Google et la NSA II

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Nafeez Ahmed
publié le 22 janvier 2015
mis à jour le : 2 Novembre, 2018

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Yoda et les Soviets

L’idéologie présentée par le Forum Highlands peut être découverte bien avant sa création en 1994, à une époque où l’ONA [Office of Net Assessment, un service du DoD, NdT] d’Andrew Marshall, surnommé « Yoda », était le principal centre d’activité du Pentagone sur la planification future.

Un mythe largement répandu et repris par les journalistes de la sécurité nationale pendant des années affirme que la réputation de l’ONA en tant que machine oracle résidente [comparaison avec la base de données Oracle, NdT] du Pentagone était en baisse à cause de la prévoyance analytique étrange de son directeur Marshall. Peut-être était-il parmi les rares qui pensaient de manière prémonitoire que la menace soviétique était exagérée par la communauté du renseignement américain. Il avait été, l’histoire le dit, la seule voix, mais une voix obstinée à l’intérieur du Pentagone, appelant les décideurs à réévaluer leurs projections de la puissance militaire de l’URSS.

Sauf que l’histoire n’est pas vraie. L’ONA ne parlait pas de l’analyse de la menace seule, mais de la projection de la menace sur les paranoïaques justifiant l’expansionnisme militaire. La politique étrangère de Jeffrey Lewis souligne que loin d’apporter la voix de la raison appelant à une évaluation plus équilibrée des capacités militaires soviétiques, Marshall a tenté de minimiser les résultats de l’ONA qui réfutaient le battage médiatique à propos d’une menace soviétique imminente. Après avoir commandé une étude concluant que les États-Unis avaient surestimé l’agressivité soviétique, Marshall l’a diffusée avec une note de couverture se déclarant « pas convaincu » par ses conclusions. Les diagrammes de Lewis montrent comment le sentiment de menace de Marshall a conduit à la mise en œuvre de recherches absurdes sur des liens (inexistants) entre Saddam et al-Qaïda, et a même abouti au rapport notoire d’un consultant du RAND (Research and Development) appelant à redessiner la carte du Moyen-Orient, présenté au Defense Policy Board du Pentagone sur l’invitation de Richard Perle en 2002.

Le journaliste d’investigation Jason Vest a également constaté dans des sources du Pentagone que, pendant la guerre froide, Marshall avait longtemps exagéré la menace soviétique et joué un rôle clé pour donner au groupe de pression néoconservateur, le Committee on the Present Danger (Comité sur le danger présent) l’accès aux données classées de renseignement de la CIA pour réécrire les estimations du renseignement national sur les intentions militaires soviétiques (National Intelligence Estimate on Soviet Military Intentions). Ce fut les prémisses de la manipulation du renseignement après le 11/9 pour justifier l’invasion et l’occupation de l’Irak. Les anciens membres du personnel de l’ONA ont confirmé le côté belliqueux de Marshall au sujet d’une menace soviétique imminente qui a persisté « jusqu’au bout. » Melvin Goodman, ex-soviétologue à la CIA, par exemple, a rappelé que Marshall a également contribué à fournir des missiles Stinger aux moudjahidines afghans — une action qui a rendu la guerre encore plus brutale, ce qui a encouragé les Russes à utiliser des tactiques de terre brûlée.

Enron, les talibans et l’Irak

La période après-guerre froide a vu la création du Forum Highlands du Pentagone en 1994 sous l’aile de l’ancien secrétaire à la Défense William Perry — un ancien directeur de la CIA et premier défenseur des idées néo-conservatrices telle la guerre préventive. Étonnamment, le rôle douteux du Forum comme un pont gouvernement-industrie peut être clairement établi par rapport aux flirts d’Enron avec le gouvernement américain. Tout comme le Forum avait élaboré des politiques d’intensification du Pentagone sur la surveillance de masse, il a simultanément induit directement la réflexion stratégique qui a abouti aux guerres en Afghanistan et en Irak.

Le 7 novembre 2000, George W. Bush « gagne » les élections présidentielles américaines. Enron et ses employés ont donné plus de 1 million de dollars au total pour la campagne de Bush. Cela comprenait une contribution de 10 500 dollars au comité de recomptage de Bush en Floride, et une autre de 300 000 dollars pour les célébrations inaugurales suivantes. Enron a également fourni des avions d’affaires pour servir de navettes aux avocats républicains entre la Floride et Washington et faire du lobbying au nom de Bush pour le recomptage de décembre. Des documents fédéraux des élections ont montré ensuite que, depuis 1989, Enron avait fait un total de 5,8 millions de dollars en dons de campagne, dont 73% aux républicains et 27% aux démocrates — avec pas moins de 15 hauts responsables de l’administration Bush possédant des actions dans Enron, y compris le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, le conseiller principal Karl Rove, et le secrétaire de l’armée Thomas White.

Pourtant, à la veille de cette élection controversée, le président fondateur du Forum Highlands du Pentagone O’Neill a écrit au PDG d’Enron, Kenneth Lay, l’invitant à faire une présentation lors du Forum sur la modernisation du Pentagone et de l’armée. Le courriel d’O’Neill à Lay a été publié dans le cadre de l’affaire Enron Corpus, les emails obtenus par la Federal Energy Regulatory Commission, mais est resté inconnu jusqu’à présent.

Le courriel commençait ainsi : « Au nom du Secrétaire adjoint à la Défense (C3I) [Commandement, Contrôle et communications, NdT] et du CIO du DoD (Chief Information Officer du Department of Defense) Arthur Money » et invite Lay « à participer aux travaux de défense du Forum Highlands, » que O’Neill décrit comme « un groupe interdisciplinaire d’éminents universitaires, chercheurs, CEO/CIO/CTO de l’industrie, et des leaders des médias, des arts et des professions libérales, qui se sont rencontrés au cours des six dernières années pour examiner les domaines d’intérêt nouveau pour nous tous. » Il a ajouté que les sessions du Forum comprennent « des anciens de la Maison-Blanche, de la Défense et d’autres organismes du gouvernement (nous limitons la participation du gouvernement à environ 25%). »

Ici, O’Neill révèle que le but du Forum Highlands du Pentagone était, fondamentalement, de prospecter non seulement les objectifs du gouvernement, mais aussi les intérêts des leaders de l’industrie y participant, comme Enron. Le Pentagone, poursuit O’Neill, voulait agir en faveur de « la recherche de stratégies d’information et de transformation pour le DoD (et le gouvernement en général), » en particulier « à partir d’un point de vue commercial (transformation, productivité, avantage concurrentiel). » Il a fait l’éloge d’Enron comme « un exemple remarquable d’évolution dans une industrie réglementée très rigide, qui a créé un nouveau modèle et de nouveaux marchés. »

O’Neill indique clairement que le Pentagone voulait qu’Enron joue un rôle central dans l’avenir du DoD, non seulement dans la création d’une « stratégie opérationnelle impliquant la supériorité de l’information, » mais aussi par rapport à « l’entreprise commerciale mondiale géante qu’est le DoD, qui peut ainsi bénéficier d’un bon nombre des meilleures idées et pratiques venant de l’industrie. »

« ENRON est d’un grand intérêt pour nous, » a-t-il réaffirmé. « Ce que nous apprenons de vous peut aider le ministère de la Défense à mener à bien la grande tâche consistant à construire une nouvelle stratégie. J’espère que vous aurez le temps, malgré votre horaire chargé, de nous rejoindre au Forum Highlands autant de fois que vous pourrez, pour assister et parler avec le groupe. »

Cette réunion du forum Highlands a rassemblé des hauts responsables de la Maison-Blanche et des fonctionnaires du renseignement, y compris la directrice adjointe Joan A. Dempsey de la CIA, qui avait précédemment servi comme secrétaire à la Défense adjointe pour le renseignement, et en 2003 a été nommée par Bush directrice générale du Conseil consultatif du renseignement étranger de la Présidence, dans lequel elle a loué la capacité de partage de nombreuses informations avec la NSA et le NGA (National Geo-spatial-Intelligence Agency) après le 11/9. Elle est ensuite devenue vice-présidente exécutive chez Booz Allen Hamilton, un entrepreneur important du Pentagone en Irak et en Afghanistan qui, entre autres choses, a créé la base de données de l’Autorité provisoire de la Coalition pour suivre les projets de reconstruction en Irak, nous savons maintenant qu’ils étaient très corrompus.

La relation d’Enron avec le Pentagone battait déjà son plein l’année précédente. Thomas White, alors vice-président des services énergie chez Enron, avait utilisé ses nombreuses relations militaires américaines pour obtenir un protocole d’accord avec Fort Hamilton destiné à privatiser la fourniture d’énergie aux bases de l’armée. Enron était le seul soumissionnaire pour la transaction. L’année suivante, après l’invitation du PDG d’Enron au Forum Highlands, White a donné son premier discours en juin, juste « deux semaines après sa nomination comme secrétaire de l’Armée de terre, » où il a « promis d’accélérer l’attribution de ces contrats, » avec plus loin « une privatisation rapide » des services énergétiques de l’armée. « Potentiellement, Enron pourrait bénéficier de l’accélération de l’attribution des contrats, comme pourraient le faire d’autres entreprises, » a relevé USA Today.

Ce mois-là, sous l’autorité du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld — qui détient une part importante dans Enron – le Pentagone de Bush a invité un autre dirigeant d’Enron et l’un des hauts conseillers financier externes d’Enron à assister à une nouvelle session secrète du forum Highlands.

Un courriel de Richard O’Neill daté du 22 juin, obtenu par l’intermédiaire du Corpus Enron, a montré que Steven Kean, alors vice-président et chef de la direction du personnel d’Enron, était prêt à donner une autre présentation au Highlands le lundi 25. « Nous sommes d’accord avec la secrétaire à la Défense qui a parrainé le forum Highlands et sommes très impatients de votre participation, » écrit O’Neill, promettant à Kean qu’il serait « la pièce maîtresse de la discussion. L’expérience d’Enron est très importante pour nous alors que nous envisageons sérieusement un changement profond dans le ministère de la Défense. »

Steven Kean est maintenant président et COO (Chief Operating Officer) (et prochainement CEO) de Kinder Morgan, une des plus grandes sociétés d’énergie en Amérique du Nord, et un grand partisan du projet controversé de pipeline Keystone XL.

Richard Foster, alors associé principal du conseil financier McKinsey, assistait à la même session du Forum Highlands avec Kean. « J’ai donné des copies du nouveau livre de Dick Foster, Creative Destruction, au secrétaire adjoint à la Défense, ainsi qu’au secrétaire adjoint, » a déclaré O’Neill dans son courriel, « et l’affaire Enron qu’il décrit permet des discussions importantes. Nous avons l’intention de distribuer des copies aux participants du Forum. »

McKinsey, du cabinet de Foster, avait fourni des conseils financiers stratégiques à Enron depuis le milieu des années 1980. Joe Skilling, qui en février 2001 devint PDG d’Enron, alors que Kenneth Lay, déplacé à la présidence, avait été responsable des activités de conseil en marché de l’énergie de McKinsey avant de rejoindre Enron en 1990.

McKinsey et son partenaire de l’époque Richard Foster étaient intimement impliqués dans l’élaboration des stratégies de gestion financière d’Enron responsables de la rapide, mais frauduleuse croissance de l’entreprise. Alors que McKinsey a toujours nié être au courant de la comptabilité douteuse qui a conduit à la disparition d’Enron, les documents internes de l’entreprise ont montré que Foster avait assisté à une réunion de la commission des finances d’Enron un mois avant la session du Forum Highlands pour discuter de la « nécessité de partenariats privés à l’extérieur pour aider à conduire la croissance explosive de la société » — les partenariats d’investissement sont effectivement responsables de l’effondrement d’Enron.

Des documents de McKinsey ont montré que l’entreprise était « pleinement consciente de l’utilisation importante de fonds hors bilan d’Enron. » Comme le remarque le rédacteur économique Ben Chu de The Independent, « McKinsey a souscrit pleinement aux méthodes comptables douteuses, » qui ont conduit à l’envol de la cotation d’Enron et « qui ont causé l’implosion de la société en 2001. »

En effet, Foster lui-même avait personnellement assisté à six réunions du conseil d’Enron d’octobre 2000 à octobre 2001. Cette période a plus ou moins coïncidé avec l’influence grandissante d’Enron sur les politiques énergétiques de l’administration Bush, et la planification du Pentagone pour l’Afghanistan et l’Irak.

Mais Foster était également un participant régulier du Forum Highlands du Pentagone — son profil LinkedIn le décrit comme membre du Forum depuis 2000, l’année où il renforce son engagement avec Enron. Il a également fait une présentation au Forum Island inaugural à Singapour en 2002.

L’implication d’Enron dans le Groupe de travail sur la politique énergétique de Cheney semble avoir été liée à la planification en 2001 par l’administration Bush des invasions de l’Afghanistan et de l’Irak, motivées par le contrôle du pétrole. Comme l’a noté le professeur Richard Falk, ancien membre du conseil d’administration de Human Rights Watch et ex-enquêteur à l’ONU, Kenneth Lay d’Enron « était le principal consultant confidentiel invoqué par le vice-président Dick Cheney pendant le processus très secret de la rédaction d’un rapport soulignant une politique énergétique nationale. Cette politique était largement considérée comme un élément clé de l’approche américaine de la politique étrangère en général et du monde arabe en particulier. »

Les réunions intimes secrètes entre les cadres supérieurs d’Enron et des fonctionnaires de haut niveau du gouvernement américain par le biais du Forum Highlands du Pentagone, de novembre 2000 à juin 2001 ont joué un rôle central dans l’établissement et le scellement d’un lien d’une symbiose de plus en plus intime entre Enron et le programme du Pentagone. Le rôle du Forum était, comme O’Neill l’a toujours dit, de fonctionner comme un laboratoire d’idées pour examiner les intérêts communs de l’industrie et du gouvernement.

Enron et la planification de la guerre du Pentagone

En février 2001, lorsque les dirigeants d’Enron, y compris Kenneth Lay, ont commencé à participer de manière concertée au Groupe de travail sur la politique énergétique de Cheney, un document classé du Conseil national de sécurité ordonnait aux membres du personnel du NSC (National Security Council) de travailler avec le groupe sur la politique énergétique en « fusionnant » des questions jusque-là distinctes : « des politiques opérationnelles envers les États voyous » et des « actions visant à s’emparer des champs de pétrole et de gaz existants et nouveaux. »

Selon le secrétaire au Trésor sous Bush Paul O’Neill, cité par Ron Suskind dans The Price of Loyalty (2004), les responsables du cabinet ont discuté d’une invasion de l’Irak lors de leur première réunion du NSC, et avaient même préparé une cartographie du travail d’après-guerre consistant au repérage et au partage des champs de pétrole en Irak. Le message à cette époque du président Bush était que les fonctionnaires devaient « trouver un moyen de le faire. »

Des documents du Groupe de travail sur la politique énergétique de Cheney obtenus par Judicial Watch grâce au Freedom of Information act [loi pour la liberté de l’information du 4 juillet 1966, NdT] ont révélé qu’en mars, avec une importante contribution de l’industrie, le groupe de travail a préparé des cartes des pays du Golfe et en particulier des champs pétrolifères, des pipelines et des raffineries irakiens, ainsi qu’une liste intitulée « Prétendants étrangers pour des contrats sur les champs pétroliers irakiens. » En avril, le rapport d’un groupe de réflexion commandé par Cheney, supervisé par l’ancien secrétaire d’État James Baker, et mis en place par un comité de l’industrie de l’énergie et des experts de la sécurité nationale, a exhorté le gouvernement américain « à faire un examen immédiat de la politique envers l’Irak, y compris militaire, énergétique, et des évaluations économiques et politiques ou diplomatiques, » pour faire face à « l’influence déstabilisante » de l’Irak sur les flux du marché mondial du pétrole. Le rapport contient des recommandations du délégué du Forum Highlands et président d’Enron, Kenneth Lay.

Mais le Groupe de travail sur la politique énergétique de Cheney travaille également activement à faire avancer les projets en Afghanistan impliquant Enron, qui ont été initiés sous Clinton. À la fin des années 1990, Enron a travaillé avec la société énergétique américaine Unlocal basée en Californie pour développer un pipeline de pétrole et de gaz qui puisera dans les réserves du bassin de la mer Caspienne, et transporter le pétrole et le gaz à travers l’Afghanistan, en fournissant le Pakistan, l’Inde et potentiellement d’autres marchés. Le projet a eu la bénédiction officielle de l’administration Clinton, et plus tard de l’administration Bush, qui a tenu plusieurs réunions avec des représentants des talibans pour négocier les conditions de l’accord sur le pipeline au cours de l’année 2001. Les talibans, qui avaient reçu une assistance secrète sous Clinton pour la conquête de l’Afghanistan, ont eu la reconnaissance formelle comme gouvernement légitime de l’Afghanistan en échange de la permission d’installer le pipeline. Enron a payé 400 millions de dollars une étude de faisabilité du gazoduc, dont une grande partie a servi à verser des pots de vin aux dirigeants talibans, et a même embauché des agents de la CIA pour faciliter les accords.

Puis pendant l’été 2001, alors que les responsables d’Enron faisaient la liaison entre les hauts fonctionnaires du Pentagone et le Forum Highlands, le conseil national de sécurité de la Maison-Blanche mettait sur pied un « groupe de travail » inter-départements dirigé par Rumsfeld et Cheney pour aider à l’achèvement d’un projet Enron en Inde, une centrale électrique de 3 milliards de dollars à Dabhol. L’usine était prévue pour recevoir son énergie de l’oléoduc Trans-Afghanistan. Le “groupe de travail de Dabhol” du NSC, présidé par la conseillère à la sécurité nationale Condoleeza Rice sous Bush, a mis au point une série de tactiques pour améliorer la pression du gouvernement des États-Unis sur l’Inde pour terminer l’installation de Dabhol — pression qui a continué jusqu’au début de novembre. Le projet Dabhol, ainsi que le pipeline Trans-Afghanistan, étaient de loin les marchés les plus lucratifs conclus par Enron à l’étranger.

Tout au long de 2001, des représentants d’Enron, dont Ken Lay, ont participé au Groupe de travail sur la politique énergétique de Cheney, ainsi que des représentants des secteurs de l’énergie de tous les États-Unis. A partir de février, peu de temps après que l’administration Bush a pris ses fonctions, Enron a été présent dans environ une demi-douzaine de ces réunions du Groupe de travail sur la politique énergétique. Après l’une de ces réunions secrètes, un projet d’offre énergétique a été modifié pour inclure une nouvelle disposition proposant d’augmenter considérablement la production de pétrole et de gaz naturel en Inde d’une manière qui ne serait applicable qu’à la centrale d’Enron à Dabhol. En d’autres termes, assurer l’acheminement du gaz bon marché vers l’Inde via le gazoduc Trans-Afghanistan était devenu une question de « sécurité nationale » pour les États-Unis.

Un ou deux mois plus tard, l’administration Bush donnait aux talibans 43 millions de dollars, justifiés par la lutte contre la production d’opium, en dépit de sanctions de l’ONU imposées par les EU interdisant toute aide au groupe pour n’avoir pas livré Oussama ben Laden.

Puis, en juin 2001, le même mois où le vice-président d’Enron Steve Kean participait au Forum Highlands du Pentagone, les espoirs de la société pour le projet Dabhol ont été anéantis quand le projet de pipeline Trans-Afghanistan ne s’est pas concrétisé. En conséquence, la construction de la centrale électrique de Dabhol s’est arrêtée. L’échec du projet de 3 milliards de dollars a contribué à la faillite d’Enron en décembre. Ce même mois, les responsables d’Enron ont rencontré le secrétaire au commerce de Bush, Donald Evans, à propos de la centrale, et Cheney a fait pression sur le principal parti d’opposition indien pour le projet Dabhol. Ken Lay aurait également contacté l’administration Bush à cette époque pour informer les fonctionnaires sur les problèmes financiers de l’entreprise.

En août, désespérés d’obtenir l’accord, les responsables américains ont menacé de guerre les représentants talibans s’ils refusaient d’accepter les conditions américaines : à savoir, cesser les combats et rejoindre une alliance fédérale avec le parti d’opposition Alliance du Nord ; et renoncer à leurs exigences de consommation locale du gaz. Le 15 du même mois, le lobbyiste d’Enron Pat Shortridge annonça alors au conseiller économique de la Maison-Blanche Robert McNally qu’Enron allait droit vers une crise financière qui pourrait paralyser les marchés de l’énergie du pays.

L’administration Bush devait avoir anticipé le rejet de l’accord par les talibans parce qu’ils avaient prévu une guerre sur l’Afghanistan dès juillet. Selon le ministre des Affaires étrangères pakistanais d’alors Niaz Naik, qui avait participé aux négociations EU-Talibans, les responsables américains lui ont dit qu’ils avaient l’intention d’envahir l’Afghanistan à la mi-octobre 2001. A peine la guerre commencée, l’ambassadeur de Bush au Pakistan, Wendy Chamberlain, a appelé le ministre du pétrole pakistanais Usman Aminuddin pour discuter « du projet de gazoduc Turkménistan-Afghanistan-Pakistan proposé, » selon le Frontier post, un journal pakistanais de langue anglaise. Ils auraient convenu que le « projet ouvre de nouvelles voies de coopération régionale multidimensionnelle en particulier compte tenu des récents développements géopolitiques dans la région. »

Deux jours avant le 11/9, Condoleeza Rice a reçu le projet d’une directive présidentielle officielle de sécurité nationale que Bush devrait signer immédiatement. La directive contenait un plan global pour lancer une guerre mondiale contre al-Qaïda, y compris une invasion « imminente » de l’Afghanistan pour renverser les talibans. La directive a été approuvée aux plus hauts niveaux de la Maison-Blanche et des responsables du Conseil national de sécurité, y compris bien sûr Rice et Rumsfeld. Les mêmes responsables du NSC ont en même temps engagé le groupe de travail sur Dabhol à sécuriser le planning de la centrale indienne pour le projet de gazoduc Trans-Afghanistan d’Enron. Le lendemain, la veille du 11/9, l’administration Bush a officiellement donné son accord pour le plan d’attaque des talibans.

Le lien de fond du Forum Highlands du Pentagone avec les intérêts en jeu dans tout cela montrent qu’ils ne sont pas propres à l’administration Bush — ce qui explique pourquoi, alors qu’Obama se préparait à retirer les troupes d’Afghanistan, il a réaffirmé le soutien de son gouvernement pour le projet de pipeline Trans-Afghanistan, et son désir que ce soit une société américaine qui le construise.

Source : Insurge Intelligence, le 22/01/2015 via les-crises.fr

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