Résolution 181 : l'ONU pouvait-elle priver
les Palestiniens de leur terre ?
Monique Chemillier-Gendreau
Retour sur la résolution 181
(...) Lorsque l'on bouscule la légalité en créant
sur le terrain une situation de tragédie chronique, aucune légitimité
ne vient absoudre le manque de rigueur dans l'usage du droit. Dans le cas de
la Palestine, un retour à la rigueur conduit à renouveler la question
: qui détient de manière valide, selon le droit international,
le titre juridique de souveraineté sur le territoire de l'ancienne Palestine
mandataire ? (...) La recherche du titulaire de la souveraineté territoriale
sur la Palestine ne nécessite pas de remonter profondément au-delà
de la période ouverte par la SDN. Il suffit d'un constat relatif au peuplement
: quels que soient les apports variés, les sédiments de populations
accumulés sur cette terre à travers les conquêtes et I'histoire
de plusieurs siècles, nous devons nous arrêter à la période
précédant immédiatement le système colonial occidental.
Jusqu'au début du XXe siècle, la souveraineté sur un territoire
peut changer de mains au gré du rapport de forces. Les guerres de conquête
ne sont pas interdites. Il suffit, pour les avaliser juridiquement, de les consigner
dans un traité de paix que le vainqueur arrache au vaincu. Avec la SDN
et pour des cas limités, apparaît timidement la notion de droit
des peuples et de garantie internationale de l'exercice de ce droit. Dans ce
contexte, on ne peut dénier à la population présente en
Palestine, lorsque ce système se met en place en 1919, le caractère
d'un peuple. Il détient ce caractère autant que tous les peuples
colonisés, tous paradoxalement à la fois fragmentés mais
en même temps, pour chaque fragment, unis à travers la domination.
Il s'agit du peuple qui s'exprime aujourd'hui comme peuple palestinien et est
représenté par l'Autorité palestinienne. C'est un peuple
constitué au fil des siècles et dominé au XIXe siècle
par les Ottomans avec la complicité des Occidentaux, plus particulièrement
celle des Britanniques à partir de 1841. Il est composite comme la plupart
des peuples et traversé de diversités religieuses en dépit
d'une dominante musulmane. (...) Ce que la SDN et le mandataire britannique
n'avaient pas pu accomplir : priver les Palestiniens de leur titre potentiel
de souveraineté sur leur territoire, l'Assemblée générale
des Nations Unies était-elle en mesure de le faire ? Il est habituellement
considéré qu'elle le fit partiellement par la résolution
181 (29 novembre 1947). Or il faut revenir sur ce que fit exactement cette résolution.
Des arguments contradictoires furent déployés quant à la
validité ou l'invalidité juridique de ce texte. Et certains Etats
proposèrent alors sans succès de saisir la Cour internationale
de justice d'une demande d'avis consultatif relativement à la compétence
de l'Assemblée générale dans ce domaine. Il demeure utile
pour permettre une approche renouvelée des effets juridiques de cette
résolution de revoir comment l'Assemblée générale
s'est alors exprimée et sur quoi. a) D'un point de vue formel, elle «
recommande » car elle n'est habilitée à rien d'autre. Or
une recommandation est-elle obligatoire ? Il n'est pas sans intérêt
de noter l'incohérence juridique qu'il y a à prétendre
que cette résolution-là serait obligatoire (ce que l'on a obligé
le représentant d'Israël à dire à l'époque),
alors que la thèse occidentale dominante est en sens inverse. En effet,
les Grandes Puissances ont développé une énergie considérable
pour affirmer que les résolutions de l'Assemblée générale
n'étaient pas obligatoires, particulièrement lorsqu'il s'est agi
des grandes résolutions des années 1960-1970 sur le nouvel ordre
économique international1.
b) Quant à la substance, l'Assemblée générale
s'adresse par ce texte au gouvernement britannique et à tous les Etats
pour leur « recommander » d'adopter et de mettre à exécution
le plan de partage qu'elle énonce. Mais aucun des partenaires cités
ne dispose en droit international de la compétence nécessaire
ni de l'autorité pour ce faire. Les Nations Unies, pas plus que la SDN,
n'ont de compétence sur aucun territoire. De par la Charte, leur action
se situe dans le cadre du respect de l'intégrité territoriale
des Etats déjà existants et du droit des peuples à disposer
d'eux- mêmes. Ce dernier principe, dans les années 1947-1948, n'a
d'ailleurs pas encore pris toute son ampleur. Le gouvernement mandataire n'avait
pas la main sur la souveraineté, les autres Etats non plus. Le trou noir
dans la logique juridique est ici dans l'absence d'accord du peuple. L'Assemblée
générale pouvait recommander à qui elle voulait ou à
qui elle pouvait un plan de partage. Cela restait nécessairement de l'ordre
de la recommandation, tant que le véritable titulaire du titre de souveraineté
n'avait pas lui-même acquiescé à cette recommandation. La
recommandation n'est pas invalide, ce qui est invalide c'est le raisonnement
par lequel on voudrait transformer cette recommandation en une norme objective
obligatoire pour tous.2
* Monique CHEMILLIER-GENDREAU est professeure de Droit public
et de sciences politiques à l’Université Paris - 7 Denis
Diderot.
.
:
1
Voir notamment : Charles Rousseau, Droit international public, Sirey, 1970,
pages 435 et suivantes, et pour une analyse des différentes thèses
en présence, Nguyen Qouc Dinh, Patrick Daülier et Alain Pellet,
Droit international public, LGDJ, 1994, pages 361 et suivantes. Au gré
des circonstances, les commentateurs mais surtout les intéressés
eux-mêmes, contestèrent ou confirmèrent cette recommandation.
Israël la reconnut formellement puisqu'elle était son acte de naissance,
mais accompagna toutes les références à ce texte, particulièrement
dans sa déclaration d'indépendance, d'une mention de ses droits
historiques et naturels sur cette terre. Il cherchait ainsi le fondement de
ses droits ailleurs que dans le texte de 1947 et montra par la suite surabondamment
sa non-acceptation du plan de partage inclus. Les Etats arabes, mais surtout
le peuple palestinien, le rejetèrent violemment, même si, avec
le passage du temps, la mesure étant prise des prétentions extensives
d'Israël, les mêmes aujourd'hui invoquent la nécessité
de le prendre pour base du processus de paix. Pour en revenir à l'Assemblée
générale, son attitude consistait à reconnaître le
droit à l'autodétermination des Palestiniens dans un cadre territorial
amputé par elle. Cela la rattachait d'une certaine manière à
la logique colonialiste qui n'était pas évacuée, loin s'en
faut, de la Charte de Nations Unies. Le Chapitre XI sur les territoires non
autonomes en témoignait. Ainsi, cette simple recommandation, non obligatoire
du point de vue des catégories formelles, touchait à un objet
qui n'était pas expressément dans les pouvoirs ni de l'Assemblée
générale ni des Etats-membres et était empreint d'une logique
relevant de la période coloniale en voie d'achèvement. (...) Des
modifications substantielles du droit international intervenues postérieurement
et amplifiées par leur caractère de droit impératif viennent
confirmer l'analyse ici menée. Il s'agit de la réaffirmation générale,
amplifiée et renforcée juridiquement du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, de la condamnation du colonialisme et de l'interdiction
de modifier avant leur accession à l'indépendance les territoires
des peuples non encore émancipés. Ce corpus a été
construit dans les années cinquante et soixante. Il a été
le fruit du travail de l'Assemblée générale et a acquis
valeur obligatoire dans la mesure où il constitue une ample construction
coutumière. Il a été relayé par de grandes conventions
internationales, notamment les Pactes internationaux sur les droits de l'homme,
et surtout il est considéré comme une règle de droit impératif
général. Cette catégorie est celle qui se trouve placée
au-dessus de toutes les autres. La convention de Vienne sur le droit des traités
du 29 mai 1969 l'officialise. Et si, dans bien des cas, son contenu est incertain,
aucun doute ne plane sur le fait que le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes soit de cette nature. C'est même la seule règle
donnée de manière unanime en exemple des règles de cette
catégorie. La Commission du droit international s'est prononcée
dans ce sens. Et dans la doctrine, il n'est pas contesté que le droit
des peuples ait ce caractère. Cependant, il faut préciser ce que
recouvre la notion de droit impératif général (jus cogens).
Il s'agit de structurer le droit international par une hiérarchie des
règles entre elles en désignant les normes auxquelles aucune autre
règle ne peut déroger. La Convention de Vienne sur le droit des
traités est encore plus précise ; article 64 : « Si une
nouvelle norme impérative du droit international général
survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient
nul et prend fin. » Voilà l'affirmation, rare dans tous les systèmes
juridiques, d'une rétroactivité de la norme nouvelle. S'appliquant
au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et à l'intégrité
de leur territoire national, cette norme nouvelle permet de relire les actes
juridiques de périodes antérieures et éventuellement de
les considérer comme nuls ou de les interpréter de manière
à introduire une rationalité d'ensemble dans l'ordre juridique
autour de principes nouvellement proclamés en ne laissant plus subsister
de droit antérieur qui leur serait contraire. Ces mécanismes juridiques
confirment l'interprétation proposée plus haut de la période
mandataire. Mais surtout, ils permettent d'enfermer dans des limites strictes
les conséquences de la résolution 181. Ce texte ne pouvait pas,
ne peut toujours pas jusqu'à nos jours, transférer le titre détenu
par les Palestiniens au profit d'un autre peuple, même si on a conféré
à ce dernier le caractère d'un Etat. On peut même soutenir,
allant jusqu'au bout d'une logique rigoureuse et en application de l'article
64 de la convention de Vienne précitée, que l'application du droit
positif conduit à contester la validité de l'adhésion d'Israël
à la Charte des Nations Unies. Cette adhésion, comme toute autre,
a la forme d'un traité, Cet acte, passé sans considération
du droit du peuple palestinien, est entré dans le champ de l'article
64 à partir du moment (1960) où le droit des peuples a acquis
valeur impérative. On en arrive ainsi, en refusant les approximations
pratiquées depuis des décennies, à conclure que la validité
en droit international de la création d'Israël dans les frontières
de la résolution 181 ou dans les frontières d'avant la guerre
de 1967 (ce point est évidemment aux mains des Palestiniens) dépend
de l'acquiescement donné par le peuple palestinien et ses représentants,
toujours détenteurs d'un droit inaliénable. Il est impossible
de conclure pour autant que ce peuple palestinien dispose aujourd'hui d'une
libre détermination illimitée. Car, d'une part le concept d'affectivité
oblige à intégrer juridiquement les conséquences d'un certain
nombre de situations de fait et d'autre part, une fois certains signes d'acquiescement
donnés, il n'est plus possible d'exprimer une volonté radicalement
contradictoire de ces signes. Cette procédure qui impose la bonne foi
porte le nom d'estoppel. Ainsi, la compétence des Palestiniens paraît-elle
aujourd'hui être une compétence liée par la force de cinquante
ans d'histoire effective de l'Etat d'Israël et par les positions qu'ils
ont prises eux-mêmes unilatéralement face à la résolution
1812. Il reste néanmoins que, pour le moment, la souveraineté
n'a pas été formellement transférée et qu'aucun
acte unilatéral de quiconque ne peut en tenir lieu. Il y faut un échange
des consentements dans un traité marqué du sceau de la bonne foi.
Là réside l'impérieuse nécessité d'un accord
de paix dans un complet renversement de problématique.
2 Déclaration
de Yasser Arafat au Parlement européen de Strasbourg du 13 septembre
1988 et paragraphe 7 de la Déclaration d'indépendance de l'Etat
de Palestine : « En dépit de l'injustice historique imposée
au peuple arabe palestinien, qui a abouti à sa dispersion et l'a privé
de son droit à l'autodétermination au lendemain de la résolution
181 (1947) de l’Assemblée générale des Nations Unies
recommandant le partage de la Palestine en deux Etats, l'un arabe et l'autre
juif, il n'en demeure pas moins que c'est cette résolution qui assure
aujourd'hui encore les conditions de légitimité internationale
qui garantissent également le droit du peuple arabe palestinien à
la souveraineté et à l'indépendance. » accord pour
disposer de leur territoire, dans lequel ils ne deviendraient maîtres
que par la volonté d'Israël. C'est Israël qui ne peut trouver
sa pleine et définitive légitimité internationale qu'à
travers un accord avec les Palestiniens par lequel ceux-ci lui reconnaîtront
solennellement, ce dont Israël ne peut se passer, la transmission d'un
titre dont eux seuls pouvaient disposer. D'ailleurs le malaise profond et perceptible
de la société israélienne dévoile l'intuition de
ce peuple que son origine même comme Etat n'est pas validée.
Source www.michelcollon.info