Fin de l’ère Bertinotti : virage à gauche
du PRC
Stefano G. Azzarà
Mission accomplie, pourrait-on dire. Ancien ouvrier métallurgiste
issu de la mouvance gauchiste post-68 de « Democrazia Proletaria »
et ex-ministre des politiques sociales pendant le court gouvernement Prodi,
Paolo Ferrero a battu hier le président de la Région des Pouilles
Nichi Vendola lors d’un vote très serré, pour 342 contre
304, et il est à présent le nouveau secrétaire de Rifondazione
Comunista. L’appui du courant léniniste de « L’Ernesto
» a été déterminant. Ainsi, avec une déchirure
nette à l’intérieur du Parti mais aussi avec une clarification
politique et culturelle se clôt la longue saison dominée par la
figure de Fausto Bertinotti qui avait mené Rifondazione Comunista à
la catastrophe électorale des 12 et 13 avril 2008.
L’issue du VII congrès de Rifondazione a immédiatement
été commentée de manière très hostile par
le monde politique italien, de la droite à la gauche, en particulier
par le Parti Démocrate ainsi que par presque toute la presse : la thèse
prédominante, soutenue par « La Repubblica » et « Il
Corriere della Sera » affirme que Rifondazione avait tenté avec
Bertinotti de se renouveler et se redéfinir en tant que nouvelle gauche
moderne ouverte au dialogue mais, désormais, le Parti revient sur des
positions nostalgiques d’un communisme intransigeant. Or la réalité
est plus complexe. Cette réaction du monde politique et des médias
italiens montre, plutôt, que les choix de Rifondazione, quelle que soit
leur origine, n’ont pas l’heur de plaire aux centres du pouvoir
politique et économique. Ces choix représentent donc une intéressante
nouveauté, un virage à gauche pouvant aboutir à des développements
féconds.
Rifondazione était sortie annihilée de l’expérience
du gouvernement Prodi. En deux ans elle n’avait obtenu aucun résultat
politique important et elle avait fortement déçu ses soutiens,
dissipant un patrimoine de plus de deux millions et demi de voix. Aux élections
d’avril dernier, elle s’était présentée dans
l’alliance « Sinistra Arcobaleno » en renonçant à
son nom et au symbole avec la faucille et le marteau et elle n’avait obtenu
que les 3,2%, ce qui lui interdisait de siéger au Parlement [barrage
de 4%, réforme votée avec l’appui de RC !]. Aussitôt
la majorité du Parti, qui avait jusqu' alors obstinément
et aveuglement appuyé le leader charismatique Fausto Bertinotti, s’est
divisée en deux. Contre Vendola qui représentait la continuité
avec l’héritage de Bertinotti et qui entendait dissoudre Rifondazione
en un Parti de la gauche radicale, mais non communiste, s’est immédiatement
levé Ferrero qui s’est présenté au congrès
comme le défenseur du Parti et de son identité.
En réalité, les différences politiques
entre Vendola et Ferrero étaient bien moindres de ce que laissait croire
l’âpreté des conflits au congrès. En effet, Ferrero
voulait lui aussi, au fond, repositionner Rifondazione au sein d’une plus
large fédération de la gauche, sur le modèle de l’Izquierda
Unida espagnole. Sujet où la perspective communiste inévitablement
perdrait toute son autonomie, encore que Ferrero voulût parvenir à
ce résultat dans un laps de temps plus long et avec des modalités
différentes par rapport à Vendola. C’est justement en soulignant
cette homogénéité politique (et culturelle) que plusieurs
analystes avaient prédit une probable recomposition de l’ancienne
coalition liée à Bertinotti juste après le congrès.
C’était la solution « de droite » ouvertement souhaitée
jusqu' au dernier instant par Claudio Grassi, chef du courant « Essere
Comunisti » et allié de Ferrero au congrès. Mais l’aboutissement
a été tout autre. Vendola n’a pas obtenu la majorité
absolue, s’arrêtant à seulement 47,3% face aux 40,3% de Ferrero.
Or il a exigé d’être élu secrétaire quand même,
refusant tout compromis sur un autre nom et maintenant sa proposition d’une
constituante de la gauche. Du coup, le jeu a été rouvert et les
courants minoritaires du Parti sont devenus déterminants.
En particulier, le courant de « L’Ernesto »
– dirigé par Fosco Giannini et par Leonardo Masella et représentant
la sensibilité léniniste dans Rifondazione Comunista – a
su jouer un rôle central. Malgré la polarisation plébiscitaire
du congrès autour des noms de Ferrero et Vendola, L’Ernesto a pu
obtenir les 7,7% en critiquant avec cohérence les choix erronés
de Bertinotti et Vendola dans les années précédentes, mais
aussi ceux de Ferrero : l’entrée au gouvernement, la subalternité
par rapport à la gauche modérée et, surtout, la liquidation
progressive du caractère communiste du Parti entamée déjà
en 1994, en laquelle Ferrero eut de lourdes responsabilités. Sur ces
bases, L’Ernesto n’a pas rejoint la motion de Ferrero ; il a gardé
son autonomie en proposant avec clarté un virage à gauche pour
le Parti et une réunification progressive pour les communistes en Italie.
Lorsque même le courant Essere Comunisti s’est déplacé
vers la gauche, en privant de majorité la ligne politique appuyée
jusque-là et en renonçant à proposer l’alliance entre
les deux motions majoritaires, le cadre a changé en quelques heures.
L’appui de L’Ernesto, avec celui du petit courant trotskyste de
« FalceMartello », 3,2%) est devenu décisif pour assurer
la victoire de Ferrero. Il s’est ainsi formé une nouvelle majorité
de coalition fondée sur un accord de programme où l’Ernesto
a marqué plusieurs points en sa faveur et obtenu une synthèse
sur un document final bien plus avancé et déplacé vers
la gauche par rapport à la motion Ferrero-Grassi, achevant ainsi de façon
brillante une opération politique qui, au début, avait paru désespérée.
Aujourd’hui, Rifondazione renonce à toute velléité
de dépassement de sa nature communiste, souhaité par Bertinotti
et par l’ancien groupe dirigeant. Elle se positionne nettement à
gauche et mise sur le conflit social, sur l’organisation des travailleurs
et sur l’opposition intransigeante au gouvernement Berlusconi pour reconquérir
le consensus de son électorat de référence. Rifondazione
abandonne en outre l’hypothèse d’une alliance stratégique
avec le Parti Démocrate de Walter Veltroni et se présente comme
une force autonome, alternative et de classe. Enfin, Rifondazione se dit prête
à travailler pour une recomposition des forces anticapitalistes, en particulier
des communistes, tant en Italie qu' en Europe, et ce déjà
à partir des prochaines élections européennes de 2009.
Le bilan de ce VII congrès du PRC présente bien
sûr des plus et des moins. La fin de l’expérience Bertinotti
et le virage à gauche du Parti sont extrêmement avantageux. Le
tableau devient encore plus intéressant si l’on considère
que, pour la première fois dans l’histoire du PRC, la présence
de L’Ernesto et d’Essere Comunisti donne à la nouvelle majorité
du Parti une possible orientation solidement gramscienne et léniniste.
A eux deux, L’Ernesto et Essere Comunisti – représentant
jusqu' à il y a peu un seul courant politico-culturel – constituent
à présent le courant le plus fort et influent au sein du PRC.
Quelques graves sujets de préoccupation ne manquent toutefois pas, qu' il
ne faut pas sous-estimer. En effet, il s’agit d’une majorité
fragile et hétérogène –compte tenu de la culture
politique de Ferrero et de la présence de la patrouille trotskyste –
qui arrive à peine aux 52%. Le Parti est maintenant nettement divisé
en deux, le courant de Vendola étant prêt à la scission
au cas où , dans les prochains mois, il n’arriverait pas à
désarticuler la nouvelle majorité en se servant de ses contradictions
et à reprendre en main les rênes du Parti.
Mais le plus grave est ailleurs. Le VII congrès
du PRC a été complètement dépourvu de contenus.
Avant le coup de théâtre final qui a rendu un sens politique à
l’ensemble de la réunion, ce qui s’est déroulé
ressemblait à une pure redéfinition des rapports de force internes
et des groupes dirigeants. Un jeu de massacre qui à plusieurs reprises
a dégénéré en bagarre et qui, surtout, n’a
tenté de résoudre aucun des problèmes réels posés
par la situation politique nationale ni par la grave crise économique
que traverse l’Italie. L’issue du congrès, en somme, laisse
encore espérer mais il en ressort que, pour les communistes en Italie,
l’heure de la véritable reconstruction est repoussée et
que la longue transition commencée en 1989-91 n’est pas du tout
achevée.
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