La victoire du Hamas et l'absence d'un véritable processus de paix

Rachad Antonius

La victoire inattendue du Hamas aux élections en Palestine a suscité la crainte que le processus de paix soit à présent en danger. Nous soutenons au contraire que la raison principale qui a amené le Hamas au pouvoir est précisément l'absence d'un véritable processus de paix.

Rachad Antonius
Professeur de sociologie, Université du Québec à Montréal
Mardi 31 janvier 2006

Car le processus diplomatique mis en place depuis Oslo a été miné par l'intensification de la colonisation israélienne, qui s'est poursuivie avec l'appui des pays occidentaux. Les courants politiques palestiniens qui, depuis 1993, avaient parié sur le fait que l'Occident prendrait des positions fondées sur le droit, ont perdu leur pari et ont été ridiculisés par cette confiance aveugle. La corruption et l'inefficacité de l'Autorité palestinienne, dues en partie à l'occupation, auront fait le reste.

Le processus enclenché en 1993 était fondé sur l'idée que la paix nécessitait un retrait complet d'Israël des territoires occupés en 1967 en échange de quoi les Palestiniens tourneraient la page sur la perte de la plus grande partie de la Palestine et feraient la paix avec Israël. Cette solution découlait du droit international qui ne reconnaît pas la légitimité de l'annexion de territoire par la guerre.

Comme l'avait rappelé l'ex-Secrétaire d'État James Baker, en novembre 2000 : «When we negotiated with Israel, we negotiated on the basis of land for peace, on the basis of total withdrawal from territory in exchange for peaceful relations. [...].» (Tr. libre : «Lorsque nous négocions avec Israël, nous négocions sur la base d'un échange entre terre et paix, sur la base d'un retrait total du territoire en échange de relations pacifiques.») Cette interprétation avait été confirmée par l'ancien président Jimmy Carter dans le Washington Post du 26 novembre 2000.


Emprise consolidée


Or le processus enclenché depuis 1993 a permis à Israël de consolider son emprise sur les territoires occupés et a entraîné une détérioration majeure des conditions de vie des Palestiniens et une augmentation du niveau de violence qu'ils subissaient.


En 1993, il y avait dans les territoires occupés environ 200 000 colons juifs, installés là en violation de la IVe Convention de Genève de 1949. L'article 49 de cette Convention interdit formellement à une puissance occupante de modifier la composition démographique d'un territoire occupé, et notamment d'y installer sa propre population.

Or, en l'espace de sept ans, Israël a installé dans ces territoires autant de nouveaux colons que durant les 26 années précédentes, soit près de 200 000 colons, pour un total de près de 400 000 colons. Ces derniers recevaient appuis financiers, hypothèques à taux réduits et services sociaux afin de prendre possession des territoires palestiniens pour le bénéfice exclusif de la composante juive de la société israélienne. Et cela s'est fait alors qu'on négociait supposément pour mettre fin à l'occupation ! Difficile d'appeler cela un processus de paix.

Durant ces sept années de négociations, Israël a poursuivi l'extension des colonies et la création dans les territoires occupés d'un réseau de voies rapides destinées exclusivement aux colonies juives et interdites aux Palestiniens.

Outre que ceci démontrait les intentions israéliennes, les conditions de vie des Palestiniens se sont grandement détériorées à cause de ces routes qui découpaient leur territoire en petits morceaux. Mais l'appui occidental à Israël n'a pas diminué de façon significative, et ce sont plutôt les Américains qui se sont rangés aux visions israéliennes. Lors du retrait de Gaza, le président Bush s'est engagé par écrit à appuyer l'annexion de larges portions du territoire palestinien, allant ainsi contre les principes de la politique américaine affichés précédemment et surtout contre le droit international.

On a fait grand cas des 9000 colons qui ont été évacués de Gaza en 2005 et dont le sacrifice a été présenté comme un geste courageux du gouvernement israélien pour avancer vers la paix. Or durant la même année, 12 000 nouveaux colons juifs ont été installés en Cisjordanie, soit un gain net de 3000 nouveaux colons juifs sur des terres palestiniennes, un fait qui a à peine été mentionné dans la presse d'ici.

Colonisation contrée

Depuis 2003, Israël prétend qu'il n'y a pas de partenaire palestinien avec qui négocier, et a entrepris des mesures unilatérales visant l'annexion formelle de larges portion de la Cisjordanie. En décembre dernier, la ministre de la Justice en Israël, Tzipi Livni, déclarait publiquement que la barrière qu'Israël a construite bien à l'intérieur des territoires palestiniens servirait «de frontière future de l'État d'Israël», contredisant ainsi la position israélienne officielle, adoptée pour fins de relations publiques, selon laquelle le tracé de cette barrière était temporaire. Il est à craindre que l'élection du Hamas fournira une excuse à cette annexion planifiée.

Que signifient ces faits ? Qu'il ne s'agit pas là d'un processus de paix visant à mettre fin à l'occupation, mais d'un processus qui vise à coloniser le reste de la Palestine. Israël veut continuer à occuper le territoire, avec l'accord des Palestiniens et de façon pacifique. L'élection du Hamas démontre que cela n'est pas possible, et ce constat explique en grande partie la démonisation dont ce mouvement fait l'objet. Inutile de souligner combien cette vision israélienne des dominés, dont on s'attend à ce qu'ils disent merci à ceux qui les ont dépossédés, rejoint les visions racistes qui ont caractérisé l'ère coloniale.

L'Autorité palestinienne et les courants démocratiques et laïques dans la société palestinienne avaient pris des risques politiques considérables pour appuyer le processus de paix. Sous les pressions occidentales (l'aide financière en dépendait !), ils ont été obligés de traiter avec un adversaire dont la volonté d'étouffer la Palestine a toujours été affirmée.

On ne soulignera jamais assez le discrédit subi par les courants politiques qui prônent le dialogue et la réconciliation, aux yeux de larges masses palestiniennes qui voient bien que ce processus vise en fin de compte à légitimer l'occupation de portions importantes du territoire palestinien.

Quant à la dimension fondamentaliste du Hamas, si elle exprime l'orientation idéologique d'une partie de la population, elle n'exprime certainement pas le premier choix de tous ceux et celles qui ont voté Hamas pour les raisons mentionnées ci-dessus.

Il est évident, cependant, que cette orientation gagnera en légitimité et en impact à la suite de cette victoire, même si le Hamas adopte une position plus pragmatique. Ainsi, en Palestine comme dans plusieurs autres pays arabes, les fondamentalistes auront été renforcés par l'échec des tendances laïques. Quand les dirigeants occidentaux le comprendront-ils ?