Le déclin états-unien en perspective – 1ère
partie
Noam CHOMSKY
envoyer à un ami

Les anniversaires importants sont commémorés
avec solennité – c’est le cas par exemple pour l’attaque
japonaise sur la base états-unienne de Pearl Harbor. D’autres anniversaires
sont ignorés, et nous pouvons souvent en tirer des leçons qui
nous permettent de savoir ce qui nous attend. Aujourd’hui précisément.
Actuellement nous ne commérons pas le cinquantième
anniversaire de la décision prise par le président John F. Kennedy
de déclencher l’offensive la plus destructive et la plus meurtrière
de l’ après-guerre : l’invasion du Vietnam du Sud, puis de
toute l’Indochine, qui allait provoquer des millions de morts, la dévastation
de quatre pays, avec des séquelles jusqu' à nos jours, dues
à l’épandage sur les campagnes des produits chimiques les
plus cancérigènes alors connus dans le but de détruire
les caches et les aliments.
Le Vietnam du Sud était la cible principale. L’agression
s’est plus tard étendue au Nord, puis à la lointaine société
paysanne du Laos, puis au Cambodge rural, lequel a été bombardé
autant que durant toutes les opérations alliées pendant la Guerre
du Pacifique, bombardements de Hiroshima et Nagasaki inclus. Sur ce point les
ordres d’Henry Kissinger [1]
ont été suivis – « tout ce qui vole et tout ce qui
bouge », un appel ouvert au génocide, inhabituel dans l’histoire.
On ne se souvient guère de cela. Presque tout cela était ignoré
en dehors des petits cercles de militants.
Lorsque l’invasion a commencé il y a cinquante
ans, on s’en préoccupait si peu que la justification avait été
assez évasive, guère plus que l’affirmation passionnée
du président selon laquelle « dans le monde entier nous faisons
face à une conspiration unilatérale et impitoyable qui utilise
principalement des moyens secrets pour élargir sa sphère d’influence
», et si cette conspiration parvenait à ses fins au Laos et au
Vietnam « les portes seront grandes ouvertes ».
Il s’alarmait d’ailleurs pour le futur : «
les sociétés complaisantes et molles pourraient être emportées
avec les débris de l’histoire [et] seules les sociétés
fortes pourront survivre » ; il faisait là référence
à l’échec de l’agression et du terrorisme états-uniens
pour balayer l’indépendance cubaine.
Alors que les protestations commençaient à croître,
six ans plus tard, Bernard Fall, historien militaire spécialiste du Vietnam,
certainement pas une colombe, prévoyait que « le Vietnam comme
entité culturelle et historique... est menacé d’extinction...
[quand]... ses campagnes meurent littéralement sous les coups de la plus
grande machinerie militaire jamais lancée sur un espace de cette dimension
». Il faisait référence au Vietnam du Sud.
Lorsque la guerre s’est achevée, huit horribles
années plus tard, les points de vue dominants se divisaient en deux,
ceux qui décrivaient la guerre comme une « noble cause »
qui aurait pu être gagnée avec davantage d’insistance, et
à l’extrême opposé, les critiques, ceux pour qui il
s’agissait d’une « erreur » qui nous avait coûté
très cher. En 1977 le président Carter n’a pas suscité
de commentaire quand il a indiqué que nous n’avions aucune «
dette » envers le Vietnam puisque « la destruction avait été
mutuelle. »
Tout cela est porteur de leçons pour aujourd’hui,
en dehors du fait que seuls les faibles et les vaincus doivent rendre des comptes
pour leurs crimes. La première leçon à retenir c’est
que pour comprendre ce qui se passe nous ne devrions pas seulement suivre les
événements les plus importants du monde réel, souvent escamotés
par l’histoire, mais nous devons aussi prendre en compte ce que les avis
des dirigeants et des commentateurs autorisés, mêmes s’ils
sont colorés de considérations fantastiques. Une autre leçon
c’est qu' en plus des inventions concoctées pour effrayer
et mobiliser le public (et peut-être crues par certains de ceux qui sont
pris au piège de leur propre rhétorique) il existe aussi une planification
stratégique, basée sur des principes rationnels et stables sur
de longues périodes, principes qui émanent des objectifs de très
solides institutions. Cela se vérifie également dans le cas du
Vietnam. J’y reviendrai. Je signale juste ici que les facteurs durables
dans les actions de l’État sont généralement bien
cachés.
La guerre d’Irak est un cas instructif. Elle a été
vendue à un public terrifié avec les arguments habituels de l’autodéfense
face à une terrible menace pour notre existence. la « seule question
», déclaraient George W. Bush et Tony Blair, était de savoir
si Saddam Hussein voulait interrompre son programme de développement
d’armes de destruction massive. Lorsque la seule question a reçu
la mauvaise réponse, le discours gouvernemental s’est tourné
sans effort vers notre « passion pour la démocratie », et
les gens éduqués ont docilement suivi le nouveau cours. Tout cela
est bien routinier.
Plus tard, lorsque la dimension de l’échec états-unien
en Irak devenait difficile à cacher, le gouvernement a doucement concédé
ce qui était clair depuis le début. En 2007 et en 2008, le gouvernement
a annoncé officiellement que l’accord final devait garantir la
permanence de bases militaires états-uniennes et le droit ouvert pour
d’éventuelles actions militaires. Cet accord final devait de plus
privilégier les investisseurs états-unien dans le riche système
énergétique – ces demandes ont été abandonnées
par la suite face à la résistance irakienne. Tout cela dans le
dos de la population.
Évaluation du déclin états-unien
Avec toutes ces leçons à l’esprit, il est
utile de regarder ce qui est mis en valeur dans les principaux périodiques
politiques aujourd’hui. Tenons-nous-en à Foreign Affairs, le plus
prestigieux des journaux de l’établissement. L’énorme
titre en gras sur la couverture du numéro de décembre 2011 était
« Is America Over ? » [« Les États-Unis sont-ils finis
? »]
Les auteurs préconisent « un repli » des
« missions humanitaires » à l’étranger, qui
consomment la richesse du pays. Cela pourrait interrompre le déclin états-unien,
lequel est un thème majeur dans le discours des affaires internationales,
généralement accompagné par le corollaire selon lequel
le pouvoir se déplace vers l’est, vers la Chine et (peut-être)
l’Inde.
Les principaux articles concernent le conflit israélo-palestinien.
Le premier est signé par deux importants dirigeants et a pour titre «
The Problem is Palestinian Rejection » [2][«
Le problème c’est le refus palestinien »] : le conflit ne
peut pas être réglé parce que les Palestiniens refusent
de reconnaître Israël comme État juif. Les Palestiniens s’en
tiennent là aux pratiques diplomatiques habituelles : les États
sont reconnus, mais non les secteurs privilégiés en leur sein.
Cette exigence n’est rien de plus qu' un nouveau truc pour freiner
la menace d’un accord politique qui ruinerait les objectifs expansionnistes
d’Israël.
La position opposée, défendue par un professeur
états-unien, est titrée « The Problem Is the Occupation
» [3] [«
Le problème c’est l’occupation »]. Le sous-titre est
le suivant : « How the Occupation is Destroying the Nation » [«
Comment l’occupation détruit le pays »]. Quel pays ? Israël,
bien sûr. Les deux articles sont parus sous le titre général
« Israel under Siege » [« Israël assiégé
»].
Le numéro de janvier 2012 publie un nouvel appel [4]
à bombarder l’Iran, maintenant, avant qu' il ne soit trop
tard. Signalant « les dangers de la dissuasion », l’auteur
suggère que « les sceptiques sur la question de l’action
militaire ne voient pas qu' un Iran disposant de l’arme nucléaire
représenterait un vrai danger pour les intérêts états-uniens
au Moyen-Orient et ailleurs. Et leurs sombres prévisions concèdent
que le remède serait pis que le mal – c’est-à-dire
que les conséquences d’une attaque états-unienne contre
l’Iran seraient au moins aussi néfastes que dans le cas où
l’Iran atteindrait ses objectifs nucléaires. Mais ce présupposé
est biaisé. La vérité c’est qu' une attaque
militaire visant à détruire le programme nucléaire iranien,
géré prudemment, pourrait épargner au monde et à
la région une menace bien réelle et garantir sur le long terme
la sécurité nationale des États-Unis ».
D’autres évoquent le fait que le coût serait
trop élevé, et certains vont jusqu' à signaler qu' une
attaque violerait le droit international – les modérés qui
lancent régulièrement des menaces de violence violent aussi le
droit international et violent la Charte des Nations unies.
Voyons ces inquiétudes.
Le déclin états-unien est réel, mais le
sentiment apocalyptique est dû au fait que la classe dominante considère
que dès qu' il n’y a plus contrôle total c’est
un désastre total. Malgré de pitoyables lamentations, les États-Unis
demeurent le pouvoir dominant dans le monde, et de loin, et il n’y a pas
de concurrent en vue, et pas seulement sur le plan militaire, domaine dans lequel
les États-Unis ont une suprématie totale.
La Chine et l’Inde ont eu des croissances rapides (bien
que très inégales), mais elles restent des pays très pauvres,
qui conservent d’énormes problèmes internes que l’Occident
n’a pas. La Chine est le plus grand centre manufacturier au monde, mais
dans une bonne mesure c’est une usine d’assemblage pour les puissances
industrielles d’Asie et pour les multinationales occidentales. Cela pourrait
certes changer à long terme. La manufacture offre généralement
les bases d’une future innovation, souvent des avancées, comme
cela se produit déjà parfois en Chine. Un exemple qui a impressionné
les spécialistes occidentaux c’est le prise de contrôle par
la Chine du marché des panneaux solaires, non en raison de la main-d’œuvre
à bon marché, mais grâce à la planification et, de
plus en plus, à l’innovation.
Mais la Chine doit faire face à de sérieux problèmes.
La principale revue scientifique états-unienne Science évoque
le problème démographique. L’étude montre que la
mortalité a fortement baissé durant la période maoïste,
« principalement comme conséquence du développement économique
et des progrès dans l’éducation et dans les services de
santé, notamment l’effort dans l’hygiène publique
qui a fortement fait baisser la mortalité due aux maladies infectieuses
». Ce progrès s’est achevé quand ont commencé
les réformes capitalistes il y a trente ans, et le taux de mortalité
a depuis lors augmenté.
Par ailleurs la croissance économique récente
de la Chine était fortement basée sur le « bonus démographique
», une très grande proportion de la population en âge de
travailler. « Mais la fin du cycle de ce bonus devrait s’achever
bientôt », avec « un impact profond sur le développement
» : « L’excédent de main-d’œuvre à
bon marché, l’un des principaux facteurs du miracle économique
chinois, n’existera plus ».
La démographie n’est que l’un des nombreux
graves problèmes de la Chine. Pour l’Inde les problèmes
sont encore plus importants.
Certaines voix importantes ne prévoient pas de déclin
états-unien. Le Financial Times de Londres, le plus sérieux des
médias internationaux, a récemment consacré une page entière
aux perspectives optimistes pour l’extraction de gaz fossile aux États-Unis.
Ce gaz extrait avec les nouvelles technologies pourrait rendre les États-Unis
indépendants en termes énergétiques et donc leur permettre
de maintenir leur hégémonie globale pour un siècle. On
ne nous dit rien quant au monde que les États-Unis domineraient, pas
en raison du manque de preuves.
À peu près au même moment, l’Agence
internationale de l’énergie (AIE) signalait [5]
que, en raison de l’augmentation accélérée des émissions
de carbone provenant du gaz fossile, la limite de sécurité serait
atteinte vers 2017 si le monde continue au même rythme. « La porte
se referme », déclare le responsable économie de l’AIE,
et sans tarder « la fenêtre sera fermée pour toujours ».
Peu auparavant le département énergie des États-Unis
rapportait [6]
que les chiffres les plus récents des émissions de dioxine de
carbone « avec de nouveaux records » parviennent à un niveau
encore plus élevé que le pire des scénarios envisagés
par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution
du climat (GIEC). Pour beaucoup de scientifiques cela n’est pas une surprise,
c’est par exemple le cas du programme d’étude sur le changement
climatique du Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui pendant des années
a affirmé que les pronostics du GIEC était trop conservateurs.
Ces critiques des prévisions du GIEC n’ont pas
du tout attiré l’attention du public, contrairement aux quelques
négateurs qui sont soutenus par les grandes entreprises, au moyen de
grandes campagnes de propagande qui ont amené les citoyens des États-Unis
à une position singulière dans le monde de dénégation
des menaces existantes. Le business se traduit directement dans le pouvoir politique.
Le négationnisme fait partie du catéchisme qui doit être
récité par les candidats républicains dans le théâtre
de la campagne électorale actuellement en cours ; et au Congrès
ils sont assez puissants pour faire avorter toute tentative de lancer des investigations
quant au réchauffement global, pour ne pas parler de la moindre tentative
de prendre quelque mesure que ce soit sur ce point.
Bref, le déclin états-unien peut peut-être
être enrayé si nous abandonnons l’espoir d’une survie
décente – des perspectives hélas bien réelles, vues
le rapport de force dans le monde.
« La perte » de la Chine et du Vietnam
Si on met de côté ces faits regrettables, un regard
plus précis sur le déclin états-unien montre que la Chine
joue en effet un rôle important, et c’est le cas depuis soixante
ans. Le déclin qui aujourd’hui provoque tant d’inquiétude
n’est pas un phénomène récent. Il remonte à
la fin de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les États-Unis
possédaient la moitié de la richesse mondiale, disposaient d’une
sécurité incomparable à l’échelle mondiale.
Les planificateurs étaient bien entendu au courant de l’énorme
disparité de pouvoir et ont tout fait pour que cet état de fait
perdure.
La considération de base a été énoncée
avec une franchise admirable dans un important state paper [document officiel
d’État] de 1948 (PPS 23) [7]
. L’auteur était l’un des architectes du « nouvel ordre
mondial » de cette époque, le chef de l’équipe des
planificateurs du département d’État, universitaire et homme
d’État respecté, George Kennan, une colombe modérée
parmi les planificateurs. Il observait que l’objectif principal de la
politique était de maintenir la « position de disparité
» qui séparait notre énorme richesse de la pauvreté
des autres. Pour parvenir à ce but, signalait-il, « nous devrions
cesser de parler d’objectifs vagues et irréels, comme les droits
humains, l’élévation du niveau de vie et la démocratisation
» et nous devrions nous en tenir « à de simples considérations
de puissance » non « encombrées de slogans idéalistes
» évoquant « l’altruisme et le bien-être du monde
».
Kennan faisait spécifiquement référence à l’Asie,
mais l’observation est de portée générale, avec certes
quelques exceptions, pour les participants au système global dirigé
par les États-Unis. Il était bien clair que les « slogans
idéalistes » devaient être mobilisés pour parler des
autres, la classe intellectuelle devaient là les promouvoir.
Les plans que Kennan a contribué à formuler et
à mettre en œuvre considérait évident que les États-Unis
contrôlaient l’hémisphère occidental, l’Extrême-Orient,
l’ancien empire britannique (incluant les incomparables ressources énergétiques
du Moyen-Orient), la plus grande partie possible de l’Eurasie, particulièrement
ses pôles commerciaux et industriels. Ce n’était pas des
objectifs irréalistes, vu le rapport de force. Mais le déclin
commençait déjà.
En 1949 la Chine a déclaré son indépendance,
un événement connu dans le discours occidental comme « la
perte de la Chine » – aux États-Unis il y a eu d’amères
récriminations et des querelles à propos des responsabilités
quant à cette perte. La terminologie est révélatrice. On
ne peut perdre que ce que l’on possède. Le présupposé
tacite était que les États-Unis possédaient la Chine, de
droit, comme la plupart des autres pays du monde, tout à fait comme les
planificateurs de l’ après-guerre l’avaient considéré.
La « perte de la Chine » fut le premier pas vers
le « déclin des États-Unis ». Il y a eu des conséquences
politiques majeures. L’une d’entre elles ce fut la décision
de soutenir l’effort de la France pour reconquérir son ancienne
colonie indochinoise, de façon à ce qu' elle ne soit pas,
elle aussi, « perdue ».
L’Indochine elle-même n’était pas
très importante, malgré les affirmations d’Eisenhower, ou
d’autres, qui parlaient de ses riches ressources. La véritable
raison c’était la « théorie des dominos », dont
on se moque souvent lorsque les dominos ne tombent pas, mais qui reste un principe
politique de base parce qu' il est assez rationnel. Pour adopter la version
d’Henry Kissinger, une région qui tombe hors de tout contrôle
peut devenir un « virus » qui va « semer la contagion »,
incluant de nouveaux éléments qui suivraient le même chemin.
Dans le cas du Vietnam, l’inquiétude était
que le virus du développement indépendant n’infecte l’Indonésie,
qui elle détient effectivement de riches ressources. Et cela pourrait
conduire le Japon – le superdomino comme l’appelait l’historien
de l’Asie John Dower – à s’accommoder d’une Asie
indépendante dans la mesure où il serait son centre technologique
et industriel dans un système qui échapperait au contrôle
états-unien. Cela signifierait effectivement que les États-Unis
auraient perdu la Guerre du Pacifique, laquelle avait précisément
pour but d’établir un nouvel ordre en Asie.
La façon de gérer un tel problème est
claire : détruire le virus et « inoculer » ceux qui pourraient
être infectés. Dans le cas du Vietnam, le choix rationnel était
de détruire tout espoir de développement indépendant réussi
et d’imposer des dictatures brutales dans les régions voisines.
Ces objectifs ont bien été atteints – bien que, l’histoire
jouant parfois des tours, quelque chose de similaire à ce qui était
redouté s’est depuis lors développé en Asie orientale,
à la consternation des États-Unis.
La plus importante victoire des guerre d’Indochine s’est
produite en 1965 avec un coup d’État soutenu par les États-Unis,
conduit par le général Suharto, provoquant des crimes en masse
comparés par la CIA à ceux d’Hitler, de Staline et de Mao.
Le « stupéfiant massacre », comme le New York Times l’a
décrit, avait été rapporté avec transparence par
les médias dominants, avec une euphorie non dissimulée.
Il s’agissait d’« un rayon de lumière
en Asie », comme écrivait dans le New York Times le fameux commentateur
libéral James Reston. Le coup avait mis fin à la menace démocratique
en détruisant le parti politique des masses pauvres ; s’était
alors installée une des pires dictatures du monde en termes de droits
humains qui a livré les richesses du pays aux investisseurs occidentaux.
après bien d’autres horreurs, comme l’invasion quasi génocidaire
[9] du Timor
oriental, on n’attacha guère d’importance au fait que Suharto
fût accueilli par le gouvernement Clinton [8]
en 1995 comme « un gars qu' on aime bien ».
Des années après les grands événements
de 1965, McGeorge Bundy, conseiller de Kennedy et de Johnson, considérait
qu' il aurait été judicieux d’arrêter la guerre
du Vietnam à ce moment-là, le « virus » étant
quasiment détruit et le premier domino solidement tenu, renforcé
par des dictatures soutenues par les États-Unis dans toute la région.
Des procédures équivalentes ont été
appliquées de façon routinière ailleurs. Kissinger a fait
spécifiquement référence à la menace représentée
par la démocratie socialiste du Chili. Cette menace a été
éliminée à une date également tombée dans
l’oubli, que les Latino-Américains appellent « le premier
11 septembre » [10],
lequel dépasse de loin, en termes de violence et de destruction, le 11
septembre commémoré en Occident. Une terrible dictature a été
imposée au Chili, comme partie de la vague répressive qui a touché
toute l’Amérique latine et qui est arrivée en Amérique
centrale sous Reagan. Des virus ont provoqué beaucoup de préoccupation
ailleurs, comme au Moyen-Orient, où la menace du nationalisme laïc
inquiétait les planificateurs britanniques et états-uniens, ce
qui les avaient conduits à soutenir le fondamentalisme islamique pour
y faire face.
La concentration de la richesse et le déclin états-unien
Malgré de telles victoires, le déclin états-unien
s’est poursuivi. Vers 1970, la part des États-Unis dans la richesse
mondiale était descendue à 25%, à peu près le même
pourcentage qu' à l’heure actuelle, encore énorme mais
bien plus faible que le chiffre de la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Le monde industrialisé était alors tripolaire : L’Amérique
du Nord, avec le pilier états-unien, l’Europe avec le pilier allemand,
et l’Asie orientale, déjà la région la plus dynamique
industriellement, alors organisée autour du Japon, alors qu' aujourd’hui
elle inclut les anciennes colonies japonaises, Taïwan, la Corée
du Sud et, dernière venue, la Chine.
À peu près à cette époque, le déclin
états-unien est entré dans une nouvelle phase : le déclin
délibéré auto-infligé. À partir des années
1970 il y a eu un changement significatif dans l’économie états-unienne,
lorsque les planificateurs, au service de l’État ou du privé,
ont choisi l’option de la financiarisation et de la production délocalisée.
Ces décisions ont donné naissance à un cercle vicieux dans
lequel la richesse était hautement concentrée (spécialement
parmi les 0,1% les plus riches de la population), facilitant la concentration
du pouvoir, et choisissant la législation permettant de mener le cycle
à son terme : les politiques fiscales, la dérégulation,
les changements dans les règles de fonctionnement des grandes entreprises,
le tout offrant des gains énormes aux dirigeants.
Cependant pour la majorité les revenus réels
ont globalement stagné, et les gens ne s’en sortaient qu' en
travaillant davantage (bien plus qu' en Europe), une dette insoutenable,
et des bulles financières à répétition depuis les
années Reagan, créant ainsi une richesse de papier qui a inévitablement
disparu dès que la bulle a éclaté (et les responsables
ont été dédommagés par le contribuable). En même
temps, le système politique a été encore plus défiguré
parce que les deux partis sont encore plus soumis aux grandes entreprises en
raison du coût toujours plus élevé des élections
– pour les républicains ça atteint un niveau comique, les
démocrates (aujourd’hui il s’agit des anciens « républicains
modérés ») à peine un peu différents.
Une étude récente publiée par l’Economic
Policy Institute, qui a été la principale référence
sur ces questions pendant des années, a été titrée
« Failure by Design » [11]
(« Le Projet de l’échec » ou « Échec délibéré
» ou « La Conception d’un échec »). L’expression
« by design » est bien choisie. D’autres choix étaient
certainement possibles. Et comme l’étude le signale l’«
échec » a une dimension de classe. Il n’y a pas d’échec
pour les concepteurs. Loin s’en faut. Ces politiques sont plutôt
un échec pour la grande majorité – les 99% de l’imagerie
du mouvement Occupy – et pour le pays, qui a poursuivi son déclin
et qui poursuivra son déclin avec de telles politiques.
L’un des facteurs c’est la délocalisation
de la production. Comme l’exemple du panneau solaire dont je parle plus
haut l’illustre la capacité de production offre la base et la stimulation
pour l’innovation et cela conduit à des niveaux supérieurs
de sophistication dans la production, dans la conception, dans l’invention.
Cela aussi est délocalisé, ce qui n’est pas un problème
pour les mandarins de la finance qui de plus en plus prennent les décisions
politiques, mais un problème sérieux pour les travailleurs et
pour les classes moyennes, et un vrai désastre pour les plus opprimés,
la communauté noire des États-Unis, qui n’a jamais échappé
à l’héritage de l’esclavage et de ses terribles lendemains,
et dont les maigres revenus ont quasiment [12]
disparu après l’éclatement de la bulle spéculative
sur l’immobilier en 2008, initiant la dernière des crises financières,
la pire, jusqu' à maintenant.
Notes
_1
http://www.nytimes.com/2004/05/27/us/kissinger-tapes-describe-crises-war-and-stark-photos-of-abuse.html
_2 http://www.foreignaffairs.com/articles/136588/yosef-kuperwasser-and-shalom-lipner/the-problem-is-palestinian-rejectionism
_3 http://www.jadaliyya.com/pages/index/402/-the-problem-is-the-israeli-occupation_al-nabi-sal
_4 http://www.foreignaffairs.com/articles/136917/matthew-kroenig/time-to-attack-iran
_5 http://www.guardian.co.uk/environment/2011/nov/09/fossil-fuel-infrastructure-climate-change
_6 http://news.yahoo.com/biggest-jump-ever-seen-global-warming-gases-183955211.html;_ylc=X3oDMTNsOHE4YzU0BF9TAzk3ND
_7 http://en.wikisource.org/wiki/Memo_PPS23_by_George_Kennan
_9 http://www.chomsky.info/articles/199910--.htm
_8 http://www.nytimes.com/1995/10/31/world/real-politics-why-suharto-is-in-and-castro-is-out.html?pagewanted=all&src=pmvvvv
_10 http://www.tomdispatch.com/archive/175436/
_11 http://www.epi.org/publication/failure-by-design/
_12 http://www.csmonitor.com/USA/2011/0726/Wealth-gap-widens-Whites-net-worth-is-20-times-that-of-blacks
deuxième
partie
Source http://www.legrandsoir.info/le-declin-etats-unien-en-perspective-1ere-partie.html
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