La leçon du désastre de l’expérience
Izquierda Unida et de la liquidation progressive du PCE pour les communistes
français
Javier Parra,
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Chers camarades,
Je voudrais remercier les organisateurs pour m’avoir
invité à être parmi vous lors de cette rencontre, leur transmettre
à eux tout comme à vous tous, venus de plusieurs pays, les salutations
non seulement de toute la rédaction du journal La Republica, mais aussi
l’accolade fraternelle des militants et dirigeants communistes de diverses
régions d’Espagne qui considèrent, comme ceux qui participent
à cette rencontre, que la reconstruction et le renforcement des Partis
communistes est une nécessité historique.
« Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme
», disait le Manifeste il y a plus d’un siècle et demi cela,
est la phrase reste plus d’actualité que jamais. Durant les trente
dernières années, depuis ces jours radieux que furent les années
1960 et 1970 où les Partis communistes faisaient une démonstration
en Europe de toute leur force, s’est développée petit à
petit une liquidation idéologique et organisationnelle de ces Partis
dans de nombreux pays, à tel point que le moment est venu de dire que
cela suffit.
Je veux vous expliquer à vous tous, et en particulier
aux camarades français qui commencent à endurer un processus similaire
à celui que nous vivons en Espagne depuis 25 ans, le processus d’affaiblissement
qu' a subi le Parti communiste d’Espagne depuis le début des
années 1980, l’importance qu' a eu en cela la création
d’Izquierda Unida, et les défis que les communistes espagnols ont
devant eux pour reconstruire le Parti communiste. J’espère m’expliquer
le mieux possible, mais en tout cas, je suis disposé à répondre
aux interrogations que vous me poserez
Izquierda Unida nait en 1986 dans le sillage de l’important
mouvement social et politique émergeant lors de la campagne contre l’OTAN,
préalable au référendum qui a finalement placé l’Espagne
dans l’organisation atlantique. Izquierda Unida n’est donc pas née
comme une organisation politique de nature social-démocrate, ni non plus
en suivant le modèle classique du parti politique, mais bien comme une
proposition unitaire, un mouvement politique et social de nature anti-capitaliste
et anti-impérialiste.
Izquierda Unida n’est pas née non plus pour en
finir par s’allier avec le Parti socialiste ni pour se rapprocher de la
social-démocratie, mais pour s’affronter à elle, et pour
la remplacer.
Cependant, les années de rayonnement et de croissance
imparable d’Izquierda Unida ont coïncidé avec le processus
de liquidation passive du Parti communiste car, si on reprend les termes du
secrétaire-général de l’époque, l’esprit
du Parti communiste s’était transféré à Izquierda
Unida, avait mué en elle. Julio Anguita, le dirigeant politique de gauche
le plus estimé de ces 25 dernières années a porté
IU à ses pics électoraux, a été porteur devant la
société d’un discours radicalement de gauche, a exposé
la « théorie des deux bords », où il marquait une
distance importante avec la social-démocratie : « Vous, vous êtes
avec le capitalisme, nous, nous sommes contre le capitalisme ». Toutefois,
la lucidité dans le discours de Julio Anguita, et son charisme incomparable
ne laissaient pas voir de ce que beaucoup dénonçaient déjà
: que l’on laissait mourir le Parti communiste et que Izquierda Unida
était déjà infecté d’un cancer qu' elle
porte encore et qui n’en finit pas de tuer, sans pour autant l’achever
définitivement.
Je répète qu' Izquierda Unida n’a
pas émergé comme une organisation social-démocrate, et
pourtant, pendant 25 ans, nombre de ses membres ont fini par l’abandonner
pour finir dans les rangs du PSOE, ou par graviter autour de lui. Et nombre
de ses membres – également membres du PCE – ont fini par
faire un travail de sape de l’intérieur pour dynamiter le projet
et par partir, emportant avec eux cadres et élus, d’IU au PSOE.
Durant le temps qu' a duré le mirage selon quoi
Izquierda Unida pouvait finir par doubler et dépasser le Parti socialiste
– ce que l’on a appelé le « sorpaso » –
se sont produites une série de circonstances qu' ont affaibli profondément
le Parti communiste et que j’aimerais exposer devant vous, principalement
pour les camarades français, de façon à ce que l’expérience
leur serve à éviter un affaiblissement analogue du PCF durant
les prochaines années :
- Une des causes principales de l’affaiblissement du
PCE a été le manque de discipline et de position unique à
l’intérieur d’Izquierda Unida. En de nombreuses occasions,
dans des processus d’élections de dirigeants au sein d’IU,
ou bien dans des processus pré-électoraux, il y eut des militants
du PCE s’affrontant sur des listes différentes au sein d’Izquierda
Unida. Ne pas avoir su éviter cela a représenté un des
principaux problèmes et peut-être la cause majeure de division
interne dans le Parti communiste, et par conséquent de son affaiblissement.
- Une autre des grandes causes de l’affaiblissement du
Parti communiste : la question économique. L’argent provenant des
postes d’élus n’allait plus directement dans les caisses
du PCE, mais dans celles d’Izquierda Unida. Les élus n’avaient
plus à rendre de comptes au Parti, mais à IU. Cette dernière
était censée conclure un accord pour reverser la partie qui revenait
au Parti, mais elle ne l’a pas fait, laissant les comptes du PCE dans
le rouge.
- Cela ne s’arrête pas, mais pendant une certaine
période, une partie du patrimoine du Parti communiste a été
livré, sans rien recevoir en retour, à Izquierda Unida. C’est
ce qui s’est passé par exemple avec le siège principal du
Parti communiste, auparavant propriété du PCE, et qui est passé
ensuite sous contrôle d’Izquierda Unida, sans qu' elle n’ait
rien eu à payer. Imaginons que demain le siège du PCF à
Colonel Fabien soit placé sous le nom du « Front de gauche »,
sans que le Parti ne reçoive aucune contre-partie. C’est ce qui
s’est passé en Espagne.
- La faucille et le marteau. Les symboles communistes, et le
fait même de parler de Parti communiste a été pendant un
temps proscrits au sein d’Izquierda Unida.
- Une autre question capitale qui a affaibli profondément
l’organisation a été le fait qu' un grand nombre d’adhérents
et de militants l’ont vue comme un mode de vie, une agence pour l’emploi.
Placer à des postes éligibles lors des élections des personnes
sans conscience de parti, sans conscience du fait que nous ne sommes pas un
parti comme les autres, mais que nous sommes une organisation pour laquelle
beaucoup ont été disposés, au cours de l’histoire,
à donner leur vie, a été à l’origine du fait
qu' après une période où on vivait de la politique
– comme élus ou permanents – beaucoup ont voulu continuer
à vivre de cela et à cette fin se sont alliés avec tous
les courants possibles et imaginables afin de conserver leur paye et leur mode
de vie. Je suis sûr que ce problème est transversal et commun à
tout type d’organisations, mais que cela se passe au Parti communiste
doit être considéré, tout simplement, comme inadmissible.
En Espagne, cela s’est passé et cela continue de se passer. Mais
nous commençons à tracer une ligne rouge entre ceux qui vivent
du Parti et ceux qui vivent pour le Parti, et c’est précisément
la ligne de front de la bataille qui nous occupe en ce moment.
- Autre question. Dans une Izquierda Unida formée par
des personnes venant de formations de gauche bien différentes, le Parti
communiste fut dès le départ l’organisation majoritaire.
Pour cette raison, au nom d’une prétendue pluralité, et
pour attirer d’autres sections de la gauche non-communiste, depuis vingt-cinq
ans on a concédé des espaces dans les organes de direction d’Izquierda
Unida, tout comme sur les listes électorales, à des personnes
et des groupes qui ne représentaient que très peu de choses, et
auxquels ils n’auraient pu accéder si ce n’est qu' en
raison de la générosité du Parti. Ce que l’on essaie
de nous vendre comme quelque chose de positif a également une des principales
causes d’affaiblissement du parti. Pourquoi ? Bien, parce que la quasi-totalité
de ces groupes et de ces personnes, quand ils sont parvenus à accéder
et à s’emparer de ces espaces, les ont utilisés pour attaquer
le Parti communiste, pour tenter de l’affaiblir et pour l’accuser
de vouloir rechercher l’hégémonie dans le mouvement, quand
ce sont justement les communistes qui leur ont donné un espace qu' ils
n’auraient jamais acquis autrement.
Ce sont, avec de nombreuses autres, quelques unes des causes
de l’affaiblissement organisationnel du Parti durant les trois dernières
décennies.
J’aimerais désormais vous exposer brièvement
quelques exemples concrets de processus de tentatives directes d’annihilation
du PCE par IU et d’autre part, d’autres processus concrets d’expériences
de reconstruction sur plusieurs territoires. Pour simplifier les choses, je
me concentrerai sur deux territoires que je connais bien. Les Asturies et Valence.
Les Asturies :
800 militants communistes ont été expulsés
d’Izquierda Unida dans la fédération des Asturies en 2005.
A partir de ce moment, des centaines de communistes Asturiens restent en dehors
de toute participation à Izquierda Unida, et de plus, sans possibilité
de se présenter aux élections ni d’avoir un référent
électoral étant donné que selon les statuts du Parti communiste
d’Espagne, les communistes peuvent seulement se présenter sur les
listes d’Izquierda Unida
Izquierda Unida d’Asturies commence alors à gouverner
avec le Parti socialiste en Asturies et les gens qui ont expulsé les
communistes entrent au gouvernement de la région. Un gouvernement de
couleur libérale qui en outre, il y a quelques mois de cela, a soutenu
la réforme du marché du travail, remettant en cause les droits
des travailleurs.
La guerre sale d’Izquierda Unida contre le Parti
communiste n’a pas connu d’interruption au fil des ans, à
tel point d’empêcher l’entrée des communistes dans
les locaux du PCE, ou au point de falsifier des documents portant l’emblème
du Parti communiste des Asturies afin de créer la confusion parmi les
militants.
Jeunes d’Esquerra Unida (Valence) :
Au mois de janvier dernier, les Jeunes d’Izquierda Unida
ont organisé à Valence une assemblée où devait être
élue une nouvelle direction. Ont assisté à l’Assemblée
tous les courants d’Izquierda Unida de la région, parmi lesquels
les Jeunes communistes. Et bien, 60% de l’Assemblée était
composée par les jeunes communistes. Vous pouvez imaginer ce qui s’est
passé ? Quand la minorité anti-communiste s’est rendue compte
que les communistes étaient majoritaires, ils ont dissous l’Assemblée,
l’ont quitté et ont poussé Izquierda Unida à intervenir
dans l’Assemblée pour éviter que la nouvelle direction soit
prise par la direction communiste. Et ce fut fait.
Le panorama, au jour d’aujourd’hui, est désolant
en Asturies, en Extrémadure, dans une partie de la Castille-Leon, une
partie de la Castille-La Mancha, et sur d’autres territoires.
Que fait-on face à cela ? Quelle est la réponse
à apporter ? La seule réponse possible est : Reconstruire le Parti
communiste par le bas, et à partir de ces sections et directions régionales
qui ont cet objectif comme priorité.
Reconstruire l’organisation et renforcer la formation
des cadres. Le travail de la jeunesse communiste sur divers territoires a été
fondamental, et adapter les formes de lutte à chaque territoire est crucial.
En ce moment, la priorité des communistes ne sont pas
les élections, mais nous avons appris que la place qu' occupe un
communiste, un anti-communiste ne l’occupera pas, par conséquent
nous accompagnons le processus de Reconstruction de la bataille pour avoir des
candidats communistes et pour éviter la présence d’anticommunistes
sur tous les territoires possibles. Et en cela, la forme d’action sur
chaque territoire est différente.
Par exemple, en Asturies, le Parti communiste – qui est
expulsé d’Izquierda Unida – a tenté de se présenter
avec le sigle du Parti communiste aux prochaines élections municipales.
Comme cela serait impossible car incompatible avec les statuts du Parti, la
formule choisie a été de présenter des candidats communistes
sous un sigle différent, à la façon des portugais. Dans
les Asturies, les candidatures communistes porteront l’étiquette
« Frente de la Izquierda », qui n’a rien à voir ni
sur le plan idéologique ni sur celui organisationnel avec le «
Front de gauche » français. Le modèle est celui d’un
Parti fort disposant de toutes ses compétences, actif de façon
permanente dans la société, et se présentant aux échéances
électorales sous une simple « étiquette électorale
».
Une autre stratégie est celle que nous avons suivi dans
ma ville, Paterna, et que nous suivons dans d’autres endroits où
nous n’avons pas été expulsés d’Izquierda Unida.
Au mois de décembre dernier, nous nous sommes réunis le peu de
militants qu' il reste dans ma section et, étant donné que
le nombre d’adhérents à Izquierda Unida est relativement
peu élevé, nous avons décidé de nous ré-organiser,
de nommer un nouveau Comité de section, et d’essayer d’obtenir
la majorité à l’Assemblée locale d’Izquierda
Unida, de prendre la direction, pour ensuite imposer un candidat communiste
aux élections locales sous le sigle Izquierda Unida.
Et bien, cela nous l’avons fait et nous y sommes parvenus.
Nous avons gagné la direction d’Izquierda Unida et imposé
un candidat communiste pour les municipales. Que ferons-nous désormais
? Bien, fondamentalement renforcer le Parti communiste, le refaire vivre, nous
réunir dans des Comités d’entreprise, dans des associations,
associations de quartier, dans les écoles, les universités, chez
les étudiants, les professeurs, les retraités. Retourner toutes
les pierres pour retrouver les communistes qui se cachent dessous, et reconstruire
une puissante section. Limiter l’activité d’Izquierda Unida
à une question purement institutionnelle et électorale, et que
le Parti communiste reprenne l’initiative de la réanimation du
tissu social de gauche, et par ailleurs, en contrôlant la direction d’Izquierda
Unida et les décisions des élus à la Mairie.
Camarades, si nous communistes avons appris quelque chose durant
ces 25 dernières années, c’est que la seule chose que l’on
ne peut remettre en cause, c’est l’existence du Parti communiste,
et que là où nous avons une organisation forte du Parti, personne,
ni même la pire Izquierda Unida est capable d’en finir avec elle.
Là où il y a une organisation du Parti communiste qui pose les
choses clairement, on est parvenu à éviter toutes ces questions
que je vous exposais précédemment à travers lesquelles
on a affaibli le Parti.
Camarades français, si je devais vous donner des conseils
pour votre lutte :
- Discipline et position unique dans les fronts de masse. Éviter
et lutter contre l’existence de communistes sur différentes listes
lors des élections, ou dans les processus internes des fronts auxquels
le Parti participe. Porter les décisions importantes d’abord devant
le Parti ensuite devant les Fronts de masse.
- Autonomie économique et ne permettez jamais la cession
de votre patrimoine à d’autres fronts, et que vos élus rendent
des comptes directement au Parti.
- qu' on ne vous oblige jamais à cacher vos symboles.
Si un jour, on vous dit que la faucille et le marteau et le fait de mentionner
le Parti communiste sont de trop, c’est que les temps les plus durs sont
proches.
- Vivez à travers et pour le Parti et démontrez-le
par l’exemple. Dénoncez à l’intérieur ceux
qui vivent du Parti et luttez contre ceux qui voient l’organisation comme
une façon de vivre, comme une agence pour l’emploi, et promouvez
des camarades d’extrême confiance pour les postes éligibles.
- Dans les fronts de masse, ne cédez pas le moins du
monde à des organisations ou collectifs qui ne représentent rien.
Soyez démocratiques, mais ni idiots ni excessivement confiants. Ou un
jour, vous le regrettez comme nous l’avons regretté.
Et fondamentalement, construisez tous les ponts possibles pour
partager des expériences entre camarades de tous les territoires de France
et avec l’étranger. Vous le faites très bien et fort à
propos, nous en Espagne nous avons trop tardé à le faire, et l’effort
que nous devons faire est immense. Ce que l’on perd en un an, on met cinq
ou dix ans à le récupérer. Perdez-en le moins possible
et partez à la reconquête de tout ce que vous pouvez.
La reconstruction et le renforcement des Partis communistes
doivent se faire en construisant tous les ponts nécessaires entre tous
les territoires, locaux, régionaux, nationaux et internationaux qui sont
sur cette même ligne d’action.
Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire
que, communistes d’Europe et du monde entier, nous mettions en commun
nos expériences, nos visions, et nos points communs pour renforcer les
Partis communistes, car l’Histoire n’est pas terminé et que
nous devons encore partir à l’assaut du ciel.
Merci beaucoup
Source http://lepcf.fr/La-lecon-du-desastre-de-l
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