Retour de Syrie

Compte rendu de séjour en Syrie. " Le Collectif Polex à reçu un ami revenu récemment de Damas. Il tient à conserver l'anonymat, il n'est pas toujours facile d'exprimer en France une opinion contraire à celle des gouvernants occidentaux sur la Syrie. Nous transmettons à nos lecteurs ce témoignage en nous portant garant de son honnêteté. "
publication avril 2017
mis à jour le : 2 Mai, 2017

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Rapide voyage à l’intérieur de la Syrie gouvernementale

Début avril 2017, pendant 7 jours, j’ai pu découvrir la Syrie légale, celle contrôlée par le gouvernement de Bachar Al Assad. Voici quelques impressions et réflexions rapides sans prétention et loin d’un reportage ou une enquête exhaustive, ce qui me semble difficile dans ce pays en guerre depuis 6 ans.

Nous avons pu obtenir le visa dans le cadre d’un voyage alliant solidarité et découverte. L’objectif humanitaire du déplacement était de faire parvenir des médicaments aux hôpitaux syriens Cela nous permettait de découvrir la vie quotidienne de ce pays martyr.

Depuis l’embargo, la Syrie officielle doit acheter ses médicaments en devises au Liban. La destruction de l’appareil productif (notamment la région d’Alep) a accentué la pénurie et le pays a du mal à couvrir ses besoins médicaux. Le groupe était formé d’une dizaine de personnes provenant de différents milieux socioculturels. Il y avait des ouvriers qualifiés, des techniciens, des fonctionnaires, des retraités, hommes et femmes. Tous se présentaient comme des amis de la Syrie et de son peuple. Ils voulaient voir sur place une réalité dont les média occidentaux dominants ne parlent pas. Le voyage avait été organisé par une petite association humanitaire de Syriens de France. Les zones parcourues s’étendent de la frontière libanaise à Damas puis de Damas à Alep en passant par Homs, et la côte méditerranéenne. Sur certains axes, nous avons circulé dans les bus normaux, parmi la population syrienne, notamment dans le long trajet de 8 heures entre Damas et Alep. L’autoroute est parfois encore coupée et il faut faire de longs détours, d’abord par la montagne puis par le désert pour ne pas être exposés à des tirs intempestifs. Le reste du circuit, Lattaquié, Tartous, Homs, Maaloula (la cité chrétienne ravagée) a été effectué en mini bus loué par les organisateurs.

Nous avons pu entrevoir la vie de cette population courageuse et qui semble unie. Damas, à notre arrivée en fin d’après-midi, souffre d’embouteillages permanents. Le centre-ville semble craquer tant la densité humaine parait importante. La présence de nombreux réfugiés provenant des zones de combat est manifeste. On s’entasse dans les appartements de la famille, des cousins, des amis. La vie est très chère et partout pauvreté mais dignité. L’artisanat, la réparation et le recyclage en tout genre permet à la population de survivre malgré les pénuries liées aux sanctions occidentales.

Le soir il n’y a plus d’éclairage public et les coupures d’électricité nombreuses. Les blocs électrogènes prennent le relais chez les particuliers. L’armée arabe et nationale syrienne dite « armée du régime » et les différents groupes de défense locale sont partout. Ils sont formés par toutes les communautés avec beaucoup de jeunes certainement nouvellement enrôlés. Ces soldats ont le sentiment de se battre actuellement contre une agression extérieure. Leur solde est basse et sans commune mesure avec les salaires proposés dans les milices des groupes rebelles. Pour eux, il n’y a pas d’islamistes modérés mais des terroristes qui occupent leur pays en y créant l’insécurité. Les deux plus grandes villes du pays (Damas et Alep) sont totalement pacifiées de même que les villes de la côte et Homs. Cela ne les empêche pas d’entendre des canonnades lointaines, le survol des Mig, des hélicoptères et de subir des attentats à la voiture piégée. De temps à autre (deux fois durant notre séjour) la capitale reçoit des tirs de roquettes aveugles provenant des montagnes. C’est pour des raisons de sécurité qu’il nous fallut faire demi-tour à seulement 20 km de la cité antique de Palmyre. La présence de snipers de Daech était signalée.

Dans cette zone nous avons pu apercevoir 5 puits de pétrole en flamme et une raffinerie détruite. Faute de moyen et à cause de l’insécurité les autorités laissent brûler. Cela explique la grande difficulté pour s’approvisionner en carburant. La population disciplinée ouvre les sacs aux barrages de sécurité qui ceinturent les quartiers. Sur les routes des check points distants de 5 à 10 km contrôlent les coffres des véhicules, les sacs et marchandises. Pour des échanges directs et totalement indépendants nous étions limités par la langue et seuls les chrétiens semblent avoir sauvegardé la culture francophone. Je peux citer une religieuse libanaise responsable d’un orphelinat, un homme d’affaire lié au tourisme ou des personnes âgées rencontrées librement et vraiment au hasard dans les rues de Damas. Les témoignages recueillis convergent souvent dans le même sens. Il y a eu un incontestable mouvement démocratique en 2011 que les chrétiens ont salué mais qui très vite a été pris en main par des groupes armés islamistes et djihadistes. La soi-disant opposition laïque se disputait à Istanbul, à Paris ou au Caire mais n’avait aucune représentation crédible sur le terrain. Souvent on nous a interrogés sur le rôle de la diplomatie française qui d’après eux aurait pu avoir un rôle médiateur mais qui s’est alignée sur les seuls groupes terroristes.

Nous avons pu visiter librement, sans escorte avec seulement des personnes parlant arabe, les zones libérées d’Alep Est. Nous avons pu observer les terribles destructions sur les lignes de front et l’organisation des réseaux creusés par les rebelles dans une stratégie de guerre souterraine. Les tunnels communiquaient avec les égouts où de puissantes charges explosibles étaient positionnées sous les positions tenues par l’armée régulière. Les souks et la mosquée des Omeyade ont été pillés et fortement endommagés mais déjà des jeunes de l’école technique de Damas s’affairent à des travaux de restauration. Les bâtiments publics ont été occupés par les groupes rebelles de même que certaines maisons de particuliers car elles avaient par leur position une utilité stratégique. Nous avons trouvé, dans les sous-sols du QG des fameux casques blancs mais occupés par des combattants terroristes ((Jabhat Al Nostra) au milieu des immondices, des tracts du CBRN-TF en arabe (Chemical, biological, Radiological, Nuclear) de la task force de l’OTAN. Cela prouverait que des contacts entre l’alliance atlantique et les rebelles étaient engagés pour une assistance sanitaire et logistique. Malgré leurs victoires récentes et leur moral élevé, l’armée nationale et les différentes défenses territoriales apparaissent comme épuisées et fatigués. Ils habitent dans des abris de fortune avec un matériel dérisoire aux barrages (des Kalachnikovs et des pick-up avec mitrailleuse Doushka).

Contrairement aux légendes nous n’avons pas vu de Russes en déplacement, seulement une base près d’Alep. On nous a dit qu’après les déminages, une de leurs spécialités, ils ne feraient que de la logistique.

Nous pouvons conclure que ce voyage de solidarité n’était pas de vouloir sauver un régime politique mais l’existence même d’un état souverain que certains voudraient voir éclaté. L’état syrien est indépendant depuis 1946. Il est reconnu comme tel par la communauté internationale. Malgré toutes ses imperfections, il permettait de faire vivre en paix les diverses communautés composant la société syrienne. L’avenir appartient au peuple syrien, sans intervention extérieure, lui seul saura décider de son futur.

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