La classe ouvrière à l'ère des entreprises transnationales

 par Peter Mertens

 Chap 1.  La classe ouvrière, le secteur des services et la (dés)industrialisation

Chap 2.  Lutte de classe, syndicats et parti révolutionnaire

Chap 3.  L'ère des entreprises transnationales

Chap. 4  Existe-t-il une "Troisième voie" entre révolution et réformisme?

 Ce livre est écrit en confrontation avec les thèses de Michael Hardt et Antonio Negri ( voir leur livre "Empire") d'une part et avec la "modernisation du marxisme" prônée par Fausto Bertinotti.

Edité par l'Institut d'Etudes marxistes (inem@marx.be )

 

Peter Mertens est membre du Bureau politique du Parti du Travail de Belgique. Il a 36 ans.

 www.ptb.be

Un livre de Peter Mertens (PTB) ouvre le débat
La classe ouvrière est morte, vive la classe ouvrière

Que représente encore la classe ouvrière? Avec La classe ouvrière à l'ère des transnationales, Peter Mertens veut susciter le débat.

Thomas Blommaert
08-02-2006

Tout à fait entre nous, la classe ouvrière, ce n'est pas un phénomène datant de plus d'un siècle?

Peter Mertens. Si on part de l'image des quartiers ouvriers des années 1900 à Verviers, Alost, Liverpool ou Manchester, ces rues misérables grouillant de casquettes grises, si. Mais, bien sûr, ce n'est que la partie visible. En Belgique, chaque jour, 1,1 million de familles vendent leur travail dans la production au sens large. En Europe, il s'agit de 60 millions de familles, à l'échelle mondiale, d'un milliard. La classe ouvrière n'a donc certainement pas disparu. Elle est devenue planétaire.

On a déjà écrit des tonnes de bouquins sur la classe ouvrière. Pourquoi vous êtes-vous senti obligé d'en ajouter un autre?

Peter Mertens. Je voulais faire une actualisation. Il y a cent ans, les grandes entreprises luttaient pour le contrôle d'un secteur dans un pays. Aujourd'hui, il s'agit du contrôle de tout le marché mondial. Voyez l'acier. C'est pourquoi il est indispensable de rouvrir le débat. Disons tout de suite que mon livre vise surtout à ouvrir le débat.

En Occident, qui dit classe ouvrière, dit désindustrialisation. Des masses d'emplois industriels disparaissent, non?

Peter Mertens. Il existe deux grosses études sur la désindustrialisation, l'une du gouvernement français et l'autre de la Commission européenne. Les deux arrivent à la même conclusion: en Europe, il n'est pas question de désindustrialisation. Toutefois, on la confond souvent avec trois autres facteurs. Un: les entreprises ne cessent de produire plus avec moins de monde. C'est l'une des lois les plus perverses du système. Sur ce plan, l'analyse de Marx dans Le Capital est toujours aussi valable. Deux: la sous-traitance des tâches et le travail intérimaire. Trois: la délocalisation. Les deux premiers facteurs sont responsables de 93 % de la perte d'emplois dans l'industrie.

Quel est le chiffre le plus marquant de votre ouvrage?

Peter Mertens. En France, ces vingt dernières années, 1,5 million d'emplois ont disparu. En même temps, 1,9 million d'emplois sont apparus en plus dans le secteur des services liés à l'industrie. Les emplois ne disparaissent donc pas de la production. Ils disparaissent surtout de la force collective et de la protection sociale des secteurs plus importants. C'est ainsi qu'apparaissent en Europe de nouvelles régions à l'emploi sous-payé et mal protégé. C'est précisément là qu'il y a encore beaucoup de pain sur la planche pour le mouvement syndical et les partis ouvriers.

Qu'est-ce qui vous a le plus étonné durant la rédaction de votre ouvrage?

Peter Mertens. Que l'analyse fondamentale de Marx sur le capitalisme n'a encore quasiment rien perdu de son actualité. Ce n'est pas que tous les points et virgules soient encore pareils aujourd'hui, mais les mécanismes essentiels qu'il décrit sont toujours valables. Un exemple : à propos de l'introduction des machines au 19e siècle, Marx dit que, sous le capitalisme, cela ne fera qu'accroître l'exploitation des travailleurs. On peut reporter cela sur la révolution technologique actuelle. Au contraire de ce que racontent certains théoriciens, cette mécanisation n'a pas amené une société plus humaine ni la disparition de l'exploitation. En lieu et place, la chaîne tourne même de plus en plus vite et la flexibilité a encore augmenté.

Je suis absolument partisan du développement technologique mais, sous le capitalisme, ce progrès ­ comme le dit Marx ­ ne sert pas à satisfaire les besoins de la population ni à alléger son travail. C'est ce qu'ont remarqué également les travailleurs de Hewlett Packard en Allemagne, qui ont tous reçu un GSM gratuit de leur patron. De la sorte, ils étaient à sa disposition 24 h sur 24 et, aux pics de production, le patron pouvait les appeler par GSM.

Vrai ou faux?

Votre livre s'adresse aux communistes actifs

Peter Mertens (s'esclaffe). Faux sur toute la ligne, le livre comprend en fait deux niveaux. Le principal, c'est la quête d'une réponse à des questions auxquelles nous sommes tous confrontés, car le monde ne reste pas immobile. Des questions comme: quel est le rôle du secteur des services? Qu'en est-il de la délocalisation? Comment bâtit-on une force syndicale face à de grandes et petites entreprises? Les pouvoirs de l'Etat ont-ils disparu? Les gens que ces questions intéressent ne trouveront pas l'ouvrage difficile. Il y a un second niveau: les positions sont formulées en contradiction avec d'autres théories, comme celles de Fausto Bertinotti [président du Parti de la Gauche européenne] et celles de Michaël Hardt et Antonio Negri [auteurs de Empire (2002) et La foule (2004)].

Le livre parle de Nadine Rosa-Rosso, l'ancienne secrétaire générale du PTB, qui a démissionné après les mauvais résultats électoraux de Resist, auquel participait le PTB en 2003. Un règlement de compte?

Peter Mertens. Erreur. Je n'ai nul besoin de régler des comptes avec qui que ce soit. Ce qui est exact, toutefois, c'est qu'un des points de départ du livre a bien été: examiner de près si les points de vue répandus dans le PTB durant la période de Resist, et entre autres par Nadine, reposaient sur des faits ou sur des états d'âme. Des déclarations comme: «Nous ne pouvons plus organiser les gens dans les usines», «la classe ouvrière est totalement affaiblie du fait des délocalisations», etc.

Le livre est très nuancé. C'est une rupture de style avec la réputation du PTB de penser noir ou blanc.

Peter Mertens. Je suis convaincu que l'actuelle direction du parti fait ce choix. Nous devons apporter plus de dialectique dans notre recherche et dans nos interventions. Exemple: quand la seconde guerre du Golfe a éclaté en Irak, le PTB a dit: «Rien ne sera plus comme avant» et «la guerre en Irak est la même que la guerre dans les usines». Nous devons nous défaire de cette logique du tout ou rien. De même, le combat sur la façon de défendre une pause douches dans une usine a, elle aussi, toute son importance.

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