Interview de
Leila Khaled, combattante historique de la cause palestinienne et dirigeante
du FPLP
envoyer à un ami
Etes-vous une terroriste?
Leila Khaled: Les institutions, gouvernements et pays qui sont
contre la paix ont toujours considéré la résistance comme
un acte terroriste, mais en réalité, l'occupation c'est le terrorisme.
Par conséquent, la base du terrorisme dans le monde, ce sont les Etats-unis
et Israel. Je me considère comme faisant partie du peuple palestinien
qui résiste à l'occupation, et la résistance est un droit
qu'a tout peuple occupé.
Qu'est-ce que le terrorisme?
Le terrorisme se définit par l'occupation et par les
institutions qui occupent les territoires par la force militaire. Emprisonner
des personnes seulement parce qu'elles ont une idéologie différente
de la votre, cela se définit également comme du terrorisme. Tout
comme la destruction de maisons et d'arbres en Palestine, ainsi que la prise
de possession des points d'eau. Toutes ces façons d'agir, qui violent
les droits du peuple palestinien, c'est du terrorisme.
Durant les années 1940, la violence a secoué la Palestine, par
l'activité de groupes armés tels que Irgun (Etzel). Le 22 juillet
1946, une centaine de personnes sont mortes à l'Hôtel du roi David
à Jérusalem après une action de ce groupe mené par
Menachem Begin, et qui sera plus tard premier ministre d'Israël et prix
Nobel de la paix. En ce sens, dans le documentaire « Leila Khaled Hijacker
» de Lina Makboul, on soulève une question: « Est-il juste
d'être terroriste? Toujours quand vous gagnez... »
Nous n'acceptons jamais le terrorisme. Ce que l'on accepte, c'est la résistance;
c'est ce que reconnaît tout le monde. Même dans la constitution
de l'ONU, il y a un article qui reconnaît aux peuples occupés le
droit à résister, y compris avec les armes. Les Etats-unis ont
transformé le concept de terrorisme, en accusant des peuples comme ceux
d'Irak, du Liban, de Palestine, d'Afghanistan, d'être des terroristes,
simplement pour avoir résisté à l'occupation.
Pourquoi après la guerre des Six-jours, à 25
ans, avez-vous décider d'intégrer le FPLP et de prendre les armes?[1]
Simplement par le fait qu'il y avait une occupation et que
j'étais une réfugiée au même titre que 8 autres millions
qui se trouvaient hors de Palestine.
Comment a évolué le rapport des palestiniens
à la Jordanie, après les événements de Septembre
noir, en 1970, et au Liban, après les combats dans le camp de réfugiés
de Nahr Al Bared, en 2007?
En 1948, un très grand nombre de palestiniens ont fui
( après la fin du mandat britannique et le début de la Guerre de
Palestine, ce qu'on appelle Nakba ou Désastre) et se sont réfugiés
à Jordanie, au Liban et en Syrie, vivant dans des camps de réfugiés.
Mais après plusieurs années, ils ont commencé à
vivre dans les villes. En 1951, la Jordanie a intégré la Cisjordanie
à son territoire, ce par quoi les palestiniens résident dans la
région sont devenus citoyens jordaniens. Les palestiniens en Jordanie
représentent plus de 75% de la population.
D'autre part, au Liban, il y a des palestiniens qui vivent en ville et il y
a ceux qui vivent dans les camps de réfugiés, mais il leur est
interdit de travailler dans le pays. Cela leur complique énormément
la vie et facilite leur expulsion. De nombreux jeunes Palestiniens se sont vus
contraints à aller travailler dans les pays du Golfe (Persique) pour
pouvoir nourrir leurs familles. Néanmoins, il y a toujours une unité
entre palestiniens et libanais pour s'opposer à l'occupation et aux agressions
d'Israël.
Comment décririez-vous la situation des réfugiés,
en particulier des femmes?
Il y a deux types de réfugiés: ceux qui vivent
en Palestine même et ceux qui vivent en-dehors, en Jordanie, en Syrie
etc. La situation de chaque réfugié dépend du pays. En
Jordanie, ils sont citoyens avec égalité de droits. En Syrie aussi,
mais ils ne peuvent pas être fonctionnaires ni voter, et ne peuvent pas
non plus demander la nationalité; ils ont également une carte
d'identité spécifique. Au Liban, comme je l'ai déjà
dit, ils n'ont pas le droit de travailler, seule l'UNRWA (Agence des nations
unies pour les réfugiés palestiniens au Proche-orient) leur offre
des postes de professeurs. Les femmes souffrent de la même façon,
mais si nous disons qu'un homme ne peut pas arriver à trouver de travail,
alors cela sera d'autant plus impossible pour une femme.
Quelle est la politique menée par Israël par rapport
aux camps de réfugiés?
Israël tente de les éliminer. Même ceux qui
se trouvent hors de Palestine. En 1982, ils ont commis un massacre horrible
au Liban, aux camps de Sabra et Chatila. Les réfugiés palestiniens
subissent des agressions continues. Les conditions de vie sont exécrables...
les conditions sanitaires très mauvaises.
Le taux de chômage à Gaza et en Cisjordanie, selon des données
de 2001 de l'Initiative Palestine pour la promotion du dialogue et de la démocratie
dans le monde (MIFTAH), s'élève à 57%. Cela comprend non
seulement ceux qui ont perdu leur emploi en Israël, mais aussi ceux qui
ne peuvent pas sortir travailler à cause du blocage des routes...
Ce qui explique le fait que ce taux soit aussi élevé, c'est qu'il
n'y a pas de base industrielle en Palestine. Les dernières statistiques
indiquent que le taux de chômage atteint les 80% à Gaza et les
45% en Cisjordanie. La majorité des palestiniens dépend de l'agriculture;
ils plantent principalement des oliviers, des amendiers, des orangers et également
des légumes. Mais la situation empêche que ces produits puissent
être commercialisés hors de Gaza, parce qu'elle est assiégée
et que personne ne peut en sortir. En Cisjordanie, ils ont moins de difficultés.
D'autre part, le gouvernement israélien a confisqué et continue
de confisquer des terres, nombre d'entre elles pour construire ses colonies.
Laissant de côté le versant politique, quelle
est l'attitude de l'Union Européenne envers la Palestine sur le plan
économique?
La meilleure aide que puisse apporter l'UE aux palestiniens,
au-delà de celle économique, est celle d'ordre politique. Toutefois,
comme cela s'est vu en 2006, quand le Hamas a gagné les élections,
l'UE a fermé le robinet. Ils donnent de l'argent au gouvernement palestinien
en fonction de son orientation politique. De plus, toute aide doit passer par
le contrôle des Etats-Unis. L'UE est sous forte influence des Etats-Unis.
Le 29 novembre dernier, le premier ministre Israélien,
Ehud Olmert, a mis en garde dans une interview au quotidien Haaretz: «
Soit on met en place deux Etats, soit Israel disparaîtra ».Il comparait
la situation avec celle de l'Afrique du sud, quand la majorité noire
a réussi à vaincre l'apartheid. La démographie est-elle
l'arme la puissante des palestiniens?
Je n'ai pas entendu parler de cette nouvelle, mais ce que je
peux te dire, c'est qu'Israël va toujours rester là pour des raisons
militaires, économiques... C'est une réaction très naturelle
de la part des palestiniens que d'avoir des enfants, voyant chaque jour tant
d'entre eux mourir sous leurs yeux. Par ailleurs, traditionnellement, ils aiment
avoir des familles nombreuses. Normalement, autour de sept et dans certains
cas, douze ou treize.
Le FPLP a sollicité la communauté internationale pour qu'elle
rompe les accords économiques avec le gouvernement Israélien,
concrètement on demande « un boycott des produits israéliens,
ainsi que l'annulation des accords militaires »
Nous avons espoir que les pays socialistes soutiendront d'une certaine façon
les palestiniens. Nous leur demandons pas d'aller lutter en Palestine, mais
simplement qu'ils ne fournissent pas l'armement des israéliens. Nous
demandons également le boycott pour affaiblir leurs entreprises et que
cela provoque des pertes pour l'économie d'Israël et, de cette façon,
que cela facilite un peu la poursuite de la résistance contre l'occupation.
Et une fois venu le moment de négocier, le faire dans les conditions
les plus équilibrées entre les deux parties.
Dans les négociations tenues jusqu'à présent, on n'a vu
aucunement cette égalité. Ce sont des négociations sans
but, car pour le moment elles ont toujours été favorables aux
intérêts israéliens. C'est pour cela que nous, FPLP, rejetons
les négociations. Nous sommes conscients que nous allons parvenir à
aucun point d'accord entre les parties.
Tu veux parler des pourparlers de Annapolis entre Mahmud Abbas
et Ehud Olmert du mois de novembre dernier?
Je parle pour tous les pourparlers, de Oslo jusqu'à
Annapolis.
Vous ne partagez pas ce qui a été signé
à Oslo?
Lors de ces négociations, on a parlé de tout
sauf de nos droits. On n'a pas parlé de retirer les troupes israéliennes
du territoire palestinien, des frontières de 1967 (avant la guerre des
Six-jours); on n'a pas parlé de Jérusalem, ni des installations
illégales des colons; ni des réfugiés, ni de l'eau. Alors,
qu'est-ce qu'on a réglé?
Israël a simplement rencontré des dirigeants palestiniens et ne
s'est pas gêné pour se comporter comme une force occupante, leur
déléguant toute la responsabilité de la situation. Le gouvernement
de la Palestinienne n'a aucun pouvoir sur sa propre situation, ni sur l'eau,
ni sur ses frontières. Si le président veut sortir du pays, il
doit même demander la permission à Israël.
Toutefois, avec Oslo a été posé la reconnaissance
mutuelle des deux Etats.
On n'a jamais rien reconnu concrètement dans le cadre
de ces accords. Ainsi, les Etats-Unis on présenté une autre feuille
de route pour résoudre le conflit. Ils ne sont parvenus à rien...
avoir un État palestinien, si, mais dans la pratique il n'existe pas.
Quelles sont, pour vous, les principales erreurs et les principales
réussites de Yasser Arafat?
Ce fut, principalement, celle d'avoir mené la résistance
armée et d'avoir été le représentant également
de l'Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) et donc le
représentant du peuple palestinien et de la révolution. L'erreur
qu'il a commise fut de signer les accords d'Oslo avec Israël. Nous avons
pu voir comment ils l'ont maintenu trois ans 'incarcérés' (reclus
et bombardé dans la Muqtaa, siège de l'Autorité nationale
palestinienne) jusqu'à sa mort. Dans les faits, on voit que Arafat a
tenté de former un État palestinien à côté
de celui Israélien, mais Israël ne veut pas de cela.
Quel serait pour le FPLP la carte rêvée de la
région?
La meilleure solution serait que les réfugiés
reviennent en Palestine, et qu'Israël l'accepte et travaille dans ce sens.
Ainsi, nous pourrions vivre ensemble avec les Israéliens sur cette terre,
avec les mêmes droits et avec la possibilité de prendre des décisions
politiques en toute égalité. Nous croyons que former un État
politique uni et démocratique peut résoudre le conflit.
Un État où vivraient palestiniens et israéliens,
et non deux Etats?
Oui, absolument.
Quel rôle jouent les pays voisins de la Palestine, en
particulier l'Iran, et les courants islamistes les plus extrémistes de
ce pays, dans votre affrontement avec Israël?
Les pays les plus proches de la Palestine sont l'Égypte,
la Syrie, le Liban et la Jordanie. L'Égypte et la Jordanie ont signé
des accords de paix avec Israël. Israël a envahi le Liban quatre fois
et a même occupé une partie de son territoire. Une grande partie
de la Syrie a également été occupée. Par conséquent,
palestiniens, syriens et libanais partagent la même souffrance.
La Syrie, en outre, est un des pays qui a rejeté le plan israélo-américain
pour la région, et soutient la résistance du peuple palestinien;
tout comme le font certains groupes religieux libanais. Et je ne connais aucun
pays extrémiste islamiste, je ne connais que l'Iran, qui est un pays
islamiste.
En Palestine, on constate une islamisation progressive des
mouvements de résistance quand, traditionnellement, cette espace avait
été occupé principalement par des formations laïques.
A quoi cela est-il dû?
C'est vrai. Le mouvement nationaliste de Gamal Abdel Nasser
(ancien président de l'Egypte et symbole de l'anti-colonialisme arabe)
n'a pas réalisé ses objectifs. Les projets nationalistes des mouvements
laïcs Palestiniens non plus. Cela a renforcé le pouvoir d'attraction
des mouvements islamistes, et de plus en plus de gens se sont dirigés
vers leur idéologie. Les croyances religieuses ont une forte influence
sur le peuple palestinien; de nombreuses personnes croient que cela va les aider
à conquérir la paix. D'autre part, les mouvements communistes
ont fini par se désintégrer.
Le 11 avril 1944, deux jours après votre naissance,
en pleine seconde guerre mondiale, Anna Frank écrivait dans son journal:
« Qui a fait les juifs différents du reste des gens? Qui a permis
que nous souffrions tant jusqu'à ce jour? C'est Dieu qui a fait cela,
mais ce sera aussi lui qui nous relèvera encore et encore... »Considères-tu
que la situation que vivent les palestiniens en Israël est similaire à
celle qu'a vécu les juifs en Europe?
Tout d'abord, Dieu n'a rien à voir avec la création
de gens différents. Nous sommes tous égaux. Tous les gens naissent
égaux, en dépit des différences de couleur, de sang ou
de tout autre type. C'est l'homme lui-même qui crée les différences.
Le mouvement sioniste a utilisé ce type de raisonnement pour propager
l'idée que le juif était différent du reste de l'humanité
et, par conséquent, a justifié les souffrances d'aujourd'hui par
la paix qui suivra.
Il est évident que les nazis ont mis l'Europe à feu et à
sang et ont tué énormément de gens. Ils n'ont toutefois
pas tué que les juifs, mais aussi d'autres personnes. De manière
regrettable, nous voyons que des actes barbares qu'ont commis auparavant les
nazis envers le peuple juif, sont aujourd'hui commis contre les palestiniens.
Note
[1]En 1969, elle a détourné
le vol TWA 840 Rome-Athènes et l'a dévié vers Damas; en
1970, elle a participé au détournement de quatre avions, dans
le cadre de Septembre noir, et elle fut incarcérée – son
camarade Patricio Arguello mourut – et libérée 28 jours
plus tard dans le cadre d'un échange de prisonniers.
Source : http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/article-interview-de-leila-khaled-combattante-historiue-de-la-cause-palestinienne-et-dirigeante-du-fplp-republiee-a-l-occasion-de-sa-visite-au-venezuela-62622850.html
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