Entre Hamasland et Fatahland, le peuple
palestinien est perdant
Hamdan Al Damiri
aldamirihamdan@hotmail.com
Force est de constater que le Hamas s' obstine dans la logique
sécuritaire. C' est l' attitude de ce mouvement depuis le 14 juin, jour
de sa prise de contrôle de la Bande de Gaza après avoir livré
une bataille éclair contre les institutions de sécurité
palestiniennes connues pour être contrôlées par le Fatah.
Cette prise de pouvoir par la force a plongé les Palestiniens dans une
nouvelle ère de déchirement qui les éloigne de leurs intérêts
nationaux pour lesquels des centaines de milliers des leurs se sont sacrifiés
auparavant pour les préserver et les faire triompher.
Comment en est-on
arrivé là ?
En ce qui concerne le Fatah, depuis les accords d' Oslo au début des
années 90, ce mouvement est entré dans une phase d' intensification
de la bureaucratie se confondant totalement avec l' autorité palestinienne
; ses militants étaient nommés dans les différents ministères
et principalement dans les neufs institutions de sécurité. Sa
direction a favorisé un processus progressif d' une totale dépolitisation.
Les 120 000 personnes en place dans la fonction publique (policiers, fonctionnaires,
diplomates, ministres ) tous venaient des rangs du Fatah ou faisaient partie
de ses proches. Ils furent absorbés dans l' appareil institutionnel pendant
que le champ politique restait l' affaire d' une minorité de dirigeants
bien que le pouvoir de l' autorité palestinienne, sur la base des accords
d' Oslo, ne soit que fictif puisqu' il était privé de toute souveraineté
réelle. Par contre, les intérêts générés
par ce pouvoir, étaient quant à eux bien réels. (Plus de
la moitié du budget annuel de l' autorité palestinienne était
consacrée au paiement des salaires de ces fonctionnaires).
Comment alors le Fatah pouvait-il préserver son
indépendance et continuer comme c' était
le cas avant, à garantir à ses membres les
avantages d' une vie politique interne ? On peut se rappeler
que ce grand mouvement n' a pas tenu de congrès
national depuis le milieu des années quatre-vingt. Il ne
faut pas s' étonner, dès lors, du manque
total d' un fonctionnement démocratique dans ses
rangs. Dans de telles circonstances, perdre le pouvoir via des
élections peut entraîner des réactions
contraires à la démocratie et à son
fonctionnement (par exemple le principe de l' alternance au
pouvoir).
En plus la gestion de l' autorité
exercée par le Fatah s' est vue dominée
par un processus progressif de corruption. Ce
phénomène ressenti au quotidien par la population
palestinienne des territoires occupés, a
participé pour une grande part à la perte des
élections du 25 janvier 2006. Le résultat des
élections peut être
considéré comme ce qu' on appelle un
« vote de protestation ».
Cependant, alors que la corruption progressait, le processus
d' Oslo engendrait simultanément sur le terrain une
régression rendant la vie du peuple palestinien plus
difficile chaque jour ; car sur le plan politique, loin de constituer
une ébauche de solution pour le conflit, le processus
d' Oslo n' a réussi
qu' à compliquer les perspectives d' une
paix juste.
Pour garder les privilèges de ce pouvoir qu' il a
perdu lors des élections du 25 janvier 2006, la direction du
Fatah a fait tout pour empêcher la partie gagnante (le Hamas)
de gouverner normalement. Pour ce faire, elle a
été aidée par les puissances
extérieures (USA, UE, etc.) et surtout par la politique
israélienne. L' homme fort du Fatah à
Gaza, Mohammed Dahlan, a utilisé les différentes
forces de sécurité liées à
l' autorité palestinienne pour entraver le travail
des membres du gouvernement issus du Hamas suite aux
élections. Ce fut le début d' une
situation de conflit politique ouvert entre les deux parties.
En ce qui concerne le Hamas, à aucun moment, il
n' a voulu réellement partager le pouvoir avec les
autres tendances. Les négociations qu' il a
menées avec les autres partis, manquaient d' une
vraie disposition de sa part à la conciliation en vue du
partage des responsabilités gouvernementales. En plus, le
Hamas n' a jamais montré une réelle
volonté à s' engager à
intégrer l' OLP en participant à sa
recomposition (un chantier en attente), pour qu' elle devienne
le cadre politique et institutionnel représentant
réellement l' ensemble des Palestiniens. Cette
attitude montrait que ce mouvement n' a pas encore
intégré dans sa culture la logique du consensus
politique.
On se rappelle que son premier gouvernement ne comportait que des
éléments du Hamas. Quant au deuxième,
formé au mois de mai à la suite de
l' accord de la Mecque avec le Fatah sous
l' égide du roi d' Arabie, il
n' est qu' une redistribution des
privilèges liés au pouvoir. Leur accord ne
représentait pas un véritable accord politique,
loin s' en faut, pour l' ensemble des Palestiniens.
Cela explique que l' affrontement entre les deux
était inévitable et que, peu de temps
après la constitution de ce deuxième
gouvernement, les rues de Gaza ont connu des affrontements fratricides
et meurtriers qui ont fait des dizaines de victimes.
Depuis le 14 juin, date du coup de force du Hamas à Gaza,
les dirigeants de ce mouvement s' isolent de plus en plus
à défaut d' accepter une attitude
basée sur la culture du consensus politique. La
répression est devenue le seul moyen qu' ils
utilisent non seulement à l' égard des
membres du Fatah mais également envers d' autres
tendances palestiniennes comme le Jihad islamique et le FPLP. Dans ce
sens, on peut comprendre leur politique répressive
à l' égard également de la
presse (fermeture des stations de radio comme « La voix du
peuple » du FPLP, des stations de
télévision, l' arrestation de
journalistes dans le contexte d' une pratique
d' intimidation, etc. ; l' interdiction pour beaucoup
d' associations de poursuivre leurs activités en
cours et plus grave encore, l' endoctrinement des membres du
Hamas en vue de créer chez eux une attitude de
méfiance envers tous les autres. En lisant les articles sur
le site du Hamas en langue arabe, la culture du complot est
omniprésente. Dès lors, leur machine de
répression trouve sa justification tout en accusant les
autres d' être les responsables.
Cette logique répressive du Hamas explique la
tragédie du 13 novembre. En poursuivant dans ce sens, le
Hamas facilite pour la partie adverse (la Direction du Fatah) des
réactions répressives envers les militants du
mouvement du Hamas en Cisjordanie. Déjà les
forces de sécurité palestiniennes
contrôlées par Mahmoud Abbas ont
arrêté presque 500 membres du Hamas et
fermé 120 associations qui assuraient un travail social et
politique dans les territoires de la Cisjordanie et la suspension du
paiement des salaires de presque 30 000 fonctionnaires
nommés par le Hamas depuis qu' il est au pouvoir.
Dans l' intérêt du peuple palestinien, il
est urgent d' arrêter cette logique
répressive des uns et des autres et de sortir de ce
processus d' interactions destructrices qui paralysent les
capacités de ses mouvements.
Que faire ?
• Le Hamas doit faire le
premier geste dans un processus
d' apaisement qui consisterait à restituer les
locaux des différentes institutions palestiniennes
(ministères, casernes et autres infrastructures
qu' il contrôle) à
l' autorité palestinienne
représentée par Mahmoud Abbas. Certains
mouvements palestiniens comme le FPLP ont proposé que ces
infrastructures soient mises à la disposition
d' une tierce partie, ce qui pourrait constituer une solution
intermédiaire envisageable.
• La dissolution du gouvernement d' urgence national
(celui de la Cisjordanie), présidé par Salam
Fayad, car celui-ci n' a aucune
légitimité institutionnelle. Il
s' inscrit dans le processus des réactions
entamé par les uns et les autres, face à cette
crise institutionnelle extrêmement grave. Notre peuple vivant
dans les territoires occupés devra être
consulté rapidement sur la base d' un
système électoral intégralement
proportionnel. Cela permettra de mettre en place un système
politique pluraliste et fonctionnel bien utile pour en finir avec le
dualisme qui bloque la vie politique palestinienne.
• Reconsidérer la composition de toutes les
institutions de sécurité palestiniennes que ce
soit en Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza, car il est plus
qu' urgent et l' expérience l' a
montré d' entamer une politique dite de «
dépolitisation » de celles-ci. Il faut
qu' elles s' éloignent de toute influence
sectaire et doivent avoir une seule mission : celle de la protection
des citoyens aussi bien au niveau interne que face aux exactions
répétées des forces militaires
israéliennes.
• Limiter le dialogue national à un
face-à-face entre le Fatah et le Hamas, c' est
révéler une erreur tragique dans la mesure
où le dialogue ne peut qu' être national
(regroupant toutes les tendances palestiniennes), l' accord du
Caire, conclu entre les treize mouvements palestiniens constitue un bon
départ pour reprendre un dialogue interne dont
l' objectif est de former un nouveau gouvernement
d' unité nationale sur une base pluraliste et
représentative de toutes les mouvances politiques afin de
répondre au mieux aux attentes de la population et de faire
face efficacement au défi de l' occupation.
• Entamer sérieusement le processus de
recomposition de l' OLP en tant qu' unique
représentant du peuple palestinien qu' il soit sur
place ou bien en diaspora. Cette recomposition doit passer par
l' entrée de mouvements qui ne font pas encore
partie de l' OLP tels que le Hamas et le Jihad islamique.
Quant à la question de la
représentativité de chaque mouvement au sein des
instances de l' OLP (Conseil national palestinien, Conseil
central de l' OLP et Comité exécutif)
cela doit passer chaque fois que c' est possible par un
processus électoral. Ce sont les Palestiniens qui doivent
décider librement de cette
représentativité.
• Il faut opérer une séparation plus que
nécessaire entre les mouvements palestiniens en tant que
force politique qui jouent leur rôle comme tel,
l' un ou l' autre susceptibles accéder au
pouvoir grâce à des élections comme il
peut très bien se retrouver dans l' opposition et
les institutions de l' autorité palestinienne qui
doivent rester au service de l' ensemble des Palestiniens.
Celles-ci ne doivent pas être la
propriété des uns ou des autres, sans jamais
perdre de vue que l' autorité palestinienne
n' a de légitimité que sur la base des
accords d' Oslo de 1993. Sa mission se limite à la
gestion des affaires des palestiniens habitant les territoires
occupés.
• Quant à l' OLP, elle est seule
habilitée à gérer le dossier politique
palestinien sur le plan de la politique internationale. En tant que
représentant de tous les Palestiniens, son programme doit
être celui de l' unité nationale qui
défend les éléments fondateurs des
revendications du peuple palestinien, à savoir le droit
à la création d' un Etat palestinien
indépendant, le droit au retour des
réfugiés palestiniens sur la base de la
résolution 194 des Nations Unies de 1948 et sa
représentativité sur la scène
politique internationale.
• La gauche palestinienne se trouve dans un moment historique
de son existence. Elle est appelée à unifier ses
rangs en vue de présenter la troisième voie
à coté du Hamas et du Fatah dont le peuple
palestinien a plus que jamais besoin ; ses cinq composants
(à savoir le FPLP, FDLP, PPP, FIDA et l' Initiative
nationale) doivent enfin avoir une attitude de forces responsables et
dépasser certaines querelles de leadership. Elle est capable
de le faire, si et seulement si, ses dirigeants se montrent conscients
de leur rôle historique. S' ils ne le font pas, ils
sont à mes yeux co-responsables de maintien de cette
situation dangereuse et qui peut devenir chaotique.
Hamdan AL DAMIRI
www.michelcollon.info
sommaire