cet article de Gabriel Péri, daté du 26 mai 1936 est paru dans L’Humanité.
La révolte en Palestine 1936
par Gabriel Péri [1]
Depuis plus d’un mois - pour fixer une date depuis
le 15 avril- la Palestine est en état de révolte ouverte ; Les
manifestations et les échauffourées sanglantes s’y multiplient.
Les dernières journées ont fait 36 morts dans la population arabe,
dans la population juive et dans le corps britannique d’occupation. De
nouveaux renforts de tanks et d’autos bondées ont été
envoyés vers la Palestine.
Les évènements méritent de retenir l’attention et
il est indispensable, à notre avis, de corriger les interprétations
erronées qui peuvent surgir à leur propos. D’aucuns affirment
volontiers que les troubles en Palestine ne sont, au demeurant, que le résultat
de la propagande hitlérienne et des intrigues mussoliniennes. On nous
permettra de ne pas souscrire à ce jugement.
Que le fascisme hitlérien et le fascisme mussolinien s’efforcent
d’utiliser tous les incidents de la vie internationale et de les exploiter
pour leurs fins suspectes, nul ne saurait le contester. Mais on aurait tort
de s’en tenir à ces données pour apprécier d’une
façon correcte le mouvement palestinien.
Les Arabes se sont révoltés en 1929 alors que l’hitlérisme
n’était pas au pouvoir et qu' aucune rivalité n’opposait
la Grande Bretagne et l’Italie. La révolte palestinienne se rattache
au mouvement général de rébellion qui agite tout le monde
arabe, celui d’Egypte, et de Syrie, comme celui de Palestine.
Cette révolte était-elle justifiée ? Nous croyons qu' elle
est parfaitement justifiée. Nous ajoutons qu' à notre avis
on se trompe lourdement en l’assimilant à un mouvement antisémitique.
L’antisémitisme nous est profondément odieux. Mais ce n’est
pas contre les juifs considérés comme tels que se rebellent les
Arabes. C’est contre une forme d’exploitation imaginée et
mise en train par l’impérialisme britannique.
Au fond, sous prétexte de foyer national juif, s’est organisée
en Palestine une véritable spoliation des Arabes. La grande société
sioniste Keren Hayessod [2] est spécialisée dans ces spoliations.
Profitant de l’absence de titre de propriété chez les fellahs
et les bédouins, elle se met d’accord avec un féodal -Cheikh-
arabe pour s’approprier des terres.
après quoi, elle avise les fellahs qu' ils doivent abandonner la
terre sur laquelle leurs ancêtres ont peiné pendant des siècles.
Si les fellahs n’obtempèrent pas, la société appelle
à la rescousse les soldats britanniques.
Il y a mieux, une véritable chasse aux ouvriers arabes a été
organisée par une autre organisation, l’Histadrouth [3]. Chaque
année, à la fête de la cueillette des oranges, de véritables
expéditions punitives sont organisées par les troupes d’assaut
sionistes sur les chantiers, dans les usines d’où les ouvriers
arabes sont impitoyablement chassés.
Voilà comment le sionisme organise des pogroms à rebours. Les
méthodes que nous mentionnons sont très exactement celles que
l’hitlérisme emploie à l’égard des juifs en
Allemagne.
Comment dans ces conditions, la population arabe ne s’insurgerait-elle
pas avec vigueur ? Les chefs de cette révolte ont eu soin de répéter
cent fois qu' ils n’entendaient pas donner dans l’antisémitisme.
Ils veulent lutter contre l’impérialisme britannique et contre
son allié le sionisme. Ils réclament l’arrêt de l’immigration
juive passée de 80 000 en 1914 à 450 000 en 1935. Ce n’est
pas là, quoi qu' on en dise, un mot d’ordre anti-juif. C’est
dans le respect du droit d’asile, c’est dans la solidarité
internationale contre le fascisme, et non pas dans la complicité avec
une entreprise suspecte de spoliation, que nous entendons défendre la
cause des juifs persécutés par l’hitlérisme.
Les Arabes réclament en outre l’interdiction de toute vente des
terres arabes. Ils préconisent la constitution d’un gouvernement
national arabe.
Ces revendications sont justes. Elles s’inspirent de la volonté
d’un peuple de secouer une domination suffocante.
La cause des travailleurs juifs, pourchassés par les dictatures fascistes,
n’est pas celle des expropriateurs des grandes sociétés
sionistes et de leurs troupes d’assaut. Elle se confond avec celle des
opprimés de toutes couleurs et de toutes races qui ne veulent pas se
laisser dépouiller.
Notes :
[1] Gabriel Péri, responsable de la rubrique étrangère
de l’Humanité, fut l’un des rares à dénoncer
dans ce même journal l’accord Hitler/Staline (signé entre
Molotov et Ribbentrop) par lequel l’Allemagne nazie et l’URSS se
partageaient la Pologne. Péri fut fusillé par les nazis le 15
décembre 1941 après avoir refusé de signer une déclaration
condamnant les " actes de terrorisme "..
[2] Keren Hayessod : principal instrument financier de l’Agence juive,
reçut entre 1934 et 1938 de la Lloyds Bank un montant total de prêts
de 675 000 livres sterling.
[3] Histadrouth : organisation syndicale sioniste créée en 1920
et chargée d’organiser le monopole du travail juif