Deux lobbies protègent l’oppression
Amira Hass
Il n’eût pas été possible de trouver
pire moment pour publier le rapport de Human Rights Watch sur la violence à
l’égard des femmes dans la société palestinienne
et dans la famille palestinienne. Soit hier, 7 novembre, juste au moment où
les forces de l’armée israélienne quittaient Beit Hanoun
au terme d’une offensive de six jours qui a fait 53 morts parmi lesquels
au moins 27 civils non armés, dont dix enfants et deux ambulanciers volontaires
du Croissant Rouge, et environ 200 blessés dont 50 enfants et 46 femmes.
A cela s’ajoutent de nouvelles destructions de maisons, des infrastructures
routières et des réseaux de distribution d’électricité
et d’eau.
Dans la concurrence qui règne entre les médias
israéliens sur le créneau palestinien, il est clair qu' un
rapport critique à propos de la société palestinienne et
ses institutions l’emportera sur l’occasion qui s’offre à
la presse de compléter un rapport lacunaire, avant que d’autres
incursions militaires ne l’éclipsent complètement. A la
manière dont les médias israéliens ont ignoré Ramzi
A-Sharafi, cet étudiant de 16 ans, de Jabaliya, frappé ce lundi
matin sur le chemin de l’école par un missile israélien,
ignoré aussi l’enseignante qui a été grièvement
blessée par le même missile, et les étudiants et les enfants
du jardin d’enfants qui ont été blessés ou sont en
état de choc.
C’est précisément pour cela qu' il
ne peut y avoir de moment opportun ou inopportun pour la publication du dernier
rapport de l’organisation américaine des droits de l’homme
qui discute du phénomène grave du harcèlement des femmes
et des filles chez elles et dans leurs familles, et de l’impuissance de
la société et des institutions à les protéger de
leur persécuteurs – essentiellement des membres de la famille.
Le rapport américain repose sur le travail incessant
d’organisations palestiniennes aussi bien indépendantes qu' officielles,
qui sont à la tête du combat contre cette maladie sociale et masculine
de harcèlement et d’oppression des femmes. Des organisations féministes
palestiniennes s’appliquent à extirper l’indulgence manifestée
par la société et la loi à l’égard de meurtriers
de femmes à l’intérieur des familles, les échappatoires
offertes aux violeurs et cette idée que les situations de femmes et de
filles battues ainsi que d’inceste sont une affaire « familiale
interne ». Le rapport de Human Rights Watch, ainsi que le travail de ces
organisations palestiniennes, en particulier les organisations féministes,
nous enseignent que les droits de l’homme ne connaissent pas de frontières
ethniques, politiques, géographiques ni sexuelles, et qu' il n’y
a pas non plus de frontières dans l’exigence que ces droits soient
respectés ni pour ceux qui exigent qu' ils le soient.
Le lobby masculin traditionnel dans la société
palestinienne enrôle l’occupation israélienne pour s’en
faire aider, afin de mettre des limites au débat public d’ordre
moral et de dissuader les critiques et les exigences de changement social. Depuis
le début de l’année 2006, douze femmes palestiniennes –
huit à Gaza et quatre en Cisjordanie – ont été assassinées
par des proches sous prétexte d’ « honneur familial ».
Quelle commodité pour le lobby traditionnel qu' Israël attaque
sans trêve, permettant ainsi de garder le secret sur ce chiffre et de
perpétuer l’idée que la femme est la propriété
du mari dans la famille.
Dans la même mesure, pour Israël et ses lobbies
à l’étranger, le démon de l’antisémitisme
est bien commode pour pouvoir continuer à prendre à la légère
les résolutions internationales (touchant, par exemple, au tracé
de la clôture de séparation qui travaille à l’annexion),
à fouler aux pieds des accords avec des Etats (comme dans la discrimination
qui est faite à l’entrée en Israël entre citoyens étrangers,
selon qu' ils sont juifs ou palestiniens), et pour écraser, tuer,
détruire dans la Bande de Gaza surtout mais aussi en Cisjordanie, lors
d’offensives routinières dont personne ne parle chez nous.
La majorité du public israélien se protège
derrière une frontière claire, une muraille infranchissable qu' il
a dressé et qui distingue entre les droits des Juifs et les droits des
autres, entre la douleur des Juifs et la douleur des autres. Ce mur de séparation,
qui donne toute liberté d’action aux chefs militaires et aux membres
du gouvernement qui les envoient, ne fait pas seulement barrage à tout
débat public d’ordre moral mais aussi à toute considération
de realpolitik.
Cela fait six ans qu' on nous dit que les offensives de
l’armée israélienne ont obtenu des résultats importants
en frappant l’infrastructure terroriste, en tuant et en arrêtant
des terroristes, en mettant la main sur des caches d’armes. Au début,
il s’agissait de résultats obtenus contre des lanceurs de pierres,
puis contre des lanceurs de cocktails Molotov et des hommes armés qui
tiraient sur les routes de Cisjordanie, ensuite contre les attentats-suicides.
Au début, on découvrait des fusils artisanaux, puis les fusils
standard n’ont cessé d’être découverts en nombres
croissants. Plus on en saisit et plus ils foisonnent.
A Gaza, avant les roquettes Qassam, on parlait des résultats
obtenus contre ceux qui s’infiltraient dans les colonies et contre ceux
qui plaçaient des charges explosives sous les chars. Maintenant, depuis
deux ou trois ans, il s’agit toujours de succès concernent des
lanceurs de roquettes. Autrefois, la portée de celles-ci était
courte – travail d’amateurs. Maintenant, aux dires des spécialistes,
leur portée ne cesse de croître. Et notre armée continue
de moissonner les succès. Elle menace de lancer d’autres offensives
et, à Gaza, la position du Hamas se renforce. Ce sont en effet ses hommes
armés qui se lancent dans des combats perdus d’avance – héroïques
à leurs yeux – face aux puissantes forces israéliennes entrées
dans Beit Hanoun.
Se peut-il que l’armée et les hommes politiques
qui l’envoie ne s’aperçoivent pas de cette effrayante corrélation
entre le renforcement de l’oppression militaire israélienne et
la poursuite de l’armement par les Palestiniens ? Entre l’oppression
militaire et le soutien palestinien à cet armement – si pauvre
et dépassé soit-il en comparaison de la puissance militaire israélienne
? Ou peut-être est-ce précisément ce que veut le gouvernement
israélien, avec ou sans Avigdor Lieberman : éterniser le conflit
militaire et renforcer le lobby militaire palestinien, afin d’éloigner
toute possibilité de solution politique ?
source Haaretz, 18 octobre 2006
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