La Syrie d'Arte
et de France Inter : réponse d'Agnes-Mariam de la Croix
Agnes-Mariam
de la Croix
envoyer à un ami
Sofia Amara : le reportage de la propagande
Le lancement d’Arte cherchait un maximum d’audience
et de crédibilité. « Pour la première fois depuis
le début de la révolte en mars, une journaliste indépendante
a pu, en août dernier, se rendre en Syrie, pays interdit aux médias.
» Cela fait-il allusion à son départ précipité
de Radio Monte Carlo ? Et Depuis quand la Syrie est-elle interdite aux médias,
lorsque des voyages de presse sont organisés pour tout le monde y compris
russes et chinois, l’un des derniers à l’être fut par
des hommes d’affaires pour une centaine de journalistes et de personnalités
d’Est et d’Ouest [1].
En tous les cas, le ton est donné, relayé par
France-info.
Arte nous avait promis de voir de nos yeux les preuves infrangibles
du « permis de tuer » dans « l’enfer de la répression
» en Syrie. Je vis en Syrie depuis 1994. Je n’ai jamais fait de
la politique. Le régime syrien ne figure pas dans les causes qui motivent
mon action. Cependant il m’est difficile de me taire lorsque j’assiste
à des manipulations médiatiques car elles ont un impact négatif
sur la stabilité du pays et, surtout, sur la crédibilité
de l’opposition. Le reportage de Sofia Amara est une preuve à l’appui
que nos « amis de l’Ouest » qui cherchent à nous aider
ont tendance à mettre les pieds dans le plat.
Auparavant j’avais lu l’interview que notre reporter
avait accordée à La Vie. Choquée par sa superficialité
je l’avais commentée. C’est donc avec une faim non encore
assouvie que j’ai littéralement dévoré les séquences
de l’épopée de notre amazone dans son incursion O combien
dangereuse, parait-il, dans le pays où j’habite. Tenaillée
par le désir de voir de mes yeux les crimes du régime je suis
renvoyée à ma faim avec un documentaire aussi chiche qu' une
boustifaille. On est au mois d’août à un moment où
la presse mondiale assure déjà que les insurgés «
sont obligés de s’armer pour faire face à la violence du
régime » et les témoins racolés assurent, à
contre-courant et en déphasage chronologique, que les manifestations
sont pacifiques.
En fait, à chaque pas, Sofia Amara s’écarte
beaucoup de la charte de Munich, où est demandé au reporter de
couvrir la réalité des faits et de rendre compte d’une manière
pertinente des faits qu' il rapporte. Au lieu de l’enquête,
c’est du qu' en-dira-t-on, au lieu des preuves, c’est du qu' en-
dira-t-on, au lieu des témoins, c’est des qu' en-dira-t-on.
Plat unique et universel pour audience d’abrutis malgré l’accompagnement
sonore extradé d’un film de vampires et qui ne trompe personne.
Selon cette charte, pour ne rappeler que certains devoirs,
l’éthique veut que le ou la journaliste :
- 1. Respecte la vérité, quelles qu' en
puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison
du droit que le public a de connaître
- 2. Publie seulement les informations dont l’origine est connue ou les
accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent
; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les
textes et les documents
- 3. N’use pas de méthodes déloyales pour obtenir des informations,
des photographies et des documents
- 4. Rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte
- 5. S’interdise le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations
sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la
publication ou de la suppression d’une information
- 6. Ne confonde jamais le métier de journaliste avec celui du publicitaire
ou du propagandiste ; n’accepte aucune consigne, directe ou indirecte,
des annonceurs
- 7. Refuse toute pression et n’accepte de directives rédactionnelles
que des responsables de la rédaction.
Sofia Amara transgresse à tout bout de champs ces devoirs
élémentaires du journalisme. Etait-ce la peine de venir «
incognito » en Syrie, au péril de sa vie, pour ne filmer que des
visages floutés, des bustes, des pieds et des mains, des dos, des canapés,
des repas vaguement syriens, des décors peu convaincants, quelques rues
anonymes et secondaires avec des bâtiments endommagés, des immondices,
des enfants répétant leurs leçons ?
Mais prenons au mot le lancement d’Arte qui est quand
même un certificat d’authentification journalistique et suivons
les jalons qu' il nous propose :
« Sofia Amara a suivi au quotidien le travail
des comités de coordination de la révolution. »
Piètre trophée de guerre ravi à la
vigilance syrienne : une demi-douzaine de personnages anonymes qu' on croirait
syriens et dont l’accent, surtout celui dudit Mohammed Ali, est bizarrement
très libanais ? En guise de travail des comités de révolutions
que voyons-nous ? Un individu nonchalamment étendu par terre, en train
de manger à côté de son chat ou d’autres manipulant
leur ordinateur.
« À Damas et à Homs, elle a filmé
l’organisation des manifestations à la sortie des mosquées.
»
Habitant dans le diocèse de Homs qu' il me soit
permis de dénoncer la version des faits rapportés de Homs. Il
s’agit d’une version tronquée et partisane pour ne pas dire
malhonnête. Le médecin et l’infirmière dont on ne
voit que le dos, sont mis à contribution pour relater des horreurs soi-disant
perpétrées à l’hôpital militaire de la ville.
Je connais parfaitement la question puisque les médecins qui travaillent
dans cet hôpital sont des amis de notre diocèse. Le récit
en son entier est faux et frauduleux. Je trouve que c’est honteux de chercher
des figurants pour raconter des balivernes, sans se soucier d’aucune preuve.
Par ailleurs l’avantage insigne du documentaire réside
dans le fait que nous sommes enfin renseignés sur la dynamique primaire
de l’opposition. On prie dans la mosquée le vendredi et à
peine finie la prière on se lève comme des forcenés ¬
galvanisés avec du Keptagon [2]
?- en criant des slogans islamistes de bas calibre. Mais, au passage, les figurants
et la réalisatrice ont oublié qu' il fallait se rechausser
pour que çà ressemble à du vrai…. Alors était-on
vraiment dans une mosquée, un vrai vendredi, durant une vraie prière,
à l’entrée d’une vraie manifestation, ou était-ce
un scénario [3]
? Un vrai camouflet pour la cause de la révolution syrienne ! Non seulement
il s’agit d’une révolution à teinture religieuse,
mais on ne sait même pas si les figurants sont de vrais musulmans !
« À Rastan, elle a rencontré des officiers
entrés en résistance, qui affirment avoir constitué une
"armée libre" pour tenter de s’opposer à la répression.
»
Le suspense bon marché est à son comble de voir
notre amazone perchée sur une moto, voulant nous faire croire qu' elle
se déplace incognito, alors qu' elle s’habille de telle manière
qu' elle est reconnaissable à vingt lieux, ne fusse que par les
badauds du coin qui feront des gorges chaudes de leur voisin cavalcadant à
la tombée de la nuit avec une étrangère
[4]… Belle preuve sur
l’omniprésence des services secrets en Syrie où , nous a-t-elle
avertis, « tout le monde peut être informateur ». J’en
conclus que les services secrets syriens qui n’ont pas su détecter
cet artifice, sont en baisse sérieuse de vigilance ou, miracle ! Ils
ont été reconvertis en enfants de chœur par les réformes
décrétées par le Président Bachar El Assad ! Avis
aux détracteurs.
Puis vient le moment des funérailles du lieutenant dissident
Fadi Kassem. Pourquoi ne voit-on pas son visage en direct ? Pourquoi aucun de
ses compagnons d’armes n’est présent ? Pourquoi ne lui rend-t-on
pas l’honneur des armes ? Au lieu de cela on a réquisitionné
ce qui semble être un traducteur assermenté (ceux en Syrie qui
parlent le français), on lui a mis des guenilles et le voilà gesticulant
dans tous les sens, feignant de baragouiner le français, alors qu' il
se dévoile en prononçant les « p »
[5] comme un francophone chevronné.
Il essaye d’appeler le Président Sarkozy au secours avec l’espoir
que ses appels suppléeront un mandat officiel de l’ONU à
l’OTAN pour une intervention humanitaire !
après des apéritifs de mauvaise qualité
avec la « mère du défunt », maquillée, contrairement
aux us, et peinant à verser quelques larmes, nous sommes pris d’indigestion
devant la manifestation nocturne en hommage au défunt. Bien qu' on
soit en deuil, le mort ayant été enterré quelques heures
plus tôt, on danse et crie à tue-tête au son de « Al
Houwara », musique on ne peut plus joviale, réservée pour
les jours de bonne chère. En Syrie, il y a eu des meetings de protestations
pour les victimes des représailles. Jamais ils n’ont tourné
à des réjouissances avec danses au son de « Al Houwara ».
On voit bien que Sofia Amara méconnait les us et coutumes syriennes et
qu' elle n’a pas su agencer ses séquences dans la logique
de la réalité socioculturelle. Ici la méprise est de mauvais
goût pour la mémoire du défunt, si jamais défunt
il y eut.
« À Hama, elle a pu mesurer la violence du régime
: bombardements de civils, tirs à balles réelles sur les manifestants,
détentions arbitraires, exécutions sommaires, tortures... »
La « violence du régime » n’est malheureusement
pas filmée directement dans ce documentaire. A part le témoin
unique à visage découvert qui nous montre des traces de sévices
corporels, elle est une reprise de données enregistrées sur deux
ordinateurs reliés en direct par Justin TV à Al Jazirah.
N’est ce pas dommage de se replier sur des images immatérielles
auxquelles ont peut avoir accès n’importe où sous le ciel
alors qu' un témoin en chair et en os était présent
sur place ? En définitive nous en sommes, en fait de preuves concluantes,
au niveau zéro, compte donné que les observateurs impartiaux sont
d’accord pour dire que les vidéos qui passent sur Al Jazirah sont
des montages, des collages et des plagiats de documentaires antérieurs,
appartenant à d’autres circonstances, et interposés sans
vergogne.
Quelle utilité de venir en Syrie pour filmer des films
d’une date antérieure dans l’ordinateur d’un personnage
flouté dont on ne voit que le dos, les mains ou la chemise et qui ne
fournit aucune connexion en ville, qui ne participe à aucune réunion,
qui ne présente aucune preuve convaincante d’être un manifestant,
encore moins un chef de réseau de la révolution ? Ce sont des
assertions qu' on entend, certes, mais déontologiquement il est
de notre devoir de douter de tout ce qui n’apporte aucune preuve convaincante.
Est-on vraiment avec un activiste de Hama ? Comment le savoir puisqu' on
ne filme qu' intra muros où on n’aperçoit que des tables,
un lit, des chaises et des canapés ?
«Dans le quartier de Kaylaniya, elle a rencontré
les familles de victimes du massacre de 1982, qui ont été enterrées
dans des jardins publics.»
Alors que notre journaliste parlait tantôt avec des activistes
athées de Hama, voilà qu' elle se retrouve avec les familles
des victimes des massacres de 1982 qui appartiennent à la formation politique
très religieuse des Frères musulmans.
On nous montre des terrains vagues où certains habitants
assurent que les leurs ont été enterrés en 1982 et où
les victimes actuelles sont inhumées parce que les forces de l’ordre
ont attaqué les cimetières. Mais, là aussi, il s’agit
d’un colportage d’information. Les lieux en question sont inhabituellement
déserts pour des jardins publics, il n’y a pas de perspective ni
de vues générales pour nous situer. On dirait que le caméraman
évite de nous dire où il se trouve comme si le spectateur était
un agent de la sécurité. Nous ne voyons pas non plus le cimetière,
ciblé par l’armée nous dit-on, nous ne savons pas si, en
dessous de la terre filmée, il y a des corps inhumés. Les personnes
qui témoignent peuvent être n’importe qui et dire n’importe
quoi. Dommage pour la vérité.
«Ces images et ces témoignages montrent pour
la première fois l’implication de membres du Hezbollah libanais
et de gardiens de la Révolution iranienne dans les massacres.»
Pour la libanaise que je suis qu' il me soit permis de
douter des « images » refilées à notre reporter. Voir
deux barbus dans une séquence n’est absolument pas une preuve qu' il
s’agit de membres du Hezbollah. Il y a lieu de se demander pourquoi l’armée
syrienne, forte d’un demi million d’hommes, s’encombrerait-elle
de combattants iraniens ou chiites ? La rumeur seule n’est pas suffisante
pour constituer un chef d’accusation.
Ce qui se dégage en définitive du film de Sofia
Amara c’est de deux choses l’une : ou bien la révolution
syrienne est orpheline de toute évidence sérieuse face au régime
qui l’opprime, ou bien l’odyssée à laquelle nous assistons
est un trucage obscène qui tourne en dérision cette même
révolution.
«À la manière d’un carnet de route,
ce film raconte aussi les coulisses d’un voyage à haut risque,
montrant les dangers encourus quand on filme une manifestation ou les ruses
inventées pour rencontrer les activistes. Autant d’éléments
qui rendent compte de l’atmosphère de terreur qui règne
dans le pays.»
Selon moi ce film est une mise en scène médiocre
et à moindre frais, où le risque a été évité
grâce au trucage ou au copiage. Il démontre en premier lieu qu' en
Syrie il y a un laisser aller flagrant des forces de sécurité.
Ensuite il prouve que, lorsque le sujet cadre avec la propagande du jour, il
peut avoir pignon sur rue. Sofia Amara s’était présentée
comme René Caillé infiltrant Tambouctou ou Christophe Colomb en
danger chez les anthropophages. Malheureusement elle n’est ni l’un
ni l’autre. Dommage pour une chaine comme Arte de se faire ainsi berner
elle qui a l’habitude de nous proposer des ouvrages exceptionnels. Annoncer
au public des évidences de première main alors qu' on se
retrouve devant un navet jette sur elle un discrédit regrettable.
Notes
[1]
Voir : « Gilles Munier : Hama, l’OSDH, l’OTAN, Israël,
l’Arabie Saoudite, l’Irak et autres sujets nous concernant »,
par Gilles Munier, 21 septembre 2011.
On consultera utilement un article qui prouve que Sofia Amara n’est pas
la première journaliste à se rendre en Syrie : « Soirée
Arte sur la Syrie : deux heures de stalinisme bobo », par Louis Denghien,
12 octobre 2011.
[2] Genre d’Amphétamine en
comprimés, appelés « performance enhancer » ou exacerbateur
de tâches. À diverses reprises des témoins oculaires attestent
que les insurgés sont drogués, en état de transe, insensibles
à la douleur. Les douanes syriennes ont capté des millions de
comprimés Keptagone en provenance du Liban (où elles sont fabriquées).
[3] On ne rentre dans une mosquée
que déchaussé, sinon c’est un crime de lèse-majesté.
Au vestibule les fidèles laissent leurs chaussures. Ils ont besoin d’assez
de temps pour se rechausser. Ce qui n’est pas le cas dans le documentaire
où , en se levant de leurs prières, les fidèles commencent
à crier. Ils se seraient rechaussés dans cet état de transe
? Il s’agit de toute évidence d’une mise en scène
flagrante.
[4] A Damas, la mère d’une
de nos orphelines est sans cesse harcelée, sur délations des voisins
musulmans, par la police des mœurs parce qu' elle cohabite avec un
homme qui n’est pas son mari. On n’enfreint pas impunément
les lois sociales en Syrie. Si Sofia et son compagnon n’étaient
pas arrêtés pour « espionnage » ils l’auraient
été pour « mœurs » !
[5] Chose impossible pour l’arabe
qui n’a pas cette lettre. C’est comme pour un français rouler
les r.
Source : http://www.silviacattori.net/article2192.html
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