Ma faute ? Avoir heurté de plein fouet la doxa occidentale.
Bruno Guigue
Mais qu' en est-il, effectivement, des tirs de snipers
israéliens sur les enfants et de la pratique de la torture dans les prisons
? Rien. Vrai ou faux ? À lire leur prose, nous n’en saurons pas
plus. On préfère évoquer à mon encontre «
les protocoles des sages de Sion », comme l’a fait Pierre Assouline.
À croire que la coalition de ceux qui ne veulent pas savoir et de ceux
qui ne veulent pas que l’on sache est majoritaire. Et au lieu de réfuter
mes affirmations de manière factuelle, mes détracteurs préfèrent
ainsi jeter l’anathème.
Mais, précisément, parlons plutôt des faits.
Deux phrases inlassablement reprises en boucle, tirées de leur contexte,
en effet, ont alimenté mon lynchage médiatique. « L’Etat
d’Israël est le seul où des snipers abattent des fillettes
à la sortie des écoles». Cette affirmation visait à
répliquer aux signataires d’une violente charge contre l’Iran,
pays où la peine de mort est cruellement appliquée. Une phrase
choquante ? Sans nul doute. Mais les tirs des soldats israéliens contre
des enfants, hélas, sont des faits avérés, évoqués
par le quotidien israélien Haaretz depuis 2000. Des tirs délibérés,
dont le journaliste britannique Chris MacGreal, pour l’hebdomadaire The
Guardian, a notamment fait le récit détaillé dans un article
paru le 29 juin 2005.
Une triste réalité dont Christophe Oberlin, professeur
de chirurgie à l’hôpital Bichat, a lui aussi publiquement
témoigné au terme de nombreuses missions médicales en Palestine.
Il vient d’ailleurs d’écrire au gouvernement une lettre où
il lui demande si, lui aussi, il sera limogé pour avoir confirmé
mes dires.
Livrée en pâture à l’opinion comme une énormité,
la phrase que j’ai écrite avait quelque chose de monstrueux, en
effet : elle était vraie. Et parce qu' elle disait la vérité,
elle heurtait le formidable déni de réalité qui entoure,
dans les médias dominants, la politique israélienne.
La deuxième phrase litigieuse est celle où j’évoque
«les geôles israéliennes, où grâce à
la loi religieuse, on interrompt la torture durant le shabbat ». Choquant,
là encore ? Le propos renvoyait à leur propre contradiction ces
fervents partisans de l’État d’Israël qu' indigne,
curieusement, l’inclination de certains pays à la défense
de la religion. Mais le fait mentionné, lui, ne fait pas l’ombre
d’un doute : il suffit de consulter le dossier établi par l’association
israélienne de défense des droits de l’homme Bet’Selem.
Lorsque la Cour suprême israélienne tenta de limiter
l’usage de la torture pratiquée sur les prisonniers palestiniens,
en 1999, les services secrets ont argué de l’urgence pour la justifier.
Les plaignants ont alors fait observer que du vendredi midi au samedi soir,
cette pratique était interrompue, ce qui relativisait singulièrement
l’argument de l’urgence. Cette affaire est parfaitement résumée
par Sylvain Cypel, ex-rédacteur en chef du quotidien Le Monde, dans son
livre « Les emmurés », paru aux éditions La Découverte
en 2005, p. 94, note 17. Chacun peut s’y référer et vérifier
la véracité de mes propos.
Reste un troisième grief, tout aussi paradoxal. Dans
la tribune violemment antionusienne dont je faisais la critique, les signataires
crurent bon de citer Goebbels, lequel invoquait face à la Société
des Nations le fameux adage : « charbonnier est maître chez soi
». Cette citation visait la majorité des pays membres du Conseil
des droits de l’homme de l’ONU, dont le tort était d’avoir
dénoncé la violation du droit international par Israël. Les
pays musulmans se voyaient ainsi 'nazifiés', purement et simplement,
par les auteurs du pamphlet que je passais au crible. « Analogie pour
analogie », ai-je fait observer, il y avait plutôt ressemblance
entre le Reich qui s’asseyait sur la SDN et l’Etat d’Israël
qui bafouait l’ONU.
Mea culpa : j’avais oublié que les comparaisons
les plus désobligeantes, aux yeux de l’establishment hexagonal,
sont interdites à propos d’Israël mais vivement recommandées
à l’égard des pays du « Tiers Monde ». Mon principal
tort, plus que d’avoir enfreint le devoir de réserve, n’est-il
pas d’avoir heurté de plein fouet la doxa occidentale ? après
avoir mis en lumière le déni de réalité dont le
discours dominant entoure les exactions israéliennes, il faut croire
que c’en était trop. À mes dépens, j’ai fait
la démonstration que la frontière entre ce qu' il est licite
de dire et ce qui ne l’est pas, dans notre pays, n’a rien à
voir avec le vrai et le faux.
Transmis par www.michelcollon.info
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