Le Journal Le Monde et la propagande de guerre étasunienne
Romain Migus
Titre original : Opération "Juste Cause"
au Venezuela ? 29/01/08
La DEA possédait notamment des bureaux au sein même
du Bureau National Antidrogue vénézuélien (ONA, en espagnol),
auxquels le propre directeur de l'ONA n'avait pas accès. Cette rupture
avec la DEA n'isole pas le Venezuela dans la lutte anti-drogue puisque ce pays
maintient 50 accords internationaux dans ce domaine avec 37 pays, la plupart
européens (1)
. Mais dès l'expulsion de la DEA, le problème de santé
publique mondiale que représente la lutte contre le trafic de drogue
allait se transformer au Venezuela en un thème récurrent de la
guerre politico-médiatique.
Sans la DEA, les résultats s'améliorent
Et pourtant, sans les financements et la coopération
étatsunienne, le Venezuela allait rapidement afficher des résultats
surprenants. Alors que les services vénézuéliens avaient
saisi 43 tonnes de cocaïne en 2004, grâce à la collaboration
de la DEA, ce chiffre allait augmenter à 77.5 tonnes en 2005 alors que
la DEA était expulsée. Malgré une légère
baisse en 2007 à 57,5 tonnes, les saisies de cocaïne au Venezuela
restent largement supérieures à celles pratiquées avec
la collaboration de l'agence étatsunienne (2)
. Selon l'ONU, depuis l'expulsion de la DEA, le Venezuela est depuis trois années
consécutives le troisième pays comptabilisant les plus fortes
saisies de cocaïne au monde. De nombreux parrains de la drogue ont été
arrêtés au Venezuela dans cette même période et certains
ont été remis aux autorités colombiennes. De manière
générale, le gouvernement vénézuélien a mis
sous les verrous 4.000 trafiquants, ainsi que 68 fonctionnaires de police accusés
de collaborer avec le crime organisé. Pour l'année 2007, le Venezuela
a fermé 12 laboratoires clandestins qui produisaient jusqu'à 1
tonne de cocaïne par jour.
Le rapport mondial sur les drogues de l'ONU pour 2007 rappelle
quelques chiffres éclairants. Le plus grand producteur de cocaïne
est la Colombie avec 62% de la production mondiale (3)
, le plus grand producteur d'opium au monde est l'Afghanistan qui concentre
92% de la production (4)
. Ces deux pays comptent sur une présence massive de l'armée des
Etats-unis sur leur territoire, par le Plan Colombie pour l'un et l'occupation
"Liberté Immuable" pour l'autre. Malgré l'occupation
militaire étasunienne, le rapport de l'ONU nous enseigne que les résultats
en matière de lutte anti-drogue dans ces pays sont catastrophiques. Pire,
dans le cas de l'Afghanistan, la production a même augmenté entre
2005 et 2006.
En ce qui concerne la consommation, les Etats-Unis sont de
très loin le plus grand consommateur mondial de drogues. A titre d'exemple,
la ville de New York a une consommation de cocaïne par habitant près
de 12 fois supérieure à celle de la ville de Paris. (5)
50% de la cocaïne présente sur le territoire étatsunien
entrent par la côte Pacifique et 38% entrent en longeant le littoral des
pays d'Amérique centrale (6)
. Autrement dit, 88% de la cocaïne présente aux Etats-Unis ne transitent
pas, selon l'ONU, par le Venezuela.
Le retour rapide sur les chiffres de la lutte contre la drogue
au Venezuela nous semble nécessaire pour saisir l'ampleur d'un récent
article du Monde, faisant du gouvernement vénézuélien un
complice du trafic de drogue (7)
. On y apprend qu'un homme d'affaire vénézuélien, Walter
Del Nogal, est en passe d'être condamné en Italie pour trafic de
drogue. Mais l'article précise que Del Nogal est réputé
proche du gouvernement vénézuélien dont il aurait financé
les campagnes de plusieurs élus, en jetant même le doute sur le
président Chavez.
L'affaire Del Nogal
Revenons sur les faits. Del Nogal est arrêté à
Palerme en septembre 2007. Le 4 octobre, le Procureur Général
de la République Bolivarienne du Venezuela, Isaias Rodriguez, rappelle
que deux procureurs vénézuéliens enquêtaient déjà
sur Del Nogal avant que ce dernier ,soit appréhendé en Italie
(8) . Il
souligne aussi que les autorités judiciaires vénézuéliennes
ont offert leur coopération à l'enquête des juges italiens.
Le 15 octobre, tous les biens, avoirs, sociétés, jets privés,
voitures et immeubles appartenant à Del Nogal ont été saisis
par la justice vénézuélienne et mis à la disposition
de la ONA, comme le rappelle Le Monde. Quant aux accusations du quotidien du
soir révélant une photo de Del Nogal avec le maire de l'agglomération
de Caracas, Juan Barreto, ce dernier s'en est expliqué. Il s'agissait
d'une réunion de membres de son parti politique avec de nombreux entrepreneurs
afin de solliciter des fonds pour leurs campagnes électorales, ce qui
est légal au Venezuela. De nombreuses photos ont été prises
ce soir-là, des personnalités politiques s'affichant avec de nombreux
entrepreneurs vénézuéliens menant des activités
parfaitement légales.
Quant à l'opposant social-démocrate Julio Montoya,
cité par Le Monde, le maire Juan Barreto l'a menacé de porter
plainte pour diffamation si celui-ci n'apportait pas des preuves formelles du
lien supposé du maire de Caracas avec le trafic de drogue. Devant l'incapacité
de Montoya d'apporter plus que la photo prise durant la soirée avec les
entrepreneurs, les accusations ont cessé.
Du moins au Venezuela, puisque Le Monde revient à la
charge, sans apporter de preuves supplémentaires. La suspicion est même
lancée non seulement sur le maire de Caracas mais aussi sur des responsables
du gouvernement ainsi que sur le propre président Chavez.
Ce journalisme d'imputation est habituel lorsqu'il s'agit du
Venezuela. Mais on peut se demander pourquoi Le Monde et Paolo A. Paranagua,
normalement si rapides à se lancer dans le lynchage médiatique
et la désinformation sur le Venezuela, ont décidé de ne
parler que maintenant d'une affaire qui a pourtant commencé, il y a plus
de quatre mois. Qu'est ce qui a motivé Le Monde et Paolo A. Paranagua
pour revenir sur un fait qui appartient désormais plus à la justice
qu'à l'information en temps réels ?
Vers une opération "Juste Cause" au Venezuela
?
Le 20 janvier 2007, lors d'une visite en Colombie, le directeur
du Bureau de la Politique de Contrôle des Drogues de la Maison Blanche,
John Walters, a déclaré "qu'Hugo Chavez est en train de devenir
un important facilitateur du trafic de Cocaïne vers l'Europe et d'autres
régions de l'Hémisphère", comprendre les Etats-Unis.
Immédiatement, les media commerciaux vénézuéliens
vont se faire l'écho des propos de Walters, d'autant plus qu'ils interviennent
peu après la demande de Hugo Chavez de considérer la FARC comme
un groupe belligérant et non comme des "narco-terroristes".
L'intention de Walters est facilement compréhensible. Il s'agit d'accuser
Hugo Chavez de collusion avec le trafic de drogue international. Cette accusation
fut la pierre angulaire médiatique qui avait légitimé l'intervention
des Etats-Unis au Panama en 1989, et dans une moindre mesure l'invasion de l'Afghanistan
en 2001 (en plus du terrorisme). Ce fut aussi la raison invoquée pour
la mise en place du Plan Colombie et le renforcement de l'aide militaire au
gouvernement colombien dans sa guerre contre la guérilla. En bref, c'est
une puissante arme dans la propagande de guerre préalable à toute
intervention militaire.
Or comme nous l'avons vu, l'affirmation de John Walters est
contredite par les faits. Autant le Rapport Mondial sur les Drogues de l'ONU,
que le Mécanisme d'Evaluation Multilatéral de l'Organisation des
Etats Américains soulignent les excellents résultats du Venezuela
dans la lutte anti-drogue.
La déclaration de John Walters va être démentie
par le président du Bureau National Antidrogue vénézuélien,
par l'ambassadeur du Venezuela à l'Organisation des Etats Américains,
par l'Assemblée Nationale vénézuélienne, et par
le président Chavez.
Qu'importe que le gouvernement vénézuélien
et les organismes multilatéraux prétendent le contraire, les déclarations
de John Walters ont pour but de créer l'illusion dans l'opinion publique
mondiale que le gouvernement vénézuélien est lié
au trafic de drogue en vue de légitimer les pires atrocités.
Pourquoi donc, quatre mois après les faits, le journal
Le Monde et Paolo A. Paranagua décident de ressortir un fait divers pour
peu qu'il concorde avec une énième offensive des Etats-Unis contre
le Venezuela ?
Qui sommes nous pour le quotidien du soir et pour Paolo A.
Paranagua ?
Des lecteurs dignes d'une information objective ou de simples cibles de la propagande
de guerre étasunienne ?
Notes:
(1) Conférence
de presse de Nelson Reverol, président de l'ONA, Caracas, 22/01/08.
(2) "Le Venezuela doute du professionnalisme
de l'agence anti- drogue américaine", Xinhua, http://www.french.xinhuanet.com/french/2008-01/24/content_565740.htm
(3) "2007 World Drug Report",
United Nations Office on Drugs and Crime, p. 44.
(4) "2007 World Drug Report",
United Nations Office on Drugs and Crime, p. 69.
(5) "2007 World Drug Report",
United Nations Office on Drugs and Crime, p. 272.
(6) "2007 World Drug Report",
United Nations Office on Drugs and Crime, p. 175.
(7) Jean-Jacques Bozonnet (à Rome)
et Paulo A. Paranagua, "Un homme d'affaires proche du pouvoir vénézuélien
impliqué dans le trafic de drogue en Sicile", Le Monde, 29/01/08.
(8) "Venezuela solicitó información
a Italia sobre detención de empresario del Nogal", Agencia Bolivariana
de Noticias, 05/10/07.
Transmis par www.michelcollon.info
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