L.R.

On peut faire l'analyse qu'au contraire de ce que l'on raconte aujourd'hui, les circonstances de d�clenchement de la crise sont des circonstances tout à fait semblables à celle de 1929.
La grande diff�rence, c'est d'abord que la surproduction aujourd'hui est très sup�rieure à celle de 1929. Dix ans d'accumulation (1919-1929), ce n'est pas 60 ans d'accumulation (1945-2008). Donc il y a des chances que, annoncée par toute une s�rie de crise cycliques et/ou p�riph�rique (hors du à centre �), cette crise-ci soit d'une ampleur comme on n'en a jamais vu. Si les m�canismes de formation de la crise sont les mêmes qu'autrefois, la crise d'aujourd'hui est plus grave que la crise des années 1930 qui était elle-m�me plus grave que celle de 1873. Cela ressemble donc aux précédentes, c'est plus grave que les précédentes et cela donne la parole au peuple pour trouver la solution la plus rapide compte tenu de ce qui risque de se passer

http:// www.ptb.be/fr/hebdomadaire/article/article/lhistorienne-annie-lacroix-riz-dune-crise-a-lautre-1929-2008.html du 24/11/2008

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