Un tyran meurt, l’Occident pleure
Le roi Abdallah d'Arabie Saoudite est décédé
ce jeudi à l'âge de 90 ans après avoir dirigé
d’une main de fer le royaume réactionnaire pendant
20 ans. Allié inconditionnel des gouvernements impérialistes
occidentaux, il est resté dans la lignée de ses prédécesseurs
: soumission aux États-Unis, violation systématique
des droits de l'homme, financement de groupes fanatiques djihadistes...
La marionnette par excellence.
L’Arabie Saoudite, le plus grand des serviteurs
de l’Occident
Depuis sa fondation par Abdel Aziz Ibn Saoud en
1932, le royaume d’Arabie Saoudite n’a cessé
de servir les intérêts des puissances occidentales.
D’abord ceux du Royaume-Uni, protecteur de la famille Saoud,
qui avait aidé les Saoud à fonder leur royaume pour
profiter de la position stratégique du pays. Non seulement
pour s’assurer du commerce avec ses anciennes colonies mais
également en l’utilisant pour contrer l’influence
de l’Empire Ottoman. Puis, ce fut au tour des États-Unis
d’imposer leur domination dans le pays. Le deal était
simple : en échange d’un soutien financier et militaire,
le royaume s’engageait à fournir aux États-Unis
un pétrole bon marché et des bases militaires ainsi
qu' à jouer le rôle de « gendarme »
de la région en déstabilisant les pays désireux
d’affirmer leur indépendance et de choisir une autre
voie que celle de l’inféodation à l’empire
états-unien. Financement de groupes fanatiques djihadistes
et instrumentalisation de l’islam furent, entre autres, les
outils utilisés pour déstabiliser ces pays.
Le clan des Saoud dirige le pays d’une main
de fer depuis presque un siècle. Ainsi, tous les rois qui
se sont succédé ont toujours suivi les mêmes
orientations, tant dans la politique intérieure qu' extérieure.
Voilà pourquoi il n’est pas vraiment nécessaire
de s’arrêter sur un roi en particulier, étant
donné que tous ont pratiqué la même politique.
Preuve en est, le nouveau roi Salman a affirmé qu' il
continuerait sur la même ligne que son prédécesseur.
Depuis l’annonce de la mort d’Abdallah, les chancelleries
occidentales ont toutes salué la « mémoire »
du roi défunt. Hollande, Cameron, Obama, Harper... tous ont
accouru pour aller rendre hommage au tyran et n’ont pas hésité
à faire l’éloge de son action. Il est donc temps
de dresser une analyse comparative des déclarations et de
la réalité.
Le roi Abdallah, un pacifiste ?
A entendre certains dirigeants européens
et nord-américains, on se demande parfois s’ils sont
vraiment conscients des propos qu' ils tiennent. Prennent-ils
les citoyens pour des abrutis ou croient-ils réellement à
ce qu' ils disent ? Je pencherais pour la première option
car un des éloges rendus au roi saoudien a été
de le qualifier de « pacifiste ». François Hollande
a en effet « salué la mémoire d’un homme
d’État dont l’action a profondément marqué
l’histoire de son pays et dont la vision d’une paix
juste et durable au Moyen-Orient reste d’actualité
». David Cameron a, lui, exprimé sa profonde tristesse
en saluant « l’engagement du roi en faveur de la paix
». De son côté, le premier ministre du Canada
(la semi-colonie des États-Unis) a fait très fort.
Il a en effet qualifié le roi « d’ardent défenseur
de la paix » avant d’ajouter : « Nous sommes de
tout cœur avec le peuple saoudien et nous PLEURONS le départ
de ce GRAND homme ».
On peut au moins saluer le sacré culot de
nos dirigeants. Mais ce n’est pas tout. Au-delà d’être
un pacifiste, le roi Abdallah aurait été un dirigeant
combattant le « terrorisme », le président français
confirmant que lui et le dictateur entretenaient des « relations
pour lutter contre le terrorisme ». Des déclarations
tenues face à la presse qui n’ont pas eu l’air
de choquer les journalistes.
Le roi Abdallah et dans une plus large mesure la
famille Saoud qui dirige ce pays sont-ils vraiment des pacifistes
?
Ont-ils vraiment lutté contre le terrorisme
comme le laissent entendre les gouvernants occidentaux ?
L’histoire et le présent indiquent
pourtant le contraire. L’Arabie Saoudite a toujours été
un allié stratégique des États-Unis. Le royaume
a été utilisé par Washington dans le but de
déstabiliser des mouvements nationalistes et indépendantistes.
En effet, pour Ryad, les dirigeants nationalistes comme Nasser ou
Khomenei représentaient une menace pour la survie de la famille
royale. L’exemple égyptien ou iranien aurait en effet
pu servir de modèle au peuple saoudien, victime de l’oppression
et de la tyrannie de ses dirigeants.
En Iran, lorsque la révolution islamique
triomphe en 1979, l’Arabie Saoudite prend peur car désormais
une puissante nation va lui faire face. L’Iran venait de se
débarrasser du Shah et le pays était bien décidé
à se développer de manière indépendante.
En 1981, le roi Khaled tenta de corrompre un colonel de l’aviation
iranienne pour renverser le guide spirituel mais sans succès.
Le royaume saoudien, en étroite collaboration avec Washington,
décida alors de se tourner vers Saddam Hussein pour le convaincre
d’attaquer l’Iran. Saddam accepta. Bilan : plus d’un
million de morts. Belle leçon de pacifisme !
Le clan des Saoud est une famille extrêmement
réactionnaire et fermement attachée au pouvoir. C’est
pourquoi elle obéit comme un vassal à Washington,
son grand protecteur, et a toujours tout mis en œuvre pour
détruire une nation ennemie. Concernant le roi Abdallah en
particulier, il aurait donc prôné la paix ? Vraiment
? N’a-t-il pas envoyé son armée le 14 mars 2011
afin de réprimer des manifestations pacifiques à Bahreïn
? Cette féroce répression n’a-t-elle pas fait
76 morts du côté des manifestants ? Chers François
Hollande, David Cameron, Stéphane Harper, votre mémoire
vous fait-elle défaut ? Et enfin, n’oublions pas un
événement très important qui a eu lieu le 3
juillet 2013 : Le coup d’État du général
Al-Sissi en Égypte contre Mohammed Morsi. S’en est
suivi une répression impitoyable contre les partisans des
frères musulmans qui a entraîné la mort de plus
de 1000 personnes. Un massacre réalisé avec la bénédiction
de...l’Arabie Saoudite qui n’a cessé de soutenir
Le Caire. Nous avons là l’exemple parfait qui démontre
la mémoire sélective avec laquelle les chefs d’État
et de gouvernement occidentaux traitent l’histoire. Apparemment,
massacrer des manifestants pacifiques dans un pays allié
des puissances du Nord ne semble pas être un problème.
Intéressons nous maintenant au fameux «
terrorisme ». Ce mot voyageur que tous nos médias et
dirigeants utilisent et qui ne semble plus signifier grand-chose.
Le roi Abdallah aurait été un allié de l’Occident
dans la lutte contre le « terrorisme ». Pourtant ni
les puissances impérialistes ni l’Arabie Saoudite n’ont
lutté contre le « terrorisme », bien au contraire.
Notons tout d’abord que l’Europe de l’Ouest, les
États-Unis et l’Arabie Saoudite partagent, parmi leurs
nombreux points communs, celui essentiel de la haine viscérale
envers le communisme. C’est par ailleurs pour cela que Ryad
éprouvait une haine aussi profonde envers l’Égypte
de Nasser, grand allié de l’Union Soviétique.
L’Arabie Saoudite serait donc un pays qui combat le terrorisme.
Alors pourquoi a-t-elle financé et armé,
avec l’aide des États-Unis, des fondamentalistes fanatiques,
des moudjahidin pour lutter contre le gouvernement socialiste de
Nour Mohammad Taraki en Afghanistan avant même que l’Union
soviétique n’envahisse le pays ?
L’Arabie Saoudite a financé sans problème
le terrorisme et cela n’a jamais gêné les chancelleries
occidentales. Et, plus récemment, quel pays ne cesse d’envoyer
des armes et de financer les groupes djihadistes et terroristes
en Syrie ? Encore l’Arabie Saoudite pour qui la « fin
justifie les moyens ».
Je vous propose de terminer avec la palme d’or
des déclarations suite à la mort du roi Abdallah.
La palme est décernée à Christine Lagarde,
directrice générale du FMI qui a déclaré
tout tranquillement que le roi était « d’une
manière discrète, un GRAND DEFENSEUR DES FEMMES ».
Apparemment, Madame Lagarde ne semble pas avoir peur du ridicule
mais il semble qu' elle puisse sans crainte se permettre de
tenir ces propos puisque tous les journalistes en face d’elle
se sont tus, aucun n’a bronché. Belle déontologie
journalistique. Si Abdallah était défenseur des femmes,
il était en effet fort discret. Interdire aux femmes de conduire,
de voyager ou d’être admises seules dans un hôpital,
leur interdire de voter, les lapider lorsqu' elles commettent
un adultère, est-ce l’attitude d’un « défenseur
des femmes » ? Christine Lagarde ne devrait-elle pas être
jugée pour apologie de la violation des droits de l’homme
?
Amnésie médiatique et droits de
l’homme à géométrie variable
Analyser l’actualité nous mène
automatiquement à nos chers médias. Comment les professionnels
de la propagande et du mensonge ont-ils abordé la mort du
roi Abdallah ? Tous plus ou moins de la même manière.
On retiendra notamment la présentation que France 24 a faite
du tyran en le qualifiant de « garant de la stabilité
». L’Arabie Saoudite qui, à travers le financement
de fanatiques religieux embrasant tout le Moyen-Orient, a soutenu
le coup d’État du général Al Sissi en
Égypte est selon la chaîne d’information internationale
française un « garant de la stabilité ».
Mais de quelle stabilité parlent-ils ? Peut-être
celle qui a permis au pouvoir de se maintenir à Bahreïn
? La stabilité dans le sang, c’est peut-être
cela que salue France 24 ? Les autres médias dominants ont
évoqué le sujet saoudien en lui consacrant cinq minutes
environ. Une minute pour montrer les images de l’arrivée
des dirigeants occidentaux à Riyad, une minute pour évoquer
le bilan positif d’Abdallah, une minute trente pour présenter
son successeur et ce qui l’attend à la tête du
pays et une minute trente pour évoquer les violations des
droits de l’homme.
On avait pourtant connu nos médias plus
indignés et plus révoltés, notamment lorsqu' il
s’agissait de défendre la liberté d’expression.
Ils ont à peine évoqué le sort du jeune blogueur
Raif Badawi, condamné par le régime à 1000
coups de fouet et dont le sort ne semble pas horrifier la presse.
Alors que, quand la jeune Iranienne Sakineh fut menacée de
lapidation, les médias se sont largement indignés
et Bernard Henri Lévy, chemise ouverte sur le poitrail, a
pu exprimer toute son émotion sur les plateaux de télévisions.
Si les médias ont donc parlé des violations des droits
de l’homme, il faut dire qu' il aurait été
difficile de ne pas évoquer le sujet. Mais alors pourquoi
éludent-ils ce sujet quand un événement touche
l’Arabie Saoudite.
Pourquoi ne sont-ils pas plus offensifs et insistants
sur la question saoudienne ?
Oublient-ils que les femmes sont traitées
comme des objets, des sous-espèces humaines ?
Oublient-ils qu' on coupe la main des voleurs
?
qu' on lapide les femmes ?
qu' on emprisonne tous ceux qui osent critiquer
même timidement le pouvoir en place ?
Étrange amnésie des médias
qui ne disent jamais un mot sur les violations des droits de l’homme
dans les pays alliés de l’Occident : le Mexique, Bahreïn,
l’Égypte, le Paraguay...Pourtant ils n’hésitent
pas à condamner en permanence les « régimes
» iranien, russe ou encore vénézuélien.
Des nations qui bien évidemment ne se soumettent
pas aux intérêts des puissances de l’OTAN et
qui entendent se développer de manière autonome et
indépendante en formant dans ce but un « bloc du sud
» anti-impérialiste et anticolonial. Prenons un exemple
concret afin de comparer le traitement médiatique sur un
sujet précis : la mort d’un dirigeant. Nous avons vu
comment Paris, Londres ou encore Ottawa ont réagi à
la mort du roi despote. Souvenez-vous du traitement médiatique
suite à la mort du commandante Hugo Chavez. Le son de cloche
était totalement différent. Quelques secondes pour
montrer les avancées sociales et économique impulsées
par Chavez et on passait vite à l’aspect critique.
Et là, on avait droit aux habituelles accusations de «
despotisme », de « populisme » du président
Chavez. Grand défenseur la souveraineté populaire,
il a été calomnié voire insulté en Occident
alors qu' il avait remporté 14 des 15 scrutins organisés
sous sa présidence. En fait, Chavez était le «
mauvais élève » du Tiers-Monde puisqu' il
avait osé s’opposer aux multinationales en nationalisant
des pans entiers de l’économie. Abdallah, lui était
le « bon élève du Tiers-Monde », le «
bon arabe », le meilleur des valets.
Enfin, finissons avec les gouvernements occidentaux.
Leur attitude en dit long sur leur cynisme et leur hypocrisie. Rappelons
qu' aucun dirigeant occidental n’était présent
lors des funérailles d’Hugo Chavez, un dirigeant qui
avait pourtant réellement œuvré en faveur de
la paix. Il était en effet intervenu en tant que médiateur
dans le dialogue entre le gouvernement colombien et les FARC. Il
avait énormément travaillé pour qu' émerge
enfin un processus de paix. Et puis, il avait soutenu avec la Ligue
Africaine une solution pacifique en Libye pour éviter ce
qui s’est passé par la suite avec les hordes criminelles
de Washington, Londres et Paris. Cette homme était un «
grand défenseur des femmes » et pas discrètement.
En effet, sa nouvelle constitution donne un statut nouveau à
la femme. Par exemple, une femme au foyer est désormais considérée
comme une travailleuse à part entière et reçoit
donc un salaire de l’État.
Cette comparaison entre deux sujets similaires
peut mettre en lumière le vrai visage des puissances impérialistes
et néocoloniales. Elles prônent officiellement la démocratie,
les droits de l’homme mais n’hésitent pas à
soutenir et financer les pays et les organisations les plus obscurantistes
et réactionnaires comme l’Arabie Saoudite, le Qatar,
l’Égypte. Un soutien dans le but de préserver
leurs intérêts et d’affaiblir les principaux
concurrents comme la Chine. Au fond, les dirigeants occidentaux
se foutent royalement des valeurs démocratiques et humaines.
Ce qui les intéresse, c’est l’argent, les matières
premières.
Henry Kissinger avait très bien résumé
l’esprit qui anime ces pays « Si nous devons choisir
entre la démocratie et nos intérêts, nous choisirons
toujours nos intérêts » On a vu ce que ça
a donné au Chili... Tous ces discours à la gloire
de l’État de droit et au respect des droits de l’homme
sont de véritables escroqueries intellectuelles. Déjà,
nos nations occidentales ne sont elles-mêmes pas des démocraties
mais des oligarchies. Elles n’ont donc aucune leçon
à donner. Et, concernant les droits de l’homme, je
ne pense pas que la France ou encore l’Angleterre soit bien
placée pour dire au reste du monde ce qu' il convient
de faire. Leur lourd passé colonial et leur présent
néocolonial devrait les inciter à se taire.
Quant à l’Arabie Saoudite, elle va
continuer à jouer le rôle du bon serviteur des États-Unis.
Le pétrole va continuer à être quasi gratuit
et le royaume va poursuivre sa mission de nation mercenaire au service
de Washington. Enfin, rien ne devrait changer sur le plan intérieur.
Les exécutions et les lapidations vont continuer à
faire partie du paysage saoudien et ce, avec la bénédiction
des États-Unis et de leurs alliés. Néanmoins,
Riyad a peur. Peur de disparaître ou du moins de perdre de
sa force au Moyen-Orient. Cette monarchie obscurantiste ne sait
pas de quoi demain sera fait. Elle s’interroge et devient
de plus en plus violente et belliciste. après l’intervention
à Bahreïn, le régime saoudien a tenté
de renverser Bashar Al Assad en finançant des groupes terroristes.
Mais derrière Al-Assad, c’est tout l’arc chiite
Iran-Syrie-Hezbollah libanais qui est visé. En essayant indirectement
de faire tomber Assad, Riyad essaie d’affaiblir Téhéran.
Car le voilà son véritable ennemi dans la région.
Les deux pays se disputent le leadership au Moyen-Orient
et chacun des deux pays a choisi son camp. Pour l’Arabie Saoudite,
l’allié est Washington. Pour Téhéran,
c’est Moscou et surtout Pékin. Les États-Unis
sont en plein déclin et l’Arabie Saoudite n’est
pas sûre de pouvoir bénéficier éternellement
de l’aide états-unienne. Une chose est sûre :
si demain Washington n’est plus en mesure de protéger
l’Arabie Saoudite, le royaume s’effondrera. Et, comme
les États-Unis sont en pleine crise économique et
civilisationnelle, cette option est plus que jamais envisageable,
peut-être plus tôt qu' on ne le croit.
Source
: Investig’Action
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