Pour un Maroc démocratique
Aujourd’hui l’Afrique :
Peuxtu présenter ton organisation ?
Saïd Sougti : Je
suis membre de la commission administrative de la « Voie Démocratique »,
son organisme dirigeant, et son porteparole en France, depuis le congrès
de 2004. Nous faisons partie de la nouvelle gauche marocaine, apparue dans les
années 70, avec notamment le mouvement marxiste Il Alama, dont faisaient
partie Abdellatif Laabi, Abraham Serfaty et d’autres. Sous la pression
de la lutte internationale pour les droits de l’homme, le Maroc a connu
une vague de libération des prisonniers politiques et cela nous a amenés
à nous demander que faire après. Les néolibéraux
jugeaient alors préférable, pour sauvegarder leurs intérêts,
de ne plus soutenir des dictatures, et de choisir des régimes respectant
un peu mieux les droits de l’homme. Sous la pression du mouvement marocain
pour les droits de l’homme, nous avons pris la sage décision de
profiter de cette ouverture pour nous exprimer, d’entrer dans la légalité
en abandonnant la clandestinité antérieure.
Nous sommes ancrés à gauche, et notre objectif
est que la Constitution émane du peuple, seul souverain, que le Parlement
élu doit décider, que le gouvernement soit responsable devant
lui et soit l’émanation de la majorité parlementaire. Nous
voulons une démocratie authentique, respectant les identités régionales :
les Marocains sont en majorité des Berbères, dont la langue et
la culture sont étouffées ; la langue amazight doit être
inscrite dans la constitution. Nous sommes pour une égalité véritable
entre hommes et femmes, et revendiquons la laïcité : l’Islam
est une question personnelle et ne doit en aucun cas justifier une gestion politique.
Toutes les croyances doivent être respectées, les religions musulmane,
juive ou chrétienne, et l’athéisme doivent pouvoir s’exprimer
librement. Nous sommes opposés à l’hégémonie
impérialiste, qu' elle soit américaine ou française,
pour la paix et le droit des peuples à l’autodétermination.
Aujourd’hui l’Afrique :
Avezvous une expression légale ?
Saïd Sougti : Nous
avons un siège à Casablanca et des d’autres villes marocaines,
mais le récépissé de légalité nous est encore
refusé ailleurs. Nous avons un journal qui se nomme « la Voie
Démocratique » qui se vend dans les kiosques (même si
certains le refusent). C’est une bataille à mener, car le régime
a changé de tactique, il n’interdit plus mais créé
toutes sortes d’obstacles à la diffusion. Le journal sort tous
les quinze jours. Nous avons aussi un site Internet et la jeunesse de la « Voie
Démocratique » a créé le sien. A l’inverse
de la gauche « gouvernementale », nous progressons.
Nous avons, pour l’émigration, des sections à
Paris, Tours, Lille, Grenoble et en Belgique. Au Maroc, nos sections vont de
9 à 50 adhérents, dans toutes les régions, y compris celles
du Nord de l’Atlas. Récemment, le collectif contre la cherté
de la vie a pu rassembler 3 000 personnes devant la municipalité de ?
Aujourd’hui l’Afrique :
Avezvous des alliés dans votre démarche
politique dans la gauche marocaine ?
Saïd Sougti : Depuis
2004, existe un « rassemblement de la gauche démocratique »,
uni sur 17 points de programme. Nous faisons preuve du maximum de souplesse
pour que ce rassemblement continue. Nous avons organisé ensemble la marche
contre le chômage et dans 30 villes, des marches contre l’exclusion
politique le 30 novembre dernier.
Nous sommes les seuls dans ce groupe à boycotter les
élections de 2007, alors que les autres vont y participer. Nous avons
néanmoins participé avec eux aux marches contre l’exclusion
politique, parce que la loi électorale leur interdit de fait de se présenter :
aucun remboursement si l’on n’obtient pas 7% des voix !
Nous avons donc des alliés, mais nous n’avons
pas pour objectif de changer le Maroc dans le cadre des institutions actuelles.
Elles sont corsetées par l’article 19 qui donne tous les pouvoirs
au Roi. Le discours du Roi devient loi, quoique dise ou vote le Parlement, le
gouvernement n’émane pas de la majorité parlementaire,
il est d’ailleurs composé de ministres venus de tous les grands
partis de gauche et de droite et de technocrates : ce n’est qu' une
façade démocratique. Sans une réforme fondamentale des
institutions, aucun changement favorable aux masses populaires ne peut en sortir.
Tant que ne sera pas limité le pouvoir du Roi et que, législatif,
exécutif et judiciaire ne seront pas séparés, le boycott
se justifiera selon nous. Les ministères dits « de souveraineté »
n’ont aucun sens dans une démocratie politique. Le gouvernement
doit rendre compte au parlement élu, et on doit séparer la religion
de la pratique gouvernementale. Si nous pensions que la démarche électorale
pouvait permettre d’aller un tant soit peu dans ce sens, nous serions
prêts à y participer. Ce n’est pas le cas, surtout depuis
la dernière réforme des partis politiques, qui les assujettie
aux décisions royales et leur interdit de revendiquer le pouvoir.
La personnalité du Roi est sacrée. L’Islam
est sacré. Le Sahara est sacré. Pour nous, laïques, nous
ne pouvons accepter cette sacralité et accepter de ne pas critiquer les
décisions d’un monarque, d’autant qu' il s’implique
dans toutes les affaires du pays. Nous ne pouvons participer à une campagne
électorale sans parler du Sahara, alors que nous sommes pour l’autodétermination
du peuple Sahraoui. Les élections n’auraient de sens que si elles
nous permettaient d’exprimer notre point de vue à ce sujet.
Aujourd’hui l’Afrique :
Que peuxtu nous dire de la situation économique
et sociale du Maroc ?
Saïd Sougti : Le
Maroc est dirigé par une classe « compradore »,
intégrée dans le processus de mondialisation, aligné sur
les USA et la France. Elle applique une politique néolibérale
en privatisant tout ce qui fonctionne, en donnant priorité aux grandes
institutions financières et au remboursement de la dette au détriment
des investissements dans le secteur public. Ajoutons l’augmentation de
la TVA, le bradage au privé des transports, de l’électricité,
de la santé : les cliniques privées prolifèrent, les
prix du sucre et des produits de première nécessité flambent.
Vivendi et d’autres groupes internationaux en tirent profit, mais aussi
l’Omnium nordafricain qui est contrôlé par la famille royale.
C’est une véritable « royalisation » de l’économie
marocaine qui a lieu, par la privatisation d’activités publiques
livrées à des sociétés filiales de l’Omnium.
Depuis l’arrivée de Mohamed VI, la fortune royale augmente de plus
en plus, ce sont les journaux marocains qui le disent. En même temps,
le processus pousse le pays vers plus de pauvreté et de misère.
Les mouvements locaux de protestation, dispersés, mal organisés
se multiplient, malgré les répressions fréquentes. Il ne
se passe pas de semaine sans rassemblement devant le parlement, un jour pour
l’emploi, l’autre les nonvoyants. Les autorités refusent
de reconnaître la qualification de marocains qui ont obtenus le doctorat
en France : certains sont en grève de la faim depuis le 1er novembre.
Quel développement peuton espérer d’un état qui
pousse à ces extrémités des chômeurs diplômés.
Cet état ne s’intéresse qu' au tourisme, qui rapporte
des devises et se désintéresse du développement. Seule
l’amélioration du niveau de vie et du pouvoir d’achat pourrait
faire redémarrer l’économie qui reste corrompue et dépourvue
d’investissements productifs aujourd’hui.
Aujourd’hui l’Afrique :
Peuxtu donner une idée des salaires et des revenus ?
Saïd Sougti : 60%
des Marocains vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le SMIG est à
1 400 dirhams, 140 ou 150 €, mais cela n’a guère de signification,
car le code du travail n’est pas respecté. De nombreux salariés
n’ont même pas de carte de travail, donc pas de sécurité
sociale. Quand l’état intervient, c’est toujours au service
des patrons. Evidemment, beaucoup de capitaux se déplacent pour tirer
des profits juteux d’une main d’œuvre aussi peu coûteuse,
qu' on peut licencier quand on le veut. Cela d’autant plus que les
syndicats sont très divisés, quand ils ne sont pas aux mains de
directions bureaucratiques liées avec le patronat. Cela rend le combat
des ouvriers pour leurs droits de plus en plus difficile. C’est pire encore
pour les travailleurs agricoles, qui doivent se rassembler le 10 décembre
avec l’association pour les droits de l’homme. Aujourd’hui,
au Maroc, on ne se bat même pas pour une vie plus confortable, mais pour
une vie digne. Tout est payant, enseignement, santé, transports désastreux :
la vie ellemême est difficile.
Aujourd’hui l’Afrique :
Ce qui explique le désir d’émigrer
de bien des jeunes ….
Saïd Sougti : Ce
qui nous amène à parler de ces « barques de la mort »,
emplies de jeunes qui ont l’impression de ne pas vivre vraiment, et qui
pensent « je passe ou je meurs », vers l’Espagne
ou les Canaries. Ils sont à la recherche d’un morceau de pain et
de dignité, et la volonté ne leur manque pas de travailler. Mais
ils n’ont aucune issue dans le pays.
Aujourd’hui l’Afrique :
Ne peuton parler de complicité à ce sujet
entre autorités européennes et marocaines ? Les uns sont
bien contents de voir finir ces jeunes qui pourraient devenir opposants et les
autres très satisfaits de recevoir une main d’œuvre sous payée.
Saïd Sougti : C’est
surtout en PACA et en Espagne que l’économie agricole fonctionne
grâce à cette main d’œuvre marocaine. On n’en
parle dans les journaux qu' en cas de drame. Il a fallu une flambée
raciste au sud de l’Espagne, pour que l’Europe s’y intéresse.
Il a fallu l’été dernier que la CGT se mobilise pour apprendre
le sort fait à ces travailleurs marocains en PACA. Journaliers, ils ont
un titre de séjour de 6 mois et sont recrutés dans les douars
par des réseaux mafieux. Ils doivent payer pour décrocher un contrat
de 6 mois. Evidemment, les 6 mois écoulés, ils restent, car ils
ne sont pas sûrs du tout de pouvoir revenir. Alors, sans papiers, ils
sont surexploités, et parfois même, victimes de brimades racistes
et de mépris dans les cafés et dans les rues. Il a fallu cette
campagne initiée par la CGT et un rassemblement à Paris pour que
140 de ces travailleurs soient régularisés. Ce sont des centaines
de saisonniers qui sont dans ce cas, et aux prises avec la police quand ils
sont clandestins. Cette situation permet aux employeurs de les payer au moindre
prix.
Le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye sont
devenus la frontière de l’Europe, qui leur alloue des enveloppes
pour verrouiller leurs frontières. Ce qui s’est passé à
Ceuta et Melilla se produit régulièrement dans les forêts
marocaines. Nos camarades qui font un travail exceptionnel, nous informent que
le Maroc n’hésite pas à rejeter les clandestins qu' ils
prennent dans le Sahara algérien, alors même que certains ont dû
quitter leur pays pour des raisons politiques. Ils ne respectent pas les conventions
internationales en matière de droits des migrants. La coopération
policière entre France et Maroc est ancienne et se renforce.
Nous avons aussi organisé un rassemblement devant la
télé marocaine pour exiger que les acteurs politiques puissent
s’y exprimer. Nous n’y sommes jamais invités, le seul point
de vue est celui du régime.
Le combat est quotidien, un jour contre des licenciements sans
raison, l’autre parce que des maisons se sont effondrées à
Tanger du fait de malfaçons. Tout un peuple en lutte, mais beaucoup
de conditions ne sont pas encore réunies pour que ce mouvement devienne
massif : la division, le choix de certains partis de choisir la paix sociale,
de refuser toutes manifestation qui n’a pas l’accord du régime
pour ne pas être exclu de la protection de la cour royale. Il existe aussi
des divergences au sujet des courants intégristes, qui exploitent la
misère marocaine à leur profit. Ils sont divisés entre
les islamistes domestiqués par le Palais et un autre courant plus réactionnaire
encore, proche du fascisme dans ses pratiques.
Il n’existe pas encore au Maroc de parti de masse apte
à prendre en main les revendications populaires, surtout celles de la
classe ouvrière et des plus déshérités. Nous y travaillons.
Aujourd’hui l’Afrique :
Comment expliquezvous que le Parti Communiste marocain,
qui a été un parti de lutte, de convictions marxistes, ait dérivé
jusqu' à une attitude présente très nationaliste
à propos du Sahara Occidental ?
Saïd Sougti : Le
mouvement auquel j’appartiens a jugé dès les années
19651967 que ce partilà devenait réformiste, aligné sur
le pouvoir royal, et qu' il ne pouvait plus représenter les classes
déshéritées. Dès 19751976, nous étions qualifiés
par le PCM de traîtres à propos du Sahara Occidental. Aujourd’hui,
son discours a évolué parce que les luttes sahraouies sont maintenant
sur le territoire occupé, et pas seulement dans le désert algérien,
vers Tindouf. Ils sont obligés de constater que leur discours, celui
du Palais, n’a débouché que sur l’échec. A
la fête de l’Humanité 2006, vous avez pu constater l’évolution :
une de leurs responsables a participé au débat avec la Voie Démocratique
et le Front Polisario Sahraoui. C’est entièrement nouveau, mais
insuffisant. Pour notre part, nous lançons un appel solennel à
tous les partis marocains, pour qu' il y ait une réelle négociation
entre l’état marocain et les combattants sahraouis du Front Polisario.
Parce que ce problème non résolu depuis si longtemps est une fracture
insupportable entre les peuples de la région. Depuis ans, une profite
qu' aux régimes anti démocratiques de la région.
Aujourd’hui l’Afrique :
L’hebdomadaire Le Point vient de publier un dossier
sur le Maroc, sous le titre « Pourquoi les islamistes peuvent gagner ».
Leur thèse est que les courants intégristes peuvent accéder
au pouvoir lors des prochaines élections.
Saïd Sougti : Le
pouvoir au Maroc ne se gagne pas par les élections. En 2002, seulement
29% des électeurs marocains ont participé au vote. Le peuple n’y
croit plus. Par contre, vis à vis des islamistes, la tactique du régime
a changé, parce que la vision des USA a changé aussi. Le libéralisme
se développe et l’islamisme marocain ne le dérange pas,
au contraire, ce courant islamiste ne condamne pas l’exploitation, mais
la justifie, puisque selon lui Dieu a voulu un exploiteur et un exploité.
Il faut accepter la volonté divine, le destin. Les Américains
font le tri entre les mauvais islamistes qui ne veulent pas leur obéir,
qualifiés de terroristes, et ceux qui leur obéissent, qu' ils
qualifient de modérés. Ceuxlà font l’apologie d’une
pensée « arriériste », réactionnaire,
et attachés au libéralisme économique. Ils sont donc très
satisfaits de les voir au Parlement, que ce soit au Maroc, en Jordanie, en Egypte.
Le pouvoir au Maroc n’est pas à prendre, il est aux mains du Roi,
c’est avec sa caution et celle des USA que la fille de Yassine s’exprime
au nom des islamistes « modérés », en fait,
domestiqués. Ce courant peut effectivement gagner les élections,
puisque les résultats sont décidés avant le vote. Savezvous
qu' en 2002, deux militants de l’USFP, députés proclamés
élus, ont refusé de siéger au Parlement puisque le résultat
était falsifié en leur faveur ? Il n’est pas impossible
que, devant une révolte populaire croissante, le pouvoir royal utilise
les islamistes pour canaliser le mécontentement. D’autant que
l’Union Socialiste des Forces Populaires et la gauche gouvernementale
qui étaient au gouvernement avec Youssoufi, n’ont apporté
aucun progrès économique et social et les Marocains ne lui font
plus confiance.
Aujourd’hui l’Afrique :
Le problème du Sahara Occidental a til des conséquences
pour l’économie marocaine ?
Saïd Sougti : Depuis
1975, 30 à 0% des dépenses budgétaires du Maroc vont à
l’armement. Les dépenses du Palais faisant à peu près
autant, il ne reste pas grand chose pour les besoins du peuple et le développement.
Le Sahara est un alibi pour le pillage et la corruption politique : les
agréments de pêche le long des côtes [du Sahara Occidental
occupé] ont beaucoup enrichi certains colonels ou d’autres qui
les ont obtenues. Les dépenses d’armement non seulement pèsent
sur l’économie du pays, mais servent à renforcer l’outil
répressif contre le peuple. De plus, le problème du Sahara empêche
la coopération et la solidarité nécessaires avec l’Algérie,
la Mauritanie, qui pourraient être à la base d’un Maghreb
démocratique. En fait, l’absence de solution actuelle sert le régime
marocain, et aussi le régime algérien, qui raisonne aussi en fonction
de ses intérêts au Sahara, ne nous voilons pas la face. La seule
issue est le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui,
dont l’identité nationale s’est développée
dans la lutte contre le colonialisme, que les soulèvements populaires
au Sahara depuis mai 2006 revendiquent un droit et le font de façon pacifique.
Ce serait à l’honneur du Maroc de garantir ce droit par le biais
d’un référendum libre.
Aujourd’hui l’Afrique :
Quelles sont les options de la Voie Démocratique
en matière internationale ?
Saïd Sougti : La
priorité est de rétablir la crédibilité de l’ONU
et des autres institutions internationales qui sont aujourd’hui instrumentalisées
par les Américains. L’ONU doit revenir à sa vocation première,
veiller à la paix dans le monde. Les régimes actuels du monde
arabe sont tous inféodés aux USA, et ne peuvent plus influer dans
le sens de la paix. Leur respectabilité est perdue. La Ligue Arabe n’a
même pas été capable de publier un communiqué dénonçant
l’agression israélienne au Liban et en Palestine. Le « Grand
Moyen Orient » ne peut se faire qu' avec les peuples du Moyen
Orient, pas leurs gouvernements actuels ni les américains. La démocratie
ne s’exporte pas, elle émane du peuple. Il faut renforcer les courants
alter mondialistes qui vont dans le sens de la paix. En Amérique latine,
les peuples commencent à gagner, à mettre en place des pouvoirs
auxquels ils croient : la réélection récente de Chavez
au Venezuela démontre que l’expansionnisme américain n’est
pas tout puissant.
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