Voyage au pays des Cèdres

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Voyage effectué en mai 2019 par Jihad Wachill et Jean-François Loubiere
publié le 21 juin 2019
mis à jour le : 21 Juin, 2019

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dans un Moyen-Orient bouleversé par la guerre et les déstabilisations extérieures, ce voyage nous a permis de mieux appréhender les problèmes qui se posent au Liban. Ce pays charnière doit faire face à de nombreux défis pour trouver un équilibre afin de pouvoir se développer dans la paix et faire vivre ses habitants.

Un environnement dégradé :

Notre première visite, non loin de notre hébergement, fut pour l’impressionnant complexe religieux de Harissa érigé à la fin du XIXème siècle et dédié à la Vierge du Liban. Une immense statue domine, à plus de 500 mètres d’altitude, la baie de Jounié. La montée en téléphérique s’est révélé être un intéressant observatoire sur un environnement dégradé. On est frappé par l’urbanisation à outrance des pentes des collines qui descendent vers la mer. Le couvert végétal se trouve déchiqueté par des ravinements liés à des carrières ou à de futurs terrains à construire. Arrivés au sommet nous avons été surpris de voir l’importance du nuage jaune de pollution qui stationne vers 400 mètres d’altitude au-dessus de l’agglomération du grand Beyrouth. En contrebas, la centrale électrique, au fioul lourd, de Jounié crache sa fumée grisâtre. Comment ne pas mettre en relation ces constatations en rapport avec une information du journal Libnanews qui signale pour le Liban des taux record de cancers.
Serpentant entre mer et collines, l’autoroute côtière, mal entretenue, se trouve perpétuellement bondée, conséquence d’une capitale sous équipée en transports en commun. Seul de petits cars privés (les services) permettent à une grande masse des pauvres de pouvoir se déplacer et travailler. La population riche circule dans de puissantes cylindrées aux verres teintés dans le plus parfait des désordres.

Une nouvelle cohésion nationale :

Le sanctuaire marial de Harissa veut et peut encore symboliser la toute-puissance de la communauté Maronite. C’est au pied de ce belvédère que les moines de L’Université de Kaslik diffusèrent avant et pendant la guerre civile leur idéologie sectaire et « libaniste » dans une partie du pays chrétien.
A présent les temps semblent avoir changé et nous avons été surpris par la ferveur exprimée par toutes les communautés libanaises pour les fêtes de la libération du sud. Libération qui fut menée par les forces de la résistance dirigée par le Hezbollah. En effet le 25 mai 2000 Israël se retirait du Liban sud. Dix-neuf ans après, cette victoire reste une date importante dans l’histoire du nouveau Liban et en transcende les communautés.
Un autre exemple nous est montré par la fréquentation des cafés et des restaurants du pays chrétien, après la rupture du jeune du Ramadan, par de jeunes musulmans garçons et filles mélangés. Des menus spéciaux leurs sont même proposés. N’est-ce pas une leçon de vivre ensemble ? A Hamra, rue célèbre du centre de Beyrouth ouest, les jeunes femmes en groupe ou seules même le soir, s’habillent à l’occidentale même si certaines se couvrent les cheveux par des foulards élégants et multicolores.

Ainsi; malgré le lourd système communautaire, toujours en vigueur, on comprend mieux l’actuelle cohésion nationale autour du Président Aoun pour « la défense de la souveraineté du pays notamment avec les « négociations » avec Israël et les USA sur les frontières maritimes. Il y a des enjeux économiques importants pour l’avenir du pays avec la découverte de gaz.
L’armée libanaise (multiconfessionnelle et de conscription) et les forces de sécurité demeurent les seules institutions représentatives et régaliennes de l’Etat Libanais. La force armée quadrille bien le territoire, les lieux stratégiques et les frontières par de nombreux barrages efficaces et acceptés par tous. Malgré quelques incidents récents et isolés, comme ceux de Tripoli où 4 membres des services de sécurité ont été tués la première semaine de juin 2019, les islamistes semblent en échec dans leurs tentatives de rallumer une guerre civile.
L’inquiétude principale vient de l’attitude toujours agressive d’Israël dans sa volonté de casser le Hezbollah. Ce vieux rêve jamais atteint. De bons connaisseurs des rapports de force nous ont affirmé que le Liban, dans une guerre asymétrique, avec son armée et la résistance, a les capacités de faire très mal à son voisin du sud. Bien sûr le pays sera détruit une fois de plus mais résistera par sa légendaire et informelle débrouille.
Israël, société occidentale complexe et tête de pont des USA au Moyen Orient, aura du mal à surmonter le traumatisme d’un affrontement long, non conventionnel et diversifié. Tous les Libanais rencontrés souhaitent la paix et la tranquillité. Ils sont fatigués de l’état de tension perpétuel de la région mais sont conscients que l’avenir peut être sombre lorsque l’on entend quotidiennement les discours d’un Trump et d’un Netanyahou

De lourdes pressions financières et économiques

Conséquence directe des tensions évoquées, mais ignorées par les grands médias, une dure guerre financière secrète se joue. Elle est menée par les grandes banques américaines et occidentales contre tout mouvement de capitaux vers la Syrie, l’Iran et plus simplement vers des entreprises susceptibles d’avoir des contacts avec le Hezbollah.
N’oublions pas que la livre libanaise est liée au dollar et que le dollar a cours légal dans le pays. Tout échange économique est soumis au bon vouloir de Washington et des importateurs libanais de produits chinois comme Huawei nous ont expliqué qu’ils étaient inquiets suite à la décision de Google, (sur pression du Président des USA) de suspendre ses relations avec l'entreprise chinoise, utilisatrice de son système Android.

Les réfugiés, une lourde charge

Le poids des réfugiés syriens dans l’économie libanaise est difficile à apprécier sans une enquête précise et des chiffres sérieux. Or il existe peu de statistiques. Les chiffres évoqués semblent venir de l’ONU. Nous avons pu voir la présence d’enfants errants dans les rues de Beyrouth et les commentaires trouvés dans la presse locale comme le journal Libnanews de juin 2019.

Un article relate des incendies qui ont dévasté les camps de réfugiés syriens dans la Békaa. Ils ont été à l’origine de nombreux drames. En 2017, une personne a été tuée et 700 tentes dévastées par un incendie dans un camp de Kab Elias. Toujours dans la Békaa en 2018, 2 personnes, dont un jeune enfant, sont également décédées dans un incendie de tentes érigées à proximité de Yammouneh.
Les causes de ces feux peuvent être multiples et souvent sont liées à des accidents d’origine domestique. Le nombre des habitants de ces camps de fortune dépasse souvent le nombre des habitants des localités qui les hébergent, provoquant de fortes tensions avec la population locale.
Pour rappel, le Liban héberge 2.2 millions de réfugiés dont plus 1.5 millions de réfugiés syriens ayant fui la guerre civile syrienne et les conditions socio-économiques dans lesquels ils se trouvaient. Sur les 300 000 travailleurs syriens œuvrant au Liban, seulement 1733 possèderaient un permis de travail légal. Cette concurrence au niveau de la main-œuvre provoque actuellement une vive polémique. Beaucoup estiment en effet cette présence à l’origine du fort taux de chômage qui frappe la population active libanaise.
La Présidence de la République avait estimé en novembre 2018 que ce taux atteindrait 43% de la population active. Selon certaines études, 30 000 nouveaux diplômés au Liban quittent annuellement le Pays des Cèdres, faute de trouver un emploi.

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à ces réfugiés syriens s’ajoutent un certain nombre de réfugiés palestiniens issus des camps palestiniens de Syrie. Par ailleurs, le Liban héberge près de 500 000 réfugiés palestiniens, souvent présents depuis 1948.

Des lieux oubliés mais chargés d’Histoire

Notre voyage au Liban nous a aussi permis de découvrir des lieux insolites et chargés de mémoire ; à quelques kilomètres de Byblos (Jbel), le Saint Tropez libanais, se trouve le petit village de Hosrayel, bastion historique du Parti Communiste Libanais (PCL) où est né Farajallah El Helou, un des "pères de l'indépendance" du Liban et figure emblématique du PCL.

Farajallah El Helou (6 juin 1906 - 25 juin 1959) est un militant et chef du Parti communiste libanais. Il est né le 6 juin 1906 dans la commune de Hosrayel au Mont-Liban d'une famille maronite conservatrice. Son père l'inscrit dans l'école publique à Byblos. Quand il finit ses études primaires il alla en Syrie pour faire des études en littérature. Il rencontra M. Beckdach, fondateur du parti du peuple syrien, ils devinrent amis. Vers la fin des années 1920 il revint au Liban et adhéra au PCL. Il participa à de nombreuses manifestations de paysans et fut l'une des figures de l'indépendance du Liban. Il prit la tête du PCLS (PC LIBANO-SYRIEN) au 1er congrès. Le 20 juin 1959 il alla en Syrie clandestinement. Les services secrets de la République arabe unie le capturèrent le jeudi 25 juin. Il s'éteignit le soir même sous l'action de la torture. Ils brulèrent son cadavre avec l'acide sulfurique et le jetèrent dans l'Euphrate.

En 1971 l'artiste soviétique Lev Alexandrov sculpta une statue du martyr Farajallah El Helou que les forces syriennes sabotèrent pendant la guerre de 1975.

Le 19 septembre 2005, le PCL retoucha cette statue et la restaura. Plus de 30 000 militants communistes étaient présents lors de son retour sur la place de son village natal." A noter que le drapeau dans la main de la statue est celui de PCL, le drapeau libanais frappé de la faucille et du marteau en haut à gauche. Ce renouveau du parti nous a été signalé, chose difficilement imaginable il y a une décennie, par la présence de slogans à la peinture en arabes sur les murs de la vieille ville de Tripoli, de Beyrouth et de Saida. Ils étaient signés de la faucille et du marteau.

Dans une visite vers le sud, au pied du Mont Hermon (2814 mètres), montagne mythique et frontière entre le Golan occupé, la Syrie et le Liban, nous avons découvert Rachaiya. Située à plus de 1350 mètres d’altitude, cette ville possède la citadelle dans laquelle fut proclamée l’indépendance du Liban.
Le 11 novembre 1943 Bechara el Khoury est arrêté et envoyé à la citadelle de Rachaya avec Camille Chamoun, Riyad es-Solh et d'autres indépendantistes. Leur libération par la France le 22 novembre 1943 devint le jour de l'indépendance du Liban. C’est en 1946 que la France retirera ses derniers soldats du Liban.

Conclusion

Terre de contraste où se côtoient grande richesse et pauvreté, le Liban nous étonne toujours par sa capacité de rebondir malgré les épreuves. L’absence d’Etat, à l’exception des forces armées, est toujours une interrogation pour un Français habitué à des services publics de plus en plus dégradés certes mais existants. L’espoir viendra peut-être d’une jeunesse ouverte et éduquée qui veut vivre avec son temps en restant au pays. Souhaitons qu’elle arrive à vaincre les maux qui ont miné la société libanaise depuis des décennies, à savoir les inégalités sociales, les replis communautaires et claniques autour d’une classe politique pour le moins décevante et les interventions étrangères.

 

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