La création de Google II

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Nafeez Ahmed
publié le 22 janvier 2015
mis à jour le : 2 Novembre, 2018

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Exclusion du public

Des enregistrements officiels du Pentagone confirment que le but premier du Highlands Forum était de soutenir les politiques du DoD sur la spécialité de O’Neill : la guerre de l’information. Selon le rapport annuel au président et au Congrès du Pentagone en 1997, sous la section titrée « Information Operations (IO) » le Bureau du Ministre de la Défense (Office of the Secretary of Defense, OSD) avait autorisé « l’établissement du Highlands Group, constitué d’experts de l’industrie, de la recherche et du DoD de premier plan » pour coordonner les IO pour les agences fédérales de renseignement militaire.

L’année suivante le rapport annuel du DoD réitérait le rôle central du forum aux opérations d’information : « Afin d’examiner les thèmes d’IO, le DoD parraine le Highlands Forum, qui réunit ensemble le gouvernement, l’industrie, et des professionnels académiques de divers domaines. »

Notez qu’en 1998, le Highlands « Group » est devenu un « forum ». Selon O’Neill, ceci avait pour but d’éviter de soumettre les réunions des Highlands Forums à des « restrictions bureaucratiques ». Il faisait allusion à la Federal Advisory Committee Act (FACA, « loi sur les comités de conseil fédéraux »), qui régit la manière dont le gouvernement US peut formellement solliciter le conseil d’intérêts particuliers.

Connue sous le nom de « loi de gouvernement ouvert », la FACA exige que les fonctionnaires du gouvernement US n’aient pas le droit de tenir des consultations secrètes ou à portes fermées avec des personnes n’appartenant pas au gouvernement sur le développement de sa politique. De telles consultations doivent toutes avoir lieu dans le cadre de comités consultatifs fédéraux permettant l’examen public. Le FACA requiert que ces réunions soient publiques, soient annoncées par le Journal Officiel, que les groupes de conseil soient enregistrés auprès d’un bureau de l’Administration Générale des Services, parmi d’autres pré-requis conçus pour préserver la responsabilité dans l’intérêt du public.

Mais Government Executive a rapporté que « O’Neill et d’autres pensaient » que de tels détails réglementaires « inhiberaient le libre flux d’idées et de discussions à bâtons rompus qu’ils recherchaient. » Les avocats du Pentagone avaient prévenu que le dénominatif « groupe » pouvait induire certaines obligations, et conseillé de gérer toute l’affaire en privé : « Donc O’Neill changea son nom en Highlands Forum et le déménagea dans le secteur privé pour le diriger en tant que consultant du Pentagone. » Le Highlands Forum du Pentagone existe donc derrière le patronage de la « société de capital-risque intellectuel » d’O’Neill, « Highlands Group Inc. »

En 1995, une année après que William Perry ait désigné O’Neill pour diriger le Highlands Forum, le SAIC – l’organisation « partenaire » du Forum – avait lancé un tout nouveau Center for Information Strategy and Policy (« Centre pour la Stratégie et la Politique de l’Information ») sous la direction de « Jeffrey Cooper, un membre du Highlands Group qui conseille des hauts fonctionnaires du Ministère de la Défense sur les thèmes de la guerre de l’information. » Le centre avait exactement le même objectif que le forum, fonctionner comme « une chambre de compensation pour rassembler les meilleurs et les plus intelligents esprits du domaine de la guerre de l’information en parrainant une série continue de séminaires, de documents et de symposiums qui explorent en profondeur les implications de la guerre de l’information. » L’objectif était de « permettre aux dirigeants et aux décideurs politiques du gouvernement, de l’industrie et du monde académique de répondre aux thèmes centraux entourant la guerre de l’information afin d’assurer que les États-Unis conservent leur avance sur tous ses ennemis potentiels. »

Malgré les dispositions de la FACA, les comités consultatifs fédéraux sont déjà lourdement influencés, si non capturés, par les intérêts corporatistes. Donc, en court-circuitant la FACA, le Pentagone a passé outre les dispositions déjà affaiblies de la FACA, en excluant de façon permanente toute possibilité d’engagement public.

L’affirmation d’O’Neill selon laquelle il n’y a pas de rapports ou de recommandations n’est pas sincère. De son propre aveu, les consultations secrètes du Pentagone avec l’industrie qui ont eu lieu par le biais du Highlands Forum depuis 1994 ont été accompagnées par la soumission régulière d’articles académiques et de politique, d’enregistrements et de notes de réunion, et d’autres formes de documentation qui sont verrouillées derrière une connexion uniquement accessible aux délégués du Forum. Ceci viole l’esprit, sinon la lettre, de la FACA – d’une façon qui est clairement conçue pour échapper à toute responsabilité démocratique et aux règles du droit.

Le Highlands Forum n’a pas besoin de produire des recommandations consensuelles. Sa raison d’être est de fournir au Pentagone un mécanisme de mise en réseau social fantôme pour cimenter des relations durables avec le pouvoir corporatiste, et d’identifier de nouveaux talents pouvant être utilisés pour affiner les stratégies de guerre de l’information dans le plus grand secret.

Le nombre total de participants au Highlands Forum du DoD dépasse le millier, bien que les sessions consistent surtout en de petites réunions de type groupe de travail d’au plus 25-30 personnes, rassemblant des experts et des fonctionnaires selon les sujets. Les délégués ont compté en leur nombre du personnel de haut niveau du SAIC et de Booz Allen Hamilton, RAND Corp., Cisco, Human Genome Sciences, eBay, PayPal, IBM, Google, Microsoft, AT&T, la BBC, Disney Corp., General Electric, Enron, parmi une liste innombrable ; des membres Démocrates ou Républicains du Congrès et du Sénat ; des cadres supérieurs de l’industrie US de l’énergie comme Daniel Yergin d’IHS Cambridge Energy Research Associates ; et des personnages-clés impliqués des deux côtés des campagnes présidentielles.

D’autres participants comprenaient des professionnels de haut rang des médias : David Ignatius, rédacteur en chef adjoint du Washington Post et à l’époque rédacteur exécutif de l’International Herald Tribune ; Thomas Friedman, chroniqueur de longue date au New York Times ; Arnaud de Borchgrave, rédacteur au Washington Times et à United Press International ; Steven Levy, ancien rédacteur de Newsweek, auteur titulaire au New Yorker ; Noah Schachtmann, rédacteur exécutif au Daily Beast ; Rebecca McKinnon, co-fondatrice de Global Voices Online ; Nik Gowing de la BBC ; et John Markoff du New York Times.

Du fait de son soutien actuel par le Sous-Secrétaire à la Défense pour le renseignement de l’OSD, le forum dispose d’un accès interne aux dirigeants des principales agences de surveillance et de reconnaissance US, ainsi qu’aux directeurs et à leurs assistants des agences de recherche du DoD, de la DARPA à l’ONA. Ceci signifie également que le forum est profondément connecté aux équipes spéciales de recherche sur les politiques du Pentagone.

Google : des débuts financés par le Pentagone

En 1994 – l’année de la fondation du Highlands Forum sous les auspices de l’OSD, de l’ONA et de la DARPA – deux jeunes étudiants doctorants de l’Université de Stanford, Sergey Brin et Larry Page, réalisèrent leur percée sur la première application automatisée de recherche et de classement de pages sur le web. Cette application demeure le composant central de ce qui allait devenir le service de recherche de Google. Brin et Page avaient accompli leur travail avec le financement de la Digital Library Initiative (DLI) (Initiative de Librairie Numérique), un programme multi-agences de la National Science Foundation (NSF), la NASA et la DARPA.

Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire.

Tout le long du développement du moteur de recherche, Sergey Brin rendait régulièrement et directement compte à deux personnes qui n’étaient pas du tout de la faculté de Standford : le Dr Bhavani Thuraisingham et le Dr Rick Steinheiser. Les deux étaient des représentants d’un programme sensible de recherche de la communauté du renseignement US sur la sécurité de l’information et l’extraction de données.

Thuraisingham est actuellement le professeur titulaire de l’enseignement Louis A. Beecherl et directeur exécutif du Cyber Research Institute à l’Université du Texas à Dallas, et un expert sollicité sur l’extraction de données, leur gestion et la sécurité de l’information. Mais dans les années 1990, elle travaillait pour MITRE Corp., une entreprise éminente de la défense US, où elle a géré l’initiative du Massive Digital Data Systems (MDDS) (Systèmes massifs de données numériques), un projet sponsorisé par la NSA, la CIA et le Director of Central Intelligence (Directeur du renseignement central), afin de promouvoir les recherches innovantes sur les technologies de l’information.

« Nous avons financé l’université de Stanford par l’intermédiaire de l’informaticien Jeffrey Ullman, qui avait plusieurs étudiants diplômés prometteurs travaillant sur des domaines très excitants, » m’a dit le professeur Thuraisingham. « L’un d’eux était Sergey Brin, le fondateur de Google. La communauté de renseignement du programme MDDS a essentiellement fourni à Brin un financement initial, qui était complété par beaucoup d’autres sources, dont le secteur privé. »

Ce genre de financement n’est certes pas inhabituel, et le fait que Sergey Brin ait pu en bénéficier en étant un étudiant diplômé de Stanford semble fortuit. Le Pentagone s’intéressait à toute la recherche sur la science informatique à cette époque. Mais cela démontre à quel point la culture de la Silicon Valley est profondément enracinée au sein des valeurs de la communauté du renseignement US.

Dans un document extraordinaire hébergé par le site de l’université du Texas, Thuraisingham raconte que, de 1993 à 1999, « l’Intelligence Community (la communauté du renseignement) lança un programme nommé Massive Digital Data Systems (MDDS) que je dirigeais pour l’Intelligence Community quand j’étais à MITRE Corporation. » Le programme a financé 15 efforts de recherche dans plusieurs universités, dont Stanford. Son but était de développer « les technologies de gestion de données pour gérer plusieurs terabits et petabits de données, » pour notamment « le traitement de requêtes, la gestion de transactions, la gestion de métadonnées, la gestion du stockage et l’intégration des données. »

À l’époque, Thuraisingham était chef de recherche pour la gestion des données et de l’information à MITRE, où elle a mené les efforts d’une équipe de recherche et développement pour la NSA, la CIA, l’US Air Force Research Laboratory (laboratoire de recherche pour l’armée de l’air américaine), ainsi que pour l’US Navy’s Space and Naval Warfare Systems Command (SPAWAR) (commandement des systèmes de guerre navals et spatiaux) et Communications and Electronic Command (CECOM) (commandement de l’électronique et des télécommunications). Elle continua à donner des cours pour des officiels du gouvernement américain et des entrepreneurs de la défense sur l’extraction de données dans le contre-terrorisme.

Dans son article de l’université du Texas, elle joint la copie d’un résumé sur le programme MDDS de la communauté du renseignement américain qui fut présenté à l’Annual Intelligence Community Symposium (symposium annuel de la communauté du renseignement) en 1995. Le résumé révèle que les principaux parrains du programme MDDS étaient 3 agences : la NSA, le Bureau de recherche & développement de la CIA et la communauté du renseignement du Community Management Staff (CMS) (personnel de la gestion de la communauté) qui opèrent sous les ordres du Director of Central Intelligence (directeur du renseignement central). Les administrateurs du programme, qui ont fourni un financement d’environ 3-4 millions de dollars par an, et ce pendant 3-4 ans, ont été identifiés comme étant Hal Curran (NSA), Robert Kluttz (CMS), Dr Claudia Pierce (NSA), Dr Rick Steinheiser (ORD  –  qui signifie Bureau de Recherche & Développement de la CIA), et Thuraisingham elle-même.

Thuraisingham continue dans son article pour insister sur le fait que le programme conjoint de la CIA et de la NSA a, en partie, financé Sergey Brin pour développer le noyau de Google, à travers une subvention accordée à Stanford et gérée par le superviseur de Brin, le professeur Jeffrey D. Ullman :

« En fait, le fondateur de Google, Sergey Brin, était en partie financé par ce programme pendant qu’il était doctorant à Stanford. En collaboration avec son conseiller, le professeur Jeffrey Ullman et mon collègue à MITRE, Dr Chris Clifton [Le chef de la recherche informatique de MITRE], il a développé le Query Flocks System (Système d’amas de requêtes) qui produisait des solutions pour l’exploration de grandes quantités de données stockées en base de données. Je me rappelle avoir visité Stanford avec Dr. Rick Steinheiser de l’Intelligence Community et vu M. Brin entrer en surgissant sur des rollers, livrer sa présentation et se ruer dehors. En fait, la dernière fois que nous nous sommes vus en septembre 1998, M. Brin nous a fait une démonstration du moteur de recherche qui devint Google quelque temps plus tard.

Brin et Page ont officiellement institué Google en tant qu’entreprise en septembre 1998, ce même mois où ils ont, pour la dernière fois, fait leur rapport à Thuraisingham et Steinheiser. « Query Flocks » faisait aussi partie du système « PageRank » [classement de pages, NdT] breveté de Google, que Brin a développé à Stanford dans le programme MDDS-CIA-NSA ainsi qu’avec du financement de la NSF, IBM et Hitachi. Cette année-là, le Dr Chris Clifton de MITRE, qui travaillait sous Thuraisingham pour le développement du système « Query Flocks » écrivit un article, conjointement avec le superviseur de Brin, le Professeur Ullman et Rick Steinheiser de la CIA. Intitulé « Knowledge Discovery in Text » (Découverte de connaissance dans un texte), l’article fut présenté lors d’une conférence académique.

« Le financement de MDDS qui soutenait Brin était substantiel comme capital d’amorçage, mais il était probablement dépassé par d’autres canaux de financement, » affirme Thuraisingham. « La durée du financement de Brin fut d’à peu près deux ans. Pendant cette période, mes collègues du MDDS et moi-même nous rendions à Stanford pour voir Brin et surveiller ses progrès à peu près tous les trois mois. Nous ne supervisions pas exactement, mais nous voulions vérifier la progression, souligner d’éventuels problèmes et suggérer des idées. Lors de ces réunions, Brin nous présenta effectivement la recherche sur Query Flocks, et nous fit aussi la démonstration de plusieurs versions du moteur de recherche de Google. »

Brin rendait donc régulièrement compte à Thuraisingham et à Steinheiser de son travail de développement de Google.

Mise à jour à 14h05 GMT (le 2 février 2015)

Depuis la publication de cet article, le Professeur Thuraisingham a modifié son article référencé plus haut. La version modifiée inclut un nouveau communiqué, suivi de la copie de l’original du compte-rendu du MDDS. Dans cette version modifiée, Thuraisingham rejette l’idée d’un financement de Google par la CIA, en affirmant plutôt :

« L’article du Dr Ahmed (daté du 22 janvier 2015) comporte aussi plusieurs inexactitudes. Par exemple, le programme MDDS n’était pas un programme “sensible” comme l’a déclaré le Dr Ahmed ; c’était un programme non secret financé par des universités américaines. De plus, Sergey Brin ne rendait jamais compte à moi ou au Dr Rick Steinheiser ; il nous a seulement donné des présentations pendant nos visites au Département des sciences informatiques à Stanford au cours des années 1990. De plus, le MDDS n’a jamais financé Google. Il finançait l’université de Stanford. »

Ainsi, il n’y a pas de différence réelle dans le récit de Thuraisingham, hormis qu’elle affirme que sa déclaration associant Sergey Brin au développement de Query Flocks est erronée. Il est à noter que cette reconnaissance est fondée non pas sur sa propre observation, mais sur le seul article citant le commentaire d’un porte-parole de Google.

Cependant, la tentative bizarre de dissocier Google du programme MDDS rate la cible. Tout d’abord, le MDDS n’a jamais financé Google, car durant le développement des composants principaux du moteur de recherche Google, il n’y avait aucune entreprise enregistrée sous ce nom. La subvention était plutôt fournie à l’Université de Stanford par le Professeur Ullman, par lequel quelques financements du MDDS étaient utilisés pour soutenir Brin qui co-développait Google à l’époque. Deuxièmement, Thuraisingham ajoute alors que Brin n’a jamais rendu de compte à elle ou à Steinheiser de la CIA, mais admet qu’il « nous faisait des présentations lors de nos visites au Département des sciences informatiques à Stanford dans les années 1990. » Cependant, la distinction entre des comptes-rendus et la présentation d’exposés détaillés n’est pas claire –  en tout cas, Thuraisingham confirme qu’elle et la CIA avaient manifesté un vif intérêt pour le développement par Brin de Google. Troisièmement, Thuraisingham décrit le programme MDDS comme « déclassifié », mais cela ne contredit pas sa nature « sensible ». Comme quelqu’un ayant travaillé pendant des décennies en tant qu’entrepreneur et conseiller dans le renseignement, Thuraisingham est certainement consciente qu’il y a beaucoup de façons de définir le renseignement, et « sensible mais déclassifié » en est une. Un certain nombre d’officiels du renseignement américain à qui j’ai parlé ont affirmé que le manque presque total d’information publique sur l’initiative MDDS de la NSA et de la CIA suggère que, bien que le programme n’était pas classifié, il est plutôt probable que son contenu était considéré sensible, ce qui expliquerait les efforts pour minimiser la transparence du programme et la manière avec laquelle il a nourri le développement d’outils pour la communauté du renseignement américaine.

Quatrièmement, et finalement, il est important de noter que le résumé de MDDS que Thuraisingham inclut dans son document de l’université du Texas déclare clairement, non seulement que le directeur du renseignement central de CMS, de la CIA et de la NSA étaient les superviseurs de l’initiative MDDS, mais que les clients désignés du projet étaient « le DoD, l’IC et les autres organisations gouvernementales » : le Pentagone, la communauté du renseignement américaine, et d’autres agences du gouvernement américain concernées.

En d’autres termes, la mise à disposition du financement de MDDS à Brin par Ullman, sous la houlette de Thuraisingham et Steinheiser, était essentiellement due au fait qu’ils reconnaissaient l’utilité potentielle du travail de développement par Brin de Google pour le Pentagone, la communauté du renseignement, et le gouvernement fédéral en général.

Le programme MDDS est en fait référencé dans plusieurs articles co-écrits par Brin et Page alors qu’ils étaient à Stanford, qui surlignent spécifiquement son rôle dans le soutien financier à Brin dans le développement de Google. Dans leur article publié en 1998 dans le communiqué de l’IEEE Computer Society Technical Committee on Data Engineering (comité technique de la société informatique sur l’ingénierie de données de l’IEEE), ils décrivent l’automatisation des méthodes d’extraction d’information depuis Internet via le « Dual Iterative Pattern Relation Extraction » (extraction relationnelle par modèle double itératif), le développement d’un « classement global de pages Internet appelé PageRank », et l’utilisation de PageRank « pour développer un nouveau moteur de recherche appelé Google. » À travers une ouverture en bas de page, Sergey Brin confirme qu’il était « partiellement soutenu par le MDDS du CMS, la subvention de la NSF IRI-96-31952 » – confirmant que le travail de Brin développant Google était en effet en partie financé par le programme CIA-NSA-MDDS.

Cette bourse du NSF, identifiée à côté du MDDS, dont le rapport de projet inscrit Brin sur sa liste d’étudiants bénéficiaires (sans mention du MDDS), était différente de la bourse de la NSF pour Larry Page qui comprenait un financement de DARPA et de la NASA. Le rapport de projet, écrit par le superviseur de Brin, le Professeur Ullman, poursuit pour dire sous la section « Indices de Succès » qu’il y a « quelques histoires actuelles de start-ups basées sur des recherches soutenues par la NSF. » Sous « Impact du Projet », le rapport note : « Finalement, le projet Google est lui aussi devenu commercial en tant que Google.com. »

Le récit de Thuraisingham démontre donc que le programme CIA-NSA-MDDS a non seulement financé Brin pendant tout son travail avec Larry Page au développement de Google, mais que des représentants haut-placés dans le renseignement US, dont un officiel de la CIA, supervisaient l’évolution de Google lors de cette phase précédant son lancement, jusqu’à ce que l’entreprise soit prête à être officiellement fondée. Google, donc, a pu voir le jour par le biais d’une quantité « conséquente » de financements de départ et de supervision par le Pentagone : à savoir la CIA, la NSA, et la DARPA.

Le DoD n’a pas pu être joint pour un commentaire.

Lorsque j’ai demandé au Professeur Ullman de confirmer ou d’infirmer le financement partiel de Brin via le programme MDDS de la communauté du renseignement, et si Ullman était au courant que Brin rendait régulièrement des comptes à Rick Steinheiser, de la CIA, sur ses progrès dans le développement du moteur de recherche de Google, les réponses d’Ullman furent évasives : « Puis-je savoir qui vous représentez et pourquoi vous êtes intéressé par ces sujets ? Quelles sont vos sources ? » Il nia aussi que Brin ait joué un rôle significatif dans le développement du système Query Flocks, bien qu’il soit évident à la lecture des articles de Brin qu’il s’est inspiré de ce travail en co-développant le système PageRank avec Page.

Quand j’ai demandé à Ullman s’il niait le rôle de la communauté US du renseignement dans le soutien octroyé à Brin au cours du développement de Google, il a répondu : « Je ne vais pas accorder à ces bêtises la dignité d’une réponse. Si vous ne m’expliquez pas quelle est votre théorie et où vous voulez en venir, je ne lèverai pas le petit doigt pour vous. »

Le résumé du MDDS publié en ligne à l’Université du Texas confirme que le raisonnement derrière ce projet conjoint CIA-NSA était de « fournir un capital d’amorçage pour développer des technologies de gestion de données à haut risque et à haut rendement, » y compris des technologies pour « exprimer des requêtes, naviguer et filtrer ; traiter les transactions ; accès, méthodes et indexation ; gestion des métadonnées et modelage des données ; intégration de bases de données hétérogènes, ainsi que le développement d’architectures appropriées. » La vision ultime du programme était de « fournir un accès fluide, et la fusion de quantités massives de données, d’informations et de connaissances dans un environnement hétérogène en temps réel » à l’usage du Pentagone, de la communauté du renseignement et potentiellement à travers tout le service public.

Ces révélations corroborent les affirmations de Robert Steele, ancien officier haut gradé de la CIA et directeur adjoint civil fondateur de la Marine Corps Intelligence Activity (activité de renseignement du corps des Marines US), dont j’ai fait l’interview pour le Guardian l’année dernière au sujet des renseignements dits « open source ». Citant des sources à la CIA, Steele avait affirmé en 2006 que Steinheiser, un ex-collègue, était le principal agent de liaison chez Google et qu’il avait arrangé le financement précoce de l’entreprise pionnière en IT. À l’époque le fondateur de Wired, John Batelle, était parvenu, en réponse aux affirmations de Steele, à obtenir cette dénégation officielle de la part d’un porte-parole de Google :

« Les déclarations en rapport avec Google sont complètement fausses. »

Cette fois-ci, en dépit de multiples requêtes et conversations, un porte-parole de Google a refusé de commenter.

MISE À JOUR : À 17:41 GMT [le 22 janvier 2015], le directeur de la communication d’entreprise de Google prit contact avec moi et me demanda d’inclure la déclaration suivante :

« Sergey Brin ne faisait pas partie du programme Query Flocks à Stanford, et aucun de ses projets n’a été financé par des organismes du renseignement US. »

Voici ma réponse écrite :

Ma réponse à cette déclaration est la suivante : Brin reconnaît lui-même, dans son propre article, le financement du Community Management Staff de l’initiative du Massive Digital Data Systems (MDDS), fourni par l’intermédiaire de la NSF. Le MDDS était un programme de la communauté du renseignement mis en place par la CIA et la NSA. J’ai également archivé cela, ainsi qu’il est noté dans le document de la part du Professeur Thuraisingham de l’Université du Texas, selon quoi elle a dirigé le programme MDDS pour le compte de la communauté américaine du renseignement, et qu’elle et Rick Steinheiser de la CIA ont rencontré Brin à peu près tous les trois mois pendant deux ans, afin d’entendre le résumé de ses progrès dans le développement de Google et de PageRank. Que Brin ait travaillé sur Query Flocks n’a rien à voir.

Dans ce contexte, vous devriez songer aux questions suivantes :

1) Google nie-t-il que le travail de Brin ait été partiellement financé par le MDDS via une bourse de la NSF ?

2) Google nie-t-il que Brin ait régulièrement rendu compte à Thuraisingham et Steinheiser entre 1996 et jusqu’à septembre de 1998, où il leur présenta le moteur de recherche de Google ?

Accès total à l’information

Un appel à des articles pour le MDDS fut envoyé par liste de diffusion le 3 novembre 1993 par le haut fonctionnaire du renseignement US David Charnovia, directeur du bureau de coordination de recherche et développement du CMS de la communauté du renseignement. La réaction de Tatu Ylonen (inventeur acclamé du protocole largement répandu de protection de données « secure shell » [SSH]) à ses collègues sur la liste de diffusion est révélatrice : « Crypto-pertinence ? Cela fait se demander s’il ne vaut pas mieux protéger ses données. » L’email confirme également que l’entreprise de défense et partenaire du Highlands Forum, SAIC, gérait le processus de soumission d’articles au MDDS, les résumés devant être ensuite adressés à Jackie Booth, du Bureau de Recherche & Développement de la CIA via une adresse mail de SAIC.

En 1997, révèle Thuraisingham, peu de temps avant que Google devienne une entreprise à part entière, et alors qu’elle supervisait toujours le développement de son logiciel de moteur de recherche à Stanford, ses pensées se tournèrent vers les applications du programme MDDS en termes de sécurité nationale. Dans les remerciements pour son livre publié en 2003, Web Data Mining and Applications in Business Intelligence and Counter-Terrorism (« Extraction de Données sur le Web et Applications en Renseignement Commercial et en Contre-Terrorisme »), Thuraisingham écrit qu’elle et « le Dr Rick Steinheiser de la CIA ont commencé des discussions avec la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) sur l’application de l’extraction de données dans le cadre du contre-terrorisme, » une idée qui résulta directement du programme MDDS et qui finança Google, en partie. « Ces discussions finirent par évoluer vers le programme actuel EELD [Evidence Extraction and Link Detection, Extraction de Preuves et Détection de Liens] à la DARPA. »

Donc, le même haut fonctionnaire de la CIA et la sous-traitante de la CIA-NSA impliqués dans la fourniture du capital d’amorçage pour Google considéraient au même moment le rôle de l’extraction de données pour des objectifs de contre-terrorisme, et développaient des idées pour des outils en réalité avancés par la DARPA.

Aujourd’hui, comme l’illustre son récent éditorial dans le New York Times, Thuraisingham demeure une ferme avocate de l’extraction de données dans des objectifs de contre-terrorisme, mais insiste également sur le fait que ces méthodes doivent être développées par le gouvernement en coopération avec des juristes des libertés civiques et des défenseurs de la vie privée, pour garantir que de robustes procédures soient en place afin de prévenir d’éventuels abus. Elle souligne, sévère, qu’avec la quantité d’information qui est recueillie, il y a un grand risque de faux positifs.

En 1993, quand le programme MDDS fut lancé et géré par la MITRE Corp. pour le compte de la communauté US du renseignement, une informaticienne de l’Université de Virginie, le Dr Anita K. Jones – une tutrice de la MITRE – décrocha le poste de directrice de la DARPA et celui de recherche et d’ingénierie pour tout le Pentagone. Elle avait été au conseil d’administration de MITRE depuis 1998. De 1987 à 1993, Jones siégea simultanément au conseil d’administration de la SAIC comme nouvelle directrice de la DARPA de 1993 à 1997, elle co-présida également le Highlands Forum du Pentagone durant la phase du développement de Google antérieure à son lancement à Stanford, par le MDDS.

Donc, quand Thuraisingham et Steinheiser parlaient avec la DARPA d’applications des recherches du MDDS en contre-terrorisme, Jones était directrice de la DARPA et co-présidente du Highlands Forum. Cette année-là, Jones quitta la DARPA pour retrouver son poste à l’Université de Virginie. L’année suivante, elle rejoignit le conseil de direction de la National Science Foundation qui, bien sûr, venait de financer Brin et Page, et revint aussi au conseil d’administration de la SAIC. Quand elle quitta le DoD, le Sénateur Chuck Robb lui rendit l’hommage suivant : « Elle a réuni les communautés militaires de technologies et d’opérations pour concevoir des plans détaillés afin de maintenir la domination américaine sur le champ de bataille dans le prochain siècle. »

Dr Anita Jones, à la tête de la DARPA de 1993 à 1997, et co-présidente du Highlands Forum du Pentagone de 1995 à 1997, période durant laquelle les dirigeants en charge du programme CIA-NSA-MDSS ont financé Google, et en collaboration avec la DARPA ont utilisé l’extraction de données pour l’anti-terrorisme

Au conseil de direction de la National Science Foundation de 1992 à 1998 (dont un épisode en tant que président, en 1996) siégeait Richard N. Zare. C’était l’époque où la NSF sponsorisait Sergey Brin et Larry Page en association avec la DARPA. En juin 1994, le Professeur Zare, un chimiste à Stanford, participa avec le Professeur Jeffrey Ullman (qui supervisait les recherches de Sergey Brin) à un comité sponsorisé par Stanford et le National Research Council évoquant le besoin pour les scientifiques de démontrer comment leur travail « était en adéquation avec les besoins nationaux. » Le panel rassembla des scientifiques et des décideurs politiques, dont des « membres du cénacle à Washington. »

Le programme EELD de la DARPA, inspiré par le travail de Thuraisingham et Steinheiser et supervisé par Jones, fut rapidement adapté et intégré avec un ensemble d’outils pour mener une surveillance globale sous l’administration Bush.

Selon un des dirigeants de la DARPA, Ted Senator, qui a mené le programme EELD pour l’éphémère Information Awareness Office (Bureau sur la conscience de l’information), l’EELD faisait partie des « techniques prometteuses » en préparation pour être implémentées dans le système prototype TIA (Total Information Awareness). Le TIA était le principal programme d’écoute et d’extraction de données mondial déployé sous l’administration Bush après le 11-Septembre. Le TIA avait été élaboré par l’amiral John Poindexter, conjuré des Contras iraniens, qui fut nommé en 2002 par Bush pour diriger le nouvel Information Awareness Office de la DARPA.

Le Xerox Palo Alto Research Center (PARC) faisait partie des 26 entreprises (incluant SAIC) ayant gagné des contrats avec la DARPA pour plusieurs millions de dollars (les détails sont restés classés) sous Poindexter, afin de faire avancer le programme de surveillance TIA à partir de 2002. Les recherches comprenaient « le profilage comportemental », « la détection, l’identification et le traçage automatisé » d’activité terroriste, ainsi que d’autres projets d’analyse de données. Durant cette période, John Seely Brown était le directeur du PARC et le directeur de la recherche. Brown et Poindexter participaient au Pentagon Highlands Forum – Brown de façon régulière jusqu’à très récemment.

Le TIA a été prétendument fermé en 2003 en raison d’une contestation publique une fois le programme connu des médias. Mais l’année suivante, Poindexter participa au Pentagon Highlands Group à Singapour, ainsi que de nombreux représentants de la défense et de la sécurité venus de toute la planète. Pendant ce temps, Ted Senator continuait à gérer le programme EELD ainsi que d’autres projets d’extraction et d’analyse de données à la DARPA jusqu’en 2006, puis il rejoignit le SAIC où il devint vice-président. Il fait maintenant partie de l’équipe technique du SAIC/Leidos. suite>>

Source : Insurge Intelligence, le 22/01/2015 via les-crises.fr

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

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