Certains le prénomment docteur
la Mort et le qualificatif n'est pas trop fort.
à 52 ans, ce fils de cantatrice, brillant chimiste et
ardent patriote, est à l'origine d'un des projets politico-militaires
les plus effroyables que l'aprés-guerre ait connu.
Nous sommes en 1984 et le
gouvernement de l'Apartheid, en guerre larvée avec ses
voisins et notamment l'Angola, n'en finit pas de cultiver
sa propagande anti-communiste. Au prétexte d'une crainte
d'attaque bio-chimique, les autorités militaires en place
décident de développer une unité spéciale chargée du Chemical
and Biological Warfare (CBW). Nom de code : Project
Coast. C'est l'actuel président du Freedom
Front, le général Viljoen, parlementaire proche de
Le Pen à qui il a empreinté la flamme frontiste, qui,
aujourd'hui encore se vente d'avoir politiquement entériné
le projet lorsqu'il dirigeait la défense sud-africaine
dans les année 80. C'est lui qui chargea le docteur Wouter
Basson, celui qu'on nommera docteur la Mort ,
de développer le projet.
Les années 80 annoncent
l'arrivée de Mandela et de sa démocratie, les autorités
politiques réalisent alors combien la démographie ne leur
est pas favorable et qu'au jeu d'une voix-un vote, la
communauté afrikaner n'aurait bientét plus de poids politique.
Ce constat ménera le docteur Basson à une analyse simple :
moins il y aura de noirs moins il y aura de votes noirs.
Mais l'équation coûte de
l'argent. Des dizaines de millions de francs sont ainsi
mis à contribution par le gouvernement de l'apartheid
peu avant les années 90, afin de mettre sur pied un laboratoire
militaire technologiquement suréquipé dans la banlieue
proche de Pretoria à Roodeplaat, Des recherches extrémement
poussées sont alors enclenchées afin de développer une
molécule mortelle, sensible à la mélanine qui pigmente
la peau des noirs. Autrement dit, une arme d'extermination
éthniquement sélective. Le laboratoire militaire du docteur
Basson étudie également, échantillons à l'appui, l'éventualité
de propager de graves épidémies dans les populations africaines.
Un volet du Project Coast s'intéresse
aussi au meilleur moyen scientifique de stériliser en
masse les femmes noires.
Les milieux militaires étrangers
spécialisés dans la guerre bio-chimique viennent bien
volontiers contribuer à l'effort de recherche, l'Angleterre,
les états-Unis, Israël, la Suisse, la France, mais aussi
l'Irak ou la Libye figurent parmi les collaborateurs généreux
ou occasionnels. Et ceci malgré la signature de nombreux
traités de non-prolifération bio-chimique ou l'embargo
du régime d'apartheid... Le laboratoire dit de Roodeplaat
était devenu une véritable pharmacie macabre : Butolinum,
Thallium, Anthraxé, Sida, Choléra, en quantités hallucinantesé
Une technologie de mort sous l'autorité d'un homme :
le docteur Basson, avec pour seule cible, la population
noire.
Les activités de ce docteur
ne furent révé l' es qu' en 1998 lors d'auditions très spéciales
de la Commission vérité et Réconciliation (CVR). Mais
cela fait maintenant trois ans qu'il est jugé en homme
libre, après caution symbolique, devant la Haute cour
de justice de Pretoria. Principalement poursuivi pour
fraude au fisc et production massive de drogue, il n'est
que très accessoirement inculpé d'une soixantaine de meurtres
ou de tentatives, parmi lesquels de très hautes personnalités,
comme l'ancien président Mandela, le révérend Franck Chikane
(actuel conseiller du président Mbeki). Cela étant les
auditions de la Commission vérité et Réconciliation ont
montré qu'il était raisonnable de penser que plusieurs
milliers de noirs avaient disparu dans les expériences
ou les assassinats politiques pilotés par les laboratoires
qu'il dirigeait.
Aujourd'hui, le docteur
Basson vit dans une banlieue cossue de Pretoria. Cardiologue,
il bénéficie même d'un poste à l'hôpital Académique de
la ville. Ce qui ne rassure pas sa clientéle pour majorité
noire. Mais cela signifie aussi qu'il est toujours employé
par l'état sud-africain. à quoi s'ajoute le fait que Basson
est encore à ce jour un membre de l'arméee sud-africaine !
Cette situation pour le moins surprenante est vivement
dénoncée par des magistrats de la Commission vérité et
Réconciliation qui appellent à la mise sur pieds d'un
tribunal international, pour qu'enfin soient jugés les
crimes contre l' humanité perpétrès par Basson et les siens.
Le procès qui lui a été
intenté début 1999 n'a pas levé le voile sur l'ensemble
de ses activités criminelles. D'autant que le juge très
conservateur, et très controversé Willie Hartzenberg (frère
du président du parti conservateur sud-africain et nommé
sous l'apartheid), est apparu bien partial, réduisant
à chaque audience les accusations comme une peau de chagrin.
Durant la procédure d'enquête ont même disparu les trois
CD-Roms du docteur, compilation faite à la va-vite avant
son arrestation et regroupant tous les résultats de ses
diverses expérimentations.
Le procès s'est achevé le
12 avril 2002 par l'acquittement du docteur Basson. Au
moment où la Cour pénale internationale voyait le jour
Le procureur a aussitét annoncé qu'il ferait appel et
Desmond Tutu dans un message adressé à l'opinion publique
a parlé é d'un jour sombre pour l'Afrique
du sud .
Beaucoup de questions peu
de réponses, mais quelques certitudes : l'arsenal
chimique développé n'est pas perdu pour tout le monde,
et son principal instigateur est encore à ce jour un militaire
dépendant du ministère de la défense, payé par le contribuable
sud-africain. Autre certitude les traités de non-prolifération
bio-chimique signés par les pays occidentaux, n'ont pas
empêché le commerce de ce sinistre savoir faire et il
n'est pas invraisemblable que sans notre collaboration,
docteur la Mort n'ait
jamais existé.
l'heure du terrorisme
bio-chimique, il est urgent de mettre sur pied une commission
internationale indépendante afin d'identifier tous ceux
qui ont collaboré au programme Coast,
et localiser le stock d'armes bio-chimiques.
Tristan Mendés France
Assistant parlementaire, journaliste et documentariste.
Il a notamment écrit le livre Dr
la mort, Enquéte sur un bioterrorisme d'Etat en Afrique
du Sud et le documentaire
Docteur
La Mort.
La collaboration
suisse aux expériences du docteur Basson
Début juin 2002, une
délégation parlementaire suisse (dite des Commissions
de gestion ou Dél CdG) est mise sur pied afin d'examiner
dans quelle mesure la Suisse et ses services ont
collaboré au programme de guerre bio-chimique sud-africain,
le Project Coast, dirigé par
le Docteur Wouter Basson.
Mais le travail de la
Dél CdG, qui devrait officiellement rendre son rapport
au printemps 2003, semble avoir été court-circuité.
En effet, entre-temps, le DDPS (département fédéral
de la défense) a pris l'initiative d'interroger
Wouter Basson directement à Pretoria sous forme
de questionnaire sur papier en-tête officiel de
l'administration suisse. L'initiative du DDPS correspond
à un acte officiel à un citoyen étranger résident
à l'étranger, ce qu'interdit formellement la Convention
de Genuméro ve sans l'accord express du pays concerné,
en l'espéce l'Afrique du Sud qui a découvert l'affaire
dans les médias.
Ce fécheux court-circuitage
a été révélé par le journal suisse WeltWoche
de la semaine du 20 octobre 2002. La Dél CdG s'est
alors fendu d'une note d'information le 24 octobre
2002. Elle défausse sa responsabilité sur celle
du DDPS en précisant qu'elle ne se prononcera plus
sur ses activités jusqu' à la remise de son rapport.
Le DDPS a, quant à lui, admis avoir commis une erreur
dans ses transmissions, tout en déclarant à son
tour, que la Dél CdG est
responsable de ses actes devant le Parlement .
Reste que la Suisse se
trouve dorénavant dans une situation délicate vis-à-vis
de l'Afrique du Sud qui risque de ne plus collaborer
à l'enquête. Une maniére originale d'enterrer un
sujet qui dérange.
Livre & documentaire
Dr
la mort, Enquéte sur un bioterrorisme d'Etat en
Afrique du Sud
par Tristan Mendés-France
passé
sous silence - Docteur La Mort
Documentaire écrit par Tristan Mendés-France et
réalisé par Jean Pierre Prévost.
France 3, jeudi 31 octobre 2002, 23h55 (50 min)
Rapports
La
maétrise des armements chimiques et biologiques,
rapport de l' Assemb l' e parlementaire de l'Union
de l'Europe occidentale (UEO), 5 décembre 2001.
Voir notamment l'introduction
du rapport et le chapitre Les
difficultés d'application de la CAB
Les
rapports entretenus par les services de renseignements
suisses avec l'Afrique du Sud, rapport de
la Délégation des Commissions de gestion des Chambres
fédérales sur le réle des Services de renseignements
suisses dans le cadre des relations entre la Suisse
et l'Afrique du Sud. Voir notamment, dans le
chapitre 2, la partie prêtendue participation
du Laboratoire AC de Spiez aux projets sud-africains
de développement d'armes biologiques et chimiques .
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source : http://www.reseauvoltaire.net/article8655.html
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