Un soldat israélien a brisé le silence,
Daniel Sturm
.
Daniel Sturn : « Vous critiquez l’armée
israélienne alors que vous en faisiez partie, n’est-ce pas hypocrite?
»
Yeyuda Saul : « Je pense que tous les membres de l’organisation
et moi-même agissons pour mériter l’attention publique. Depuis,
ma première couche de bébé, changée par ma mère,
il était évident que je serais un soldat. Ce n’est pas comme
si je me suis réveillé un beau jour, à l’âge
de 18 ans, et je me suis dit ‘Eh! Allons passer un bon moment dans les
territoires occupés’. Quand j’étais dans les territoires
occupés, vous pouvez dire que j’étais un soldat américain.
Je me servais d’un M16 non fabriqué en Israël et je lançais
des grenades achetées par les Américains. Par conséquent,
tout le monde et encore plus les Américains doivent être au courant
des événements qui surviennent dans le monde. Et comme je suis
là, je vous informe de ceux d’ici. »
Daniel Sturn : « Quand avez-vous découvert la
‘corruption de l’occupation’, je reprends votre expression?
»
Yeyuda Saul : « J’ai grandi, à Jérusalem,
au sein d’une famille de droite. J’ai fait l’école
secondaire dans une colonisation près de Ramallah. Quand j’ai atteint
mes 18 ans, j’ai rejoint les Forces israéliennes de défenses
sans trop me poser de questions. Cependant, la seule préoccupation que
j’avais était de savoir à quel grade de l’armée
je voulais accéder, voudrais-je faire partie de l’unité
d’élite ou être un soldat ordinaire de l’infanterie?
Mais à quoi j’ai assisté et pris part m’ont ouvert
les yeux. »
Daniel Sturn : « Pouvez-vous expliquer davantage? »
Yeyuda Saul : « Le long des murs des colonisations sont
couverts d’affiches sur lesquelles, il est marqué que les soldats
doivent refuser de quitter les colonisations (tel mentionné dans le traité).
En d'autres termes, elles indiquent comme Commandant, soldat vous devez distinguer
le bien du mal, l’ennemi de l'ami. À l’armée, on nous
a enseigné à expulser les ennemis (les Palestiniens), mais jamais
nos amis (les colons). En fait, quand je me suis engagé dans l’armée,
je ne voyais que blanc et noir du bien et du mal. J’ai compris plus tard
que tout était plutôt gris. »
Daniel Sturn : « Que s’est-il passé à
Hébron? »
Yeyuda Saul : « Comme Hébron est la deuxième
grande ville de la Cisjordanie avec ces 150 000 Palestiniens, environ 600 colons
(au centre) et 450 soldats. En 1997 et suite à la convention d’Oslo,
elle fût divisée en deux parties. Sous l’autorité
palestinienne s’y trouvaient 120 000 palestiniens et sous celle d’Israël
30 000 autres. Au début de l’Intifada, de 2000 et jusqu' à
la moitié de 2002, les Palestiniens tiraient la nuit des coups de feu
des montagnes en direction des colonisations. Notre officier subalterne nous
donnait l’ordre de répliquer pour chaque tir. Nous avions trois
postes de contrôle bien situés dans les quartiers palestiniens,
où nous y avons posté des tireurs d’élite et des
lanceurs de roquettes. Mon poste était à l’ancienne école
d’Hébron. Notre mission était de cibler les maisons des
Palestiniens. Je me souviens d’avoir été choqué quand
j’ai entendu ceci ‘ Vous voulez dire que je dois cibler les quartiers
palestiniens?’ Je me rappelle des règles de sécurité
qu' on nous a enseignées lors de notre formation. Pour lancer des
grenades actives, aucune personne ne devait être proche de 1 km de part
et d’autre de la cible. Et maintenant, je devais bombarder un quartier
résidentiel. La grenade est une arme précise qui tue toute personne
se trouvant dans un rayon de 8 mètres et blesse dans un rayon de 16 mètres.
La nuit, après les bombardements des Palestiniens, nous recevions l’ordre
de presser la détente. Le premier jour, nous avons prié 4 à
5 secondes, espérant ne pas toucher un innocent. Le deuxième jour,
on était moins tendu et le jour d’ après on l’était
de moins en moins. après une semaine, ça devenait comme un jeu.
»
Daniel Sturm : « Tu a pensé ainsi quand tu as
commencé à critiquer la mission de l’armée »
Yehuda Shaul : « Pas vraiment. J’ai commencé
à comprendre vraiment la corruption de l’armée qu' une
fois que je l’ai quittée. Lorsque vous êtes un soldat dans
les territoires occupées, vous ne voyez pas les Palestiniens comme des
êtres humains égaux. La nuit, vous ne pouvez pas sauter du toit,
réveiller toute une famille, forcer la femme à se mettre dans
un coin et le mari dans un autre et détruire l’endroit. Ou du moins
quand vous êtes dans un poste de contrôle, vous distinguez une forme
humaine : une tête, deux mains et deux jambes. Par contre, quand vous
lancez des grenades actives dans des quartiers palestiniens, la nuit, cela paraissait
comme un jeu sur ordinateur! »
Daniel Sturm : « Votre action n’était-elle
pas justifiée compte tenu de la violence palestinienne? »
Yehuda Shaul : « En effet, vous ne pouvez ignorer que
les Palestiniens emploient la violence. Mais quelle est notre frontière
morale et légale, comme société ou nation? Pouvons-nous
vraiment pardonner le lancement de grenades dans les quartiers habités,
comme moyen de riposte? Quand nous avons réalisé que nous sommes
incapables d’empêcher les Palestiniens de répliquer, nous
avons commencé une autre stratégie nommée ‘passons
aperçus’. Nous avons entrepris de patrouiller en silence. Nous
marchions dans les rues, tirant sur les maisons et lançant des grenades
dans les jardins publics. »
Daniel Sturm : « À quel moment avez-vous commencé
à avoir de la compassion pour les victimes? »
Yehuda Shaul : « La terminologie de ‘victime’
ne s’applique pas dans ce contexte. Quand dans un combat, vous ne voyez
rien, vous ne sentez rien et vous ne regardez rien. Le nom de Rompre le silence
renvoie à deux genres de silence. Le premier est personnel, il consiste
à prendre conscience de ce qui se passe autour de soi. Le deuxième,
quant à lui, se rapporte au silence de la société. Au moment
ou j’étais à Hébron, explosant les grenades, mes
parents qui étaient juste en face à Jérusalem écoutaient
la radio qui diffusait une phrase que tous les Israéliens connaissent
par cœur « les Forces israéliennes de défenses renvoient
le feu aux sources du feu ». En fait, il n’y en avait aucune, nous
ne tirions vers aucune source de feu bien déterminée! Mais c’est
ainsi que le monde entier y compris les Israéliens reçoivent l’information!
Daniel Sturm : « Quelle a été la réaction
des gens face à ta critique? »
Yehuda Shaul : « Très ambiguë, quelques-uns
nous comprennent et d’autres non. Au début, les enquêteurs
de police des Forces israéliennes de Défenses ont détruit
nos expositions, nous ont confisqué quelques objets et soumis à
des interrogatoires. Ils voulaient nous intimider et prouver que nous étions
des personnes marginales et ‘pourries’. La vérité
est que je suis ainsi et je ne peux en être autrement. »
Daniel Sturm : « Est-ce que l’occupation militaire,
selon vous, est-elle légitime? »
Yehuda Shaul : « Nous aimerions tous dire que nous
ne sommes pas ‘contaminés’ et que nous souhaiterons avoir
une occupation ‘intelligente’ et civilisée de la Palestine.
Nous voulons aussi croire que notre armée a les meilleures valeurs morales
au monde. Cependant, à chaque fois qu' il est question de bombardement
de la Palestine par les soldats israéliens, la vérité en
est autre. Si chaque soldat israélien qui a maltraité un Palestinien
pendant son service est envoyé en prison, tous les soldats y passeront.
Vous ne pouvez faire votre service dans les territoires occupés sans
agir comme un envahisseur. »
Source : http://www.sturmstories.com/IsraeliSoldier.htm
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