Syrie : ce que révèle une crise internationale majeure

Jacques Fath Responsable des relations internationales du PCF le 15/08/2012 publié le : 20 octobre, 2012

Cet article est une pièce du débat en cours : un débat s'ouvre sur les positions du pcf

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Nicolas Sarkozy se venge. Avec la droite, il veut faire payer les critiques dont il fut l’objet lorsque son gouvernement et lui-même, en 2011, ont choisi de soutenir jusqu' au bout le dictateur tunisien Ben Ali et même son compère égyptien Moubarak, fourvoyant ainsi la France dans une consternante et très réactionnaire bévue, si caractéristique d’une politique peu regardante sur les principes et sur l’exigence démocratique pourvu qu' elle puisse assurer la continuité de certains intérêts économiques et stratégiques.

Faut-il le rappeler, Nicolas Sarkozy cru possible -à tort- d’effacer du débat politique son indigne soutien aux dictatures en poussant Washington, Londres et l’OTAN dans une vaste opération militaire en Libye…au nom de la démocratie (et là aussi pour quelques intérêts). Les résultats ne furent pas probants. Et, surtout, cette guerre de Libye fut le facteur déclenchant d’une déstabilisation brutale du Mali et d’une mise en danger de l’ensemble de la région sahélo-saharienne où la montée de l’islamisme politique radical, et notamment d’Al Qaida, ne fait qu' ajouter à la fragilité des pays concernés. On a vu comment l’Etat malien s’est littéralement effondré.

Fillon, Copé, Morano…mais aussi de Villepin et encore l’inénarrable BHL ne tarissent pas de blâmes ou de commentaires pour fustiger l’absence et l’impuissance diplomatique de la France dans le dossier syrien. Mais cette impuissance, est-elle seulement française ? Aucune des initiatives avancées par l’opposition syrienne, la Ligue arabe, le Conseil de sécurité et Kofi Annan et même la Russie n’a pu aboutir à quoi que ce soit. Kofi Annan, négociateur de grande expérience, a dû jeter l’éponge. On en est à plus de 20 000 morts. Des villes entières subissent des destructions majeures…A qui fera-t-on croire qu' une crise de cette dimension ne dure que par la faiblesse des diplomaties? Le soulèvement syrien a d’ailleurs commencé en mars 2011. Entre mars 2011 et avril 2012, soit plus d’une année, la droite française et Nicolas Sarkozy se sont ils distingués par une efficacité diplomatique particulière?

Ce qui se passe en Syrie est d’une telle gravité pour le peuple syrien et pour l’ensemble du Proche-Orient que cela appelle autre chose que ces joutes verbales de basse polémique.

Oui, hélas, il y a impuissance. Impuissance de la France, de l’Union européenne, du Conseil de sécurité…Cette impuissance, nul ne peut s’en accommoder. Mais elle a ses raisons.

Des raisons politiques immédiates. L’équilibre des forces est tel que nul ne peut aujourd’hui franchement l’emporter. Ni le pouvoir, en dépit des défections, ni l’opposition - militairement aidé par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie - ne sont parvenus à rassembler l’ensemble du peuple syrien.

Dans cette escalade à la militarisation il n’y a guère de place pour la négociation même si, au bout, il faudra bien une solution politique. Des voix progressistes importantes se font entendre dans l’opposition syrienne, qui le rappellent en soulignant l’urgence d’en finir avec une guerre civile qui met des villes entières à feu et à sang et risque de diviser durablement la Syrie.

Des raisons géopolitiques expliquent aussi l’impasse actuelle. La crise n’est pas seulement syrienne. Elle est régionale et internationale. Elle traduit des affrontements stratégiques qui dépassent l’enjeu démocratique qui, au départ, a mobilisé avec force et courage tout une partie du peuple syrien contre la répression criminelle du régime de Bachar El Assad.

Les Etats-Unis cherchent à briser l’alliance Iran, Syrie, Hezbollah. D’où le refus qu' ils ont opposé à Kofi Annan d’une négociation impliquant le régime de Téhéran accusé de vouloir accéder à la maîtrise du nucléaire militaire. L’idée était pourtant intelligente: c’est bien, avec ses principaux ennemis qu' il faut négocier !…La diplomatie est faite pour ça. Washington porte donc une responsabilité dans l’impasse. La Russie aussi qui ne veut ni perdre l’allié syrien actuel, ni devoir affronter dans l’avenir, une montée de l’islamisme politique radical et du djihadisme dans ses zones d’influence, alors que ces courants sont très présents dans l’opposition au régime de Damas et notamment au sein du Conseil national syrien (CNS).

Ainsi, à la crise syrienne, se mêle la crise sur le nucléaire iranien, le problème de l’instrumentalisation de l’islamisme radical par Washington, Djeddah et Doha…mais aussi la question de Palestine puisque le gouvernement israélien, qui renforce actuellement ses capacités militaires, ne cesse de menacer l’Iran d’une vaste offensive militaire. Ce qui permet aux dirigeants de Tel Aviv d’écarter toute initiative éventuelle sur l’exigence de l’Etat palestinien et du respect des résolutions de l’ONU.

La crise syrienne révèle ainsi que tout est lié. Au Proche-Orient, toute crise est surdéterminée par des enjeux géopolitiques majeurs. Cela n’échappe d’ailleurs à personne. François Fillon, et d’autres avec lui, ne vont pas (pas encore ?) jusqu' à en appeler à une intervention militaire. Tout le monde est obligé de mesurer l’ampleur des risques. La Syrie n’est pas la Libye…

L’impuissance est donc générale. Elle révèle des politiques à bout de souffle dans un monde où explosent les aspirations à la démocratie, à la souveraineté, à la sécurité, au développement humain…Les modes de gestion traditionnels des relations internationales ne peuvent plus contribuer aux réponses nécessaires. Les problèmes du monde appellent d’autres conceptions politiques sur d’autres valeurs.

C’est ce qu' expriment les changements progressistes en Amérique latine, les soulèvements populaires dans le monde arabe, la montée des luttes en Europe et ailleurs. Les stratégies hégémoniques, les luttes d’influence, les politiques de puissance, jusqu' au clientélisme de domination…toutes ces logiques de force néo-impériales très actuelles, qui accompagnent des crises économiques profondes et un néo-libéralisme socialement destructeur, sont dépassées.

Le peuple syrien paie très cher la cristallisation dans son pays de toutes ces contradictions. Et le prix à payer serait encore plus élevé si une intervention militaire était décidée, avec ou sans résolution de l’ONU: éclatement possible de la Syrie, guerre civile au Liban, déstabilisation de l’ensemble de la région…

On voit cependant revenir les idées d’une zone d’exclusion aérienne ou de couloirs humanitaires…ce ne serait probablement que de premiers pas dans une confrontation militaire de grande ampleur.

Devant de tels enjeux et de tels dangers, il faut bannir la polémique, faire preuve de grande responsabilité et chercher avec ténacité tous les moyens politiques possibles pour faire prévaloir un processus politique négocié. Il est nécessaire que la France soit à l’initiative mais dans un tel contexte l’initiative doit être multilatérale. Une réunion du Conseil de sécurité au niveau ministériel - demandée par la France - est un choix positif. Dommage que malgré l’urgence il faille attendre fin août pour l’obtenir…ce qui en dit long sur l’hypocrisie ambiante et les cris d’indignation devant l’escalade de la violence.

Les autorités françaises doivent montrer leur volonté d’aider l’ensemble de l’opposition à s’unir tout en favorisant les forces porteuses d’une projet réellement démocratique et unificateur pour la Syrie.

Enfin, il faudra tirer les enseignements essentiels de cette énième crise internationale majeure après l’Irak, l’Afghanistan, la Libye…Il n’est pas une de ces guerres qui ne se soit traduite par une déstabilisation régionale, qui n’ait démontré l’inanité des logiques de force et l’exigence d’une transformation profonde des relations internationales. C’est une question essentielle qui doit être mise dans le débat public parce qu' il y va de l’avenir du monde et du sens qu' on donne à la responsabilité en politique.

Transmis par l'auteur

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