Israël : La démocratie, une menace existentielle
?
- A.
Abunimah & O. Barghouti
En participant tous les deux récemment à
la rédaction d’un document plaidant en faveur d’une solution
à un seul Etat au conflit colonial arabo-israélien, nous cherchions
clairement à provoquer un débat (Voir en français : Déclaration
de Madrid - ndt). De manière prévisible, des sionistes ont décrié
cette proclamation comme une nouvelle preuve de l’attachement inébranlable
d’intellectuels palestiniens - et de quelques Israéliens radicaux
- à la « destruction d’Israël ». Quelques militants
pro-palestiniens nous ont accusés d’avoir, dans notre quête
d’un rêve « utopique », délaissé des droits
palestiniens urgents et cruciaux.
(JPG)
S’inspirant partiellement de la Charte Sud-africaine de la Liberté
(1) et de l’Accord de Belfast (2), la bien plus modeste Déclaration
à Un Etat, rédigée par un groupe d’universitaires
et de militants palestiniens, israéliens et internationaux, professe
que « la terre historique de Palestine appartient à ceux qui y
vivent et à ceux qui en furent expulsés depuis 1948, sans considération
de religion, d’ethnie, d’origine nationale ni de citoyenneté
actuelle ». Elle envisage un système de gouvernement fondé
sur « le principe d’égalité en matière de droits
civils, politiques, sociaux et culturels, pour tous les citoyens ».
C’est précisément cette insistance fondamentale sur l’égalité
qui est perçue par les sionistes comme une menace existentielle pour
Israël, parce que minant ses fondements intrinsèquement discriminatoires
qui privilégient ses citoyens juifs par rapport à tous les autres.
Le Premier ministre israélien Ehoud Olmert a montré une franchise
rafraîchissante lorsque, tout récemment, il a admis qu' Israël
serait « fini » s’il devait faire face, de la part des Palestiniens,
à une lutte en faveur de droits égaux. (3)
Mais alors que la transformation d’un régime au
racisme institutionnalisé, ou d’apartheid, en une démocratie
était tenue pour un triomphe des droits de l’homme et du droit
international en Afrique du Sud et en Irlande du Nord, elle est rejetée
séance tenante, dans le cas israélien, comme une brèche
qui serait faite dans le droit sacré à la suprématie ethno-religieuse
(appelée, par euphémisme, le droit d’Israël «
à être un Etat juif »).
Les Palestiniens sont pressés par un interminable défilé
d’envoyés occidentaux et de bonimenteurs politiques - le dernier
en date étant Tony Blair - à se contenter de ce que le Congrès
National Africain avait, à juste titre, rejeté quand il se l’était
vu offrir par le régime d’apartheid d’Afrique du Sud : un
bantoustan constitué d’un patchwork de ghettos isolés, loin
en deçà des exigences minimum de justice.
Des partisans sincères de la fin de l’occupation israélienne
ont également sévèrement critiqué le plaidoyer en
faveur d’un seul Etat, pour des motifs à la fois moraux et pragmatiques.
Une proposition morale, soutenaient certains, devrait se focaliser sur l’effet
probable qu' elle aurait sur les gens, en particulier ceux qui sont sous
occupation, privés de leurs besoins les plus élémentaires,
comme l’alimentation, un abri et des services de base. La tâche
la plus urgente, concluaient-ils, est de demander la fin de l’occupation,
et non pas de faire la promotion des illusions d’un Etat unique. Outre
sa prémisse passablement paternaliste, par quoi ses partisans sauraient
mieux que nous ce dont les Palestiniens ont besoin, cet argument est tout à
fait problématique en ce qu' il suppose que, contrairement aux autres
humains partout ailleurs, les Palestiniens sont tout disposés à
renoncer à leurs droits sur le long terme à la liberté,
à l’égalité et à l’autodétermination
en échange de quelque allègement passager de leurs souffrances
les plus immédiates.
Le refus des Palestiniens de Gaza - même en présence d’un
blocus criminel visant à les affamer et qui leur est imposé avec
l’appui des Etats-Unis et de l’Union Européenne - de se soumettre
à l’exigence israélienne qu' ils reconnaissent son
« droit » à établir une discrimination à leur
encontre, n’est jamais que la dernière démonstration en
date de la fausseté de pareils présupposés.
Un argument déjà plus convaincant, exprimé tout récemment
par Nadia Hijab et Victoria Brittain, veut que, dans les circonstances actuelles
de l’oppression, alors qu' Israël bombarde et tue sans discrimination,
emprisonne des milliers de personnes dans de dures conditions, construit des
murs pour séparer les Palestiniens les uns des autres et les séparer
de leurs terres et de leurs ressources en eau, vole sans trêve la terre
palestinienne et étend ses colonies, assiège des millions de Palestiniens
sans défense dans des enclaves isolées et disparates, et détruit
progressivement la structure même de la société palestinienne,
appeler à un Etat laïc et démocratique revienne à
laisser Israël « se tirer d’affaire ». (4)
Elles s’inquiètent à l’idée d’affaiblir
un mouvement de solidarité international qui est « très
largement derrière une solution à deux Etats ». Mais même
en ne tenant pas compte du fait que l’ « Etat » palestinien
proposé actuellement n’est rien de plus qu' un bantoustan
morcelé et réduit à la misère sous la domination
permanente d’Israël, le vrai problème avec cet argument tient
à ce qu' il présume que des décennies de soutien apporté
à une solution à deux Etats ont fait quelque chose de concret
pour arrêter ou même adoucir de telles atteintes aux droits de l’homme.
Depuis la signature des accords palestino-israéliens
d’Oslo en 1993, la colonisation de la Cisjordanie ainsi que toutes les
autres violations israéliennes du droit international n’ont pas
cessé de s’intensifier, et dans la plus totale impunité.
Nous voyons cela de nouveau, après la récente rencontre d’Annapolis
: tandis qu' Israël et des fonctionnaires d’une Autorité
Palestinienne non représentative et impuissante examinent les motions
de « pourparlers de paix », les colonies d’Israël et
le mur de l’apartheid continuent de croître en toute illégalité,
et l’affreuse punition collective qu' Israël inflige à
1,5 million de Palestiniens à Gaza s’intensifie sans que la «
communauté internationale » ne lève le petit doigt.
Ce « processus de paix » - ni paix, ni justice - est devenu une
fin en soi, parce que tant qu' il se poursuit, Israël n’est
confronté à aucune pression visant à lui faire réellement
changer de comportement. La fiction politique selon laquelle une solution à
deux Etats est toujours là, juste derrière le coin, mais jamais
accessible, est essentielle à la perpétuation de la fable et au
maintien, indéfiniment, du statu quo de l’hégémonie
coloniale israélienne.
Pour éviter les pièges d’une plus grande
division dans le mouvement des droits palestiniens, nous sommes d’accord
avec Hijab et Brittain pour inciter les militants, sur tout l’éventail
politique, quelle que soit leur opinion sur la question d’un ou deux Etats,
à s’unir derrière l’appel lancé en 2005 par
la société civile palestinienne au Boycott, au Désinvestissement
et aux Sanctions - ou BDS - comme la stratégie de résistance civile
la plus solide politiquement et moralement, qui puisse inspirer et mobiliser
l’opinion publique mondiale dans la poursuite des droits palestiniens.
L’approche fondée sur les droits qui est au cœur de cet appel
largement approuvé se concentre sur la nécessité de réparer
les trois injustices fondamentales qui, ensemble, définissent la question
de la Palestine : le déni des droits des réfugiés palestiniens,
à commencer par leur droit à retourner dans leurs maisons, comme
le stipule le droit international ; l’occupation et la colonisation du
territoire de 1967, y compris Jérusalem-Est ; et le système de
discrimination à l’encontre des citoyens palestiniens d’Israël.Soixante
ans d’oppression et quarante ans d’occupation militaire ont appris
aux Palestiniens que, quelque solution politique que nous appuyions, ce n’est
que par une résistance populaire couplée à une pression
internationale soutenue et efficace que nous avons une chance quelconque de
parvenir à une paix juste.
De concert avec ce combat, il est absolument nécessaire
de commencer à envisager des perspectives d’avenir de l’ après-conflit
et à en débattre. Ce n’est pas un hasard si des citoyens
palestiniens d’Israël, des réfugiés palestiniens et
des Palestiniens de la Diaspora, ces groupes longtemps privés du droit
de vote par le « processus de paix » et dont les droits élémentaires
sont violés par la solution à deux Etats, ont joué un rôle
clé dans la mise en avant de nouvelles idées pour sortir de l’impasse.
Plutôt que de voir l’émergence d’une vision démocratique
et égalitaire comme une menace, une rupture ou un détour stérile,
il est grand temps de la considérer pour ce qu' elle est : l’alternative
la plus prometteuse à un déjà défunt dogme à
deux Etats.
Notes :
(1) The Freedom Charter
(2) The Belfast Agreement
(3) “Israel risks apartheid-like struggle if two-state
solution fails, says Olmert”, The Guardian, 30 novembre 2007.
(4) Nadia Hijab et Victoria Brittain, “Struggle for
equality”, The Guardian (Comment is free), 17 décembre 2007
Ali Abunimah & Omar Barghouti - The Electronic Intifada,
le 30 décembre 2007 Traduit de l’anglais par Michel Ghys
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