Les seuls papiers de nos élèves doivent être leurs cahiers et leurs livres de classe

paru dans Aujourd'hui l'Afrique n°101

La loi Sarkozy réformant le CESEDA (Code d’Entrée et de Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile), pour la seconde fois en une même législature : du jamais vu !, a été adoptée en ce début juillet 2006. Elle prétend lutter avec acharnement contre “l’immigration subie” et instaure une “immigration choisie”.

• L’histoire se répète…

“Subie” : déjà l’idée même de faire son choix, son marché... parmi des individus démunis est intolérable. Et puis qui choisira ? Les dirigeants et le patronat des pays riches bien sûr... Et les peuples des pays pauvres ? Décidément, après l’esclavage, la colonisation, on voudrait que l’histoire se répète indéfiniment. Pire même, par un pillage des énergies humaines les plus dynamiques, les plus formées... on va compromettre davantage encore les chances de développement de ces pays déjà martyrs. Et comme on ne s’attaque aucunement aux causes réelles de l’émigration qui font que dans la plupart des cas, un individu n’a que le choix entre crever ou partir, on ne fera au bout du compte que multiplier les sacrifiés, noyés en Méditerranée ou en Atlantique, morts de soif dans le Sahara..., et dans notre pays même multiplier les Sans-Papiers, ces pauvres êtres démunis de tout droit, niés dans leur existence même, à la merci de toutes les exploitations. Ne nous y trompons pas, une telle négation de l’humanité, du droit... ne peut que miner, à la longue, les fondements même de notre société.
Combattre “l’immigration subie” revient, pour Mr Sarkozy, à restreindre de façon drastique toutes les causes des migrations qui ne seraient pas utiles à la conception capitaliste de l’économie:
Inutile le droit à un titre de soins, inutile le droit à vivre en famille (quand on est pauvre bien sûr), inutile le droit au mariage et celui de vouloir vivre auprès de sa compagne ou de son compagnon s'il est étranger, inutile le droit à étudier en France si l’on n’est pas un “surdoué”, et enfin inutile le droit d'asile, ce dernier droit quand on a tout perdu, ce droit fondamental qui garantit l’exercice de tous les autres droits citoyens. L’OFPRA n’a accordé en 2005 qu' un peu plus de 8% de réponses positives aux demandes d’asile, c’est historiquement le taux le plus bas! Il y a 20 ans, 80% des demandes étaient accordées. Comme si le monde s’était sécurisé en ces 2 décennies, il suffit d’allumer son poste de télé pour être persuadé du contraire.
Alors, même si le droit d’asile n'est pas remis en cause en lui-même, la France étant liée par la signature de la Convention de Genève, il s'agit d'aggraver toutes les conditions d'accès à ce statut de réfugié: délais pour déposer sa demande réduits à 3 semaines et à rédiger exclusivement en français sans l'aide d'un interprète… Exigences toujours plus fortes de preuves à fournir incompatible avec l’urgence de la fuite. Elaboration d'une liste de pays dits sûrs dont les ressortissants seront automatiquement déboutés, en quelques jours, sans avoir pu être entendus. Enfin, conditions de vie dramatiques qui font que la rédaction de la demande pourtant déterminante ne peut être la priorité.
Quant aux Sans-Papiers qui vont avec cette loi être de plus en plus nombreux , ils pourront le rester à vie puisque la possibilité de régularisation après 10 ans de présence sur le territoire a été supprimée. Il faut comprendre que le Sans-Papiers n'est intéressant pour le patronat que s'il reste Sans-papiers justement.
Le mot qui fait le lien, la cohérence, entre le CPE, le CNE, mais au-delà toute la loi dite avec un incroyable cynisme "d'égalité des chances" et le projet de loi Sarkozy sur l'immigration est le mot JETABLE!
Une société de travail JETABLE exige une immigration JETABLE!

• QUI SONT CES “ CLANDESTINS ” ?

Voyons maintenant qui sont les acteurs de cette “immigration subie”, qui se cachent derrière ces formules et cette politique qui, nous ne pouvons en douter une seconde, n’a pour motivation que la volonté de cacher les échecs et les affaires, et aussi servir des ambitions personnelles , électoralistes en allant “chasser” sur les terres du F. Haine apportant ainsi légitimité à des idéologies menaçantes et inacceptables.
Qui sont donc ces immigrés que nous “subirions” ?
Déjà des êtres humains!... et ce n’est pas inutile de le répéter inlassablement, des êtres humains aux histoires terribles qui n’ont eu que “le choix” de fuir: la misère sans aucun espoir d’avenir, la guerre, les persécutions, les exactions, l’intégrisme, les mariages forcés, et pour les petites et jeunes filles, les mutilations sexuelles ...
Souvent des militants qui ont cru que le pays des Droits de l’Homme serait, dans leur lutte, à leur côté.
Oui, des êtres humains que Mrs Sarkozy et Villepin, dans une compétition indigne, veulent réduire à des chiffres!
Ainsi chaque année, les objectifs chiffrés de reconduite à la frontière augmentent. Alors il faut organiser des traques, des rafles... et ainsi bafouer les droits fondamentaux de la personne humaine!
Ainsi pour être plus “efficace”, le Ministère de l'Intérieur a envoyé en date du 21 février 2006 une circulaire à destination des préfets et des procureurs qui est en fait un manuel pratique pour éviter que les expulsions ne soient remises en cause par les tribunaux. Tous les lieux possibles d'interpellation des Sans-papiers sont répertoriés et, pour chacun d'entre eux, la marche à suivre est explicitement détaillée. Pour exemple, dans un foyer, dans un hôpital… il faut éviter les arrestations dans les chambres qui sont considérées par la jurisprudence comme un domicile. Aucune difficulté par contre pour arrêter dans les lieux communs des foyers, les halls, les couloirs et même les blocs opératoires des hôpitaux! Ce cynisme ne semble pas connaître de limite!
Pourtant qui pourra nous faire croire que ces personnes, ces enfants, menacent notre République ? Ces enfants sont même la jeunesse dont notre société vieillissante va cruellement manquer d’ici peu de temps!

• LES ELEVES SANS PAPIERS…

Et puisque nous abordons la question des enfants, rappelons l’histoire formidable de ce mouvement de solidarité né en faveur des élèves Sans-papiers : sous la pression de luttes déterminées qui ont fleuri sur tout le territoire, Nicolas Sarkozy a été contraint de reculer concédant que les enfants scolarisés et leur famille pourraient achever leur année scolaire. Suspension bien fragile et totalement insuffisante. Aussi, pour des milliers d’enfants et de jeunes majeurs, le 1er juillet 2006 n’a pas marqué le début des vacances d’été, mais bien le commencement d’un calvaire.
Une nouvelle circulaire du Ministre de l’Intérieur, contraint à nouveau de reculer par l’ampleur des mobilisations, a été envoyée aux Préfets en date du 13 juin 2006. Comme on nous l’a dit en Préfecture de l’Oise: “Ce n’est pas une circulaire de régularisation” … régularisations qui ne devront être qu' exceptionnelles. On ne peut être plus clair et en effet elle demeure insuffisante et injuste, surtout que, dans le même temps, les quotas d’expulsions demeurent. Et surtout, elle laisse les mains totalement libres aux Préfets pour l’interpréter. Des notions comme “le sérieux des études” , “l’absence de lien avec le pays d’origine” ... laissent la porte ouverte à tous les arbitraires. C’est un peu comme si chaque préfet était maître en son royaume! où est le principe d’égalité républicaine ?
Ce ne sont pas davantage les déclarations d’Arno Klarsfeld nommé médiateur national, déclarations aussi ambiguës que le personnage, qui nous rassurent car il n’a de plus et bien évidemment aucun pouvoir sur les préfets.
Et que deviendront les enfants trop jeunes pour être scolarisés, les jeunes arrivés après l’âge de 13 ans, les jeunes majeurs ...? tous non concernés par cette circulaire... Bref, on se situe toujours dans le cadre d’une vague programmée d’expulsions massives.
Il est à craindre que peu d’enfants seront concernés par cette circulaire! Tous les autres devront préparer leur valise, la peur au ventre. Ils vont vivre dans la hantise de perdre à jamais leur école, leurs enseignants, leurs copains... pour un aller-simple vers un pays qu' ils ne connaissent pas ou plus, dont certains ne parlent pas (ou plus) la langue, papa-maman menottés, entravés comme des bêtes et attachés à leurs sièges.
A l’arrivée, ce sera pour la plupart l’extrême misère : pas de logement ou le bidonville, pas de travail et pas d’espoir d’en trouver. Des persécutions, parfois les plus atroces! Ils paieront à nouveau pour avoir osé fuir et certains pour avoir dénoncé leurs tortionnaires à l’étranger. Pour les enfants, pas d’école, dans des pays où la scolarisation est un luxe. Au bout du compte, ce seront donc des vies sacrifiées !
A la rentrée, c'est devant ces places vides que leurs camarades comprendront le sens que ce gouvernement attribue concrètement aux belles expressions : droits de l'Homme, diversité culturelle, culture humaniste, respect ou solidarité… toutes figurant dans les programmes scolaires.

• LE RESEAU EDUCATION SANS FRONTIERE (RESF)

Heureusement, la lutte atteint une incroyable ampleur, tant de citoyens se découvrent, se mobilisent... sous les formes les plus diverses. Par exemple, des parrainages républicains d’enfants par des collectivités territoriales ou de simples citoyens se sont multipliés partout en France. Des citoyens ignorant les risques encourus, puisque depuis Nicolas Sarkozy la solidarité est un délit, se déclarent prêts à cacher des enfants… Avec une volonté commune : empêcher ce gâchis effroyable qui se cache derrière les chiffres et les formules démagogues!
Le Réseau Education Sans Frontière, qui coordonne ces “délinquants solidaires” l’a proclamé haut et fort : il n'acceptera aucun tri parmi nos élèves ! Et pour beaucoup résister devient une obligation, un devoir!
Il s’agit d’apporter assistance à personne en danger mais aussi de défendre les valeurs et les traditions de notre République bien plus fondamentales que des lois de circonstances!
Et c’est heureusement le cas, “…partout en France, des milliers d’anonymes, enseignants, parents, jeunes, élus, qui n’auraient jamais imaginé devoir le faire se retrouvent faisant signer des pétitions, manifestant devant les préfectures, interpellant des préfets, distribuant des tracts aux passagers dans des halls d’aéroports pour les convaincre de refuser de voyager dans le même avion qu' un malheureux (voire toute sa famille) , ligoté à son siège en fond de cabine.
C’est la preuve par les faits que le racisme, la xénophobie, la démagogie chauvine n’ont pas encore tout gangrené dans ce pays et qu' il reste des femmes et des hommes déterminés à défendre, dans l’action et pas seulement par des mots, les idéaux de solidarité et de fraternité, des femmes et des hommes qui se savent comptables de l’avenir prêts à prendre des risques parfois importants pour cela. ” (1)
Ce gouvernement avait fait le pari de la peur, de la xénophobie, voire du racisme... et c’est une lame de fond qui se lève pour lui répondre “égalité”, “fraternité”, “solidarité”.
Preuve aussi que certains politiques voient notre peuple moins “ouvert”, moins progressiste qu' il ne l’est en réalité. En tout cas, c’est bien sur cet élan citoyen qu' une autre politique devra s’appuyer.
Ces actes nous rappellent enfin au devoir de désobéissance lorsque certaines lois sont iniques. Le cours de l’histoire a souvent été changé par de telles résistances: en une époque terrible, des femmes et des hommes cachaient déjà des enfants que la police traquait, ils étaient terroristes, l’histoire leur a donné raison, on les nomme désormais “les justes”, mais encore, en 1971, le Manifeste des 343 salopes qui a permis, 3 ans plus tard, la légalisation de l’avortement…
Comme le proclame la LDH avec des dizaines de personnalités:
“ Nous savons que dans toute société démocratique la loi est la règle qui s'impose à tous. Mais nous savons aussi que lorsque la loi viole des principes aussi élémentaires, c'est notre devoir de citoyens, notre devoir de conscience de ne pas s'y plier.”
Ce bel élan citoyen, ces actes courageux faisant le choix de l’humanité contre la barbarie sont porteurs d’espoir. Quant aux réfugiés, enfants, familles mais aussi célibataires plus isolés encore, ils savent désormais qu' ils ne sont plus seuls.

Beauvais, le 06/ 07/ 2006

Jean-Michel BAVARD (RESF)


Extrait du formidable livre d’Anne Gintzburger : “Ecoliers, vos papiers !” (Ed. Flammarion), à lire absolument pour découvrir les horreurs se déroulant sur notre territoire. Contact RESF : www.educationsansfrontières.org

Quelques portraits :

Avec RESF, nous avons toujours fait le choix de raconter les histoires de nos Amis, de nos élèves. Il est tellement plus difficile de jouer sur les peurs lorsque l’on montre les visages. Ce choix a largement contribué à l’amplification des solidarités. Voici quelques brefs récits d’enfants réfugiés à Beauvais (60) :
1- Perside et Tany sont arrivées en France en octobre 2003 avec leur maman Nelly qui a dû fuir la République Démocratique du Congo (RDC) après avoir été persécutée et incarcérée. Jamais pourtant notre pays ne lui a accordé le statut de réfugiée.
Depuis leur arrivée, elles sont scolarisées et parfaitement intégrées, en 6ème et en 5ème, dans 2 collèges beauvaisiens.
Toutes deux font preuve d’une grande volonté d’étudier et la maman est une mère particulièrement attentive à la scolarité de ses enfants.
Sans-Papiers, toutes trois vivent dans l'angoisse, le dénuement et la promiscuité d'un foyer.
Un renvoi vers la RDC briserait ce remarquable parcours d'intégration et les mettrait en grand danger dans un pays ravagé par la guerre où elles n'ont désormais plus aucun lien.

2- Doudou, 13 ans, est arrivé en France en décembre 2003 avec ses parents et ses 3 frères. Son père, militant, a dû fuir la République Démocratique du Congo (RDC). Doudou est atteint d’une trisomie 21. Depuis l’année 2004, il a été pour la première fois pris en charge à l’IME “Les papillons blancs” de Beauvais (60) où il s’épanouit enfin. Ses progrès sont stupéfiants!
Pendant 6 mois, cette famille a disposé d'une autorisation de séjour eu égard à l'handicap de Doudou. La papa a alors immédiatement trouvé du travail. De façon totalement incompréhensible, cette autorisation de séjour n'a pourtant pas été renouvelée.
Cette famille est depuis frappée d'un arrêté de reconduite à la frontière.
Une expulsion de Doudou vers ce pays serait absolument dramatique! Une véritable condamnation!
J. Chirac lui-même a pourtant fait de l'accueil des handicapés l'un de ses “grands chantiers”!

3- Nesrine, née le 24/09/2001, est arrivée en France en juin 2002 avec sa maman. Celle-ci a fui en décembre 2001 un époux militant intégriste qu'elle avait été contrainte d'épouser. Sa fuite a répondu à l’urgence de protéger sa fille. En aucun cas, elle ne pouvait accepter qu' elle soit éduquée selon des principes intégristes dont elle a elle-même tant souffert. Un retour en Algérie les jetterait à nouveau dans les griffes de cet homme.
Un petit frère est né en juin 2005 sur le territoire français. Nesrine adore l'école maternelle, elle est scolarisée à l'Ecole Jean Moulin de Beauvais (60).

4- Katia (née en 1994) et Paola (née en 1998) sont arrivées en France le 20 septembre 2003 avec leur maman. La papa militant du Cabinda (Angola) a disparu après avoir été arrêté et leur maman a elle-même subi de graves exactions. Elles vivent dans la promiscuité d'un foyer à Montataire (60). Les deux filles ont été profondément traumatisées par ces évènements comme en témoignent les personnels enseignants et les psychologues scolaires qui les suivent.
L'Ecole Jean Jaurès de Montataire est leur havre de paix où elles sont adorées de tous.

5- Jullyand est né le 31 janvier 1994. Il est entré en France, avec son père, en septembre 2002 après avoir connu des événements tragiques au Congo Brazzavile. Il est scolarisé en 6e au Collège George Sand de Beauvais (60). La directrice de son école élémentaire atteste que Jullyand "est un élève extrêmement sérieux et volontaire. Il est arrivé l’an dernier dans un état de très grande fragilité tant scolaire que psychologique mais n’a cessé, depuis lors, de progresser". Le traitement de pédopsychiatrie dont il a besoin est toujours en cours. Son papa avait trouvé en emploi en CDI. Le renouvellement de son titre de séjour lui a pourtant été refusé.

6- Nedjma née le 23/ 05/ 2000 est arrivée en France à l'âge de 18 mois, en 2001, et ne connaît que la France. Cette famille a quitté l'Algérie où elle n'a plus de lien pour rejoindre leurs parents qui ont des cartes de résidence de 10 ans, elle s'est ainsi reconstituée sur notre territoire.
Nedjma est scolarisée à la maternelle Albert Camus de Beauvais (60).
Son petit frère, né sur le sol français en avril 2003, est de santé très fragile. La Préfecture de l'Oise a admis que “... L'état de santé de l'enfant nécessite une prise en charge médicale... dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Toutefois, l'intéressé peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans on pays d'origine.” On aimerait le croire.

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