PARTI DE MASSE ET PARTI PARLEMENTAIRE

Un texte lapidaire d’un de nos camarades britanniques. Au premier abord, il surprendra ceux d’entre nous qui sont restés attachés à l’une des conditions fondamentales d’adhésion à la IIIe Internationale, c’est-à-dire de la constitution d’un Parti communiste digne de ce nom : la soumission de l’action parlementaire à celle du Parti.
Mais c’est un raisonnement implacable qui conduit notre camarade, à partir, certes, d’exemples puisés dans l’expérience de son pays, à une conclusion qui demande à être méditée et discutée partout.

J.-L. GLORY, Polex

  1. Dans les démocraties parlementaires, les partis de gouvernement – c’est-à-dire tous les partis qui un jour ou l’autre ont une chance raisonnable de participer au gouvernement – ont tendance à avoir des politiques très proches (même si leurs discours ne le sont pas nécessairement). La raison en est que les économies développées réclament la continuité. Les projets d’infrastructure, par exemple, qui demandent souvent des décennies pour être menés à bien, peuvent devoir être poursuivis par des gouvernements successifs. Une économie pourrait devenir dangereusement instable si chaque gouvernement rejetait radicalement ce que son prédécesseur a fait. Même s’il s’y essayait, il échouerait probablement, car les politiques développent leur propre inertie bureaucratique et les groupements d’intérêts qui les soutiennent.
  2. C’est pourquoi les séries de gouvernements conservateurs qui se sont succédés après 1951 ont maintenu la plupart des mesures de sécurité sociale, les nationalisations, les mesures fiscales et de contrôle des prix qui avaient été prises par le gouvernement travailliste d’ après-guerre (il est significatif que Harold Macmillan a condamné les privatisations de Thatcher en les qualifiant de « vente des bijoux de famille »). De même, le gouvernement travailliste qui a succédé aux gouvernements réformateurs conservateurs des années 80 et 90 a maintenu et amplifié les réformes de son prédécesseur. Inévitablement, on passe de « l’opposition loyale » à la « poursuite des affaires ».
  3. Les politiques parlementaires ont un centre de gravité qui attire nécessairement tous les partis s’ils aspirent sérieusement à accéder au pouvoir. Ce qui déplace ce centre, ce n’est pas l’activité de ces partis mais les grandes transformations socio-économiques qui se produisent en dehors du parlement. C’est la fin du grand boom d’ après-guerre qui, accompagné dans les années 70 de l’instabilité sociale et de niveaux d’inflation sans précédents, a conduit aux mesures de Thatcher, auxquelles tous les partis de gouvernement se sont hâtés de s’adapter, même s’ils ne l’ont pas tous fait au même rythme. Les plus tardifs ont été punis par leur exclusion des affaires gouvernementales.
  4. Par rapport aux partis gouvernementaux, les partis de masse ne changent que lentement. C’est qu' ils sont à la fois des constellations de groupements d’intérêts et les gardiens de valeurs et de projets qu' ils ne sauraient facilement abandonner sans compromettre le support de masse dont ils dépendent. Si les partis parlementaires sont des maisons de courtage, les partis de masse se comportent à peu près comme des sectes religieuses.
  5. Dans la vie politique moderne, le parti parlementaire et le parti de masse constituent généralement une seule organisation, si bien qu' il est inévitable que des tensions internes intolérables apparaissent quand des changements conjoncturels dans la société et dans l’économie déplacent le centre de gravité politique loin de celui du parti de masse. Le parti parlementaire s’oriente vers le nouveau centre d’influence ; le parti de masse résiste de manière organique, si ce n’est de manière consciente. L’issue dépend du rapport des forces. Quand le parti parlementaire domine, il impose sa volonté au parti de masse en en faisant un outil de propagande du groupe parlementaire, altérant ainsi gravement la solidarité sur laquelle repose le parti de masse, le réduisant dans les cas extrêmes à une organisation fantôme. Quand, d’un autre côté, le parti de masse garde le contrôle du groupe parlementaire et l’empêche de se rapprocher du nouveau centre de gravité, ce dernier peut très bien être condamné à être politiquement hors de propos et à devenir dans le pire des cas « inéligible ».
  6. Les difficultés viennent d’une tradition qu' il est peut-être temps de réexaminer : la pratique qui consiste à unir dans une seule organisation le parti parlementaire et le parti de masse. Si chacun d’eux était indépendant, le parti parlementaire pourrait aller là où sa nature le pousse et le parti de masse pourrait continuer à fonctionner comme un centre de solidarité et comme gardien des valeurs. Dans ces conditions la relation entre les deux sortes de parti devrait être changée. Le parti de masse ne devrait plus se référer à un seul parti parlementaire mais distribuer son patronage dans tous les partis de gouvernement selon des exigences tactiques ; il les traiterait alors pour ce qu' ils sont par essence : des entités idéologiquement neutres qui entrent en compétition en tant que courtiers en matière de pouvoir. Une conséquence ultérieure pourrait en être un déplacement de la vie politique (mais non du pouvoir) hors du parlement mais dans des organisations de masse qui auraient alors à reprendre aux partis parlementaires la fonction de générer de la politique.

John Brickwood Février 2009

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