COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante-neuvième session
Point 9 de l'ordre du jour provisoire
QUESTION DE LA VIOLATION DES DROITS
DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES, OU QU'ELLE SE PRODUISE DANS LE MONDE.
Exposé écrit présenté par l'Association américaine de juristes, organisation non gouvernementale dotée de statut consultatif spécial et le Centre Europe-Tiers Monde, organisation non gouvernementale dotée de statut consultatif général
Le Secrétaire général a reçu l'exposé écrit ci- après, qui est distribué conformément à la résolution 1996/31 du Conseil économique et social
[3 février 2003]
Les normes et les mesures contre le terrorisme à niveau international et regional et le respect des droits de l’homme : le Conseil de Sécurité et l'Union Européene.
I. LE CONSEIL DE SECURITE, avec les Résolutions 1368 et 1373 du 12 et 28 septembre 2001, adoptées dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, c'est à dire obligatoires pour tous les états, a donné un semblant de légitimité à la stratégie planétaire mise en exécution par les Etats-Unis après le 11 septembre.
Les Résolutions 1368 et 1373 du Conseil de Sécurité évoquent le terrorisme sans le définir, ce qui ouvre la porte à toutes sortes d'arbitraires.
Les Résolutions 1368 et 1373 parlent aussi de légitime défense ,( « droit inhérent de légitime défense individuelle ou collective conformément à la Charte" [des Nations Unies]) pour essayer de donner une légitimité juridique internationale aux bombardements d'Afghanistan, ce qui n'a pas de sens, puisque la légitime défense est la réponse immédiate contre un agresseur, pour mettre fin a l'agression là où elle est en train de se produire [1] . Attaquer plus tard et ailleurs un territoire dont on présume qu'il est la base d'opérations des agresseurs est, dans le meilleur des cas, une attaque armée de représailles, si ce n'est une agression pure et simple, interdite par le droit international.
En outre, le droit à la légitime défense invoqué dans le résolutions 1368 et 1373 du Conseil de Sécurité figure dans l'article 51 de la Charte, qui dit: …"jusqu'à ce que le Conseil de Sécurité ait pris les mesures pour maintenir la paix et la sécurité internationales". C'est à dire que le droit à la légitime défense s'exerce jusqu'à la saisine de l'affaire par le Conseil de Sécurité. C'est ce qui à fait le C. de S. avec ses résolutions 1368 et 1373. Donc, le Conseil de Sécurité ne pouvait pas, dans le cadre de la Charte des Nations Unies, avaler à l'avance comme légitime défense les actions unilatérales qui les Etats Unis entreprirent le 7 octobre 2001, c'est à dire après que le C. de S. s'est saisi de l'affaire avec les résolutions 1368 du 12 septembre et 1373 du 28 septembre 2001.
Enfin, en cas de menace contre la paix, le chapitre VII de la Charte ne préconise pas directement le recours à la force armée. Il propose des mesures provisoires graduelles, et ce n'est qu'en cas d'inadéquation de celles-ci que le Conseil peut prendre des actions telles que des démonstrations, des mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de membres des Nations Unies (art. 42).
Il faut signaler aussi que la résolution 1373 du Conseil de sécurité demande entre autre aux Etats de s'assurer que les demandeurs d'asile n'ont pas commis d'actes terroristes, et de ne pas s'opposer à leur extradition au motif de revendications politiques. Sachant que la protection internationale des réfugiés n'est pas souvent respectée, et que les pays ont de plus en plus tendance à refuser le droit d'asile, cette résolution fait des réfugiés des victimes potentiels des abus.
II. Le 12 juillet 2002, le Conseil de Sécurité a donné la preuve éclatante de sa soumission inconditionnelle aux ordres des Etats-Unis, assurant l'impunité au terrorisme international d'état des Etats-Unis.
En effet, le 12 juillet, sous la pression des Etats-Unis, le Conseil de Sécurité a approuvé à l'unanimité la Résolution 1422 par laquelle il ordonne a priori à la future Cour Pénale Internationale qu'elle s'abstienne d'enquêter sur les accusations contre des représentants d'états - en mission autorisée par l'ONU - qui ne font pas partie du Traité de Rome, comme par exemple les Etats Unis. Le Conseil de Sécurité, et particulièrement les Etats membres du Conseil qui font partie du Traité de Rome, ont violé le Traité, en interprétant de façon arbitraire son article 16 (déjà très limitative de l'indépendance de la Cour face au Conseil de Sécurité), et ils ont violé aussi l'article 18 de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités, qui interdit aux signataires des Traités de prendre des mesures qui tendent à frustrer les objectifs du Traité [2] .
III. L'UNION EUROPéENNE
Le 27 décembre 2001 le Conseil de l'Union européenne, suivant de prés l'approche de la Résolution 1373 du Conseil de Sécurité, adopta quatre mesures sur le terrorisme: deux Positions communes du Conseil dans la lutte contre le terrorisme, un Règlement et une Décision . Le 13 juin 2002 le Conseil de l'Union adopte une Décision-cadre et le 15 juillet 2002 des "Lignes directrices du Comité de Ministres du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme".
Tout ce train de mesures comprend une définition très large du terrorisme et surtout des "personnes , groupes, et entités impliquées dans des actes de terrorisme" (article 1er., paragraphe 2 de la Position commune 931) qui peut permettre qualifier comme terroristes un large éventail de personnes et d' organisations.
Le Conseil a établi des listes de personnes et d'organisations qualifiées de terroristes, listes soumises à révisions périodiques mais qui peuvent s'établir sans contrôle judiciaire (paragraphe 4 "in fine" de l'article 1er de la Position commune 931 du 27/12/01).
Toutes ces mesures sont d'application obligatoire par les états membres de l’Union Européenne sans aucun examen préalable des Parlements des états membres.
L'exclusion dans ces mesures de toute référence au terrorisme d'état est exprimée de manière explicite dans le Considérant 11 de la Décision-cadre du 13 juin 2002 qui en exclut les "activités menées par les forces armées d'un état dans l'exercice de leurs fonctions officielles…".
Il faut cependant dire qu'il y a des différences importantes entre les mesures adoptées le 27 décembre 2001 et la Décision-cadre du 13 juin 2002. Dans cette dernière on fait allusion au respect des droits fondamentaux (Considérant 10) totalement oubliés dans les mesures du 27 décembre, et on respecte mieux l'autonomie juridique et législative des états nationaux [3] .
Le 19 septembre 2001, la Commission des Communautés européennes a adopté deux propositions de décision‑cadre du Conseil de l’Union européenne: l’une relative à l’harmonisation des législations pénales des états membres en vue d’établir une définition commune de l’acte terroriste et de prévoir des sanctions pénales communes, l’autre ayant trait à la création d’un mandat d’arrêt européen.Cette dernière, est issue de la réunion du Conseil européen de Tampere (1999), où il a été décidé de remplacer l’extradition par une procédure de remise des personnes coupables d’attaques terroristes sur la base d’un mandat d’arrêt européen. Le 6 février 2002, le Parlement européen a voté à une grande majorité en faveur des deux propositions de décision‑cadre. Ces deux propositions constituent un pas sur la voie de la création d’un espace judiciaire européen. La proposition de décision‑cadre relative à la lutte contre le terrorisme, qui contient une définition commune des divers types d’infractions terroristes et établit des sanctions pénales rigoureuses, devrait entrer en vigueur en janvier 2003 et la décision relative au mandat d’arrêt européen en janvier 2004. Avec cette dernière décision c'est la fin de fait du droit d'asile en Europe.
Avec le souci affiché de protéger les droits de la personne le Conseil à émis le 15 juillet 2002 les "Lignes directrices du Comité de Ministres du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme". Mais il faut signaler que l'article IX des "Lignes directrices" admet "certaines restrictions au droit de la défense" et l'article XII , bien qu'il précise que la décision sur une demande d'asile doit pouvoir faire l'objet d'un recours effectif, dispose que "lorsque l'état a des motifs sérieux de croire qu'une personne qui cherche à bénéficier de l'asile a participé à des activités terroristes, le statut de réfugié doit lui être refusé". A cause de cette disposition, ce sont les services de renseignement qui décident et le droit à un recours effectif tombe à l'eau.
Dans le même article XII des Lignes directrices figure l'interdiction des expulsions collectives d'étrangers, interdiction déjà établie dans l'article 4 du Protocole 4 de 1963 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés.
Malgré cela, fin juin 2002, les leaders de l'Union européenne réunis à Séville, s'accordèrent pour mettre en place "une politique communautaire de retour des résidents illégaux" qui comprend, avec l'objectif de réduire les frais, le rapatriement conjoint d'"illégaux" de différents pays européens dans un même avion, quand ils ont une destination commune. C'est à dire les expulsions collectives, pour accélérer la "solution finale" du problème de l'immigration clandestine en Europe (journal "El País", Espagne, 24/6/02, p. 1 et 2).
IV. L'ARGENT SALE RESTE INTOUCHABLE.
Les droits de l'homme sont mis entre parenthèses au nom de la lutte contre le terrorisme. Mais il y a, cependant , un domaine qui n’a pas été touché par les mesures contre le terrorisme: l’argent sale, qu’alimente aussi les caisses du terrorisme, reste intact. Le journal économique français La Tribune titrait le 11 septembre 2002 : « Les paradis financiers sont intacts, l’argent des terroristes aussi » et en sous-titre : « Malgré les déclarations d’intentions au lendemain des attentats rien –ou presque- n’a été fait pour mettre sur surveillance les paradis financiers ». L’article signale, à ce sujet, l’attitude négative des grandes puissances et le piètre résultat obtenu : 10 millions de dollars gelés d’un total à la portée des groupes terroristes estimé à 1000 milliards sur les 5000 milliards à l’abri dans les centres « offshore ». Et l’article conclut : « Les fraudeurs du fisc, les corrompus, et surtout les entreprises multinationales, ayant constitué d’énormes caisses noires se partagent les 4000 milliards restants »… [4]
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[1] Olivier CORTEN et François DUBUISSON, Professeur de droit international et Professeur assistant à l’Université Libre de Bruxelles, Centre de droit international et de sociologie appliquée au droit international, Opération « liberté immuable » : une extension abusive du concept de légitime défense, en Revue Générale de Droit International Publique (RGDIP) , T. 106, Nº 1, avril 2002, Paris.
[2] La Sous-commission, dans sa résolution 2002/4 a dit que: …"2. Déplore vivement l'immunité de principe accordée en vertu de la résolution 1422 (2002) du 12 juillet 2002 du Conseil de sécurité aux ressortissants d'états parties ou non au Statut qui participent à des opérations décidées ou autorisées par le Conseil de sécurité en vue de maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationales;…".
Pour sa part, Amnesty International, le 16 juillet 2002 s'est déclarée …"consternée par la résolution contraire au droit international adoptée par l'ensemble des membres du Conseil de sécurité…En adoptant une telle résolution, le Conseil de sécurité a tenté de modifier un traité international… En outre, le Conseil de sécurité outrepasse ses pouvoirs en essayant de modifier les dispositions d'un traité pleinement compatible avec la Charte des Nations unies. Par ailleurs, en invoquant le Chapitre VII de la Charte des Nations unies, le Conseil de sécurité a abusivement assimilé la menace des états-Unis d'opposer leur veto aux opérations de maintien de la paix à une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression"….
Voir aussi notre document E/CN.4/2003/NGO/…. LA RESOLUCIÓN 1422 DEL CONSEJO DE SEGURIDAD Y EL ARTÍCULO 16 DEL ESTATUTO DE LA CORTE PENAL INTERNACIONAL pour le point 10 d) du programme provisionnel.
[3] Dans la première partie du Considérant 11 de la Décision-cadre on dit: "La présente décision-cadre ne régit pas les activités des forces armées en période de conflit armé, au sens donné à ces termes en droit international humanitaire, qui sont régis par ce droit…". C'est-à-dire que les forces armées de groupes insurgés et de mouvements de libération nationale en sont aussi exclues parce que ce sont des forces armées dans le cadre du droit international humanitaire (article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949, article 4 de la 3ème Convention et article 1er , paragraphe 4 du Protocole I et paragraphe 1 de l'article 1er du Protocole II de 1977). Malgré cela, la Position commune du Conseil du 17 juin 2002 nº 462 et la Décision du Conseil nº 460 de la même date, incluent dans la liste d'organisations terroristes des organisations qui ne devraient pas y figurer parce qu'elles sont comprises dans l'exclusion du Considérant 11 de la Décision-cadre, comme par exemple les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC). Si ces organisations violent le droit international humanitaire (et elles le font) elles doivent être punies dans le cadre du droit international humanitaire et non comme des organisations terroristes. Dans le cas des FARC, le Conseil prend une décision politique sans aucune base juridique et, de surcroît, fait abandonner à l'Union européenne son rôle de médiateur dans le conflit.
[4] Journal La Tribune, Paris, 11/09/02, p. 6.