SANS
PAPIERS en lutte coordination
nationale
MEMORANDUM
DE LA COORDINATION NATIONALE DES SANS PAPIERS
(CNSP)
(
remis au Cabinet de M. SARKOZY le 14/09/05 lors de l’audience du Ministère de
l’Intérieur)
Monsieur
le Ministre de l’Intérieur, M. SARKOZY s/c de M. TANDONET, Directeur de
Cabinet,
Permettez
nous de vous remercier de cette audience. C’est la seconde depuis 2002. La
démarche est conforme à ce que dit votre circulaire de décembre 2002, à savoir
que les Collectifs de Sans Papiers, la CNSP et nos partenaires, associatifs ou
syndicaux sont des interlocuteurs.
Nous
voulons par ce mémorandum signaler des situations dramatiques, injustes et
intolérables au regard des droits humains, que vivent les Sans Papiers :
Des
enfants scolarisés, parce que sans papiers, ont été arrêtés dans les écoles
de la République. Cela a suscité une telle émotion dans la communauté scolaire
que presque partout ont été mis en place des réseaux locaux d’éducation sans
frontières qui réunissent enseignants, parents, élèves et Collectifs de Sans
Papiers. Il faut que cesse ce scandale et nous demandons que la scolarité soit
prise en compte comme « élément d’insertion » en vue de la
régularisation de la famille. C’est d’ailleurs ce que laissait entendre la
circulaire de décembre 2002.
Des
parents sont régularisés, mais les enfants ne le sont pas. Dans un couple, l’un
a des papiers, son conjoint pas. Il y a donc traitement séparé des dossiers
d’une même famille. Or l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de
l’Homme interdit la séparation des familles. N’est-il pas aussi temps que la
naissance d’un enfant en France, lui confère, ainsi qu’à sa famille, le droit du
sol ?
La
France pratique sur des Sans Papiers mineurs isolés des expertises osseuses,
afin de déterminer leur âge. Ces pratiques, qui ont été établies à l’origine, au
début du XXè siècle, à partir des caractères morphologiques d’une population
nord-américaine, sont peu fiables et comporteraient une marge d’erreur de deux
ans. Elles ont été abandonnées par la quasi totalité des pays de l’espace
Schengen, alors pourquoi continuer à les pratiquer si ce n’est pour expulser ces
enfants en prétextant qu’ils sont majeurs?
Bon
nombre des Sans Papiers gravement malades et qui, de ce fait, ont droit à la
régularisation se voient déboutés sur la seule décision des médecins de la
DDASS, alors que des établissements de la santé publique constatent et attestent
de la gravité de leur pathologie. Dans ce cadre, la loi exige 2 conditions à la
régularisation : une pathologie grave avérée, l’impossibilité de se faire
soigner dans son pays d’origine. Quel Sans Papier malade, expulsé, a les moyens
financiers de se faire soigner dans son pays d’origine, si tant est que les
structures existent! Le droit à la santé, n’est-il pas un droit fondamental
inscrit dans les textes internationaux ratifiés par la
France?
Le
mariage est de plus en plus suspecté d’être frauduleux. Les mairies saisissent
le Procureur de la République, lequel diligente une « enquête pour établir
la situation de mariage blanc ». C’est « la loi » et « il y
a des abus » dit-on, mais le caractère systématique d’une telle procédure
est totalement contestable. De plus, n’est-ce pas un détournement de procédure,
qu’une telle « enquête » soit confiée à la Police de l’Air et des
Frontières (PAF) dont la fonction est d’expulser les Sans Papiers ? Nous vous
informons que la CNSP va saisir votre homologue le garde des sceaux sur ce
détournement de procédure évident, qui attente au principe républicain de la
séparation des pouvoirs.
La
séparation des pouvoirs n’est pas non plus respectée lorsque le tribunal est
« décentralisé » dans les Centres de Rétention comme à Coquelles ou
Bobigny dans l’objectif manifeste de faire des chiffres d’expulsions.
Dans
nos collectifs, beaucoup de déboutés ont largement plus de 10 ans de présence,
mais ont tout simplement des difficultés à fournir un si grand nombre de
« preuves continues ».
Des
refus, des invitations à quitter le territoire, des arrêtés préfectoraux de
reconduite à la frontière sont adressés à des Sans Papiers dont la situation
administrative a changé entre le moment du refus et l’exécution de l’expulsion.
C’est notamment vrai pour les déboutés de l’asile pour lesquels les critères de
vie privée et familiale ou d’insertion peuvent devenir applicables.
Votre
discours sur « l’immigration choisie » ne se traduit nullement par une
prise en compte sur le terrain. En effet, si il y a promesse d’embauche, c’est
qu’il y a « besoin » des patrons qui embauchent. Les promesses
d’embauche ne sont-elles pas les illustrations les plus éloquentes de
« l’immigration choisie » et de « l’insertion par le
travail »? Dans ce cas pourquoi ne pas les considérer comme une pièce
majeure du dossier?
Le
droit d’asile. Ce point nous inquiète sérieusement. D’abord la notion de
« réfugiés économiques » est devenu un a priori pour rejeter
quasi-systématiquement les demandes d’asiles. Ensuite, sur quels critères
s’opèrent l’inquiétante élaboration de la liste des pays dits « pays
sûrs ». Objectivement, n’est-il pas plus rassurant d’établir une liste de
« pays sûrs » pour lesquels le droit d’asile serait garanti ?
Les
incendies criminels récents à Paris ont vu périr des Sans Papiers Ivoiriens.
Comment se fait-il que des ressortissants, demandeurs d’asile de ce pays que le
président Chirac lui même a qualifié de « fascisant », dans lequel on
parle « d’escadrons de la mort », qui est en état de guerre
permanente, puissent être déboutés de ce droit international ratifié par la
France ? Le rapport OFPRA 2003 nous informe que sur 1329
Ivoiriens demandeurs, seuls 15,7% ont obtenu le droit d’asile. En d’autres
termes, ils sont exactement 317
Ivoiriens admis au séjour et 1012 Ivoiriens déboutés, dont, semble- t-il, les 7
morts dans l’incendie de Paris 3éme.
En
outre, force est de constater que, toujours selon le rapport OFPRA 2003, sur
52.204 premières demandes d’asile politique au total, seules, en définitive,
16,9% ont été satisfaites. En d’autres termes 83,1% des demandeurs ont été
déboutés et réduits à l’état de sans papiers contraints de survivre par le
travail clandestin non déclaré par les patrons.
En
1996 au début de notre lutte pour la régularisation globale, le Mali a publié
les chiffres suivants de la répartition des 3.761.640
Maliens
de l’extérieur, par continent :
102.000 (2,7%)
en Europe, 1.705 (0,1%)
en Amérique, 26.550 (0,7%)
en Asie et 3.631.385 (96,5%)
en Afrique. C’est dire qu’il n’y a rien de plus faux que l’idée de
« l’invasion » allègrement agitée par le parti d’extrême droite, le
Front National.
Les
« doubles peines », pour lesquels vous aviez annoncé en 2002 la
régularisation, attendent jusqu’ici, des mesures concrètes. Il y va de la
crédibilité des engagements ministériels. La CNSP, les Collectifs et nos
partenaires demandent que les critères précis de régularisation des
« doubles peines » soient définis en toute transparence afin que des
dossiers soient établis pour les sortir de l’absurde situation de « non
régularisés et non expulsés » ?
Cinq
renouvellements du titre d’un an permettent d’obtenir la carte de résident de 10
ans, nous demandons que ce soit respecté. En effet, nous constatons souvent
qu’il y a trop de cas de demandes de la carte de 10 ans qui restent sans
réponse. L’exception devrait être la non obtention motivée de la carte de 10
ans, mais c’est le contraire qui se passe.
A
quand l’application pour les étudiants de l’article 15 de la loi du 26 novembre
2003 qui dit qu’en « cas de nécessité liée au déroulement des études,
le représentant de l’Etat peut accorder cette carte de séjour même en l’absence
du visa de long séjour requis sous réserve de la régularité de son entrée
sur le territoire français… ». La substitution de la Préfecture aux
Professeurs et à l’administration universitaire pour la validité des études
est aussi déontologiquement problématique.
Nous
sommes inquiets des perquisitions chez une journaliste de Radio France à
Auxerre, des procès contre des militants à Calais, de l’interpellation de Nicole
MUSSLE, présidente du MRAP de Sarreguemines pour « délit de
solidarité ».
Enfin,
permettez nous de réaffirmer que notre revendication fondamentale de la
régularisation de tous les sans papiers avec la carte de 10 ans est humaine,
légitime, justifiée et politiquement réaliste. Dans le pays du 21 avril 2002,
nous avons la fierté du 5 mai qui a vu plus de 82% des électeurs de ce
formidable peuple dire non au Front National, au racisme et au fascisme.
Régulariser tous les Sans Papiers est une mesure politique de salut public qui
honore la volonté populaire et met fin à la dérive de « la lepénisation des
esprits ». La France, pays historiquement berceau des Droits de l’Homme ne
peut demeurer la dernière de la classe européenne à envisager une mesure de
régularisation globale. Telle est notre doléance principale et notre forte
conviction fondée sur bientôt 10 ans de combat pour que la devise républicaine
« les humains naissent libres et égaux en droit » puisse être
appliquée aussi aux Sans Papiers.
Confiant dans la capacité au sursaut historique dont a fait souvent montre le peuple de France, la CNSP poursuivra son combat jusqu’à ce que l’alternative de la régularisation globale triomphe.
En
attendant, la CNSP reste ouverte et saisira toute opportunité de dialogue pour
améliorer le sort des Sans Papiers. C’est pourquoi nous souhaitons que le
Ministère de l’Intérieur s’engage à prendre en compte les disfonctionnements,
incohérences et inégalités de traitement que nous venons de signaler pour les
résoudre.
Dans
l’attente d’une prise en compte de nos doléances, merci de votre
écoute.
Fait à Paris le 14 septembre 2005
Coordination Nationale des
Sans-Papiers (CNSP) 25, rue François Miron, 75004, Paris -
tél : 01.44.61.09.59 - 06.60.52.04.20. –
fax : 01.44.61.09.35 – mail : coordnatsanspap@orange.fr - solidarité financière : compte bancaire N°80187841