« Nous errons », qu'ils disaient… Qui ça,
« nous » ? A propos de l'ouvrage de Shlomo Sand : « Comment
le peuple juif fut inventé »
Gilad Atzmon
Elle pointe manifestement le doigt sur l'erreur collective
que les juifs ont tendance à faire lorsqu'ils font référence
à leur « passé collectif » et à leur «
origine commune » fantasmatiques.
Pourtant, dans le même souffle, la lecture du nationalisme que fait Deutsch
braque le projecteur sur l'hostilité qui malheureusement, va de pair
avec quasiment n'importe quel groupe juif vis-à-vis de la réalité
qui l'entoure, que cette réalité soit humaine ou qu'elle soit
géographique.
Si la brutalité des Israéliens à l'égard des Palestiniens
est d'ores et déjà connue de tout le monde, le traitement violent
que les Israéliens réservent à leur « terre promise
» et au paysage commence tout juste à apparaître dans toute
son horreur. Le désastre écologique que les Israéliens
s'apprêtent à laisser derrière eux sera une cause de souffrances
pour de nombreuses générations à venir.
Mis à part la muraille mégalomaniaque qui déchiquette la
Terre Sainte en enclaves de désolation et de famine, Israël a réussi
à polluer ses principaux cours d'eau dans lesquels il déverse
des effluents chimiques, et même des déchets radioactifs.
« Comment le peuple juif fut inventé »
["When And How the Jewish People Was Invented"] [la parution du livre
en français est annoncée pour le 3 septembre 2008, aux éditions
Fayard, collection Documents] est une étude très sérieuse
réalisée par le Professeur Shlomo Sand, un historien israélien.
Il s'agit de l'étude la plus sérieuse du nationalisme juif à
avoir été publiée jusqu'ici, et du commentaire le plus
courageux – et de très loin – du narratif historique juif.
Dans son livre, Sand démontre au-delà de tout doute possible que
le peuple juif n'a jamais existé en tant que « peuple-race »,
et que les juifs n'ont jamais eu en partage une origine commune. Non, il s'agit
d'un mélange haut en couleurs de différents groupes humains qui,
à différentes époques de l'histoire, ont adopté
la religion juive.
Au cas où vous adopteriez la manière de penser de Sand et où
vous vous poseriez à vous-même la question : « quand le peuple
juif a-t-il été inventé ? », la réponse que
Sand apporte à cette question est extrêmement simple : «
A un certain moment, au XIXème siècle, des intellectuels d'origine
juive vivant en Allemagne, sous l'influence du caractère völkish
[populiste] du nationalisme allemand, se sont donné la mission d'inventer
« rétrospectivement » un peuple, dans leur désir de
créer un peuple juif moderne. » [2]
Par conséquent, le « peuple juif » est une notion «
artificielle » consistant en un passé fictionnel et imaginaire,
avec très peu de preuves à conviction, tant historiques que textuelles.
Bien plus, Sand – qui s'est fondé sur des sources remontant à
l'Antiquité – en vient à la conclusion que l'exil juif est,
lui aussi, un mythe, et que les Palestiniens d'aujourd'hui ont beaucoup plus
de chances d'être les descendants du peuple sémitique ancien de
la Judée/Canaan que la bande d'Ashkénazes d'origine khazare, à
laquelle il reconnaît appartenir lui-même.
Très étonnamment, en dépit du fait que
Sand démantibule la notion de « peuple juif », pulvérise
la notion de « passé collectif juif » et ridiculise l'élan
national chauvin juif, son livre est un best-seller, en Israël… Ce
fait, à lui seul, pourrait suggérer que ceux qui s'auto-qualifient
de « peuple du livre » commence aujourd'hui à découvrir
les philosophies trompeuses et dévastatrices, ainsi que les idéologies
qui ont fait d'eux ce que Khalid Amayreh et bien d'autres considèrent
comme les « nazis de notre époque ».
En fin de compte, le vainqueur, c'est Hitler
Bien souvent, si vous demandez à un juif « laïc
» et « cosmopolite » ce qui, au juste, fait de lui un juif,
vous recevez, en retour, cette réponse, superficielle et usée
jusqu'à la corde : « C'est Hitler, qui a fait de moi un juif…
». Bien que le juif « cosmopolite », en tant qu'internationaliste,
ait tendance à passer par pertes et profit les inclinations nationales
des autres peuples, il ne démord pas de son propre droit à l'
« autodétermination ». Toutefois, ce n'est pas lui-même,
qui se trouve au centre de cette exigence exclusive d'orientation nationale…
Non : c'est, de fait, le pernicieux, le monstrueux antisémite nommé
Adolf Hitler. Apparemment, notre juif cosmopolite peut célébrer
sa légitimité nationaliste, mais il faut, pour cela, qu'il y ait
un Hitler à blâmer dans les parages…
Concernant le juif laïc cosmopolite, c'est donc Hitler
qui a gagné, en fin de compte. Sand réussit magnifiquement à
souligner ce paradoxe. Il suggère l'idée pénétrante
que « si, au XIXème siècle, qualifier les juifs «
d'identité raciale aliène » aurait immédiatement
classé quelqu'un dans la catégorie des antisémites, dans
l'Etat juif, c'est cette philosophie elle-même qui est profondément
intégrée, mentalement et intellectuellement » [3]. En Israël,
les juifs célèbrent leur différenciation et leur condition
sans pareil.
De plus, explique Sand, « Il y a eu des époques, en Europe, où
l'on pouvait se faire taxéèr d'antisémitisme pour avoir affirmé
que tous les juifs appartiennent à une nation de type allogène.
Aujourd'hui, affirmer que les juifs n'ont jamais été, et ne sont
toujours pas un peuple ou une nation vous ferait aisément cataloguer
dans la catégorie des haïsseurs des juifs ». [4]
De fait, il est absolument extraordinaire que les seuls à avoir réussi
à maintenir et à entretenir une identité nationale racialement
orientée, expansionniste et génocidaire, qui ne diffère
en rien de l'idéologie ethnique nazie, soient précisément…
les juifs, qui furent, parmi (bien d')autres, les victimes ciblées en
priorité par l'idéologie nazie et par le nazisme en actes.
Du nationalisme, en général. Et du nationalisme
juif, en particulier
Louis-Ferdinand Céline a observé qu'au Moyen
Age, durant les rémissions entre deux guerres de grande ampleur, les
chevaliers se faisaient payer très cher le fait qu'ils étaient
prêts à mourir au nom de leurs royaumes respectifs, tandis qu'au
XXème siècle, des petits jeunes s'étaient empressés
d'aller se faire zigouiller en masse, pour la beauté du geste, sans rien
demander en retour…
Pour comprendre ce glissement dans la conscience de masse, nous avons besoin
d'un modèle méthodologique éloquent qui nous permette de
comprendre ce qu'est, au juste, le nationalisme.
A l'instar de Karl Deutsch, Sand voit dans la nationalité un narratif
phantasmatique. Il est établi que les études anthropologiques
et historiques des origines de divers soi-disant « peuples » et
« nations » a conduit à l'effondrement pitoyable de toute
notion d'ethnicité et d'identité ethnique. Partant, il est très
intéressant de découvrir que les juifs ont tendance à prendre
leur propre mythe ethnique très au sérieux. L'explication est
sans doute simple, comme Benjamin Beit Halachmi l'a repéré, voici
fort longtemps.
Le sionisme n'avait d'autre fonction que de transformer la Bible, de texte spirituel
qu'elle était, en « registre du cadastre ». A ce sujet, précisons
que la véridicité de la Bible, ou de tout autre élément
du narratif historique juif, n'importe qu'extrêmement peu, dès
lors que cela n'interfère pas avec la cause ou la pratique politique
nationale juive.
Il serait aussi loisible de conjecturer que l'absence de toute origine ethnique
bien définie n'est pas de nature à empêcher un peuple donné
de ressentir une appartenance ethnique ou nationale. Le fait que les juifs sont
très loin d'être ce que l'on peut qualifier de Peuple, et que la
Bible contient une quantité infime de vérité historique,
cela n'empêche pas réellement des générations d'Israéliens
et de juifs de s'identifier, par exemple, avec le Roi David, ou avec le massacreur
Samson…
A l'évidence, l'absence d'origine ethnique non-ambiguë
n'empêche pas les gens de se voir comme faisant partie d'un même
peuple. De même, cela n'empêchera pas le juif nationaliste d'avoir
le sentiment qu'il appartient à on ne sait trop quelle collectivité
abstraite supérieure. Dans les années 1970, Shlomo Artzi, un jeune
chanteur israélien, à l'époque, qui allait devenir la plus
grand rock star israélienne de tous les temps, lança une chanson
qui se retrouva au zénith du hit-parade en quelques heures.
En voici le début :
Soudain,
Un homme se réveille,
Un beau matin :
Il a l'impression d'être un peuple
Alors, il se met à marcher
Et, à tous ceux qui croisent son chemin,
Il dit : « Shalom ! » !
Jusqu'à un certain point, Artzi exprime, innocemment,
dans ses paroles, la soudaineté et la quasi-contingence impliquées
dans la transformation des juifs en un peuple. Toutefois, presque dans le même
souffle, Artzi contribue au mythe national illusoire de la nation aspirant à
la paix. Artzi aurait dû savoir, à son âge et vu l'époque,
que le nationalisme juif était une idéologie colonialiste agissant
aux dépens du peuple indigène palestinien.
Apparemment, le nationalisme, l'appartenance nationale, et en particulier le
nationalisme juif génèrent une mission intellectuelle primordiale.
De manière très intéressante, les premiers à s'être
colletés théoriquement et méthodiquement à des questions
ayant trait au nationalisme furent des idéologues marxistes. Bien que
Marx lui-même n'ait pas su traiter de cette question de manière
convaincante, l'irruption des exigences nationalistes, au début du XXème
siècle, en Europe orientale et en Europe centrale, prit Lénine
et Staline totalement au dépourvu.
La contribution des « Marxistes » à l'étude du nationalisme
peut être considérée comme le point central de la profonde
corrélation entre l'émergence de l'économie libre et l'essor
de l'Etat national » [5]. En réalité, Staline veillait :
il allait reprendre la tache des Marxistes, sur cette question. « La nation
», affirme Staline, « c'est une solide collaboration entre des êtres,
créés et formés par l'Histoire, selon quatre phénomènes
fondamentaux : le partage d'une langue commune, le partage d'un territoire,
le partage d'une économie et le partage d'une intercompréhension
psychique… » [6].
Conformément à l'attente, une vision historique globale adéquate
fait défaut à la tentative déployée par les matérialistes
marxistes pour comprendre le nationalisme. En lieu et place, ils ont tendance
à prendre pour point de départ une lutte entre classes. Pour des
raisons évidentes, une telle vision des choses étaient populaire
chez ceux qui croient au « socialisme dans une nation unique »,
parmi lesquels nous pouvons repérer les partisans d'une branche de gauche
du sionisme. Pour Sant, le nationalisme s'est développé en raison
de « la déchirure créée par la modernité,
qui coupa les peuples de leur passé le plus immédiat. »
[7]
La mobilité générée par l'urbanisation
et l'industrialisation ont écrasé le système hiérarchique
traditionnel, ainsi que le continuum entre le passé, le présent
et le futur. Sans met le doigt sur le fait qu'avant l'industrialisation, le
paysan féodal ne ressentait pas nécessairement le besoin d'un
narratif historique à base d'empires et de royaumes. Le sujet féodal
n'avait nul besoin d'un narratif historique abstrait et extensif à propos
de larges collectifs qui n'avaient qu'un rapport extrêmement lointain
avec ses besoins existentiels concrets et immédiats.
« En l'absence de toute perception d'un progrès social, ils se
contentaient d'un récit religieux imaginaire, qui renfermait une mosaïque
de mémoire à laquelle manquait toute dimension réelle du
passage du temps. La « fin » était le commencement, et l'éternité
assurait une transition entre la vie et la mort » [8].
Dans notre monde séculier et urbanisé, le «
temps » est devenu le principal vecteur de vie à illustrer une
signification symbolique imaginaire. Le temps historique collectif est devenu
l'ingrédient élémentaire de la vie personnelle et intime.
Le narratif collectif forme la signification personnelle et ce qui semble être
le « réel ». Bien que certains esprits un peu simplets maintiennent
que le « personnel est politique », il serait bien plus intelligible
de dire que, dans la pratique, c'est en réalité le contraire.
Dans les conditions postmodernes, le politique est personnel et le sujet est
parlé, bien plus que lui-même parlant. L'authenticité, mentionnons-le
au passage, est un mythe qui se duplique lui-même, sous la forme d'un
identifiant symbolique.
La lecture que fait Sand du nationalisme en tant que produit
de l'industrialisation, de l'urbanisation et du sécularisme, est particulièrement
pertinente si l'on a présente à l'esprit la suggestion faite par
Uri Slezkin, selon laquelle les juif sont les « apôtres de la modernité
», du sécularisme et de l'urbanisation. Dès lors que les
juifs se sont retrouvés dans la cabine de pilotage de l'urbanisation
et de la sécularisation, il n'y a rien d'étonnant, dès
lors, à ce que les sionistes aient été particulièrement
inventifs, au moins autant que d'autres, dans l'invention de leur propre récit
collectif phantasmatique.
Toutefois, tout en insistant sur leur droit à être « un peuple
comme les autres », les sionistes ont trouvé le moyen de transformer
leur passé collectif imaginaire en un agenda politique global, expansionniste
et impitoyable, ainsi qu'en la plus grande menace pesant sur la paix mondiale.
Arrêtez de chercher : l'histoire juive
n'existe pas ! Il est un fait absolument irréfutable : pas le moindre
texte historique juif n'a été écrit, entre le Ier siècle
et le début du XIXème.
Le fait que le judaïsme soit basé sur un mythe historico-religieux
y est sans doute pour quelque chose. Un examen adéquat du passé
juif, voilà qui n'a jamais été la préoccupation
première de la tradition rabbinique. Une des raisons en est, probablement,
l'absence de besoin d'un tel effort méthodologique. Pour les juifs de
l'Antiquité et du Moyen Age, la Bible suffisait amplement à répondre
aux questions du moment, relatives à la vie au jour-le-jour, à
la raison d'être et au destin des juifs. Comme le dit Shlomo Sand : «
toute notion de chronologie séculière était rigoureusement
étrangère au « temps diasporique », un temps particulier,
auquel l'anticipation de la venue du Messie donnait sa forme. »
Toutefois, à la lumière de la sécularisation, de l'urbanisation
et de l'émancipation allemande, et en raison de l'autorité déclinante
des dirigeants rabbiniques, un besoin émergent d'une cause alternative
se fit jour chez les intellectuels juifs qui commençaient à s'éveiller.
Le juif émancipé se demandait qui il était, et d'où
il venait ? Il se mit, par ailleurs, à spéculer sur le rôle
qui pouvait bien être le sien dans une société européenne
en train de s'ouvrir, très rapidement.
En 1820, l'historien juif allemand Isaak Markus Jost (1793-1860) publia la première
étude historique sérieuse consacrée aux juifs, intitulée
« L'Histoire des Israélites ».
Eludant les temps bibliques, Jost préféra faire débuter
sa fresque historique avec le Royaume de Judée ; il compila, par ailleurs,
le récit historique de différentes communautés juives,
dans le monde entier. Jost prit conscience du fait que les juifs de son époque
ne provenaient pas d'un continuum ethnique. Il comprit que les Israélites
différaient énormément, d'un lieu à un autre. Partant,
il pensa qu'il n'y avait rien, dans le monde, qui fût en mesure d'empêcher
les juifs de s'assimiler totalement.
Il pensait qu'au sein de l'esprit des Lumières, tant les Allemands que
les juifs tourneraient le dos à l'institution religieuse oppressante
et qu'ils formeraient une nation saine, fondée sur un sentiment d'appartenance
déterminé par la géographie. Bien que Josse eût été
conscient des évolutions du nationalisme européen, ses adeptes
juifs n'adhéraient pas du tout à sa façon libérale
et optimiste d'envisager l'avenir juif. »
A partir de l'historien Heinrch Graetz, les historiens juifs
commencèrent à dépeindre l'histoire du judaïsme sous
les traits de l'histoire d'une nation qui avait été un 'royaume',
qui avait été expulsée en 'exil', qui était ainsi
devenue un peuple errant et qui, enfin, aurait fait le trajet inverse et serait
rentrée dans sa patrie ancestrale. » [9] Le passage idéologique
de l'orientation raciste pseudo-scientifique de Hess à l'historicisme
sioniste saute aux yeux. Si les juifs sont bien, effectivement, une entité
raciale aliène (comme Hess, Jabotinsky et d'autres auteurs l'affirment),
alors ils ont intérêt à rechercher leur foyer national naturel,
et ce foyer naturel n'est pas autre chose qu'Eretz Yizrael.
Manifestement, l'assomption hessienne au sujet d'un continuum raciale n'avait
pas été approuvée scientifiquement. Afin de perpétuer
le narratif phantasmatique émergent, un mécanisme orchestré
de déni avait dû être mis sur pied, à seule fin de
s'assurer que certains faits gênants n'interférassent point avec
la création nationale émergente.
Sand avance l'idée que le mécanisme du déni
fut manifestement orchestré, et très bien pensé. La décision,
prise par l'Université Hébraïque dans les années 1930,
de séparer l'Histoire juive et l'Histoire générale dans
deux facultés distinctes ne fut pas une simple question de praticité.
Le logos sous-jacent à cette séparation offre une échappée
sur l'autoréalisation juive. Aux yeux des universitaires juifs, la condition
juive et la psyché juive étaient uniques, et devaient donc, nécessairement,
être étudiées séparément.
Apparemment, même au sein du monde académique
juif, un statut suprême est réservé aux juifs, à
leur histoire et à la perception qu'ils ont d'eux-mêmes. Comme
le révèle Sand de manière pénétrante, au
sein des facultés des Etudes juives, le chercheur est tiraillé
entre le mythologique et le scientifique, tandis que le mythe maintient sa primauté.
Pourtant, cela aboutit souvent à un dilemme paralysant, provoqué
par ces « petits détails dans lequel se cache le diable ».
Le Nouvel Israélite, la Bible et l'archéologie
En Palestine, les nouveaux juifs et, plus tard, les Israéliens,
étaient déterminés à recruter l'Ancien Testament
et à en faire le code général du juif nouveau. La «
nationalisation » de la Bible devait servir à inculquer aux jeunes
juifs l'idée qu'ils étaient les successeurs directs de leurs grandioses
ancêtres. Gardant à l'esprit le fait que la nationalisation fut
un mouvement séculier, dans une très large mesure, la Bible fut
débarrassée de ses significations spirituelle et religieuse.
En lieu et place, on en vint à la considérer comme un texte historique
décrivant un enchaînement d'événements réels,
dans le passé. Les juifs qui avaient désormais réussi à
tuer leur Dieu, apprirent à croire en eux-mêmes. Massada, Samson
et Bar Kokhba devinrent des narratifs-maîtres suicidaires. A la lumière
de leurs ancêtres héroïques, les juifs apprirent à
s'aimer eux-mêmes au moins autant qu'ils haïssaient autrui, à
ce détail près que, désormais, ils possédaient les
moyens militaires leur permettant d'infliger une douleur tout-à-fait
incidiblement réelle à leurs voisins.
Plus préoccupant était le fait qu'au lieu d'une
entité supranaturelle – à savoir Dieu – qui leur commandait
d'envahir le territoire et d'y perpétrer un génocide, puis de
voler leur « terre promise » à ses habitants indigènes,
dans leur projet de revivification nationale, c'était eux, personnellement,
eux, Herzl, Jabotinsky, Weizman, Ben Gurion, Sharon, Peres ou Barak, qui décidaient
de qui expulser, détruire et tuer.
En lieu et place de Dieu, c'était dès lors les juifs qui assassinaient,
au nom du peuple juif. Ils le faisaient en arborant des symboles juifs sur leurs
avions de chasse et sur leurs tanks. Ils obéissaient à des ordres
qui étaient donnés dans la langue de leurs ancêtres, qui
avait repris du service, après avoir été récemment
remise au goût du jour.
De manière très suprenante, Sand, qui est, à
n'en pas douter, un chercheur remarquable, omet de mentionner que le piratage
de la Bible fut, en réalité, une réplique juive désespérée
au romantisme allemand précoce.
Toutefois, autant les philosophes, les poètes, les architectes et les
artistes allemands étaient idéologiquement et esthétiquement
frapadingues de Grèce présocratique, ils savaient parfaitement
bien qu'ils n'étaient pas précisément les fils et les filles
de l'hellénisme.
Le juif nationaliste alla donc plus loin, il s'attacha lui-même à
une chaîne phantasmatique du sang avec ses ancêtres mythiques, et
il ne tarda pas à en restaurer, y compris, la langue morte. Au lieu de
langue liturgique, de langue sacrée, l'hébreu était devenu
une langue parlée. Jamais les premiers romantiques allemands n'étaient
allés aussi loin.
Les intellectuels allemands du XIXème siècle
étaient parfaitement conscients de la distinction à opérer
entre Athènes et Jérusalem. Pour eux, Athènes représentait
l'universel, c'était un chapitre épique dans l'histoire de l'humanité
et de l'humanisme. Jérusalem, au contraire, était le grand chapitre
de la barbarie tribale. Jérusalem incarnait le Dieu banal, non-universel,
monothéiste et impitoyable, ce Dieu qui tue le vieillard et l'enfant.
L'ère du préromantisme allemand nous a donné Hegel, Nietzcsche,
Fichte et Heidegger, et quelques juifs haineux d'eux-mêmes, dont le principal
fut Otto Weininger. Son équivalent jérusalémite ne nous
a pas légué ne serait-ce qu'un seul penseur majeur. Certains universitaires
juifs allemands de seconde catégorie, parmi lesquels on trouve Herman
Cohen, Franz Rosenzveig et Ernst Bloch, tentèrent de prêcher Jérusalem
dans l'exèdre germanique. Manifestement, ils n'avaient pas remarqué
que ce que les pré-romantiques allemands méprisaient tout particulièrement,
c'était les traces de Jérusalem, dans le christianisme.
Dans leurs efforts pour ressusciter « Jérusalem
», l'archéologie fut mise de la partie, afin de fournir à
l'epos sioniste les fondements « scientifiques » qui lui faisaient
cruellement défaut. L'archéologie ainsi asservie avait pour mission
de relier les temps bibliques à l'époque de la renaissance juive.
Le moment probablement le plus étonnant de cette tentative bizarre fut
l'enterrement militaire solennel (en 1982) des ossements de Shimon Bar Kokhba,
un juif rebelle mort depuis deux millénaires…
Tandis qu'officiait le rabbin en chef de l'armée israélienne,
les hommages funéraires télévisés furent accordés
à des ossements erratiques retrouvés dans une grotte, non loin
de la Mer Morte. Ainsi, des restes plus que douteux d'un rebelle juif du Ier
siècle furent traités comme s'il se fût agi d'une victime
des Forces Israéliennes de Défense.
Manifestement, l'archéologie était investie d'un rôle national
: elle avait été recrutée afin de cimenter le présent
au passé, tout en maintenant soigneusement la Galut (les juifs diasporiques)
hors-champ.
Chose extrêmement surprenante, il ne fallut pas très
longtemps avant que les choses se retournent totalement. La recherche archéologique
devenant de plus en plus indépendante du dogme sioniste, la vérité
embarrassante finit par suinter. Il serait impossible de fonder la véridicité
du récit biblique sur des faits scientifiques démontrés.
A tout le moins, l'archéologie réfute l'historicité de
l'intrigue biblique. Les fouilles ont prouvé cette réalité
dérangeante : la Bible n'est rien d'autre qu'une anthologie de fictions
littéraires, fussent-elles particulièrement imaginatives.
Comme le fait observer Sand, l'histoire biblique primitive
est totalement imbibée de Philistins, d'Araméens et de chameaux.
Chose particulièrement dérangeante, les fouilles archéologiques
nous éclairant sur ce point, les Philistins ne sont pas apparus, dans
la région, avant le XIIème siècle avant JC, les Araméens
apparaissent un siècle plus tard, et les chameaux n'y ont pas montré
leur minois joviaux avant le VIIIème siècle. Ces faits scientifiques
mettent les chercheurs sionistes dans un état de confusion particulièrement
sévère.
Toutefois, pour des chercheurs non-juifs, tel Thomas Thompson, il était
tout-à-fait évident que le texte biblique était «
un recueil tardif d'une littérature imaginative écrite par un
théologien particulièrement doué. » [10]
La Bible semble bien être un texte idéologique, qui avait pour
fonction de servir une cause sociale et politique. Chose très gênante,
on n'a pas trouvé grand-chose, au Sinaï, qui prouvât l'histoire
du légendaire Exode d'Egypte : apparemment, trois millions d'hommes,
de femmes et d'enfants hébreux auraient déambulé dans le
désert, durant quarante années, sans laisser le moindre objet
derrirèe eux.
Pas la moindre boule de matzo abandonnée dans un coin
? Hmm : pas très juif, ça…
L'histoire biblique de la réinstallation [des juifs,
de retour d'exil, ndt] et du génocide des Cananéens, qui les Israélites
contemporains imitent avec le succès indéniable que l'on sait,
n'est qu'un mythe de plus. Quant à Jéricho, cette ville fortifiée
formidable, qui aurait été applatie au sol par des trompettes
et quelque intervention supranaturelle du Tout-Puissant, ça n'avait été
qu'un minuscule village paisible, durant tout le XIIIème siècle
avant JC…
Autant Israël considère être la résurrection du monumental
Royaume de David et de Salomon, autant des fouilles, exécutées
dans la Vieille Ville de Jérusalem, dans les années 1970, ont
révélé que le Royaume de David n'était rien de plus
qu'un minuscule campement tribal. L'attribution mordicus de certains vestiges
au Roi Salomon par Yigal Yadin a été réfutée, plus
tard, par des tests au carbone 14.
Le fait dérangeant a été démontré scientifiquement
: la Bible est une fiction, et il n'y a pratiquement rien qui fût de nature
à attester une quelconque existence glorieuse d'un quelconque peuple
hébreu, en Palestine, à quelque époque historique que ce
soit.
Alors, QUI a inventé les juifs ?
Très rapidement, dans son ouvrage, Sand soulève
les questions cruciales, qui sont, à n'en pas douter, les questions les
plus pertinentes. Qui sont les juifs ? D'où venaient-ils ? Comment se
fait-il qu'à différentes périodes historiques, ils apparaissent
dans des lieux très différents et très éloignés
les uns des autres
Bien que la plupart des juifs d'aujourd'hui sont absolument convaincus que leurs
ancêtres étaient les Israélites de la Bible, qui auraient
été brutalement exilés par les Romains, il faut cesser
de plaisanter, et dire la vérité. Les juifs actuels n'ont strictement
rien à voir avec le Israélites de l'Antiquité, qui n'ont
jamais été envoyés en exil, parce qu'une telle expulsion
n'a jamais eu lieu. L'exil des juifs par les Romains n'est qu'un mythe. Juif.
Un de plus…
« J'ai commencé à examiner les recherches
historiques consacrées à l'Exil », explique Sand dans une
interview accordée au quotidien israélien Haaretz [11], «
mais, à mon grand étonnement, j'ai découvert qu'une telle
littérature scientifique n'existait pas. La raison en est toute simple
: pesronne n'a jamais exilé qui que ce fût, de ce pays. Les Romains
n'ont exilé aucun des peuples qu'ils avaient conquis, et ils n'auraient
pas pu le faire, quand bien même l'eussent-ils voulu. Ils n'avaient pas
de trains, ni de camions, qui leur permissent de déporter des populations
entières. Ce genre de logistique était inexistante, jusqu'au XXème
siècle. C'est même, en fait, de là que découle tout
le récit biblique : de la prise de conscience que la société
juive n'avait pas été dispersée, ni exilée. »
De fait, à la lumière de la vision simple des
choses qu'a Sand, l'idée d'un exil juif est cocasse. L'idée qu'une
Marine Impériale Romaine aurait bossé 24/24 et sept jours sur
sept afin de 'schlepper' [expédier, en argot ashkenaze, ndt] Moishe'le
et Yanka'le à Cordoue et à Tolède peut certes aider les
juifs à se sentir importants, tout autant que 'schleppables', mais le
bon sens suggérerait plutôt que l'armada romaine avait bien d'autres
chats à fouetter… Toutefois, bien plus intéressant encore,
il y a le résultat logique : si le peuple d'Israël n'a pas été
expulsé, alors, les véritables descendants des habitants du Royaume
de Juda ne peuvent être que… les Palestiniens !
« Aucune population ne peut demeurer pure et sans mélange
durant plusieurs millénaires », affirme Sand [12]. « Mais
la probabilité que les Palestiniens soient les descendants du peuple
judaïque antique est bien plus élevée que celle que vous-même,
ou moi, nous en descendions. Les premiers sionistes, jusqu'à la grande
Révolte arabe [1936-1939] savaient qu'il n'y avait eu nul exil [des juifs]
et que les Palestiniens descendaient des habitants de cette terre. Ils le savaient
fort bien, que des paysans n'abandonnent jamais leur terre, à moins qu'ils
n'en soient chassés par la force. Même Yitzhak Ben-Zvi, le deuxième
président de l'Etat d'Israël, a écrit, en 1929, que «
l'immense majorité des paysans ne descendent nullement des conquérants
arabes, mais bien plutôt, avant leur arrivée, de paysans juifs,
qui étaient très nombreux, puisqu'ils représentaient la
majorité de ceux qui avaient défriché et construit ce pays.
»
Dans son ouvrage, Sand va plus loin : il suggère que
jusqu'à la Première Insurrection Arabe (de 1929), les dirigeants
sionistes soi-disant « de gauche » avaient tendance à croire
que les paysans palestiniens, effectivement « juifs, de par leurs origines
», s'assimileraient dans la culture hébraïque émergente
et rejoindraient, finalement, le mouvement sioniste. Ber Borochov pensait qu'un
« fellâh (un paysan) palestinien (il disait « falakh »,
avec son accent hébreu), qui s'habille comme un juif, et se comporte
comme un juif de la classe ouvrière, ne pourra être distingué
en rien d'un juif. »
C'est cette idée-même qui réapparut dans
un écrit de Ben Gourion et de Ben-Zvi, en 1918. Ces deux dirigeants sionistes
avaient conscience du fait que la culture palestinienne était imprégnée
de vestiges bibliques, tant linguistiquement que géographiquement (noms
de villages, de villes, de rivières, de montagnes…) L'un comme
l'autre, Ben Gurion et Ben-Zvi voyait, tout du moins au début de leur
carrière, dans les indigènes palestiniens des parents ethniques,
très attachés à la terre, et potentiellement des frères.
Ils voyaient, de même, dans l'Islam, une « religion démocratique
» et amicale. Manifestement, après 1936, l'un comme l'autre mit
une sourdine à son enthousiasme « muticulturel ». Dans le
cas de Ben Gurion, l'épuration ethnique des Palestiniens fut manifestement
bien plus sexy.
On est fondé à s'interroger : si ce sont les
Palestiniens, qui sont les juifs authentiques, alors, qui sont ces gens qui
insistent à revendiquer cette identité ?
La réponse de Sand est très simple, et pourtant,
elle est particulièrement convaincante. « Ce n'est pas je ne sais
trop quel « peuple juif », qui s'est répandu : c'est la religion
juive. Le judaïsme pratiquait le prosélytisme. Contrairement à
ce que beaucoup de gens croient, dans le judaïsme primitif, il y avait
une véritable frénésie de conversion de non-juifs ».
[13]
Manifestement, les religions monothéistes étant
moins tolérantes que les religions polythéistes, ont, en elles,
un élan expansif. L'expansionnisme juif, à ses débuts,
n'était pas similaire à l'expansionnisme chrétien, mais
c'est bel et bien lui, l'expansionnisme judaïque, qui a semé les
graines qui allaient germer dans la pensée et dans les pratiques chrétiennes
primitives.
Les Hasmonéens, explique Sand [14], « furent les
premiers à produire de grands nombres de juifs, à travers une
conversion en masse, sous l'influence de l'hellénisme. C'est cette tradition
de conversion au judaïsme qui prépara le terrain à la dissémination
ultérieure, très large, du christianisme.
après la victoire du christianisme, au IVème siècle, la
dynamique des conversions au judaïsme cessa presque totalement, dans le
monde chrétien, et on assista à une chute vertigineuse du nombre
des juifs. On présume que beaucoup des juifs qui avaient fait leur apparition
tout autour de la Méditerranée devinrent chrétiens.
Mais c'est alors que le judaïsme commença à pénétrer
dans d'autres régions – des régions païennes, par exemple,
comme le Yémen et l'Afrique du Nord. Si le judaïsme n'avait pas
continué à progresser, à ce stade, et s'il n'avait pas
continué à convertir des gens, dans le monde païen, nous
serions restés une religion totalement marginale, et encore : peut-être
n'aurions-nous même pas survécu… »
Les juifs d'Espagne, dont nous pensions qu'ils étaient
génétiquement reliés aux premiers Israélites, semblent
être des Berbères convertis au judaïsme. « Je me suis
demandé », explique Sand, « comment des communautés
juives aussi importantes avaient bien pu apparaître en Espagne.
Et puis j'ai vu que Tariq ibn Ziyad, le commandant-en-chef des Musulmans qui
avaient conquis l'Espagne, était un Berbère, ainsi que la plupart
de ses soldats. Le Royaume berbère de la reine (juive) Dahia al-Kahina
(en Afrique du Nord, ndt) avait été vaincu quinze années
auparavant. Et la vérité, c'est qu'un grand nombre de sources
chrétiennes disent que beaucoup des soldats « arabes » qui
conquérirent l'Espagne étaient des juifs [berbères] convertis.
La source profondément enracinée de la nombreuse communauté
juive d'Espagne, c'était ces soldats berbères, convertis au judaïsme.
»
Conformément à l'attente, Sand approuve l'hypothèse
largement reconnue selon laquelle les Khazars judaïsés ont constitué
la principale origine des communautés juives d'Europe orientale, qu'il
appelle la nation yiddish. A la question de savoir comment il se fait qu'ils
parlent le yiddish, qui est très largement considéré par
les spécialistes comme un dialecte allemand médiéval, il
répond : « les juifs constituaient une classe de gens qui dépendaient
de la bourgeoisie allemande, dans l'Est de l'Europe, et c'est pourquoi ils ont
adopté des mots allemands. »
Dans son ouvrage, Sand donne un récit détaillé
de la saga khazare, chapitre fondamental de l'histoire juive. Il explique ce
qui a amené le royaume khazare à se convertir au judaïsme.
En gardant à l'esprit le fait que le nationalisme juif est, très
majoritairement, dirigé par une élite khazare, il serait sans
doute utile d'étendre notre familiarité avec ce groupe politique
tout-à-fait unique en son genre, et néanmoins extrêmement
influent.
La traduction de l'ouvrage de Sand en langues étrangères
est une nécessité absolue et urgente.
L'édition française est annoncée, [elle
a paru, le 3 septembre 2008, ndt], comme l'indique l'article d'Eric Rouleau,
publié dans le Monde diplomatique daté du mois de mai 2008, intitulé
« A-t-on inventé le peuple juif ? », que l'on trouvera, à
ce lien : http://www.monde-diplomatique.fr/2008/05/ROULEAU/15885
Et après ?
Le professeur nous livre la conclusion, inéluctable
: les juifs contemmporains n'ont aucune origine commune, et leur origine sémitique
est un mythe. Les juifs n'ont aucune origine que ce soit en Palestine, et par
conséquent leur soi-disant « retour » sur leur soi-disant
« terre promise » ne peut s'effectuer autrement que sous la forme
d'une invasion perpétrée par un clan idéologico-tribal.
Toutefois, bien que ne constituant aucun continuum racial,
les juifs, pour une raison ou pour une autre, se trouvent avoir une détermination
raciale. Comme nous pouvons le remarquer, beaucoup de juifs continuent à
voir dans les mariages mixtes le summum de la trahison. De plus, en dépit
de la modernisation et de la sécularisation, une vaste majorité
de ceux qui s'identifient en tant que juifs laïcs n'en continuent pas moins
de succomber à un rituel sanglant (la circoncision), une procédure
religieuse unique en son genre, qui implique rien de moins qu'une succion de
sang par un Mohel [il s'agit du circonciseur, chez les juifs, le rite pratiqué
sur des bébés mâles (auxquels on donne à cette occasion
leur nom de baptême) âgés de huit jours (sauf raison de santé)
étant nommé Brit-milah, ndt].
Pour Sand, Israël devrait devenir « un Etat de tous
ses citoyens ». Comme Sand, je crois, pour ma part, en cette même
vision utopique futuriste.
Toutefois, à la différence de Sand, je pige dûment que,
pour cela, l'Etat juif et les lobbies qui le soutiennent doivent être
vaincus idéologiquement. La fraternité et la réconciliation
sont des notions totalement étrangères à la vision du monde
tribale juive, et elles n'ont aucune place à l'intérieur du concept
de renaissance nationale juive. Aussi dramatique que cela puisse paraître,
il faut qu'un processus de déjudaïsation intervienne, avant que
les Israéliens puissent adopter une quelconque notion moderne universelle
de vie civile.
Sand est indubitablement un intellectuel de très haute
tenue, il est probablement le penseur israélien de gauche le plus avancé.
Il représente la plus haute forme de pensée qu'un Israélien
laïc puisse atteindre avant de se tailler, voire même avant de passer
du côté palestinien (cela est déjà arrivé
à une petite poignée d'entre eux, dont moi-même).
L'intervieweur du Haaretz, Ofri Ilani, a dit, parlant de Sand, qu'à la
différence d'autres « nouveaux historiens », qui ont tenté
de saper les assomptions de l'historiographie sioniste, « Sand ne se contente
pas de revenir dans le passé, en 1948, ou aux débuts du sionisme,
mais il va beaucoup plus loin : il remonte de plusieurs millénaires.
»
C'est effectivement le cas, contrairement à ces « nouveaux historiens
» qui « révèlent » la vérité que
tout enfant de palestinien de quatre ans connaît, c'est-à-dire
la vérité d'avoir été victime d'une épuration
ethnique, Sand édifie un corpus de travail et de pensée qui vise
à la compréhension de la signification du nationalisme juif et
de l'identité juive.
Telle est, en vérité, l'essence de la recherche
universitaire. Au lieu de se contenter de collecter des fragments historiques
sporadiques, Sand recherche la signification de l'histoire. Plus qu'un «
nouvel historien » à la recherche de quelque nouveau fragment,
c'est un authentique historien, motivé qu'il est par une mission humaniste.
Plus crucialement, contrairement à ces historiens juifs qui se targuent
de contribuer au soi-disant discours de gauche, la crédibilité
et le succès de Sand sont fondés sur son argumentation, et non
pas sur son arrière-plan familial. Il évite de persiller son propos
avec ses parents rescapés de l'Holocauste.
En lisant l'argumentation féroce de Sand, on doit admettre que le sionisme,
parmi tous ses péchés, a réussi à produire, en son
propre sein, un discours dissident, fier et autonome, qui est bien plus éloquent
et brutal que le mouvement antisioniste, pris dans sa globalité, dans
le monde entier.
Si Sand a raison, et je suis personnellement convaincu par
la force de son argumentation, alors les juifs ne sont pas une race, mais bien
plutôt un collectif d'un très grand nombre de gens qui sont pris
en otages par un mouvement nationaliste phantasmatique prolongé.
Si les juifs ne sont pas une race, ne constituent nul continuum racial et n'ont
rien à voir avec le sémitisme, alors l' « antisémitisme
» est, catégoriquement, un signifiant vide. Il réfère,
manifestement, à un signifié inexistant.
Autrement dit, notre critique du nationalisme juif, du lobbying juif et du pouvoir
juif ne peut être qu'une critique légitime d'une idéologie
et d'une pratique.
Une fois encore, je ne me lasserai jamais de le répéter,
nous ne sommes pas, et nous n'avons jamais été, contre les juifs
(les personnes), ni contre le judaïsme (la religion). Pourtant, nous sommes
contre une philosophie collective animée par des intérêts
mondiaux parfaitement clairs.
Certains voudraient l'appeler sionisme, mais je préfère ne pas
le faire. Le sionisme est un signifiant très vague, qui est bien trop
étroit pour capturer toute la complexité du nationalisme juif,
avec sa violence, son idéologie et ses pratiques. Le nationalisme juif
est un état d'esprit, et l'esprit n'a pas de frontières clairement
définies. De fait, nul parmi nous ne sait où s'arrête la
judéité, et où commence le sionisme ; exactement de la
même manière dont nous ignorons où s'arrêtent les
intérêts israéliens, et où commencent les intérêts
des néocons.
En ce qui concerne la cause palestinienne, le message est parfaitement
dévastateur. Nos frères et sœurs palestiniens sont sur le
front d'un combat contre une philosophie particulièrement dévastatrice.
Néanmoins, ce ne sont manifestement pas les seuls Israéliens qu'ils
ont à combattre, ces Israéliens qui sont dotés d'une philosophie
pragmatique impitoyable, capable de déclencher des conflits mondiaux
sur une échelle gigantesque.
Non, ils ont à se battre contre une pratique tribale, qui recherche l'influence
dans les couloirs du pouvoir, en particulier dans les superpuissances : par
exemple, l'American Jewish Committee n'est-il pas en train de pousser à
la guerre contre l'Iran ?
Simplement afin d'être du bon côté, David
Abrahams, un « Ami travailliste d'Israël » donne de l'argent
au parti travailliste britannique via un comparse.
A peu près au même moment, deux millions d'Irakiens meurent à
cause d'une guerre illégale mise en scène et en musique par un
certain Wolfowitz.
Tandis que tout cela se déroule, des millions de Palestiniens sont affamés
dans des camps de concentration, et Gaza est au bord de la crise humanitaire.
Tandis que tout cela se produit, des juifs soi-disant « antisionistes
» et des juifs dits « de gauche » (dont Chomsky) s'acharnent
à dézinguer la puissante critique de l'Aipac, du lobbying juif
et du pouvoir juif, rédigée par les chercheurs américains
Mearsheimer et Walt [15].
S'agit-il seulement d'Israël ? S'agit-il réellement
du sionisme ? Ou devons-nous admettre que c'est quelque chose de bien plus vaste
que tout ce que nous sommes autorisés à envisager, à l'intérieur
des frontières intellectuelles que nous nous sommes imposées à
nous-mêmes ?
Les choses étant ce qu'elles sont, nous n'avons pas le courage intellectuel
de contrer le projet national juif et ses nombreux missi-dominici dans le monde
entier. Toutefois, dès lors que tout n'est qu'une conscience de glissement
de la conscience, les choses ne vont pas tarder à changer.
De fait, cet ouvrage est, en lui-même, la preuve que les choses sont déjà
en train de changer.
Soutenir les Palestiniens, nous tenir à leurs côtés,
c'est sauver le monde. Mais, pour ce faire, nous devons avoir assez de courage
pour prendre de la hauteur, et reconnaître qu'il ne s'agit pas simplement
d'un combat de nature politique.
Il ne s'agit pas seulement d'Israël, de son armée
ou de ses dirigeants.
Il ne s'agit pas même seulement de Dershowitz, de Foxman et de leurs ligues
de censeurs.
Il s'agit, en réalité, d'une guerre contre une forme d'esprit
cancérigène qui a pris l'Occident en otage, espérons le
momentanément, qui l'a détourné de son inclination humaniste
et de ses aspirations athéniennes. Lutter contre une forme d'esprit,
c'est beaucoup plus difficile que de lutter contre des gens, tout simplement
parce que l'on peut être amené à lutter contre les traces-mêmes
que cette idéologie pernicieuse a pu laisser en nous-mêmes.
Si nous voulons combattre Jérusalem, nous risquons fort d'avoir à
nous affronter au Jérusalem qui est en nous.
Nous devrions sans doute nous installer devant le miroir, et regarder autour
de nous.
Peut-être conviendrait-il que nous recherchions quelque trace d'empathie,
en nous-mêmes. On ne sait jamais : il en reste peut-être un peu
?
Notes
[1] When And How The Jewish People Was Invented? Shlomo Sand,
Resling 2008, pg 11
[2] http://www.haaretz.com/hasen/spages/966952.html
[3] When And How The Jewish People Was Invented? Shlomo Sand, Resling 2008,
pg 31
[4] Ibid pg 31
[5] Ibid pg 42
[6] Ibid
[7] Ibid pg 62
[8] Ibid
[9] http://www.haaretz.com/hasen/spages/966952.html
[10] When And How The Jewish People Was Invented? Shlomo Sand, Resling 2008,
pg 117
[11] http://www.haaretz.com/hasen/spages/966952.html
[12] Ibid
[13] Ibid
[14] Ibid
[15] http://www.lrb.co.uk/v28/n06/mear01_.html
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier
Source: http://palestinethinktank.com/2008/09/02/gilad-atzmon-the-wandering-who/
Transmis par www.michelcollon.info
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