L’accord de Lausanne sur le nucléaire iranien :
Un nouveau piège ou une victoire « certaine » ?

Marie Nassif-Debs
publié le : 25 avril, 2015

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Depuis le début de ce mois d’avril 2015, et malgré le grand nombre de développements dramatiques dans la région arabe, allant des nouveaux problèmes vécus par les Palestiniens à ceux de l’Irak, de la Syrie, de la Libye et, surtout du Yémen (qui doit supporter, en même temps, une agression saoudienne et une division confessionnelle intestine), toutes les analyses politiques ou presque au Liban et dans la région moyenorientale vont dans le sens du contenu de l’accord signé à Lausanne entre les Etats-Unis et l’Iran sous le nom de « l’accord-cadre » ou, encore, « l’accord nucléaire préliminaire »…

Et, au moment où le gouvernement et le peuple iraniens célèbrent ce qu' ils appellent « la victoire » réalisée par la délégation iranienne à Lausanne, deux points de vue se disputent la partie. Le premier, celui de certains responsables arabes et libanais pro iraniens, affirme que l’accord a été consenti par l’Iran afin d’éloigner le spectre de la guerre au Moyen-Orient et que ses conséquences seront très importantes sur les deux plans politique et économique, surtout parce qu' il va libérera des dizaines de milliards de dollars appartenant à l’Iran et retenus dans les banques occidentales, d’une part, en plus de l’augmentation de la part iranienne dans la production du pétrole brut et du gaz. Quant au second, celui des responsables étasuniens et européens, il précise que l’accord n’est autre que le premier pas d’un processus pouvant être long et sinueux… surtout si l’on prend en considération le fait que l’accord final n’est pas seulement lié à ce qui va se passer durant les trois prochains mois, mais aussi, mais surtout à deux points que M. Antony Blinken, vice-ministre des affaires étrangères étasuniennes, avait soulevés lors de sa visite au Liban,.. le premier étant les solutions qui seront proposées contre le danger du terrorisme dans la région ; quant au second, il concerne la situation en Israël et ce que Benjamin Netanyahu pourra entreprendre face à cet accord, soutenu en cela par les ultras Républicains.

Des questions qu' il est nécessaire de mettre en avant

Toutes ces données, en plus des positions, déclarées, de responsables radicaux iraniens qui n’ont pas tu leur mécontentement, nous poussent à poser quelques questions qui nous paraissent indispensables : De par l’accord de Lausanne, l’Iran est-il, désormais, admis dans le cercle des pays sur lesquels les Etats-Unis peuvent compter pour réorganiser la région moyen orientale ? Et, peut-on compter comme vraies les allégations selon lesquelles Obama aurait fait des concessions afin de retrouver l’Iran au milieu de la voie qui mènerait à faciliter la réalisation de certains projets étasuniens, surtout ceux ayant rapport avec l’Irak et la cause palestinienne ?

Cependant la question la plus importante demeure la suivante : Pourquoi les Etats-Unis ont-ils consenti l’entrée de l’Iran au club des pays producteurs du nucléaire ? Est-ce que cette décision fait partie de la nouvelle politique des Démocrates au pouvoir (dont la meilleure illustration fut Cuba) ou bien est-ce une tentative d’amadouer Téhéran afin qu' elle permette l’exécution de la seconde étape du projet dit « Le Moyen Orient nouveau », plus connue sous la définition des frontières des « Deux croissants » (sunnite et chiite) et essentielle instaurer l’étape finale du projet : l’effritement du Monde arabe en une multitude d’Etats, sunnites et chiites, antagonistes et la liquidation de sa cause centrale, la cause palestinienne, à travers la proclamation d’Israël « Etat des Juifs dans le monde »… Dans ce contexte, nous plaçons la guerre menée par les rois et les émirs pétroliers contre le Yémen. Une guerre qui va aboutir à l’effritement du Yémen puis de l’Arabie saoudite… sans oublier les guerres en Syrie ou en Libye et la situation précaire de l’Irak et du Liban. Le but est de placer le Monde arabe divisé sous la coupe des trois puissances régionales ayant un visage confessionnel bien clair : Israël, la Turquie et l’Iran à qui on a donné la carotte du nucléaire… Et, si par hasard l’Iran tente de se rebiffer, il sera toujours temps de réutiliser l’épée des sanctions économiques toujours suspendu au-dessus des têtes dirigeantes iraniennes.

Dans tous les cas, et compte non tenu des explications contraires avancées par les puissances nucléaires et par les Iraniens à propos de la levée (immédiate ou sur plusieurs etapes0 des sanctions, il est plus intéressant de s’arrêter sur les clauses les plus importantes contenues dans l’Accord-cadre ; et, ce, afin de mieux comprendre les directions générales qui l’ont fait aboutir.

Des points positifs de principe contre d’autres dans l’exécution?

Deux grands points positifs sont à noter :
Le premier point est que l’Iran est devenu un membre à part (presque) entière au sein du club des puissances nucléaires, même si son appartenance n’est pas complètement entérinée comme celle d’Israël ou du Pakistan. Et nous donnons ces deux exemples pour la raison (donnée par Henry Kissinger il y a de cela quelques années) selon laquelle ces deux pays constitue une partie intégrante de la politique de sécurité des Etats-Unis sur le plan international. Cependant, la reconnaissance de l’Iran, même incomplète, est une victoire non seulement pour ce pays mais aussi pour tous ceux qui défendent le droit de tous les Etats de posséder le nucléaire qui ne doit pas rester entre les seules mains des amis de Washington, surtout qu' aujourd’hui la Turquie et l’Arabie Saoudite ont fait état de leur intention de faire partie du club précité. Cette prolifération du nucléaire remet sur le terrain l’équation suivante : ou bien on adoptera une politique d’équilibre sur le plan des armes nucléaires au Moyen Orient, ou bien on œuvrera pour un Moyen Orient sans nucléaire.

Le second point positif, quant à lui, consiste dans le gel des sanctions imposées par les Etats-Unis et l’Union européenne, d’une part, et des décisions prises par les Nations Unies, d’autre part ; ces dernières « seront levées en fonction des mesures que prendrait l’Iran afin de rassurer toutes les craintes », à commencer par l’enrichissement de l’uranium et les dimensions ,militaires du programme nucléaire iranien.

Cependant, il nous faut ajouter que ces deux points ne cachent pas les tendances négatives. Nous en citons quelques unes parmi les plus flagrantes : l’acceptation de l’Iran de retarder ses programmes nucléaires pour une période allant de 10 à 15 ans, la réduction de son stock d’uranium, sans oublier la promesse de ne pas construire de nouvelle installations pour l’enrichissement de ce minerai. De plus, l’Iran a accepté la clause selon laquelle l’installation de Fordo sera convertie à des fins pacifiques en même temps que la suppression de presque deux tiers des centrifugeuses et des infrastructures de Fordo et d’autres installations nucléaires du pays…

Cette première étape sera suivie par une seconde qui verra l’enlèvement total des centrifugeuses IR-2M qui seront placées sous contrôle de « l'agence internationale de l’énergie atomique » (AIEA). Quant au cœur du réacteur à eau lourde, qui aurait pu produire du plutonium, il sera détruit ou tout au moins déplacé en dehors du territoire iranien. Le réacteur sera reconstruit pour se limiter à la recherche et à la production de radio-isotopes médicaux, sans production de plutonium à capacité militaire. Enfin, le combustible utilisé sera envoyé à l'étranger pendant toute la vie du réacteur. Téhéran s'est engagé à ne pas construire de nouveau réacteur à eau lourde pendant quinze ans.

Ces quelques exemples mènent certains à se poser la question sur l’aboutissement de l’accord dans trois mois, vu aussi les déclarations concernant la levée des sanctions et les actes de refus lancés par les « extrémistes » dans les deux camps, iranien et étasunien, ainsi que par les dirigeants israéliens. N’oublions pas, non plus, l’accord russo-iranien qui prévoit la livraison de missiles S 300.

Des interrogations nombreuses mais pas de réponses claires jusqu' à ce jour, ni de la part de Washington ni de celle de Téhéran… Ce qui nous amène à nous demander : si le pétrole et le gaz iraniens (comme ceux de tous les pays du Golfe, d’ailleurs) sont nécessaires aux Etats-Unis toujours en crise économique, quelle politique suivront-ils dans le futur proche, celle de la carotte (la levée de l’embargo contre Téhéran) ou celle du bâton (une guerre dans laquelle ils enliseront les Iraniens) ?

La guerre saoudite contre le Yémen, doublée par la guerre intestine entre chiites et sunnites, à défaut de répondre à cette interrogation, traduit une certaine tendance d’escalade et prévoit que le Golfe ne connaitra, peut-être, pas la paix et la tranquillité à court et à moyen termes.

traduction de l' article (par M. N. Debs ) paru dans la revue An- Nidaa, le 17 avril 2015

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