L'impasse de la guerre en Afghanistan et le déni de la société française, quelle utilité pour le PCF ?
 
par Danielle Bleitrach
 

Publié 10 juillet 2010

On en finit jamais de s'étonner de l'étrange inertie face à la guerre d'Afghanistan en France.A titre d'exemple, voici quelques lignes d'un article paru dans l'humanité du 8 juillet 2010 et qui d'une manière cursive souligne ce qui est semble-t-il évident : « alors que quarante-cinq soldats français sont déjà morts en terre afghane et que l'issue victorieuse de ce conflit semble désormais impossible, la question du retrait est de nouveau posée...  » La stratégie de «contre-insurrection» utilisée par l'Otan est critiquée de toutes parts, et même ses défenseurs avouent que dix ans de guerre pourraient être encore nécessaires pour obtenir des résultats. Cependant, la France préfère ne pas ouvrir de débat à deux ans des élections présidentielles. » Tout ou presque est dit et le ton étrangement désimpliqué de l'article prend sens.

Voici posé l'origine de l'étrange déni de guerre que nous ne cessons de dénoncer ici et qui frappe non seulement la majorité présidentielle mais l'ensemble des forces politiques y compris le PCF, il y a loin en effet entre ce petit article qui décrit correctement une situation et les campagnes contre une guerre meurtrière et perdue que pouvait mener le PCF en tant que parti.

Le déni donc se situe moins dans la réalité que l'on décrit que dans l'action que l'on considère ne pas pouvoir mener, c'est le fonctionnement habituel des médias dans leur ensemble: « la catastrophe imminente sans moyen de la conjurer ». Une des règles de la liberté d'opinion et d'information de la « société bourgeoise » est que l'on peut et doit tout laisser dire tant que cela ne débouche pas sur une action collective de masse susceptible de bouleverser l'ordre établi. Tant que cela reste de l'ordre du « débat » entre élites et que le « populaire » ne s'en mêle pas. Ici comme dans les terres barbares soumises à colonialisme ou à néo-colonialisme. le fonctionnement y compris de l'ONU, voir du G 20, les occidentaux plus quelques invités choisis. C'est quand tout est ainsi circonscrit que tout peut être dit. La nouveauté est que l'humanité et le PCF participent du dit fonctionnement.

Pourquoi ? S'agirait-il de la perspective des élections présidentielles et en quoi celles-ci reposent-elles sur un consensus qui suppose que PERSONNE ne pose des questions qui fâchent. Tout le monde préférant patauger dans des scandales qui pour odieux qu'ils soient ne remettent pas en cause des orientations fondamentales.La paix, le retrait de l'Afghanistan mais aussi de l'OTAN qui ira d'aventures en aventures y compris nucléaires, et d'autres sujets comme la sortie de l'euro ne doivent à aucun prix être l'occasion du débat aux présidentielles.

Hervé Morin sanctionne le général Desportes qui émet des doutes

 Pourtant l'article de l'humanité souligne que la france met toujours plus de forces et de troupes dans cette « impasse guerrière ». « Le chef d'état-major des armées, l'amiral Édouard Guillaud, s'apprête à envoyer 250 hommes de plus, et le ministre de la Défense Hervé Morin a annoncé des sanctions contre le général Vincent Desportes, qui avait émis des doutes sur l'efficacité de la stratégie de l'Otan et qui avait accusé le président américain Obama de «ne pas être très sûr de ses choix».

Là encore l'article reste évasif pourtant  nous avons eu notre affaire Mac Crystal en France et même celle-ci est intervenue à la suite de cette dernière puisque le général Desportes, trente-huit ans de service derrière lui et proche d'un départ à la retraite a émis des doutes, dans une interview au Monde, en réaction aux remous provoqués par l'éviction du commandant des forces de l'Otan en Afghanistan, sur la stratégie définie par Barack Obama. Stratégie qui s'applique aussi à la France, placée en Afghanistan sous les ordres du général McChrystal hier, et de son successeur, le général David Petraeus aujourd'hui.

L'article de l'humanité reste évasif, et il faut retourner à l'interview du Monde pour mesurer la catastrophe que représente cette guerre. Le général Desportes y faisait une évaluation très sombre de l'évolution de la guerre en Afghanistan où , disait-il, « la situation n'a jamais été pire ».« L'affaire McChrystal révèle une faiblesse. Le chef de l'exécutif aurait pu morigéner son chef militaire et le renvoyer au combat, comme l'avait fait Roosevelt avec le général Patton, qui avait dû s'excuser d'avoir giflé un soldat. Tout se passe comme si le Président n'était pas très sûr de ses choix. Il a limogé deux généraux en l'espace d'un an, David McKiernan, qui prônait la tactique américaine traditionnelle de la force, et McChrystal, qui avait l'option inverse. Il a choisi une voie moyenne qui peine à fonctionner.A l'issue des débats sur les renforts nécessaires, il y a un an, il a opté pour 30 000 soldats de plus. Tout le monde savait que ce devait être zéro ou 100 000 de plus. On ne fait pas des demi-guerres.Si la doctrine McChrystal ne fonctionne pas ou n'est plus acceptée, il faudra bien revoir la stratégie. Et il n'y a plus qu'une option : celle du vice-président Joseph Biden, qui dit que l'Amérique a d'autres intérêts stratégiques que l'Afghanistan, qu'elle est piégée là par une guerre sans fin, et qu'il faut en sortir, en réduisant les troupes à une capacité de frappes ponctuelles contre Al Qaeda. Des trois lignes d'opérations, la sécurité, la gouvernance, le développement, Joseph Biden dit que seule la première marche -relativement. Le problème sera de réconcilier la stratégie avec ceux qui la mettent en œuvre. Il faudra aussi, probablement, repousser la date du retrait d'Afghanistan. »

C'est à cause de ces doutes que Morin a sanctionné Desportes. Mais lisez bien ce qui est dit: certes l'Afghanistan est une guerre perdue, le président OBama est aboulique, mais cela reste une affaire de spécialistes. Parce que sur le fond il n'est pas dénoncé la guerre mais celle-là, comme l'explique Biden il y a d'autres fronts prioritaires, lesquels: l'iran, la Chine ? Nous suivrons ? Le débat politique impliquant des citoyens français est évite…

Pourquoi le PCF est-il plus muet que l'armée ?

Face à une telle situation où nous sommes dans une telle catastrophe militaire pourquoi tout est-il fait pour qu'il n'y ait pas de débat sur cette question de l'Afghanistan, voir plus généralement du bellicisme otanesque ? Parce que de notre appréciation sur ce qui se passe aujourd'hui en Afghanistan pourrait découler une analyse plus générale sur la manière dont la France lie de plus en plus sa défense à l'OTAN et participe de ce fait à des opérations de plus en plus dangereuses comme celle qui est en train de se dérouler en Iran . Pourquoi ce qui jadis aurait donné lieu à de grandes campagnes des communistes français se limite-t-il à des petits articles de ce type, ne donne-t-il pas lieu à des déclarations des dirigeants du PCF ?

La réponse est bien connue: les « questions internationales n'intéressent pas les français ».. Transformer une guerre menée par la france dans le cadre de l'OTAN en question internationale est fort de café, surtout quand au même moment le budget de la Défense connaît une croissance de 3,1% dans un budget marqué par l'austérité. Et où a-t-on pris que cela n'intéressait pas les français, l'article de l'humanité le souligne :  « la présence française en Afghanistan devient de plus en plus impopulaire : 64% des Français étaient opposés à l'intervention militaire française en août2009, contre 32% en octobre2001, selon un sondage Ifop. La France devra tôt ou tard prévoir un calendrier de retrait pour s'aligner sur les États-Unis, qui rapatrieront leurs troupes à partir de juillet 2011. »

Ce n'est donc pas par peur d'être impopulaire que le PCF n'intervient pas… Et  il n'y a pas que la guerre, il y a des sujets comme la nationalisation des secteurs fianciers, la sortie de l'euro. Le débat est non seulement évacué dans la société françaises mais il doit l'être visiblement à l'intérieur du PCF, le galimatias technocratique qui parfois va jusqu'au grotesque (quand par exemple il est réclamé des pouvoirs accrus pour la BCE ou dans le cas des « nouvelles conflictualités ») auait-il aussi pour fonction d'évacuer une débat que l'on a pris soin de ne jamais mettre à l'ordre du jour?

La nature actuelle du consensus politique

Une des hypothèses les plus pertinentes sur le sujet est que tout cela est lié aux élections présidentielles. Le récent congrès d'un vide abyssal sur la stratégie, le programme était destiné à faire avaliser les alliances pour aller vers des strapontins ministériels et ceci quel que soit le candidat socialiste y compris Strauss-Khan.

Pour employer le langage de Bourdieu, je dirais qu'il s'agit de définir  un champ politique il faut limiter celui-ci à des questions consensuelles sur lesquelles on feint de s'opposer mais avec un soubassement commun. Cela n'a rien de scandaleux, par exemple la France a un certain moment a défini un champ politique laïque et républicain sur lesquels les forces politiques s'entendaient. C'était un temps de progrès, celui d'une véritable démocratisation.

 Nous sommes aujourd'hui dans un tout autre temps, celui d'une nouvelle offensive réactionnaire du capital. le capital à son stade impérialiste des monopoles financiarisé a déjà utilisé sa crise pour mener à partir des années quatre-vingt une offensive dite néo-libérale marquée par la financiarisation monopoliste. La crise actuelle en découle d'où la nouvelle offensive contre les salariés, il s'agit de litteralement de les asphyxier, comme d'aggraver le pillage du tiers-monde pour poursuivre les profits.

Le grand capital des principaux centres de l'impérialisme profite de la crise pour réaliser un bond qualitatif dans sa guerre de classe. Dans l'Union européenne, et surtout après que le Traité de Lisbonne a été imposé anti-démocratiquement, les mots d'ordre sont clairs: diminuer les salaires, augmenter l'âge de départ à la retraite, couper dans les services sociaux, détériorer les conditions de vie et de travail du peuple, placer tous les secteurs de l'activité productive sous la domination du grand capital, qui bénéficie toujours de subventions, aides et autres exonérations.

 la guerre impérialiste fait partie de cela, non seulement parce que partout le complexe industrialo-militaire est un des principaux bénéficiaire, mais aussi parce que la guerre permet d'étouffer les revendications, elle divise les peuples. Donc ou l'on dénonce cela ou on s'en accommode pour rester dans le champ politique électoral?

Le champ politique consensuel qui est mis en place pour les élections présidentielles suppose que ne soit jamais remis en cause le soubassement de classe d'une situation de plus en plus insupportable. Le PCF a choisi de participer au jeu en se situant dans le sillage du PS. Voici bien longtemps qu'il n'a plus de poltique « internationale » autonome de ce fait. Dans ces temps de mondialisation impérialiste, cette démission pèse lourdement sur les batailles pour la défense de l'emploi, des protections sociales, contre l'offensive du capital qui se situe ne serait-ce qu'au niveau européen.

Nous sommes donc avec cet article de l'humanité en plein « déni », il y a la fois des faits, la description d'une réalité mais il n'y a aucune place dans cette description pour une intervention du parti en tant que telle. L'humanité qui a souvent des mérites fonctionne sur ce modèle, soit les questions sont posées mais avec une « distance journalistique » qui copie « l'objectivité », soit avec des « reportages » qui montrent des « acteurs » mais il n'existe plus d'orientations dans lesquelles l'activité militante trouverait place en dehors des campagnes électorales et du raliement à tel ou tel candidat. L'inertie dont semble frappée la société française ne peut pas être isolée de ce mode de fonctionnement dans lequel le militantisme est circonscrit à l'appui à des candidatures qui elle-mêmes se déploient dans un espace politique balisé par une référence « médiatique » à l'opinion.

C'est pourquoi je ne cesse d'affirmer que la seule manière de sortir du déni serait de poser la question de l'utilité du parti. Mais le fait est qu'un article de ce type est interdit aujourd'hui dans l'humanité. Les militants communistes ne peuvent pas débattre des questions qu'il pose et qui ont déjà été évacuées du dernier congrès (et quand par hasard une interrogation est remontée à la surface, elle a été annulée par manipulation d'amendement). C'est-à-dire que dans un contexte où sous prétexte de « démocratisation » du PCF on a détruit des pans entiers de l'activité militante, depuis les cellules en passant par la formation , demeure le verrouillage antérieur du légitimisme des directions à évacuer le débat. Cette sclérose n'est pas hélas sans conséquence sur la possibilité d'intervention politique de l'ensemble de la société française confrontée à une terrible offensive du capital.

Danielle Bleitrach

Une mise au point de Jacques Fath

Le texte que vous publiez, manifestement, ne concerne pas notre "dernier" congrès (35ème) mais le précedent (34ème). Le 35 ème avait un ordre du jour très circonscrit et n'a pas traité les questions internationales.

La résolution du 34 ème congrès du PCF rappelle explicitement notre exigence d'un retrait des troupes de l'OTAN d'Afghanistan (donc y compris les troupes françaises) et notre positionnement en faveur d'une dissolution de l'OTAN. Le texte publié sur votre site me parait inutilement agressif et assez incompréhensible sur le fond puisque nous n'avons attendu personne pour traiter la question de l'OTAN et celle de l' Afghanistan.

Concernant l'Afghanistan, nous avons d'ailleurs rappelé cette exigence de retrait des troupes de l'OTAN, je ne sais combien de fois (en tant que parti, dans les Parlements - AN, Sénat, PE -, à l'occasion de manifestations...)...Et notre parti joue un rôle important dans le Collectif national unitaire "OTAN - Afghanistan". Nous participons même très régulièrement aux travaux de l'ICC (International Coordination Committee) qui coordonne les activités de l'ensemble des collectifs qui agissent sur cette question en Europe et dans le monde.
Concernant l'OTAN nous participons à la préparation d' initiatives unitaires internationales importantes qui auront lieu au moment du prochain sommet de Lisbonne. Nous déciderons d'initiatives en France.
Je tiens beaucoup, par ailleurs, à la réflexion nouvelle sur les nouvelles conflictualités (34 ème) car nous vivons dans un monde qui n'est plus celui de la guerre froide et de la configuration stratégique d' alors. Les contradictions du capitalisme dans la crise, des politiques de puissance, les stratégies de domination et leurs conséquences font que nous vivons dans un nouvel état du monde. Nous devons en avoir conscience sauf à passer à côté d'une des réalités majeures du siècle qui s'ouvre après la chute du mur et les bouversements des années 90 (mondialisation capitaliste, NTIC...).

L'article que vous publiez est tissé de contrevérités. Je trouve qu'il est dommageable de construire autant de fausses informations concernant le PCF, quelles que soient les sentiments que l'on peut nourrir vis à vis de ce parti.

La réponse de Francis Arzalier

Cher camarade,
Merci de ta missive, que j'ai lue avec retard du fait de mon absence. Ton commentaire sera intégré au site quand le responsable sera revenu de vacances. Je tiens toutefois à préciser que les textes publiés sur le site du collectif Polex sont signés et n'engagent que leur auteur.
Cependant, si le journal "l'Humanité" et les sites relevant du PCF ouvrent volontiers leurs colonnes à des politiciens socialistes ou de droite, ils refusent de publier le point de vue des communistes qui critiquent l'opportunisme au sein du PCF. Le collectif communiste Polexa fait un autre choix éditorial: il a donné et continuera à donner la parole à tous les communistes et internationalistes, dans leur diversité . La lutte anti-impérialiste qui nous est commune pour le retrait des troupes françaises d'Afghanistan et le retrait français de l'OTAN est encore bien insuffisante; elle a besoin de la participation de tous les communistes sans exclusive; elle exclut par contre toute concession idéologique aux partisans de l'OTAN et de l'Europe supranationale.
Fraternellement,

Francis Arzalier, Secrétariat du collectif communiste Polex

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