Défaite
de l’opposition au Liban
Alain Gresh
Quelles qu' en soient les raisons, sur lesquelles nous
reviendrons, l’élection du 7 juin a confirmé le maintien
de la majorité autour du Courant du Futur dirigé par M. Saad Hariri
et la défaite de l’alliance entre le Hezbollah et le Courant patriotique
libre du général Michel Aoun. Cette alliance espérait l’emporter,
or elle n’a pas pu obtenir la majorité et a simplement maintenu
ses positions et son nombre de députés.
Hassan Nasrallah a reconnu cette défaite dans une allocution
reprise par la télévision Al-Manar le 8 juin :
« Nous acceptons les résultats annoncés
par le ministère de l’intérieur. Les candidats auront, bien
évidemment, le droit de contester les résultats devant le Conseil
constitutionnel s’ils ont des raisons de le faire. C’est une autre
question. Nous acceptons les résultats avec esprit sportif et un esprit
démocratique. Nous acceptons aussi que le camp adverse a gagné
la majorité des sièges de la chambre des députés,
même si l’opposition a gardé le même nombre de sièges.
Elle a perdu dans certaines circonscriptions et gagné dans d’autres.
Nous, bien sûr, nous acceptons les résultats qui ont donné
à l’autre camp la majorité parlementaire. Quant à
la majorité populaire, les centres de recherche et de statistiques détermineront
qui a eu le plus grand nombre de voix. Comme nous avons tous appelé à
la participation et à l’opinion des électeurs, de telles
études nous aideront à connaître la majorité populaire.
Si cette majorité va à l’autre camp, je le reconnaîtrai.
»
En fait, les résultats obtenus depuis, confirment que
l’alliance Hezbollah-Michel Aoun obtient plus de 100 000 voix d’avance
sur l’autre camp (c’est ce que reconnaissent le quotidien The Daily
Star du 10 juin dans son éditorial « Nasrallah is walking a think
line when it comes to Lebanese elections » ainsi que la télévision
Al-Manar, qui rapporte le 9 juin que selon une étude du Beirut Centre
for Research and Information 839 371 personnes ont voté pour l’opposition
et 693 931 pour la majorité). D’ après le quotidien Al-Akhbar
du 10 juin, le Courant patriotique libre a perdu plus de 10 % des suffrages
par rapport aux élections de 2005 (où il se présentait
tout seul, Aoun auréolé de son long exil à Paris et de
son refus de revenir au Liban avant le départ de la Syrie) mais resterait
la force majoritaire chez les chrétiens, avec plus de 50 % des voix.
D’ après ce même article, 120 000 Libanais de l’extérieur
seraient venus voter, 80 000 auraient été amenés par la
majorité, 30 000 par l’opposition, et le reste serait venu par
ses propres moyens.
Qifa Nabki, un blogueur libanais qui, comme la plupart des
commentateurs, avait pronostiqué la victoire du Hezbollah et du général
Aoun, donne les trois raisons qui expliquent les résultats (« Anatomy
of a Victory », 8 juin).
« Je sais que de nombreux membres de l’opposition
vont faire porter leur échec sur le patriarche maronite qui a publié
un communiqué quelques jours avant les élections qui semblait
admonester les chrétiens pour qu' ils votent pour les listes du
14 mars. Mais quand nous voyons que le Courant patriotique libre (du général
Aoun) s’est très bien comporté au cœur du pays maronite
au Kisrouan, Jbeil, Baabda, Zghorta et dans le Metn, je ne suis pas sûr
que cette observation tient la route.
Plus décisif, à mon avis, ont été
trois facteurs. 1) La participation massive des sunnites de Zahle – dont
beaucoup sont venus de l’étranger –, et une faible participation
des chrétiens ; 2) Une forte hostilité des chrétiens de
Beyrouth au Hezbollah, chrétiens qui ont voté massivement pour
les listes du 14 mars dans le quartier d’Achrafiyyeh ; 3) Quelques étonnantes
gaffes de Nasrallah durant les dernières semaines, qualifiant les événement
du 7 mai de “jour de gloire de la résistance”. »
Sur son blog, « Just World News, » Helena Cobban
rappelle (« M-14 win in Lebanon », 8 juin) :
« Le principal affrontement n’était pas,
comme beaucoup de commentateur occidentaux l’ont écrit, entre le
Hezbollah et ses opposants. A cause du système ouvertement faussé
et discriminatoire du système politique libanais, les musulmans chiites
qui est la plus importante communauté religieuse au Liban, environ 40
%, n’a qu' un nombre réduit de sièges dans le parlement
confessionnel. (...)
Le principal affrontement était à l’intérieur
d’une communauté chrétienne sur-représentée
au parlement. Ici, les alliés du Hezbollah, le Courant patriotique libre,
a perdu face aux supporteurs du 14 mars qui sont les membres de “familles”
très implantées dans le système politique et d’ardents
défenseurs du système actuel de privilèges accordés
aux chrétiens. »
Paul Salem, dans son commentaire publié par Carnegie
Endowment for World Peace, le 9 juin (« In Lebanon’s Politics, Four
Years Is An Eternity ») explique :
« Il y a des raisons de croire que le Hezbollah n’est
pas mécontent des résultats. Si la coalition à laquelle
il participe avait gagné, il aurait été immédiatement
confronté à de nombreux défis. Les Arabes et la communauté
internationale auraient réagi de manière négative, mettant
en danger les relations politiques et économiques du Liban et accélérant
des pressions économiques. Israël aurait proclamé que les
résultats confirmaient la domination du Hezbollah sur l’Etat libanais,
rendant le groupe plus vulnérable à des attaques. Si la coalition
du 8 mars l’avait emporté, cela aurait été grâce
au général Michel Aoun qui aurait ensuite demandé des contreparties,
notamment son élection à la tête de l’Etat, ce que
ni le Hezbollah ni Amal ne pourraient appuyer. »
Cette analyse me semble assez pertinente et illustre le dilemme
du Hezbollah depuis son engagement sur la scène politique libanaise au
début des années 1990. Le parti se définit d’abord
comme une organisation de résistance (à Israël et aux Etats-Unis),
ensuite comme un parti libanais. Mais comment concilier les deux ? Le Hezbollah
préfère ne pas s’impliquer trop dans les affaires libanaises
(il n’avait qu' un siège dans le gouvernement, ayant laissé
les quatre autres auxquels il avait droit à ses alliés), sauf
en ce qui concerne son droit à porter les armes face à Israël.
Une telle attitude, si elle est compréhensible, est aussi préjudiciable,
car le parti s’engage peu sur les enjeux proprement libanais : question
sociale, politique économique, confessionnalisme, etc.
Les lecteurs arabophones pourront lire le commentaire de Nahla
Chahhal dans le quotidien libanais Al-Akhbar du 10 juin, analyse très
fine de la situation libanaise après les élections et aussi des
contradictions du Hezbollah.
Sur son blog, Syria Comment, Joshua Landis examine, le 8 juin,
les réactions des autorités syriennes (« Syrians Silent
and Disappointed but Ready to Put Lebanon Behind Them ») :
« Le quotidien Al-Watan titre à la Une “l’argent
politique gagne les élections au Liban”. Quelles sont les conséquences
de cette victoire ? Cela dépendra beaucoup du 14 mars et de savoir s’il
voudra réécrire les accords de Doha et se débarrasser de
la minorité de blocage dont dispose l’opposition, comme Hariri
a dit qu' il le ferait. (...) A mon avis, toute tentative de revenir sur
les accords de Doha ramènera le pays à la situation de tension
qui a précédé ces accords et sera donc abandonnée.
Personne n’aura la détermination pour mener une telle politique,
ni à Washington, ni à Riyad, ni à Damas ni à Téhéran.
La période Obama a changé les choses et la Syrie se prépare
à s’engager avec les Etats-Unis. »
Les relations entre les deux pays, poursuit Landis, ont été
suspendues aux résultats des élections et désormais, Washington
pourrait envoyer George Mitchell à Damas, d’autant que le camp
des durs y est affaibli par la défaite du Hezbollah. Les Etats-Unis pourraient
aussi renvoyer un ambassadeur en Syrie.
« Un lobby pour la paix influent est en train de prendre
racine à Damas. De plus en plus de Syriens font de l’argent à
cause du processus de libéralisation (...) et ils prennent conscience
du prix que coûte la “résistance”. De ce point de vue,
ils ne sont pas très différents des Libanais. ». Mais personne
n’est prêt à abandonner la revendication du Golan.
« L’obstacle libanais a été franchi
à la satisfaction de Washington. Si un gouvernement de coalition est
formé à Beyrouth sans trop de difficultés et sans qu' on
assiste à une escalade de menaces, le Liban ne sera plus un obstacle
sur la voie de l’amélioration des relations américano-syriennes.
»
L’agence d’information syrienne Sana a publié
un commentaire de la conseillère du président Buthaynah Sha’ban
le 9 juin disant que les élections étaient une affaire intérieure
libanaise. Elle a ajouté que la Syrie est encouragée par l’esprit
de réconciliation et d’entente qui a prévalu parmi les partis
libanais après la proclamation des résultats.
La presse syrienne du 10 juin était d’ailleurs
assez positive sur les élections.
La presse israélienne a aussi annoncé que la
Syrie était prête à reprendre les négociations indirectes
avec Israël sous l’égide de la Turquie.
Source : http://blog.mondediplo.net/2009-06-10-Defaite-de-l-opposition-au-Liban
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